Le 16 octobre 2014, le professeur Marco Mamone Capria présentait, au Parlement européen, une conférence intitulée : « Protecting our health from the business of disease » (Protéger notre santé du commerce de la maladie).
La conférence s’est déroulée tout au long de la matinée. Elle était organisée par l’eurodéputée Eleonora Evi et annoncée par le groupe EF2D (Europe of Freedom and Direct Democracy, soit Europe de la liberté et de la démocratie directe).
Dans son introduction déjà, Mme Evi mentionnait l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection, dont le logo figurait sur l’affiche de la conférence.
Le professeur Mamone Capria a évoqué plusieurs aspects de la recherche animale : historique, nombre d’animaux, etc., et, bien sûr, pertinence. Ou bien plutôt, absence de pertinence, démontrée par de nombreux articles tirés de la littérature scientifique et soulignée par le sous-titre de la conférence : pourquoi nous ne pouvons pas faire confiance aux « modèles animaux » et pourquoi il est nécessaire de dépasser cette pratique pour assurer la santé publique.
Il explique pourquoi la recherche animale fournit des données sans fiabilité pour l’homme et illustre, en développant l’exemple du Vioxx, comment, malgré de nombreux décès humains, un médicament pourtant testé sur des animaux, peut générer des profits considérables pour son fabriquant.
Un vocabulaire simple, accessible à tous, une conférence passionnante ! Si vous comprenez l’italien, vous pourrez écouter cette conférence sur www.efdgroup.eu/events/item/protecting-our-health-from-the-business-of-disease.
Si vous ne comprenez pas l’italien mais lisez l’anglais, vous pourrez télécharger les documents de présentation de cette conférence : une précieuse synthèse sur la question.
Le Journal du CNRS de l’été 2014 publiait un éditorial et un article défendant la recherche animale. Ils affirmaient que des avancées en recherche biomédicale humaine auraient été faites grâce à l’expérimentation animale et que les chercheurs se préoccupent du bien-être des animaux dans les laboratoires. Et qui se préoccupe du bien-être des humains victimes de la confiance en des données obtenues sur des animaux ? Le 22 octobre 2014, Antidote Europe envoyait la lettre ci-dessous.
Lettre ouverte à Mme Catherine Jessus
Directrice de l’Institut des sciences biologiques du CNRS, UPMC Paris
Auteur de l’éditorial publié dans CNRS le Journal été 2014
Madame la Directrice,
Antidote Europe est une association (loi 1908) de scientifiques bénévoles dont l’objectif est l’application des progrès scientifiques au bénéfice de la santé humaine.
Il y a deux ans, l’association avait proposé au Directeur Général (DG) du CNRS un débat public sur la question : « les évaluations des risques sanitaires humains sur des animaux considérés comme des modèles biologiques de l’homme sont-elles valides pour ce dernier et scientifiquement justifiées ? ».
Après deux relances, nous recevions 6 mois plus tard une lettre, signée S. Thiebault, (ce serait, d’après un réseau social, une spécialiste du… néolithique) qui, se référant à nos lettres au DG, écrit que le CNRS n’accepte de débattre qu’avec des interlocuteurs « de haut niveau ». Nous avons répondu au DG que le refus du CNRS de participer à un débat courtois, avec des arguments purement scientifiques et logiques, montre :
– l’embarras sur cette question, que cherche à camoufler la réponse méprisante et hautaine faite en son nom ;
– la dérobade devant le débat scientifique que nous demandons, alors que le progrès scientifique s’est toujours nourri de tels échanges ;
– le refus de soumettre à débat une posture (que nous jugeons erronée et dangereuse) considérant qu’un animal serait un « modèle » biologique de l’homme ;
– le refus de prendre en considération les progrès scientifiques pour sortir de ce que nous considérons être une impasse dramatique ;
– l’indifférence aux questions urgentes de santé publique, de la compétence de l’EPST, soulevées par le recours au « modèle » animal ;
– un manque de discernement, puisque, dans le contexte de crise économique actuelle, une part importante du budget de l’EPST est consacrée aux recherches avec des « modèles » animaux.
