Les britanniques sont particulièrement généreux envers la recherche biomédicale. Or, les associations qui recueillent des dons se voient obligées de soutenir l’expérimentation animale. Que vont faire les donateurs ?
L’AMRC est une fédération britannique d’associations qui soutiennent financièrement la recherche médicale. Son site (www.amrc.org.uk) indique qu’elle compte 136 membres, lesquels donnent 1,3 milliards de livres par an pour la recherche au Royaume Uni. Sur la page concernant le positionnement de ces associations vis-à-vis de la recherche animale, on peut lire : « Bien que toutes les associations membres de l’AMRC ne financent pas ou n’aient pas financé de la recherche sur des animaux, toutes soutiennent le principe d’utiliser des animaux lorsqu’il est nécessaire de mieux comprendre les maladies et de développer de nouveaux et meilleurs traitements. »
Le 4 juillet 2015, The Times publiait une lettre signée par dix scientifiques, dont André Ménache, directeur d’Antidote Europe. Nous traduisons intégralement cette lettre : « En tant que médecins et scientifiques impliqués dans la recherche biomédicale, nous sommes dérangés par le fait que l’AMRC demande à présent que ses membres déclarent publiquement leur soutien à la recherche animale. De plus en plus d’éléments de preuve suggèrent que la recherche animale n’est pas un moyen fiable pour prédire comment l’homme répondra aux médicaments et ne permet pas une modélisation précise des maladies qui affectent l’homme. La communauté scientifique exprime de plus en plus de doutes sur la pertinence de la recherche animale pour la médecine humaine. Un éditorial publié l’année dernière dans le British Medical Journal, par exemple, suggérait que « les fonds pourraient être mieux dirigés vers la recherche clinique plutôt que vers la recherche fondamentale (sur des animaux), la première générant un meilleur retour sur investissements en termes d’effets sur les soins aux patients ». L’AMRC devrait accorder à ses membres la liberté de développer leurs propres politiques. Rejoindre un front illusoirement uni sur ce problème qui divise force les associations à choisir entre perdre le soutien de l’AMRC ou celui de donateurs ne souhaitant pas financer la recherche animale. Cela va également à l’encontre de l’esprit fondamental de la science, qui promeut l’ouverture dans l’échange d’idées. »
André Ménache a déjà écrit par deux fois à Cancer Research UK (CRUK), la plus grande association britannique à soutenir la recherche sur le cancer, dénonçant d’une part le financement de l’expérimentation animale et d’autre part le manque d’investissements dans la prévention, pourtant la voie la plus intéressante pour faire diminuer le nombre de victimes de cette maladie de civilisation (voir La Notice d’Antidote de mars 2014 et de décembre 2014).
Nous espérons que la médiatisation de ces courriers et prises de position aideront les donateurs britanniques -très généreux !- à mieux comprendre à quoi servent leurs dons et les inciteront à exiger que ces dons soient investis dans une recherche biomédicale efficace, c’est-à-dire sans recours à l’expérimentation animale.
Le 11 mai 2015, des représentants d’Antidote Europe étaient présents au Parlement européen, à Bruxelles, pour défendre l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection (voir notre communiqué de presse du 15 mai ). Alors qu’il existe bel et bien un débat entre scientifiques au sujet de la pertinence du « modèle animal » pour étudier les maladies humaines et pour évaluer la toxicité des substances chimiques pour l’homme, les responsables politiques et les responsables de la règlementation ignorent ce débat. Il s’ensuit que des règlementations continuent à imposer le recours aux tests sur des animaux, comme si ceux-ci étaient fiables pour l’homme, alors mêmes qu’ils n’ont jamais été validés.
André Ménache, a insisté sur la nécessité de débattre sur le plan strictement scientifique sur la pertinence du « modèle animal ». Car il est bien évident que si ce « modèle » n’était pas utile pour faire progresser la médecine humaine, il devrait être abandonné.
Au cours de l’audition publique de Stop Vivisection, notre directeur a eu la parole en deux occasions. Nous retranscrivons ci-dessous son deuxième discours.
« Le plus grand défi de cette initiative citoyenne européenne (ICE) n’est pas sur le plan de la science mais sur celui de la communication. L’ICE cherche à élever le débat, des questions du simple bien-être animal vers une discussion sur la validité du « modèle animal ». Or, aujourd’hui, nous n’avons que très superficiellement évoqué la science. Nous aimerions donc demander à la Commission européenne d’organiser un débat public sur la question scientifique, un débat qui serait semblable à un jury populaire, non avec des experts qui n’auraient que 10 minutes pour s’exprimer mais où nous aurions 3, 4 ou 5 jours pour débattre sur un plan strictement scientifique avec des experts des deux camps.
