Nous vous présentons le point de vue d’un médecin du travail très sensible à la prévention. Sa critique de la recherche animale et son appel à éduquer et à responsabiliser les patients sonnent très juste.
Il existe suffisamment de connaissance scientifiques pour établir les principales causes de certaines de nos maladies, notamment le diabète ou l’hypertension, pour lesquelles les patients se voient souvent prescrire des médicaments à vie. Ces médicaments, bien sûr testés sur des animaux, sont-ils vraiment utiles et sans danger pour l’homme ?
A l’heure où il existe tant de méthodes fiables pour obtenir des données pertinentes pour l’homme, c’est à une complète remise en question de l’expérimentation animale que nous invite le Dr Eva Katharina Kühner.
Antidote Europe (AE) : A quel moment au cours de vos études de médecine avez-vous commencé à remettre en question la validité des modèles animaux en ce qui concerne la médecine humaine ?
Eva Katharina Kühner (EKK) : J’ai toujours été mal à l’aise de savoir que des expériences sur des animaux étaient faites pour tester des substances chimiques industrielles et pour développer des médicaments. Au début de mes études de médecine, je ne savais pratiquement rien sur l’expérimentation animale. Je croyais qu’elles n’existaient pratiquement pas, en raison des méthodes nouvelles et modernes qui les auraient remplacées.
Plus tard, en cherchant un sujet de thèse, j’ai été confrontée à davantage d’expérimentation animale car plusieurs de mes amis et collègues devaient faire de telles expériences pour leurs thèses de doctorat. A cette époque j’ai décidé que je n’approuverais ni ne soutiendrais jamais ce système.
Après la fin de mes études, j’ai eu plus de temps pour examiner l’expérimentation animale et ses conséquences et j’ai alors décidé de rejoindre DAAE (Médecins contre les expériences sur des animaux), une association à but non lucratif que j’ai trouvée sur internet. J’en suis devenu un membre actif et j’ai appris de plus en plus de choses au sujet de l’expérimentation animale et pourquoi elle es si dommageable pour la recherche biomédicale et pour la santé humaine.
Les expériences sur des animaux sont fallacieuses du point de vue scientifique et cela m’est apparu quand j’ai commencé à collaborer professionnellement avec DAAE.
AE : Quelle est votre opinion actuelle sur l’expérimentation animale ?
EKK : D’après moi, l’expérimentation animale est une méthode scientifique absurde et sans validité. Toutes les expériences sur des animaux devraient être interdites immédiatement et il y a nécessité de changer le système de la recherche scientifique dans son ensemble. Un changement dans la pensée doit être réalisé pour pouvoir révolutionner le monde scientifique afin de pouvoir obtenir des résultats pertinents, valides et fiables. La recherche animale est obsolète.
AE : Si vous étiez ministre de la Santé aujourd’hui, quelles seraient vos prioirités pour améliorer la santé publique ?
EKK : Mes priorités seraient d’améliorer la santé publique en modifiant les modes alimentaires et en encourageant la population à pratiquer des activités sportices et à cesser de fumer. Je promouvrais également une alimentation végane et j’essaierais de me concentrer sur les bénéfices d’une alimentation à base de végétaux. Chacun devrait être conscient des problèmes qu’il se crée par ses habitudes alimentaires. J’essaierais de provoquer un changement dans les mentalités et un sens des responsabilités. Ceci aiderait à prévenir beaucoup de maladies liées au mode de vie comme le diabète, les troubles lipidiques dans le sang ou l’hypertension.
AE : Nous vous remercions pour le temps que vous avez consacré à cette interview. Y a-t-il d’autres commentaires que vous souhaiteriez faire ?
EKK : Oui, à mon avis les expériences sur des animaux sont l’une des pires erreurs dans l’histoire de l’humanité. Ce système de recherche scientifique est absolument absurde et totalement erroné. Je pense que si nous voulons changer le monde et en faire une place meilleure pour les générations futures, l’abolition complète de toute l’expérimentation animale est une absolue nécessité. Sans empathie, compréhension et tolérance, nous ne serons jamais capables d’atteindre une coexistence pacifique avec autrui et avec la nature et les animaux. Ceci devrait être notre objectif.