L’été dernier, « CNRS le Journal été 2014 » –dont ce même DG est le directeur de la publication- consacrait à la question de l’expérimentation animale, son éditorial et un long article qui nous ont été signalés par plusieurs de nos adhérents. Le CNRS allait-il, enfin, aborder le débat sur la question ci-dessus, notamment par un travail journalistique sérieux de confrontation d’opinions diverses sur la validité de travaux avec des animaux pris comme « modèles » de l’homme ? Pas du tout. Nos observations au DG sont non seulement encore plus d’actualité, mais la parole est donnée en exclusivité à ceux qui sont pour l’expérimentation animale, ainsi qu’à un groupe de pression (GIRCOR) dont le rôle est d’en faire la promotion.
Cela commence avec l’éditorial que vous avez signé. Nous le commentons avec des arguments strictement dans le cadre de l’objectif de notre association, les progrès scientifiques au bénéfice de la santé humaine. Nous écartons tout argument philosophique ou compassionnel concernant le respect de l’animal, ainsi que des considérations historiques, car notre action est dans le présent et l’avenir, pas dans le passé.
1. Une espèce animale peut-elle être un modèle biologique fiable pour une autre, l’homme en ce qui nous concerne ?
Une espèce est définie par son isolement reproductif, les cellules sexuelles ne peuvent s’associer dans la méiose (une division dont vous seriez une spécialiste) que si les deux partenaires (mâle et femelle) sont de la même espèce. Puisque deux espèces différentes ne sont pas interfécondes, c’est que leurs gamètes, donc in fine leurs chromosomes, sont différents. Or les chromosomes contiennent tout le patrimoine génétique spécifique de l’espèce. Deux espèces différentes ont donc des gènes différents (en séquences et en organisation, contrôle et régulation de leurs expressions). Chaque espèce va réagir à un stimulus donné (stress, maladie, agression chimique ou physique…) avec ses gènes. Il n’y a donc aucune raison que deux espèces différentes réagissent à l’identique, leurs réactions pourront être semblables, différentes ou opposées, on ne le saura qu’après les avoir exposées, l’une et l’autre, au même stimulus. Même si l’homme et le « modèle » animal avaient des réactions semblables au court terme, des réactions adverses (cancer, Alzheimer…) éventuelles chez l’homme pourraient se manifester des années plus tard, alors que son « modèle » animal aura probablement disparu depuis longtemps.
Conclusion : Aucune espèce animale n’est un modèle biologique fiable d’une autre !
2. Il y a une infinité d’exemples pour illustrer ces différences, dont beaucoup sautent aux yeux d’une personne sensée.
Le chimpanzé, par exemple, l’animal le plus proche de l’homme en termes d’évolution (mais avec une paire de chromosomes en plus…), donc le meilleur « modèle » possible. Il est insensible au VIH (responsable du SIDA chez l’homme) ; exposé au virus de l’hépatite B un individu sur 10 est temporairement incommodé par une hépatite dont il se remet très bien (chez l’homme, c’est souvent l’hépatite chronique et parfois le cancer du foie) ; le singe meurt s’il est infecté par le virus EBOLA, l’homme aussi. Ce « meilleur modèle » donne, selon, une réponse opposée, différente ou semblable à celle de l’homme, soit du « n’importe quoi » dont l’homme est souvent la victime (cf. les victimes du scandale du sang contaminé testé sans encombre sur le chimpanzé).
Cette incertitude rend le test sur une espèce « modèle » de l’homme indéterminé, donc sans valeur scientifique, il faudra de toute façon refaire le test sur l’homme –ou sur du matériel biologique d’origine humaine- pour trancher : le recours au modèle aura été au mieux inutile !