Si nous ne faisons pas cela, si nous n’avons pas un débat scientifique sérieux, nous laissons tomber les 1 170 000 citoyens qui ont signé cette ICE, nous laissons tomber les animaux et nous laissons tomber les patients qui veulent des traitements basés sur la médecine personnalisée, pas sur la recherche animale.
Je crois que nous avons la technologie. Si vous voulez un exemple, prenons le botox, que vous connaissez tous et je suis sûr que pas beaucoup d’entre vous utilise. Le botox, c’est la toxine botulique, la substance la plus toxique connue par la science. Pendant des années et des années, la communauté scientifique et l’industrie disaient : « Il n’y a pas moyen de se passer des tests sur des souris pour évaluer la puissance du botox ». C’est seulement parce que le botox a une application cosmétique que l’opinion publique a été alertée. C’est l’opinion publique qui a persuadé Allergan, le fabricant de botox aux Etats-Unis, que ses profits pourraient chuter. Dès que ceci est arrivé, l’industrie a, de façon stupéfiante du jour au lendemain, trouvé une méthode d’évaluation entièrement basée sur la culture de cellules sans recours aux tests sur des animaux, pour la substance la plus toxique connue par la science.
Donc, l’obstacle, ce n’est pas la science. C’est de communiquer un message très complexe, ce que, évidemment, nous n’avons pas pu faire aujourd’hui avec des experts n’ayant que 10 minutes ou moins pour s’exprimer. Nous avons besoin d’un débat scientifique sérieux et je crois que nous gagnerons le débat scientifique. Dès que le public aura réalisé que les tests sur des animaux ne sont pas un « mal nécessaire », car c’est ça qu’on nous vend depuis des années et des années, que nous pouvons supprimer « nécessaire », car nous avons la technologie, alors il ne reste plus que le « mal ». L’opinion publique ne tolèrera pas le mal et chassera le mal. Merci. »
Le « modèle animal » remis en question par la communauté médicale britannique
Les communautés médicale et scientifique sont souvent présentées par les médias grand public comme avançant une argumentation solide et unanime sur les divers sujets de leurs compétences. Tel ponte interrogé sur tel sujet est censé représenter l’opinion de l’entière communauté. Cette situation est plutôt caricaturale et pourrait occulter les nombreux débats qui agitent tant les chercheurs que les médecins. Concernant l’utilisation d’animaux considérés comme des modèles biologiques de l’homme, une majorité du grand public ignore encore que des scientifiques et des médecins discutent depuis longtemps sur la question de savoir si oui ou non les expériences faites sur des animaux sont d’une quelconque utilité pour soigner les humains. Ce débat ne pourra plus être ignoré longtemps car les périodiques scientifiques internationaux de référence sortent de leur réserve et, les preuves à l’encontre du « modèle animal » s’accumulant, commencent à publier des articles mettant sérieusement en question le bien-fondé de la recherche animale. Nous avons le plaisir de vous présenter la traduction d’un éditorial publié le 5 juin 2014 par le très prestigieux British Medical Journal. Nous avons bon espoir que ce genre de publication aboutisse enfin à la prise de conscience par les responsables politiques qu’il faudrait, pour le moins, organiser un débat sérieux sur le plan scientifique, sur cette question.
A quel point la recherche animale est-elle prédictive et productive ?
BMJ 2014; 348 doi: http://dx.doi.org/10.1136/bmj.g3719 (Publié : 5 juin 2014) pour citer l’article : BMJ 2014;348:g3719
Le choix du rédacteur en chef
Fiona Godlee, rédacteur en chef, The British Medical Journal
Cela fait plus de vingt ans que Doug Altman a écrit un article très chaud dans The BMJ sur « le scandale de la recherche médicale » (doi:10.1136/bmj.308.6924.283). Plus tôt cette année, Richard Smith, l’ancien directeur de The BMJ a résumé pourquoi le même article pourrait être publié aujourd’hui avec peu de changements (http://bit.ly/1rHnWbL), se référant à la récente série d’articles publiés dans Lancet sur le gâchis dans la recherche médicale et à l’article de John Ioannidis dans PloS Medicine intitulé : « Pourquoi la plupart des découvertes publiées de la recherche sont fausses ». La littérature médicale reste assaillie par des préjugés académiques et commerciaux dus à la surinterprétation de petites études, mal conçues et mal conduites, beaucoup d’entre elles ayant fait l’objet de rapports erronés ou sélectifs ou d’aucun rapport du tout. Il en résulte une base de preuves qui exagère systématiquement les bénéfices et minimise les dommages des traitements.