Alors que la technologie progresse si rapidement, il est difficile de comprendre pourquoi des essais sur des animaux continuent à être utilisés, par exemple dans le domaine de la toxicologie réglementaire.
Le développement en 2011 d’une méthode sans recours à l’expérimentation animale pour évaluer les produits contenant du Botox est une preuve nette que l’industrie peut remplacer même les essais sur des animaux les plus « complexes » quand elle y est obligée. Dans le cas du Botox, ce fut grâce à l’opinion publique. Une autre option serait la contrainte légale.
Cette interview du Dr Costanza Rovida est un témoignage unique et courageux, par une personne elle-même impliquée dans des décisions réglementaires, sur comment et pourquoi les autorités sont si lentes à remplacer les essais sur des animaux même lorsque des méthodes sans recours à l’expérimentation animale existent déjà.
Petite précision : par « méthodes alternatives », le Dr Rovida se réfère aux méthodes de toxicologie sans recours à l’expérimentation animale ; par « remplacement », elle se réfère au remplacement des essais sur des animaux par des méthodes alternatives, généralement, pour l’évaluation d’une forme de toxicité donnée (cancérogénicité, toxicité aiguë, allergie cutanée ou respiratoire, etc.).
Interview du Dr Costanza Rovida
Antidote Europe (AE) : Vous êtes activement impliquée dans le développement de méthodes de remplacement des essais sur des animaux. Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?
Costanza Rovida (CR) : Je suis chimiste et j’ai travaillé, il y a plusieurs années, dans le département d’analyse d’une société de biotechnologies qui développait de nouveaux antibiotiques. Je n’ai jamais travaillé avec des animaux mais je pouvais voir que les informations obtenues par des expériences in vivo étaient souvent trompeuses, provoquant un gaspillage considérable de temps et d’argent, en plus des considérations éthiques. Un autre fait était stupéfiant : l’indifférence des directeurs en commandant de nouveaux tests, comme si les animaux étaient des réactifs de laboratoire. En 2005, j’ai intégré EURL-ECVAM, le Laboratoire de référence de l’Union européenne pour les alternatives aux essais sur des animaux, et ma vie a changé. Maintenant je travaille aussi comme évaluatrice du risque de l’utilisation des substances chimiques et je suis de plus en plus convaincue que les essais sur des animaux sont totalement inutiles.
AE : Quel est votre champ particulier de spécialisation et comment remplace-t-il les essais sur des animaux ?
CR : Je travaille comme évaluatrice du risque et je suis impliquée de façon générale dans l’application des méthodes alternatives à des fins réglementaires. Dans ce domaine, le remplacement total est très difficile car des essais in vivo sont obligatoires pour l’enregistrement de substances chimiques, que ce soit des médicaments, des substances industrielles, des additifs alimentaires ou autres. Dans l’évaluation du risque, vous devez définir le seuil de sécurité pour l’utilisation d’une substace dans un but particulier et ceci est, par définition, dérivé d’essais in vivo. De plus, l’utilisation de méthodes alternatives à des fins réglementaires nécessite une validation formelle avant acceptation. Jusqu’à il y a dix ans, la situation était très difficile. Maintenant, c’est en train de changer, du moins dans l’UE.
Tout d’abord, dans l’UE, les méthodes sans recours à l’expérimentation animale devraient être obligatoires dès lors qu’elles existent. Pour le moment, ceci n’est vrai que pour l’irritation cutanée et l’irritation oculaire et partiellement pour la sensibilisation cutanée. Ce n’est qu’une petite partie de la procédure d’évaluation du risque mais cela instaure un principe très important, qui a un fort impact du point de vue culturel : les toxicologues sont obligés d’envisager les méthodes alternatives et d’accepter qu’elles existent ! Malheureusement, il y a encore de nombreux cas dans lesquels cette règle n’est pas respectée et, apparemment, il n’y a pas de sanction de la part des autorités.
Le deuxième point important est que les approches alternatives sont acceptées dans l’UE même avec des méthodes non validées, si la validité scientifique est démontrée. Je parle de stratégies telles que la méthode des références croisées ou le poids des preuves.