3. Le test sur « modèle » animal est le plus souvent une commodité
pour s’économiser un effort de réflexion, une « manipulation » plus ou moins volontaires ou honnêtes, une facilité inhérente à la sélection de l’espèce animale et de sa lignée. En choisissant un animal d’une espèce précise, dans la longue liste de lignées de souris ou de rats par exemple, on finira par trouver éventuellement le « modèle » qui donnera au court terme le résultat recherché (au moyen et long terme, le résultat pourrait être opposé, cf. les expériences de G-E. Séralini avec les rats exposés au glyphosate et au maïs Mo603). Un animal d’une autre espèce, ou d’une autre lignée dans la même espèce, aura probablement donné au préalable, ou donnerait un résultat différent, voire opposé, mais un résultat négatif n’est jamais publié.
La sélection du « modèle » animal permet de « prouver » n’importe quoi et son exact contraire, on n’est plus dans la science, mais dans la divination ou, pire, la manipulation.
De toutes les façons, quelles que soient les sélections des « modèles » et les résultats de leurs études, c’est l’homme qui sera le vrai cobaye quand il sera exposé à la substance testée ou contractera la maladie étudiée, c’est lui qui payera les éventuels dégâts s’il y en a. Et il y en a, cf. §5.
4. Nous sommes en 2014,
plus du temps de Claude Bernard dont nous ne critiquons pas l’action, vu le contexte de l’époque –un champ scientifique démarre toujours sur l’empirisme. Aujourd’hui, si on veut bien ouvrir les yeux, des outils et méthodes scientifiques précis existent à foison pour les études biomédicales ou de préventions performantes. Techniques « -omiques », cellules iPS adultes, miniorganes, éditions génomiques (CRISPR /CAS9), immunothérapies, etc., permettent des travaux « from bench to bedside » (Sidney Brenner) et des préventions pertinentes, en évitant soigneusement le détour par l’animalerie. L’homme est une société de cellules, toutes issues de l’œuf fécondé et partageant pour l’essentiel le patrimoine génétique de ce dernier. Pratiquement toutes les maladies –y compris neurologiques- ont une origine cellulaire, c’est à ce niveau que doit démarrer la recherche biomédicale, pas, pour les raisons ci-dessus, avec l’expérimentation sur des « modèles » animaux ou leurs tissus ou organes.
Votre éditorial est biaisé, car vous passez soigneusement sous silence les innombrables recherches biomédicales sans « modèle » animal. Ce sont pourtant ces dernières qui « enrichi(ssent) la recherche en santé humaine ». Jugez-vous normal ce parti-pris dans l’éditorial du journal de l’EPST ?
5. Quelques exemples de ce que coûte à notre santé la confiance dans le « modèle animal » :
– L’évaluation sur des rongeurs des toxicités des substances chimiques (REACH) ? Elle est la principale responsable du doublement en moins de 10 ans en France de la prévalence (données InVS) du diabète 2, d’Alzheimer et des cancers du sein, du triplement des cancers de la prostate, de la multiplication par 50 des naissances d’enfants autistes (une naissance sur 120). Le nombre total de patients concernés par ces 5 pathologies est passé de 2,8 millions en 2000 à 6 millions en 2009, pour beaucoup, la qualité de vie est fortement affectée et l’espérance de vie réduite.
– Les innombrables recherches biomédicales sur des modèles animaux ? Ils n’apportent aucun soulagement aux patients concernés par ces maladies ou défauts évolutifs du développement : le microcèbe n’est pas un modèle pour Alzheimer, la souris (même transgénique) n’est pas un modèle pour les cancers humains ou le diabète, le rat de Norvège ou le pinson ne sont pas des modèles pour l’autisme. Il ne viendrait pas à l’idée d’un vétérinaire sensé de chercher à guérir un chien en étudiant un hibou ! Combien de résultats annoncés comme « prometteurs » chez l’animal, sans lendemain chez l’homme ?
