Le Dr Elisabeth Devilard travaille actuellement dans l‘équipe Recherche et Développement de L’Occitane en Provence.
Titulaire d’un doctorat en Biologie Cellulaire et Moléculaire en Sciences de la Santé, j’ai travaillé pendant 13 ans à l’Institut Paoli Calmette, détachée au Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille, où j’ai exploré les mécanismes qui sous-tendent l’histoire naturelle des pathologies cancéreuses (cancer de la Prostate, Lymphomes malins et Leucémies) et, ainsi, faire face aux enjeux thérapeutiques et de prise en charge des patients (trouver de nouveaux marqueurs pronostiques plus fiables et des marqueurs biologiques adaptés pour un diagnostic précoce). J’ai ensuite travaillé en Immunologie Fondamentale pendant 3 ans au Centre d’Immunologie de Marseille Luminy. Je me suis centrée sur la caractérisation de nouvelles sous populations de cellules dendritiques dans la peau et j’ai essayé de comprendre ainsi, leur rôle (l’inflammation cutanée /tolérance immunitaire). Je suis auteur de 35 articles publiés dans des revues scientifiques renommées comme The Journal of Experimental Medecine, Oncogene, Blood, Anticancer Response, Leukemia Lymphoma j’ai également participé à de nombreux congrès scientifiques. Je travaille actuellement depuis un an dans l‘équipe Recherche et Développement de L’Occitane en Provence.
Antidote Europe (AE) : Notre association reçoit de temps en temps des appels téléphoniques d‘étudiants en biologie qui ne veulent pas faire les expériences sur des animaux obligatoires dans leur cursus. Pourriez-vous nous faire part de votre parcours d‘étudiante et comment vous avez réussi à obtenir vos diplômes tout en restant fidèle à vos principes de ne pas faire du mal aux animaux ?
Elisabeth Devilard (ED) : Dans mon cursus universitaire, je n’ai pas eu à pratiquer d’expériences sur des animaux car j’ai toujours refusé. J’ai toujours trouvé le fait de décérébrer une grenouille, mesurer la volémie chez le lapin pour le besoin d’un cours, contraire à l‘éthique et totalement injustifié ou inutile. Par la suite, ayant une thématique scientifique de recherche appliqué à la clinique humaine (cancérologie humaine), j’ai toujours eu à disposition des choix, méthodes d’analyses ou des techniques alternatives avec le développement de la biologie moléculaire, des tecnhiques d’analyses à grande échelle permettant d’améliorer la prise en charge des patients et faire face aux enjeux thérapeutiques. Cela fut plus difficile en Immunologie Fondamentale car j’ai, sur du court terme, dû travailler et réaliser des expériences sur des souris. J’ai suivi une formation assurée par des vétérinaires et proposée par leCNRS (diplôme d’habilitation à l’expérimentation animale niveau I avec option en chirurgie) afin de connaitre les droits et devoirs et les “ bonnes pratiques “ mais c‘était en désaccord avec mes convictions .
AE : Bien que votre première objection à l’utilisation d’animaux ait eu pour origine des raisons morales, à quel moment dans votre carrière vous êtes-vous aperçue que l’utilisation d’animaux n‘était pas pertinente pour la recherche sur la santé humaine ?
ED : Travaillant pendant 13ans en clinique et cancérologie humaine, j’ai toujours pensé qu’il était pertinent de travailler directement sur les tumeurs des patients afin de mieux comprendre et caractériser les mécanismes responsables de l’induction et de la progression des cancers. Ces mécanismes sont complexes, interactifs et hétérogènes d’une tumeur à l’autre et au sein d’une même tumeur. Comprendre les mécanismes qui sous tendent l’histoire naturelle des pathologies cancéreuses chez l’homme permet de mieux faire face aux enjeux thérapeutiques et de prise en charge des patients.
AE : Vous travaillez actuellement au département recherche d’une importante firme de produits cosmétiques. Pouvez-vous décrire en termes simples vos principaux sujets de recherche ?
ED : Pour l’heure j’ai plusieurs missions mais je peux préciser que je travaille, par exemple, sur des mesures de l’impact d’actif végétaux sur des explants de peau humaine afin établir des relations de causes à effet entre les diverses variations détectées et les situations physio-pathologiques. .