Dernière chose, et pas des moindres, l’OCDE est à présent le moteur de la révision du processus dans son ensemble. Elle demande des études approfondies des voies toxicologiques impliquées dans des effets indésirables (désignées par le sigle anglais AOP pour Adverse Outcome Pathway), ce qui signifie l’étude de chaque étape qui peut mener à des effets délétères dans un organisme, à commencer par l’absorption de la substance. Ce processus est effectué sans essais in vivo mais, à la place, par l’utilisation de méthodes physico-chimiques, des essais sur des cellules et des modèles informatiques. Les AOP en sont encore à leurs débuts mais représentent probablement la façon dont sera faite l’évaluation du risque à l’avenir.
AE : D’après la littérature scientifique, les essais sur des animaux dans le domaine de la toxicologie réglementaire sont aussi prédictifs pour l’homme que jouer à pile ou face. En utilisant une stratégie d’analyses intégrées (désignée par le sigle anglais ITS pour Integrated Testing Strategy), quels niveaux de sensibilité et de spécificité pouvons-nous atteindre aujourd’hui en utilisant des méthodes sans recours à l’expérimentation animale dans le domaine de la toxicologie réglementaire ?
CR : Je ne sais pas. Ce n’est pas mesurable. Peut-être le saura-t-on dans le futur, quand les outils ITS robustes seront disponibles. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas où j’ai la possibilité d’appliquer une stratégie d’analyses intégrées, je me sens personnellement beaucoup plus à l’aise pour prendre une décision sur la toxicité d’une substance car j’acquiers une bonne connaissance de ce que je fais. J’ai l’impression de mieux maîtriser le problème.
AE : Selon vous, quels sont les plus gros obstacles au développement plus large et à l’application de méthodes sans recours à l’expérimentation animale ?
CR : Il y en a tellement que c’est difficile de dire lequel est le plus gros ! De plus, il est difficile de dire qu’est-ce qui provoque quoi.
Il est certain qu’il y a plusieurs défis d’ordre pratique. Peu de CROs* peuvent proposer la solution et, en général, chacune est spécialisée dans une partie du puzzle seulement : toxicité locale, perturbateurs endocriniens, neurotoxicité, etc. Très peu d’experts peuvent avoir une vue d’ensemble du problème et la combinaison des différentes parties de l’information est assez complexe.
Sans doute à cause de cela, les coûts demeurent très élevées et l’expertise rare.
La base de tous les problèmes pourrait être le manque d’expérience et la peur que finalement l’approche ne soit pas acceptée par les responsables de la réglementation. Peut-être que la base est la faille culturelle et le fait que les toxicologues ne sont pas formés dans cette perspective. C’est un cercle vicieux qu’il faudrait casser : je n’apprends pas, je n’utilise pas, je n’acquiers pas de l’expérience.
AE : Y a-t-il des sujets non évoqués au cours de cette interview que vous souhaiteriez aborder ?
CR : J’aimerais voir une plus grande implication de la part des autorités. En général, les gens modifient leurs habitudes quand ils y sont contraints par la loi. La loi demande à présent que les méthodes alternatives soient prises en compte avant de faire de nouveaux essais in vivo mais elle est rarement appliquée. J’ai compté plusieurs centaines de nouveaux essais in vivo pour l’irritation cutanée et l’irritation oculaire dans le cadre de REACH**. Cela correspond à plusieurs milliers de lapins tués sans raison puisque ces deux points de mesure ont des méthodes alternatives in vitro validées. Je pense que les autorités devraient donner des amendes à toutes les sociétés qui ont fait cela mais ce n’est pas le cas. Une autre proposition serait de donner des encouragements financiers aux sociétés qui appliquent les stratégies alternatives au lieu d’une étude in vivo pour l’évaluation de points de mesure complexes comme la toxicité à doses répétées ou la toxicité pour la reproduction. Ces encouragements pourraient prendre la forme d’un allègement de charges ou d’une procédure accélérée d’autorisation des produits.
* CRO, pour Contract Research Organization, est une organisation sous contrat de recherche qui fournit du soutien à l’industrie pharmaceutique, biotechnologique ou médicale sous la forme de services de recherche sous-traités de façon contractuelle.