– L’évaluation de la toxicité des médicaments sur divers mammifères ? Il y a au moins 20 000 morts et 1,3 million d’hospitalisations suite aux effets secondaires de médicaments par an en France (ministère de la Santé), alors que chacun a été longuement testé sur des milliers d’animaux « modèles ».
Les études sur des « modèles » animaux dont vous êtes le héraut font des victimes par centaines de milliers par an en France et les laissent le plus souvent sans thérapies efficaces. Il se pourrait qu’ils en demandent raison.
Pour résumer notre position, nous reprenons vos termes, mais cette fois justifiés par des arguments scientifiques et logiques et des données accessibles à tous, exposés ci-dessus , et non par des allégations gratuites: « Face à une propagande souvent obscurantiste » (propagée par des chercheurs dogmatiques), « il est grand temps de clarifier la situation » et de reconnaître que le « modèle » animal de l’homme est une pure fiction, qui coûte cher, fait beaucoup de victimes humaines et abandonne les patients affectés des maladies citées ci-dessus. L’expérimentation sur le « modèle » animal est non seulement parfaitement « contournable » aujourd’hui, mais doit être abandonnée sans délai si on veut bien mettre en œuvre les progrès scientifiques, notamment en biologie, car c’est à cette condition que l’on pourra « améliorer la santé humaine (qui) est un devoir de notre société », « un devoir dû à la population de tout pays éclairé », « Il en va des progrès de demain ». Accessoirement, les considérations « éthiques » sur « la prise de conscience grandissante que l’animal est un être sensible », évoquées à plusieurs reprises dans votre éditorial et dans l’article en page 30 (à lire à la lumière de nos arguments !) seront ipso facto sans objet.
Un nombre rapidement croissant de scientifiques à travers le monde partagent la logique et la rigueur de notre point de vue (cf. par exemple l’article le plus récent, Pound P et Bracken M (2014) BMJ 348 :g3387). C’est précisément et exclusivement pour le propager qu’Antidote Europe s’est engagée dans l’initiative citoyenne européenne (ICE) « Stop Vivisection ». Elle a permis à plus de 1,2 millions de citoyens de l’Union européenne de connaître nos arguments et d’y souscrire en signant cette ICE. Nous les exposerons prochainement devant la Commission européenne, qui a compétence pour la santé dans l’UE.
Nous sommes toujours disponibles pour participer à un débat public avec votre EPST sur la pertinence du « modèle animal », débat strictement scientifique et dont les conclusions devraient être prises en compte dans les futures politiques de recherche et de protection de la santé humaine.
Recevez, Madame la Directrice, nos salutations distinguées.
Après avoir participé au lancement de l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection, après avoir participé à la collecte de plus d’un million de signatures en moins d’un an, tandis que nous participons à la préparation de l’audition publique au Parlement européen, Antidote Europe relaye ce nouvel appel du comité organisateur de Stop Vivisection :
Une photo pour STOP VIVISECTION !
Avec Stop Vivisection nous avons collecté plus de 1 200 000 signatures certifiées (reconnues légalement) par les autorités nationales.
Nous sommes ainsi devenus l’une des seulement trois initiatives citoyennes européennes (ICE) réussies, présentées dans les deux premières années d’implémentation en Europe du Droit d’initiative (application de l’article 11 du Traité européen).
Cet immense succès nous incite à faire appel à tous les citoyens pour un nouveau et encore plus important soutien.
Pourquoi ? Parce que nous allons bientôt rencontrer la Commission au cours d’une audition publique au Parlement européen.
– Nous allons demander que l’Europe, en suivant la voie ouverte aux Etats-Unis par le Conseil national de la recherche (NRC) de l’Académie des sciences (l’institution scientifique la plus prestigieuse des Etats-Unis, selon Jeremy Rifkin) avec son rapport « Tests de toxicité au 21ème siècle : une vision et une stratégie », se fasse un autre promoteur de l’essentiel « changement d’époque ».