Mais comme si cela ne suffisait pas, un problème encore plus fondamental jette le doute sur la validité de la recherche clinique : la mauvaise qualité de la recherche animale, sur laquelle elle se fonde pour beaucoup. Il y a dix ans de cela, dans The BMJ, Pandora Pound et des collègues demandaient : « Où sont les preuves que la recherche animale profite bien aux humains ? » (doi:10.1136/bmj.328.7438.514). Leurs conclusions n’étaient pas encourageantes. Beaucoup de recherches sur les animaux dans des traitements potentiels pour l’homme étaient gaspillées, disaient-ils, parce qu’elles étaient mal menées et n’étaient pas évaluées par des vérifications systématiques.
Depuis lors, comme l’expliquent Pound et Michael Bracken cette semaine (doi:10.1136/bmj.g3387), le nombre de vérifications systématiques des études sur les animaux a augmenté considérablement, mais cela n’a servi qu’à mettre en lumière la mauvaise qualité de beaucoup de recherches précliniques sur les animaux. Les mêmes menaces sur la validité interne et externe qui assaillent la recherche clinique sont abondantes dans les études sur les animaux : manque de masquage adéquat de la randomisation, des essais en aveugle et de l’allocation ; analyses sélectives ; biais dans les rapports et dans les publications. Le résultat, affirmait Ioannidis en 2012, est qu’il est « presque impossible de compter sur la plupart des informations obtenues sur des animaux pour prédire si oui ou non une intervention aura un rapport bénéfice/risque clinique favorable sur des sujets humains. »
Autant de gaspillage est autant contraire à l’éthique vis à vis des animaux que vis à vis de l’homme. La recherche préclinique mal effectuée peut mener à des essais cliniques très chers mais vains, exposant les participants à des médicaments dangereux. Et bien sûr il y a la souffrance inutile des animaux impliqués dans la recherche qui n’apporte aucun bénéfice.
Que faire ? Des recherches sur les animaux mieux menées et de meilleurs rapports aideront, affirment Pound et Bracken. Cela pourrait venir d’une meilleure formation et information des chercheurs de base et d’un changement culturel alimenté par de plus grands examens et une responsabilité publique. Mais comment cela pourrait-il réellement améliorer le taux des transpositions réussies de l’animal à l’homme ? Peu, en effet, il semble. Même si les recherches étaient menées parfaitement, affirment les auteurs, notre capacité à prédire les réponses humaines à partir de modèles animaux sera limitée par les différences inter-espèces dans les voies moléculaires et métaboliques.
Plutôt que vers la recherche fondamentale, les fonds pourraient être mieux dirigés vers la recherche clinique, où il y a un plus clair retour sur investissements en terme d’effets sur les soins donnés au patient. Les auteurs concluent : « Si la recherche menée sur les animaux continue d’être incapable de prédire raisonnablement ce qu’on peut attendre chez l’homme, le soutien public et le financement de la recherche préclinique sur les animaux semblent mal placés ». De quel côté pensez-vous que devrait pencher l’effort : des investissements dans une meilleure recherche animale ou le passage au financement de davantage de recherche clinique ?
Dans les laboratoires, des animaux sont utilisés pour trouver des thérapies pour l’homme (disent les chercheurs qui les utilisent) mais aussi pour de la recherche fondamentale. Nous nous sommes aperçus que beaucoup de non scientifiques ignoraient ce que l’on entend par « recherche fondamentale ». Or, il nous paraît important que le grand public apprenne ce que c’est car c’est à lui (et non aux seuls chercheurs – et en particulier à ceux qui la pratiquent !-) de demander aux autorités de continuer à permettre ou d’interdire l’utilisation d’animaux pour ce type de recherche.
Petit rappel de sa définition : « La recherche fondamentale consiste en des travaux expérimentaux ou théoriques entrepris principalement en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière » (1).
Lors de ma conférence du 17 août 2014 à Londres, j’ai posé cette question au public : « Qu’est-ce la recherche fondamentale ? » Parmi environ 70 personnes, pour la plupart militantes de la cause animale et, donc, que l’on pourrait croire a priori bien informées, une seule a fourni la bonne réponse. Il est donc très probable qu’une grande majorité de personnes, dans la population générale, ignore en quoi consistent les expériences sur des animaux dans ce type de recherche.