** REACH est la réglementation européenne en matière d’Enregistrement, évaluation et autorisation de substances chimiques, entrée en vigueur le 1er juin 2007.
Alors que la recherche animale est souvent présentée comme nécessaire pour faire progresser la médecine humaine, alors que des tests sur des animaux sont obligatoires de par la loi pour évaluer l’efficacité et la toxicité des médicaments destinés à l’homme, beaucoup de médecins sont opposés à l’utilisation d’animaux pour la recherche, la toxicologie et l’enseignement de la biologie humaine.
Des sondages ont montré que l’opinion publique est majoritairement opposée à l’utilisation d’animaux dans les laboratoires. Il serait intéressant de réaliser de tels sondages parmi les médecins, que les médias ont tendance à trop couramment présenter comme soutenant la recherche animale et les espoirs qu’elle apporterait aux patients humains.
En Allemagne, l’association Médecins contre les expériences sur des animaux (Aertze Gegen Tierversuche – DAAE) compte plusieurs centaines de membres, médecins et scientifiques. Elle demande l’abolition immédiate de toutes les expériences sur des animaux et contribue activement à l’information et à la mise en œuvre de méthodes, notamment éducatives, sans animaux. Nous avons le plaisir de vous présenter une interview de l’une de ses vice-présidentes. Nous vous reparlerons bientôt de cette association avec laquelle nous travaillerons désormais régulièrement. André Ménache y a d’ailleurs adhéré et explique sur son site pourquoi il est opposé à l’expérimentation animale. Pour les germanophones : http://www.aerzte-gegen-tierversuche.de/de/ueber-uns/warum-wir-gegen-tierversuche-sind/1959-dr-med-vet-andre-menache.
Entretien avec Corina Gericke, vice-présidente de « Médecins contre les expériences sur les animaux »
Antidote Europe (AE) : Merci, Dr Corina Gericke, de nous accorder cette interview. Pourriez-vous dire à nos lecteurs comment vous, une chirurgienne vétérinaire, vous êtes-vous impliquée dans ce qui est aujourd’hui la plus grande organisation de scientifiques et médecins opposés à l’expérimentation animale en Europe ?
Corina Gericke (CG) : En 1985, étant déjà une anti-vivisectionniste active, j’ai été embauchée comme assistante technique médicale par le laboratoire de biochimie du Dr Bernhard Rambeck. Il était membre du conseil d’administration de DAAE et était l’une des icônes du mouvement anti-vivisection allemand. Par exemple, il est l’auteur du livre « Les Mythes des expériences sur des animaux ». Il est devenu une sorte de mentor pour moi et c’est grâce à lui que je suis devenue active au sein de DAAE, avant d’obtenir mon diplôme de vétérinaire. Ensuite, et après avoir exercé pendant plusieurs années comme vétérinaire, je suis devenue anti-vivisectionniste à plein temps, d’abord pour une organisation de défense animale et plus tard pour DAAE. Depuis 2011, je fais partie du conseil d’administration.
AE : Depuis combien de temps l’organisation existe-t-elle et quels ont été, selon vous, ses plus grands succès ?
CG : DAAE a été fondée en 1979 et a certainement joué un rôle important dans le mouvement contre les expériences sur des animaux. Le plus grand succès de ce mouvement est d’avoir contribué de façon significative au développement des méthodes in vitro. Sans notre travail et sans la pression de l’opinion publique qui en a résulté depuis des décennies, la recherche in vitro n’en serait pas là où elle en est aujourd’hui.
Notre organisation peut se prévaloir de succès spécifiques. Avec nos projets en Ukraine et dans d’autres pays d’Europe de l’Est, nous fournissons des outils pédagogiques sans animaux à des universités désireuses de remplacer l’utilisation d’animaux dans les cours de sciences. Nous avons signé des accords avec les responsables de 55 départements universitaires dans cinq pays, sauvant ainsi au moins 53 000 animaux par an (!) qui, autrement, auraient été tués à des fins d’enseignement. Quand nous avons lancé notre campagne botox, contre le très cruel test DL50 pour évaluer les produits contenant de la toxine botulique en 2007, ce problème était complètement ignoré du public allemand. La pression constante sur les fabricants et sur les autorités a mené à des progrès significatifs dans le remplacement de ce test cruel.