– Nous allons demander à la Commission de présenter une nouvelle directive qui permette rapidement l’abolition de l’expérimentation animale (ou vivisection), le symbole le plus éclatant -existant encore au 21ème siècle !- de l’obscurantisme et de la régression, à la fois scientifiques et technologiques, à la fois éthiques et culturels.
Suite à des sollicitations pour donner des conférences sur l’eau (notamment à Lyon et à Rillieux-la-Pape), notre président s’est intéressé de près à la composition de l’eau du robinet. Conclusion : pas toujours ce que l’on voudrait nous faire croire…
Par Claude Reiss
L’eau du robinet inspire confiance. Elle est (relativement) bon marché, abondante (chez nous), elle est fraiche et limpide. Il y a parfois une odeur de chlore ou un goût de javel, mais on l’accepte car on nous dit que ça permet d’éliminer divers microorganismes dont certains pourraient nous rendre malades. Le consommateur, qui prend connaissance des comptes rendus sur la qualité de l’eau du robinet, établis par la cellule « EAU » de l’agence régionale de santé, n’apprend guère plus, sauf peut-être une indication de l’acidité (pH), de la dureté (Titre Hydrotimétrique), de la minéralisation (la présence d’ions calcium ou sodium…) et, de rares fois dans un coin en bas de page, l’indication « phytosanitaires » ou « pesticides » « < 0,1µg/l » (inférieur à un dixième de microgramme par litre), une concentration décrétée limite supérieure autorisée. Tout va bien, c’est comme l’an passé…
Qu’y a-t-il vraiment dans le verre ?
Si néanmoins vous insistez pour savoir de quels pesticides il s’agit et si l’employé(e) de la commune le veut bien, on peut vous sortir du fond d’un tiroir quelques feuillets édités par le laboratoire « Santé, Environnement Hygiène » local ou régional. J’ai sous les yeux une liasse de 7 pages sur l’eau potable d’un grand centre urbain, qui énumère plus de 200 substances chimiques produites par l’homme. Ces substances ont été amenées aux stations de pompage par des cours d’eau (ruissellement, lessivage de terres agricoles, effluents non ou partiellement épurés) ou par prélèvement sur la nappe phréatique. Elles ont visiblement passé sans encombre l’étape de purification / potabilité.
Passons rapidement sur les nitrites, fluorures, cyanures, mercure, arsenic, sélénium, etc. Une vingtaine de substances, toutes largement inférieures aux concentrations limites autorisées.
Il y a ensuite une quarantaine de dérivés benzéniques –dont beaucoup sont réputés cancérigènes—, une cinquantaine de « solvants organohalogénés » (chloroforme, bromoforme, dichloroéthane, trichloroéthane, tétrachlorure de carbone…) et plus de 150 pesticides, majoritairement des herbicides, dont certains sont interdits depuis des décennies (metolachlore (cancérigène et perturbateur endocrinien), bromacil (cancérigène), carbofurane (inhibiteur de la communication neuronale…), ou connus comme toxiques de la reproduction (dinoseb, captan…). Les concentrations de tous ces pesticides ont été mesurées 36 fois dans l’année. Toutes ont été trouvées « sous la limite supérieure autorisée », soit uniformément moins de 0,1 microgramme par litre.
Une limite arbitraire
Cette limite très faible peut paraître insignifiante au consommateur d’eau du robinet non averti, mais elle est en réalité très significative en termes de danger pour notre santé, pour au moins six raisons, dont chacune est indiscutable et bien établie.
