Nous pensons que le programme REACH représente une demande de pardon et un aveu de culpabilité à la société pour les milliers de substances chimiques industrielles insuffisamment testées qui pénètrent à présent dans nos organismes et dans l’environnement. Inutile d’ouvrir un débat philosophique pour déterminer s’il faut blâmer l’industrie plus que la société, ou le contraire, pour la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons, cernés par des milliers de substances chimiques, certaines bonnes, d’autres mauvaises, d’autres très mauvaises. Tenter de répondre à la question :“qui a créé les besoins d’avoir autant de substances chimiques en premier lieu : la société ou l’industrie ?” serait comme tenter de déterminer qui de l’oeuf ou de la poule est apparu en premier.
Rats et souris alimentent encore le dinosaure
Le concept et la structure de REACH sont un fait accompli. Nous avons à présent la tâche onéreuse de tenter d’apprivoiser un dinosaure chimique, c’est-à -dire d’organiser l‘évaluation fiable de la toxicité de 30 000 substances. Bien que le règlement REACHlaisse de la place à l’innovation (par exemple via l’Annexe XI*), les tests proposés et acceptés jusqu’ici sans aucune objection sont toujours les mêmes : sur des animaux, donc sans valeur pour l’homme. Pour pouvoir introduire de nouveaux tests (“éléments de preuve”), il faudra fournir non seulement les résultats de ces tests pour une substance donnée mais, en plus, “une description suffisante et fiable” de ces “éléments de preuve”. Double travail, donc, de nature à décourager les industriels à se lancer dans ces nouveaux tests…
Tenter d’attaquer une directive de la Commission européenne (CE) pour montrer que les tests qu’elle exige sont obsolètes et/ou que les tests fiables ne sont pas suffisamment encouragés n’est pas un exploit à la portée de n’importe qui. En fait, la CE est essentiellement immunisée contre les attaques juridiques, sauf dans de rares instances, par exemple, le cas de la Suède contre la Commission des Communautés européennes (1). Toutefois, dans le cadre du règlement REACH, il y a plusieurs voies possibles pour promouvoir la bonne science et éliminer la “mauvaise science” (tests sur des animaux, comme l’indiquait le précédent directeur du Centre européen pour la validation des méthodes alternatives CEVMA). La position d’Antidote Europe est que l’utilisation d’animaux pour établir des “limites de sécurité” pour l’exposition humaine aux substances chimiques n’a pas de fondement scientifique et que ces tests sur animaux sont donc inutiles pour notre santé. En choisissant de tester parmi plus de 250 lignées de rats et 330 lignées de souris, il est possible de démontrer qu‘à peu près n’importe quelle substance chimique est “sûre” ou le contraire. Quand on parle de sécurité, la question pertinente est : “sûr pour qui (pour quelle espèce animale) ?”
Les scientifiques et législateurs européens qui sont familiers des tests sur animaux se disent désireux d’envisager l’utilisation de méthodes sans animaux, mais à la condition que ces dernières subissent d’abord une “validation”. Valider une méthode implique qu’elle ait été scientifiquement évaluée pour un but particulier (pertinence) et qu’elle soit fiable et reproductible. Bien que le concept de validation soit sensé, il soulève deux questions cruciales :
(i) dans quelle mesure les tests sur des animaux ont-ils été validés ? En posant cette question, on a déjà accepté que la validation ne peut se faire que par rapport aux tests sur animaux. Il faut sortir de ce piège. Il vaudrait mieux poser une question (o) : comment valider des tests pour l’homme ? Réponse : en testant sur ses cellules, ses tissus, et, pour les produits largement utilisés, en pratiquant des tests non invasifs sur des volontaires et sous surveillance clinique. Il n’y a pas moyen de faire autrement, aucune espèce n’étant le modèle biologique de l’homme.
(ii) Pourquoi la validation et l’acceptation réglementaire sont-elles si lentes ?