Or, il est difficile de lutter contre une inconnue. Ceci convient aux chercheurs qui utilisent des animaux, surtout dans les universités, ce qui pourrait expliquer certaines questions quelque peu agressives qui m’ont été posées par des chercheurs lors de ma conférence à l’Université de Provence Aix-Marseille, le 2 avril 2014.
Des millions d’animaux utilisés dans la recherche fondamentale
Contrairement à la France le gouvernement britannique fournit des statistiques assez précises, ce qui permet de savoir combien d’animaux sont utilisés chaque année dans la recherche fondamentale. En 2013, environ les trois quarts de toutes les expériences faites sur des animaux au Royaume Uni étaient liées à de la recherche fondamentale. On peut calculer, sur la base d’un million d’animaux impliqués directement dans cette catégorie et en ajoutant près de deux millions d’animaux génétiquement modifiés (également destinés à la recherche fondamentale), que presque trois millions d’animaux sont ainsi utilisés. La plupart des animaux génétiquement modifiés sont tués suite au triage parce qu’ils sont « ratés » ou excédentaires. Seuls les animaux génétiquement modifiés « réussis » subiront ensuite des expériences (et seront tués à la fin de l’étude).
Rappelons-nous que la recherche fondamentale, par définition, n’est pas sensée trouver des remèdes. En fait, il est très rare que ces expériences parviennent à mener à des découvertes importantes (comme le montre le Dr Ray Greek dans son article). Toutefois, le public soutient la recherche animale (dont nous constatons que la majorité est liée à la recherche fondamentale) par son ignorance. Pour leur défense, les chercheurs tentent de justifier leurs expériences, conscients du fait qu’il serait quasiment impossible d’obtenir des fonds pour la recherche fondamentale sans mentionner un lien avec la santé humaine.
Mais prenons un vrai exemple pour illustrer ce point important. Des biologistes français ont observé, chez des souris mutantes dépourvues d’un gène codant pour l’un des récepteurs de la sérotonine (l’un des principaux neurotransmetteurs du système nerveux), une agressivité supérieure à celle de souris témoins. Selon les auteurs de cette étude, ce « modèle animal » va permettre d’étudier d’autres comportements (réaction au stress, anxiété, attention, mémoire, prise de décision) qui pourraient être modulés par ce gène, et dans lesquels un équilibre entre l’impulsivité et l’inhibition comportementale est nécessaire. Le dérèglement de cet équilibre pourrait, disent-ils, chez l’homme, être en partie responsable de dysfonctionnements comportementaux, mentaux ou psychiques (2). Voila donc « la recette » pour obtenir des fonds pour la recherche fondamentale.
Dans les tests sur des animaux, par exemple en toxicologie, il existe bien des méthodes dites « alternatives » pour remplacer l’utilisation d’animaux puisque il s’agit d’observer des points limites bien définis (en anglais : well defined end points). Ceci n’est presque jamais le cas dans le cadre de la recherche fondamentale. Impossible de substituer l’étude d’un comportement agressif chez la souris par l’étude de cellules en culture.
Evitons donc le piège de chercher des « alternatives » aux expériences animales dans le cadre de la recherche fondamentale. Elles n’existent pas forcément. La meilleure « alternative » est de ne plus subventionner ces études par nos dons et nos impôts.
L’opposition du public
Malgré sa méconnaissance de la recherche fondamentale, le public s’exprime clairement quand on recueille son opinion. En 2006, la Commission européenne publiait le résultat d’un sondage important à ce propos. A la question « considérez-vous comme acceptable l’utilisation des animaux afin d’acquérir de nouvelles connaissances par rapport au vivant ? », 68% des 42.655 participants ont répondu « non » (3).
Nous sommes donc face à une situation aberrante où le contribuable subventionne des expériences sur des animaux contre sa propre volonté.
Alors, comment agir ?
– Chacun doit désormais bien déterminer qui sont les bénéficiaires de ses dons y compris parmi les associations caritatives médicales et les téléthons. Ces organismes soutiennent souvent des expériences sur des animaux. Informez également vos connaissances.
– Contactez votre député et demandez-lui de présenter une proposition de loi qui respecte le sentiment du public par rapport à l’octroi de nos impôts aux chercheurs.
– Essayez de joindre les conseils de financement institutionnels. Il existe parfois des places pour un ou plusieurs membres du public.