Ensemble avec la Coalition européenne pour mettre fin aux expériences sur des animaux (ECEAE) dont nous faisons partie, nos experts ont aidé à éviter des test de toxicologie sur au moins 18 000 rats et poissons dans le cadre du règlement REACH. Ce ne sont que quelques exemples.
AE : Quels sont, d’après vous, les plus grands obstacles au remplacement de l’utilisation d’animaux en Allemagne aujourd’hui ? Merci d’aborder séparément le sujet des essais sur des animaux dans l’industrie et dans les universités.
CG : L’obstacle majeur est qu’aussi bien l’industrie que les universités ont une énorme influence sur les législateurs. Lors de la révision de la directive européenne 86/609, les lobbyistes de l’industrie et de l’université ont réussi à faire obstacle à la moindre amélioration et lorsque la directive résultante 2010/63 a été transposée en loi allemande, ces lobbies ont réussi à l’affaiblir encore plus. Le résultat est une loi qui ne fait que règlementer les expériences sur des animaux mais qui n’est pas conçue pour mettre fin à aucun d’entre eux.
Si nous examinons l’industrie et les universités séparément, l’un des principaux obstacles pour l’industrie est le ridicule processus de validation qui empêche les alternatives sans animaux d’être implémentées. Les tests in vitro, qui peuvent fournir des résultats plus pertinents que les tests sur des animaux et qui pourraient aussi intéresser l’industrie chimique et pharmaceutique, doivent subir une validation et une approbation règlementaire qui peuvent prendre des décennies et même alors ils ne sont pas toujours acceptés par les autorités ou sont requis en parallèle avec les essais sur des animaux.
En ce qui concerne les universités, il n’y a pas d’obstacles pour elles, elles-mêmes sont l’obstacle. Surtout en recherche fondamentale (recherche motivée par la curiosité) qui, en Allemagne, est principalement faite dans les universités et les instituts Max Planck, où les chercheurs continuent à s’accrocher au système dépassé de l’expérimentation animale, bloquant ainsi l’innovation. Seule une interdiction légale les arrêtera. Mais il est très difficile d’obtenir même de petites améliorations de la loi, en raison du pouvoir de ceux qui ne supportent aucune restriction à l’expérimentation animale. En Allemagne, la liberté de la recherche est un droit constitutionnel qui prévaut sur l’Acte de protection animale. Ce dernier n’est pas efficace pour limiter les expériences sur des animaux. Les autorités responsables de délivrer les licences pour les expériences sur des animaux ont des possibilités très limitées de ne pas approuver une demande. Si la demande est remplie correctement, ces autorités sont obligées de l’approuver.
AE : Voyez-vous des progrès en Allemagne au sein de l’opinion publique et dans la communauté scientifique, en termes de moins dépendre des tests sur des animaux ?
CG : Le public a l’air mieux informé et conscient maintenant qu’il y a trente ans, quand la question était nouvelle. Par exemple, l’un de nos scientifiques (un neurobiologiste), qui mène actuellement une campagne d’information du public avec notre « Camion Souris » à travers l’Allemagne, reçoit des réponses très positives du public.
L’industrie pharmaceutique et chimique mettent beaucoup de moyens dans la recherche d’alternatives sans animaux -principalement pour des raisons financières. Malheureusement, en dépit d’un bon progrès, elles continuent à croire que certaines expériences sur des animaux sont toujours nécessaires. Mais elles sont du moins sur la voie d’une réduction de l’utilisation d’animaux, alors qu’en recherche fondamentale le nombre d’animaux utilisés et tués est en constante progression et les chercheurs qui travaillent dans ce domaine n’ont aucun intérêt à faire autrement que comme ils ont toujours fait.
D’un autre côté, il y a de plus en plus de chercheurs qui remettent en question ce système obsolète. Un nombre croissant de jeunes scientifiques et de nouvelles firmes font de fantastiques progrès dans le développement de méthodes de recherche sophistiquées comme les organes sur puces et croient vraiment à ces voies modernes de recherche. Ils sont le futur !