Une réglementation qui ignore des faits scientifiques
Ces deux aspects de la validation demandent à être examinés de plus près. Pour aussi incroyable que cela paraisse, les tests sur des animaux n’ont jamais fait l’objet d’une validation formelle (2), ce qui a amené un ancien directeur du CEVMA à avancer le concept d’“invalidation”, en disant qu’il était clair que plusieurs tests sur des animaux couramment acceptés ne remplissaient pas, et ne pourraient jamais remplir, les critères de validation (3). Sans surprise, cette initiative semble avoir été largement ignorée à la fois par les industriels et par les responsables de la réglementation. Car les autorités seraient tout simplement trop embarrassées si elles devaient admettre publiquement que les tests sur des animaux ne fonctionnent pas pour prédire les effets toxiques d’une substance pour l’homme.
Le second aspect problématique de la validation est le délai nécessaire pour développer et valider une méthode sans animaux et l’attente, ensuite, de son acceptation réglementaire. Un exemple classique pour illustrer ce point est le remplacement du test de pyrogénicité (fièvre) chez le lapin, par une méthode sans animaux. Une telle méthode a été développée en 1988 par des scientifiques britanniques, mais n’a été validée qu’en 2006 (4). Des sources bien informées prévoient que cette méthode obtiendra son acceptation réglementaire en 2010 en tant que méthode officielle de remplacement du test sur les lapins. Soit un total de 22 années pour obtenir le remplacement d’un seul test sur des animaux !
Beaucoup se posent la question brûlante : “Pourquoi ce processus est-il si long ?” La réponse est plutôt triste. Cela est dû en partie à l’incompétence du gouvernement et de l’industrie et aussi au fait que les tests sur des animaux ont été utilisés pendant des années et que législateurs et industriels savent interpréter les données obtenues sur les animaux, même si ces données ne sont pas pertinentes pour la santé humaine. L’industrie sait que pour développer et introduire une nouvelle méthode sans animaux, elle devra dépenser un peu d’argent, mais ce n’est pas là le principal obstacle. Ce qui la préoccupe bien plus, c’est le risque que cette méthode ne soit pas acceptée par les autorités de réglementation. Ce risque est particulièrement élevé lorsqu’une méthode de test développée à l’aide de cellules et de tissus humains est comparée à des données historiquement obtenues sur des animaux.
Un cas d‘école : la toxicité aiguà«
L’un des objectifs premiers de tout programme de tests de substances chimiques est de déterminer quelle dose de substance, administrée en une seule fois, peut tuer un individu (toxicité aiguà«). REACH ne fait pas exception mais ces tests effectués sur des animaux ne seraient-ils pas plutôt un simple exercice de collecte de données à l’aveugle, le vestige de cette “mauvaise science” ignorante encore du fait qu’aucune espèce animale n’est un modèle biologique pour l’homme ?
Initialement, REACH devait requérir des données de toxicité aiguà« systémique (pour l’organisme entier) via une unique voie d’administration de la substance et uniquement pour des substances commercialisées en volumes supérieurs à dix tonnes par an (5). Toutefois, des amendements déposés par plusieurs Etats membres ont conduit à requérir des données de létalité aiguà« pour toutes les substances concernées par REACH (c’est-à -dire 30.000 substances commercialisées en volumes supérieurs à une tonne par an), ainsi que des données de létalité via une seconde voie d’exposition pour approximativement 10.000 substances commercialisées annuellement en volumes supérieurs à dix tonnes (6).
Comme toute substance dans le commerce a probablement été testée par voie orale à la dose qui tue 50% des animaux d’un lot (test appelé “DL50”) ou par l’une des variantes de “réduction” ou “(r)affinement” de ce test, la seconde voie d’exposition sera l’inhalation ou l’application sur la peau, un test qui consomme 30 à 40 animaux par substance, selon les Lignes directrices de l’OCDE 402/403 (7). Les “tests alternatifs” sans animaux sont encore à approuver. Beaucoup sont même encore à inventer puisque la lourde machinerie réglementaire part toujours des tests sur animaux comme référence et, lorsqu’on lui propose un test directement développé sur du matériel humain comme nous l’avons fait en 2005, on nous objecte qu’il faudrait le valider… mais que c’est impossible car leCEVMA ne possède pas les données sur animaux auxquelles comparer les résultats de nos tests sur cellules humaines ! Donc, pour des raisons pratiques, il est envisagé de re-tester 10.000 substances, toujours sur des animaux, c’est-à -dire par des méthodes toujours aussi défectueuses et susceptibles, plutôt que de protéger notre santé et notre environnement, de générer des données contradictoires… un doute bien susceptible de bénéficier au fabricant de la substance plutôt qu’au consommateur !