Tout d’abord, cette limite ne signifie rien pour l’homme. C’est un héritage datant de plus d’un demi-siècle, basé sur des évaluations anonymes faites sur des rongeurs selon un protocole inconnu et ne répondant probablement pas aux critères scientifiques les plus élémentaires : quel rongeur ? quelle lignée ? quel sexe ? combien d’animaux ? type d’exposition (gavage, inhalation, injection…) ? temps d’exposition ? exposition à la substance liquide, solide, gazeuse ? à quelle concentration ? etc. Même si on devait établir cette limite avec toute la rigueur scientifique requise, elle concernerait l’espèce testée et encore seulement la lignée choisie, une autre lignée dans cette même espèce pouvant donner une limite totalement différente. Soutenir qu’une quelconque limite établie dans ces conditions est valable pour l’homme, même après corrections pour tenir compte de la différence de poids et autres facteurs de « sécurité », est simplement une supercherie caractérisée.
Dans aucun cas, la concentration de ces substances dans l’eau du robinet n’a été donnée. Or les substances mentionnées ont bien été trouvées, une révélation qui devrait déjà inquiéter le consommateur. D’autre part, les méthodes de mesure utilisées (HPLC/MS/MS, GC/MS…) ont une précision jusqu’à un million de fois meilleure que 0,1 microgramme par litre. Ces mesures ont toutes été répétées 36 fois dans l’année. Pourquoi ne pas donner ces chiffres ? Parce qu’ils pourraient affoler le consommateur ? La rétention d’information est condamnable. Comme on va le voir, il y a en effet de quoi s’affoler.
La concentration de moins de 0,1µg dans le litre d’eau peut être beaucoup plus importante au niveau de certains tissus et organes du corps, notamment de leurs cellules. Beaucoup de ces pesticides aiment l’eau, ou au contraire ne l’aiment pas. Les tissus adipeux attirent ceux qui n’aiment pas l’eau, ceux qui l’aiment vont préférer les fluides corporels, d’autres encore vont se loger dans des tissus minéralisés (os), où ils vont résider jusqu’à des dizaines d’années ! Le DDT, par exemple, a une demi-vie dans nos os de 20 ans (la concentration y aura chuté de moitié en 20 ans, à condition qu’il n’y ait pas eu de nouvel « arrivage » entretemps). Un commentaire à ce sujet : dans une étude portant sur 8000 femmes dont la moitié souffrait d’un cancer du sein, on a trouvé chez ces dernières 4 fois plus de DDT que chez les témoins indemnes de ce cancer… La majorité des pesticides sont cancérigènes, et on s’étonne que le cancer soit la première cause de mortalité en France ?
En plus d’être cancérigènes, beaucoup de pesticides sont aussi des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils miment les effets d’hormones, soit pour imiter les actions de ces dernières, soit pour en bloquer les récepteurs ou confisquer les transporteurs qui y mènent. Cette activité hormonale se manifeste à des concentrations infinitésimales. Il suffit d’une molécule d’hormone (qui pèse 0,000…(20 ou 21 zéros)… 001 g) pour déclencher un cataclysme dans la cellule réceptrice et éventuellement la forcer à proliférer et former à terme une tumeur. L’activité des hormones que nous produisons est très précisément contrôlée dans le temps et en quantité, et inhibée quand cette activité doit cesser. Rien de tel pour les perturbateurs endocriniens, dont ceux dans l’eau potable, dans lesquels nous « baignons » en permanence. Et on s’étonne que les cancers dépendants d’hormones (sein, prostate, organes génitaux) soient de loin les plus fréquents ?
Le cocktail de pesticides dans l’eau du robinet est susceptible de synergies dans notre organisme, pour en particulier augmenter considérablement les dommages causés par des pesticides isolés. En collaboration avec un laboratoire anglais, nous avons montré que trois fongicides présents sur du raisin de table pouvaient multiplier par 100 les effets des fongicides isolés, aux mêmes concentrations (voir La Notice d’Antidote de septembre 2012). Ces effets, de forts stress oxydatifs, sont plutôt inquiétants puisqu’ils tuent deux variétés de cellules dont est fait notre cerveau. Et on s’étonne que le nombre de personnes soufrant d’Alzheimer ait doublé en 10 ans ?