AE : Pour conclure, y a-t-il d’autres pensées que vous voudriez partager avec nos lecteurs ?
CG : Le combat contre les expériences sur des animaux est ardu, long et parfois frustrant. Toutefois, le droit moral et les faits scientifiques sont de notre côté. Je suis convaincue que le temps viendra où l’humanité tournera son regard en arrière et verra l’expérimentation animale comme ce qu’elle est : un crime, une atrocité et une fraude scientifique. Nous pouvons tous contribuer, chacun à sa mesure, à ce que ce temps arrive le plus tôt possible.
Les expériences sur des animaux doivent être rejetées
# Les expériences sur des animaux doivent être rejetées pour des raisons médicales. Les expériences sur des animaux ne sont pas une méthode valable pour rechercher les différentes causes des maladies humaines ni pour développer des traitements pour ces maladies. Les animaux sont artificiellement rendus malades pour créer les prétendus « modèles » utilisés pour mimer les maladies humaines. A part pour quelques symptômes, ces « modèles » n’ont que peu de ressemblance avec les maladies humaines, lesquelles sont souvent chroniques et peuvent avoir des causes psychologiques, tout comme des causes liées à une susceptibilité, à la nutrition ou à l’environnement. Dans les expériences sur des animaux, ces facteurs -et surtout leurs interactions- ne peuvent pas être reproduits. En pratiquant des essais sur des animaux, en dépit de millions d’animaux victimes et d’investissements économiques énormes, la recherche médicale a échoué à trouver de réelles avancées dans la lutte contre les principales maladies d’aujourd’hui (cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète, arthrite rhumatoïde, allergies, etc.), contrairement à ce qu’elle a maintes fois promis.
# Les expériences sur des animaux doivent être rejetées pour des raisons scientifiques. Les résultats des expériences sur des animaux ne peuvent pas être transposés à l’homme de façon fiable. L’expérience sur l’animal ne peut pas permettre une affirmation fiable au sujet de si et dans quelle mesure l’organisme humain et l’organisme animal réagissent de la même façon. Dans tous les cas, la même expérience doit être répétée chez l’homme, avec des risques inconnus et des résultats impossibles à prédire. Avant cela, toute affirmation est pure spéculation. Une conséquence de cette extrapolation contraire à la science des animaux de laboratoire à l’homme est que des médicaments ont dû être retirés du marché à cause de risques non mis en évidence ou même d’effets secondaires mortels chez l’homme -effets qui n’ont pas été vus sur des animaux.
Nous le disons, démontrons et répétons : aucune espèce animale n’est le modèle biologique de l’homme. C’est vrai en chirurgie esthétique comme dans tous les autres domaines de la physiologie et de la médecine. L’expérimentation animale ne nous aide pas à être beaux et sains, bien au contraire.
Les animaux sont utilisés dans tous les domaines de la recherche biomédicale. La chirurgie esthétique ne fait pas exception. Avec les mêmes résultats : les expériences sur des animaux sont au mieux inutiles et, plus grave, peuvent induire en erreur. Et la même conclusion : mieux vaut s’en passer et utiliser des méthodes fiables pour l’homme. Nous avons le plaisir de vous présenter les commentaires de Marjorie Cramer, chirurgienne esthétique qui a plus de vingt ans d’expérience dans ce domaine.
Chirurgie esthétique : l’expérimentation animale ne nous aide pas à être beaux et sains, bien au contraire…
Antidote Europe (AE) : Permettez-nous de vous dire tout d’abord que nous sommes très honorés de pouvoir interviewer une chirurgienne esthétique pour la première fois dans notre série d’entretiens. Pouvez-vous évoquer le moment de vos études ou de votre carrière où vous avez dû commencer à faire des expériences sur des animaux et nous dire quel aspect de cette pratique vous a le plus préoccupée ?