La pharmacie se rend à l‘évidence
Cette situation ressemble à une catastrophe en gestation. Toutefois, une publication scientifique du début de l’année pourrait offrir une voie intéressante pour remettre en cause les tests sur animaux dans le cadre de REACH. En effet, un consortium de 18 firmes pharmaceutiques a annoncé qu’elles tentaient de parvenir à un accord avec les autorités de réglementation pour éviter les tests de toxicité aiguà« car cette catégorie de tests est considérée comme redondante. Cette initiative a ouvert une boîte de Pandore de nouvelles troublantes : l’aveu par l’industrie que ces “traditionnels” tests de toxicité n’avaient, en fait, aucune utilité. Pour l’instant, l’aveu concerne uniquement les tests de toxicité aiguà« mais il pourrait s’agir de la première pièce d’un domino qui amènerait ensuite à remettre en cause tous les autres tests faits sur des animaux. Il serait essentiel d’obtenir que des tests fiables soient mis en place pour les toxicités qui se manifestent longtemps après l’exposition à la substance (cancer, maladies neurologiques, stérilité, malformations des foetus…) car, actuellement, les tests sur des animaux ne sont pas fiables pour l’homme et ces effets sont difficiles à mettre en évidence chez l’homme par les méthodes classiques (épidémiologie, études d’exposition) justement en raison du temps que mettent les premiers symptômes à apparaître.
Mais revenons à cet “aveu”, qui amène la question : depuis combien de temps l’industrie et les autorités de régulation sont-elles conscientes de cette situation et ne disent-elles rien? La réponse est : à peu près 30 ans ! (8)
Aucun doute que la pression publique et celle du lobby de la défense animale ont contribué de façon significative à cet aveu par lequel les industriels reconnaissent qu’ils ont pratiqué des tests considérés à présent comme inutiles. Or, tous les tests de toxicité sur des animaux sont inutiles puisque non pertinents pour l’homme. Une opportunité se présente donc pour attaquer le volet “évaluation” du programme REACH à la lumière des révélations de l’industrie pharmaceutique.
Antidote Europe tient à informer ses lecteurs et adhérents qu’elle poursuivra sans faiblir sa ligne d’action engagée depuis sa création, afin que REACH mette en oeuvre des méthodes d‘évaluation de la toxicité fiables pour l’homme. Nous avons développé la toxicogénomique à cette fin et nous entendons agir par toutes actions légales pour la faire appliquer.
- Une écaille de modernité sur le dinosaure
Si les allusions aux méthodes “substitutives” ne sont pas toujours très concrètes dans le texte de REACH, l’article 1.2 de l’annexe XI nous ouvre réellement une porte :
“Le recours à des méthodes d’essai nouvellement mises au point, mais ne figurant pas encore parmi les méthodes visées à l’article 13, paragraphe 3, ou à une méthode d’essai internationale reconnue comme équivalente par la Commission ou par l’Agence, peut fournir des éléments de preuve suffisants pour permettre de conclure qu’une substance possède ou non une propriété dangereuse particulière.
Quand des éléments de preuve suffisants sont disponibles pour confirmer l’existence ou l’absence d’une propriété dangereuse particulière:
– il y a lieu de renoncer à des essais supplémentaires sur des animaux vertébrés en ce qui concerne la propriété en cause,”
En clair, cela signifie que les industriels pourront utiliser un test ne faisant pas appel à des animaux, même s’il n’est pas officiellement validé, à condition “de fournir une description suffisante et fiable”. La toxicogénomique sur cellules humaines pourrait tout-à-fait entrer dans cette catégorie.