AE : Le 7ème amendement de la directive Cosmétiques appelle à un arrêt total de l’utilisation d’animaux pour les tests de cosmétiques ainsi qu‘à une interdiction d’importer des produits cosmétiques qui auraient été testés sur des animaux en dehors de l’Union européenne, en 2013. Toutefois, la Commission européenne tente de reporter cette échéance à 2017, 2019, voire plus loin. Pensez-vous que les techniques disponibles aujourd’hui permettraient d’obtenir suffisamment de données humaines et, donc, d‘éviter le retard de l’entrée en vigueur de ce 7ème amendement ?
ED : Avec les progrès sur les dix dernières années des techniques en biologie moléculaire et les connaissances acquises également en biologie cutanée, nous disposons d’un arsenal de techniques fiables pour ne plus utiliser des animaux. Je tiens à préciser que l’Occitane en Provence a toujours refusé et jugé inutile et inapproprié les tests sur animaux. Il serait regrettable de retarder cette échéance.
AE : Merci beaucoup pour le temps que vous avez consacré à cette interview. Y a-t-il d’autres remarques que vous aimeriez porter à la connaissance de nos lecteurs ?
En 2003, Neal Barnard a recu une bourse de recherche de 350 000 dollars de l’Institut national de la santé pour étudier l’effet d’un régime végétarien pauvre en lipides sur le diabète. Dans un entretien avec André Menache, le Dr Barnard explique comment les gens ont pu réduire leurs doses de médicaments et comment certains les ont complètement abandonnés.
Le Docteur Neal Barnard est leader dans le domaine de la recherche, la nutrition et la médecine préventive. Il enseigne la médecine à l’‘Université George Washington, où il a fait ses études et son internat. Il a exercé à l’‘hôpital St-Vincent, à New York. Il est membre à vie de l’‘Association médicale américaine. Ses recherches ont été citées par l’‘Association américaine du diabète et l’‘Association américaine de diététique dans des déclarations officielles sur les régimes sains. Il a lancé le “Cancer Project” qui fournit de l’‘information sur la nutrition pour la prévention du cancer et l’‘accompagnement des patients, ainsi que le Washington Center for Clinical Research, un centre de recherche sur la nutrition.\n\nEn 1985, il a fondé PCRM (Comité de médecins pour une médecine responsable), association d’‘envergure nationale regroupant des médecins et autres personnes pour promouvoir la médecine préventive et intervenir dans les débats concernant la médecine moderne.\n\nIl est rédacteur en chef de la revue Nutrition Guide for Clinicians et auteur de plus de 15 livres sur la nutrition et la santé pour le grand public. Ses articles ont été publiés dans de très prestigieuses revues scientifiques telles queDiabetes Care, American Journal of Clinical Nutrition, American Journal of Medicine,Pediatrics, Journal of the American Dietetic Association, Scientific American, American Journal of Cardiology, Obstetrics & Gynecology, Lancet Oncology, Preventive Medicine, etc. Il fait partie du comité de lecture de nombreux journaux médicaux.\n\nIl donne de très nombreuses conférences scientifiques et médicales. Il est aussi très fréquemment interviewé par les médias grand public sur des sujets de nutrition et santé. Il a été l’‘invité de nombreuses émissions de grande audience telles Oprah, Ellen, Today, Good Morning America, The Early Show, etc.
Antidote Europe (AE) : Pouvez-vous dire à nos lecteurs comment vous avez réussi à créer une organisation avec plus de 8.000 médecins membres ? Et pourriez-vous décrire votre parcours depuis vos succès en psychiatrie jusqu‘à la prescription de régimes végétariens pauvres en lipides ?
Neal Barnard (NB) : J’ai commencé à exercer en 1985 dans un hôpital à New York. Je dirigeais une unité de psychiatrie mais j’assurais aussi beaucoup de consultations médicales. J’ai réalisé que les médecins font généralement un excellent travail de diagnostic et, parfois, nous sommes efficaces pour traiter les maladies. Mais nous étions — et sommes toujours — épouvantables quand il s’agit de prévention. Nous ne faisons rien au sujet d’une possible attaque cardiaque tant que le patient n’est pas amené par la porte des urgences. C’est pareil pour le cancer, le diabète, l’hypertension, l’obésité et tant d’autres problèmes qui provoquent beaucoup de souffrance. J’ai senti qu’il était temps pour les médecins de se faire les avocats de la prévention et, en particulier, de la nutrition.
Parallèlement, les problèmes éthiques dans la recherche ont commencé à me préoccuper. Des violations des droits des personnes dans la recherche sur l’homme avaient été en cause plusieurs fois, peut-être de façon la plus évidente dans l‘étude Tuskeegee où des hommes noirs atteints de syphilis avaient été laissés sans traitement. Et les expériences sur des animaux se faisaient sans presque aucune réglementation. Il fallait que les médecins s’expriment.