Marjorie Cramer (MC) : A l’école, en Angleterre, nous n’avions pas à faire de dissections mais au lycée j’ai opté pour un cours de biologie qui requérait de tuer des souris. A l’époque, ceci était accepté comme une étape sur la voie pour devenir médecin et j’ai essayé d’ignorer mon aversion pour cette pratique. A l’école de médecine, dans les années 1960, j’étais l’une des trente femmes dans une classe de deux cents étudiants. Moi-même et les autres femmes étions fréquemment harcelées et j’ai essayé de ne me distinguer en aucune façon. C’est dans ce climat, au cours des premiers mois de mes études médicales, que je suis arrivée un jour dans le laboratoire de physiologie pour découvrir que chaque groupe de quatre étudiants s’était vu attribuer un chat anesthésié, sanglé et dont les membres étaient ouverts pour exposer les muscles. Notre tâche consistait à injecter diverses substances chimiques et à noter les résultats. J’étais tellement traumatisée par cet événement cauchemardesque que je pouvais à peine raisonner avec cohérence. J’ai pensé que quelque chose n’allait pas avec moi, pour ne pas pouvoir traiter avec équanimité ce travail de laboratoire, et j’ai essayé de cacher mon angoisse. Pendant mon internat, on m’a demandé de passer un an à faire des expériences sur des animaux. Après quelques mois, j’ai demandé l’autorisation de faire un travail basé sur la bibliographie, en invoquant une sévère allergie aux rats. A ce moment-là, je n’envisageais pas d’avouer que faire souffrir des êtres sensibles m’était totalement impossible. Il m’a fallu des années et la remise en question d’hypothèses couramment défendues pour établir qu’expérimenter sur des animaux ne pouvait pas être essentiel pour la santé humaine mais, au contraire, pouvait être contre-productif, et que traiter des êtres vivants avec cruauté ne pouvait pas engendrer de la compassion envers les patients.
AE : Des animaux comme les rongeurs, les lapins ou les cochons sont couramment utilisés pour évaluer les vertus cicatrisantes de diverses crèmes et onguents après coupures ou brûlures expérimentales sur la peau des animaux. Considérez-vous l’utilisation de modèles animaux pour l’étude de la cicatrisation comme étant basée sur des preuves ?
MC : Il n’est pas difficile d’observer que l’anatomie et la physiologie sont spécifiques de l’espèce et que beaucoup de problèmes humains lors de la cicatrisation ne sont même pas rencontrés sur des non humains. Ceci rend les résultats des expériences sur des animaux qui ont été conçues pour résoudre des problèmes humains, au mieux suspects, au pire dangereux. Les études sur des animaux de laboratoire sont souvent considérées comme plus « scientifiques » ou intéressantes que les résultats des études cliniques humaines et peuvent apparaître intuitivement attractives. Elles sont souvent plus faciles à concevoir et plus rapides à réaliser que des études humaines qui, par nécessité, doivent généralement se dérouler sur le long terme. Il y a de nombreux exemples dans la littérature sur la cicatrisation où des données animales ont induit en erreur et, en définitive, on retardé l’investigation sur des patients humains. Des expériences sur le cochon avec des lambeaux de peaux (des greffons de peau d’épaisseur complète non détachés de leur base) viennent les premiers à l’esprit. Des greffons qui ont très bien marché sur le cochon n’ont pas donné le même résultat chez l’homme. Il a fallu des années pour comprendre que la circulation sanguine de la peau des cochons avait des différences anatomiques majeures avec celle de l’homme. Dans mon expérience en tant que clinicienne, ayant soigné des personnes blessées gravement, je n’ai aucun souvenir de décisions cliniques quant aux soins à donner basées sur des données n’ayant pas été obtenues sur l’homme. Par définition, la médecine basée sur des preuves requiert les « meilleures » preuves (résultats de recherches) disponibles concernant si et pourquoi un traitement fonctionne. Dans le monde moderne où la connaissance et la technologie progressent de plus en plus, les expériences sur des animaux apparaissent comme une grossière relique du passé et les données obtenues par ce moyen sont toujours suspectes jusqu’à ce l’on dispose de données humaines.
AE : Le scandale des implants mammaires en silicone a négativement affecté la vie de plusieurs milliers de femmes dans le monde. Un article dans lequel nous dénonçons la confiance dans les tests sur des animaux comme ayant contribué à l’échec de la règlementation à protéger la santé et le bien-être des consommateurs a été publié sur ce lien : http://jrs.sagepub.com/content/106/5/173.long. Pourriez-vous commenter ce scandale de votre point de vue de chirurgienne esthétique ?