Enfin, quand ces substances pénètrent dans notre organisme, elles sont « métabolisées » (adjonction d’un H, d’un OH d’un O…) afin de faciliter le transit à travers les tissus ou organes pour parvenir aux cellules. La toxicité de ces métabolites n’a souvent rien à voir avec celle de la substance non métabolisée. Nombre de substances se révèlent cancérigènes seulement une fois métabolisées. Un exemple classique est le benzo-a pyrène, inoffensif, et son métabolite, cette même molécule décorée d’un O et de deux OH, cancérigène sévère. Les métabolites dans les cellules humaines de beaucoup de pesticides sont connus (voir le hors série de La Notice d’Antidote : les toxicités sur des cellules nerveuses humaines de métabolites d’une quinzaine de pesticides étudiés par toxicogénomique).
Tout le monde sait que l’eau du robinet n’est pas un toxique aigu. Pourtant, les effets à moyen et long terme des substances qui y sont dissoutes peuvent s’avérer dangereux pour notre santé. L’eau est un élément vital. Tout le monde n’a pas une source jaillissant à 2500m d’altitude et transporter cette eau pure jusqu’en ville par des canalisations ou bouteilles en plastique risque d’y introduire d’autres polluants dangereux, comme le bisphénol A.
Il faut donc exiger des autorités locales en charge de l’eau potable plus de transparence. Les cachoteries ne génèrent que la méfiance, qui a la vie dure une fois installée. En tout premier lieu, il faut pousser la purification de l’eau bien au-delà de ce qui se fait actuellement. Mettre en œuvre le traitement par l’oxygène, les UV, les filtres de charbon actif, si possible à proximité des lieux de consommation de l’eau. La méthode d’évaluation des risques toxiques que nous avons mise en œuvre il y a 10 ans déjà, permet à peu de frais et rapidement, de donner au consommateur toutes les informations sur la qualité de l’eau du robinet. Pour commencer, il faut « jeter à la rivière » cette notion fumeuse de « concentration limite autorisée », donner les vrais chiffres des concentrations des substances identifiées, notamment les pesticides, signaler ceux qui sont cancérigènes, neurotoxiques, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens, évaluer les effets synergiques de certains cocktails et les toxicités des métabolites humains. Cela va alourdir la facture du mètre cube d’eau mais, à terme, fera faire des économies substantielles sur les budget de santé.
« Right2Water »
La toute première initiative citoyenne européenne à avoir été examinée par la Commission européenne concernait, précisément le « Droit à l’eau ». Les organisateurs demandaient l’accès universel à l’eau et à l’assainissement au sein de l’Union et que l’eau ne soit pas considérée comme une marchandise (régie par les règles du marché intérieur) mais comme un droit humain. Le 19 mars 2014, la Commission européenne donnait une réponse sous forme de félicitations aux organisateurs, de promotion de son propre rôle dans le financement de mesures positives et de proposition de quelques actions qui devraient se faire suite à cette demande citoyenne. Réponse qui ne satisfaisait pas vraiment les organisateurs de l’initiative.
« Ce tout premier exercice paneuropéen de démocratie citoyenne aura pour conséquence directe d’améliorer la qualité de l’eau, les infrastructures, l’assainissement et la transparence pour tous », a déclaré Maros Sefcovic, le commissaire chargé d’examiner cette initiative (http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/sefcovic/headlines/news/2014/03/2014_03_19_right2water_eci_fr.htm). La Commission s’est engagée à lancer une consultation publique (ça ne mange pas de pain !) afin de recueillir l’avis des citoyens et des parties intéressées sur les améliorations à apporter et la manière de procéder (ah bon ! parce que la Commission, elle, ne sait pas comment faire ?). Exercice qui devrait conduire à la révision de la directive sur l’eau potable. Dans combien de temps ? Combien de microgrammes de pesticides seront parvenus dans nos cellules via l’eau du robinet d’ici-là ? Un certain nombre sans doute…