AE : En 2003, l’Institut national de la santé vous a alloué une bourse de recherche de 350 000 dollars pour étudier l’effet d’un régime végétarien pauvre en lipides sur le diabète. Pourriez-vous nous résumer les résultats de cette étude et les réponses que vous avez reçues du corps médical ?
NB : Le régime que nous avons testé était (1) végétarien, (2) pauvre en graisses et (3) à index glycémique bas (ce qui signifie qu’il était riche en haricots, pâtes, fruits et autres aliments qui tendent à ne pas trop perturber le taux de glucose dans le sang). Sur 99 personnes atteintes de diabète de type 2, nous avons comparé ce régime avec un régime plus conventionnel incluant une limitation calorique, etc. Le régime végétarien s’est montré plus efficace pour aider les volontaires à perdre du poids et améliorer leurs taux de glucose et de cholestérol. Plusieurs personnes ont pu réduire leurs doses de médicaments et certaines les ont complètement abandonnés. Ceci étant accompli sans exercice physique ni limites sur les quantités que l’on pouvait manger, les patients l’ont trouvé étonnamment facile. Les résultats ont été publiés dans Diabetes Care, l’American Journal of Clinical Nutrition et d’autres journaux.
Depuis, PCRM a mis les détails de ce régime sur son site internet. J’ai préparé un livre pour montrer au grand public comment adopter ce régime par soi-même et j’espère que les gens essaieront. L’Association américaine du diabète mentionne à présent notre approche dans ses recommandations de pratique clinique, donc, un régime végétarien est apparemment devenu une pratique courante.
AE : Votre organisation a joué un rôle primordial dans la suppression de l’utilisation d’animaux pour les études de médecine humaine. Grâce à vos efforts dans ce domaine, les Etats-Unis seront probablement le premier pays au monde à supprimer complètement cette pratique. Pourriez-vous nous expliquer votre stratégie, qui pourrait servir de guide pour d’autres organisations ayant le même but dans d’autres pays ?
NB : Quand j‘étais à l‘école de médecine, on a dit à notre classe de pharmacologie qu’elle allait participer à une expérience sur des chiens. Chaque groupe de quatre étudiants devrait administrer plusieurs médicaments à un chien vivant et enregistrer les effets physiologiques, après quoi le chien serait tué. J’ai trouvé la suggestion à la fois contraire à l‘éthique et totalement inutile, car nous avions déjà eu des cours sur ces médicaments et nous savions déjà comment ils agissaient. Pour faire court, j’ai refusé de faire cette expérience mais j’ai quand même fourni les résultats et je fais à présent partie des responsables de cette école de médecine, laquelle a plus tard supprimé ces expériences sur le chien.
Quand j’ai lancé PCRM, je sentais que ces expériences devaient vraiment être remplacées. Nous avons commencé tout simplement en diffusant de l’information sur les méthodes alternatives aux étudiants en médecine, grâce à des conférences et par courrier. Ceci a amené beaucoup d‘étudiants à réclamer des alternatives et à se plaindre des expériences sur des animaux auprès de leurs professeurs. Dans plusieurs écoles, ces démarches ont suffi. L’Association américaine d‘étudiants en médecine a aussi été très intéressée à plaider pour les étudiants qui ne voulaient pas être obligés de participer à ce qu’ils considéraient être une expérience contraire à l‘éthique. Certaines écoles, malheureusement, ont été très lentes à aller vers le changement. Dans ces cas-là , nous avons travaillé avec les administrateurs dans la mesure du possible et, pour les plus récalcitrants, nous avons soutenu une campagne médiatique pour permettre au public de peser dans ce débat. Ca a été très efficace. Presque toutes les écoles de médecine aux Etats-Unis ont désormais abandonné les expériences sur des animaux pour l’enseignement. Ce résultat a aussi été acquis pour des cours de médecine d’urgence.
AE : Que considérez-vous être votre plus grand succès et pourquoi ?