MC : La saga des implants mammaires est complexe. Malheureusement, bien que des milliers de femmes aux Etats-Unis aient subi une chirurgie avec implantation de prothèses mammaires, il n’y a pratiquement pas eu de surveillance significative après ces procédures. Nous savons que certaines complications sont possibles après implantation de prothèses, par exemple la contraction de la cicatrice avec pour résultat la compression de l’implant et le durcissement, une inflammation ou une infection locales, la rupture de la prothèse, des fuites de silicone et de possibles maladies auto-immunes. Mais à part ça, nous en savons très peu. Malheureusement, les enjeux économiques d’un produit très lucratif dominent le marketing et les ventes des implants. C’est dans l’intérêt des fabricants de mettre en avant les aspects positifs de la chirurgie (la grande majorité des patients ont été satisfaits des résultats) et de minimiser ou cacher les aspects négatifs. Des études sur des animaux ont été faites aussi bien par des chercheurs cliniciens que par les fabricants mais il n’y en a aucune qui prédise les problèmes rencontrés ou qui soit utile cliniquement. La plupart de ces études ont été de court terme, conçues pour résoudre les problèmes de durcissement des seins en modifiant la forme de l’implant ou la composition de l’enveloppe ou du contenu. Pour prédire les problèmes qui sont survenus, il aurait fallu des statistiques établies à partir de la surveillance post chirurgicale de patientes sur de longues durées. Ces études pourraient mener à de nouvelles études humaines qui cibleraient les femmes à risque de complications et trouveraient des modalités pour éviter les problèmes.
AE : Est-il possible, d’après vous, de devenir chirurgien esthétique sans expérimenter sur des animaux ? Quelles alternatives suggèreriez-vous aux chercheurs qui soutiennent catégoriquement qu’il n’est pas possible de remplacer l’utilisation des animaux dans le domaine de la chirurgie esthétique ?
MC : Beaucoup d’expérimentations animales dans les écoles de médecine ont été supprimées et la « recherche » animale pendant l’internat n’a jamais été faite pour améliorer les soins cliniques mais plutôt pour fournir des publications et accélérer les carrières. Certaines personnes pensent que les chirurgiens apprennent à opérer en s’exerçant sur des animaux mais ceci est un mythe. La chirurgie s’apprend progressivement en assistant les professeurs et en opérant sous étroite surveillance. Il y a beaucoup de méthodes basées sur l’homme pour apprendre la chirurgie, y compris des techniques complexes comme la chirurgie microvasculaire. Le Dr Emad Aboud, de l’Université du Kansas, par exemple, a développé des modèles utilisant des cadavres humains de personnes qui ont légué leur corps, avec un mécanisme de pompe sanguine très réaliste, de sorte que des chirurgiens peuvent s’exercer à des techniques nouvelles complexes. En fin de comptes, dans le domaine de la chirurgie purement cosmétique, il n’y a pas de justification pour utiliser des animaux. Un débat d’actualité concerne l’utilisation de la toxine botulique (Botox). En particulier, le test DL50, dans lequel plusieurs doses de toxine sont administrées à différents lots d’animaux pour voir quelle dose tue 50% d’entre eux. Heureusement, il y a des méthodes plus modernes, sans utilisation d’animaux, qui ont été développées et sont en train d’être adoptées.
AE : Merci beaucoup d’avoir partagé vos connaissances avec nous et avec nos lecteurs. Y a-t-il d’autres remarques que vous voudriez faire pour conclure ?
MC : Je voudrais souligner qu’il m’a fallu des années pour jeter un regard critique sur l’expérimentation animale et comprendre l’inefficacité de cette pratique. Mon désir de m’adapter à un milieu dans lequel il était difficile de pénétrer et de réussir y a été pour beaucoup. Heureusement aujourd’hui, les jeunes sont plus désireux de s’exprimer, parfois au détriment de leurs carrières, et de changer les restes du passé qu’il faut changer.