NB : Nous sommes encore loin de pouvoir définir le couronnement de nos efforts. En réalité, notre travail ne fait que commencer. Les populations américaines et européennes sont dans leur pire forme physique, avec des niveaux désastreux d’obésité et autres problèmes de santé. Et, tandis que nous travaillons dur pour inverser ces tendances, de mauvaises habitudes alimentaires — régimes carnés, trop chargés en fromage — sont en train de se répandre en Asie et ailleurs, avec les épidémies de diabète et de maladies cardiovasculaires qui s’en suivent. D’un autre côté, les personnes qui améliorent leur régime alimentaire sont plus nombreuses que jamais. Il est essentiel de trouver des méthodes de plus en plus créatives pour aider les gens à adopter des habitudes saines. L‘étique envers les humains et les animaux progresse lentement. Beaucoup pensent encore que l’on peut traiter les animaux comme s’il s’agissait de morceaux de bois. J’espère que les nouvelles connaissances scientifiques sur la sensibilité animale — leurs modes de communication complexes, bien sûr, et aussi malheureusement leur capacité à ressentir une souffrance aiguà« dans un environnement stressant — va pousser les scientifiques à comprendre que nous devons remplacer l’expérimentation animale par d’autres méthodes de recherche le plus rapidement possible.
AE : Merci beaucoup pour le temps que vous avez consacré à cette interview. Avez-vous des remarques finales ou autres commentaires que vous voudriez partager avec nos lecteurs ?
NB : Nous apprécions beaucoup de comparer des données avec d’autres organisations et de travailler ensemble. Invitez vos lecteurs à visiter notre site (http://www.PCRM.org ) et à travailler avec nous.
Les travaux de Ray Greek ont été publiés dans des périodiques scientifiques et non scientifiques. Il a participé à de nombreuses émissions de télévision dont la BBC et CNN. Depuis 1996, il est le président de l’association Americans For Medical Advancement.
Ray Greek a obtenu son doctorat de médecine à l’‘Université d’‘Alabama-Birmingham en 1985, puis sa spécialisation en anesthésiologie à l’‘Université de Wisconsin-Madison en 1989. Il a exercé dans deux hôpitaux universitaires où il a également fait de la recherche sur l’‘homme. Il avait, auparavant, participé à de la recherche sur des animaux. Ses travaux ont été publiés dans des périodiques scientifiques et non scientifiques. Il a participé à de nombreuses émissions de télévision dont la BBC et CNN. Depuis 1996, il est le président de Americans For Medical Advancement.\nParmi les plus récents de ses livres et articles :
Greek, R. Medical Research with Animals. In Animal Rights And Animal Welfare. Volume 2. 2nd edition. Bekoff, M (Ed.). Greenwood Press. 2010. P373-377.
Shanks, N and Greek R. Animal Models in Light of Evolution. BrownWalker 2009.
Greek, R and Shanks, N. FAQs About the Use of Animals in Science. A handbook for the scientifically perplexed. University Press of America. 2009.
Antidote Europe (AE) : Pouvez-vous indiquer à nos lecteurs comment vous en êtes venu à remettre en cause l’efficacité des expériences sur des animaux ? Votre premier livre a été co-écrit avec votre épouse qui, il est intéressant de le noter, est vétérinaire.
Ray Greek (RG) : Vers la fin des années 1980, mon épouse Jean suivait des cours de médecine vétérinaire dans la même université où j’enseignais la médecine humaine. Le soir, à la maison, nous discutions des traitements que nous utilisions sur nos patients, des différentes maladies dont ils souffraient, des différentes façons de les anesthésier, etc. Nous avons rapidement réalisé que ses patients chats et chiens avaient peu de choses en commun avec les miens. Des maladies mortelles pour l’homme n’affectaient pas ses patients et des médicaments qu’elle utilisait ne pouvaient pas être prescrits aux humains. Ceci nous a amenés à nous demander s’il était rationnel d’expérimenter sur des animaux dans le but de trouver des thérapies pour l’homme.
Après plusieurs mois d’une discussion assez intense, j’ai demandé à plusieurs médecins-chercheurs si ce qu’ils faisaient sur des animaux conduisait vraiment à développer des traitements pour l’homme. Tous m’ont répondu que, bien que la recherche spécifique qu’ils faisaient n’y conduisait pas, les recherches d’autres chercheurs menaient bien à ces traitements. J’ai trouvé cela très intéressant car ce que chaque chercheur disait, c’est que l’expérimentation animale était utile pour les autres. Chacun pensait que l’expérimentation animale était extrêmement importante pour quelqu’un d’autre. C‘était même assez amusant d’aller ainsi d’un chercheur à l’autre et d’entendre exactement la même chose.
AE : Vous êtes l’auteur ou le co-auteur de cinq livres qui critiquent l’expérimentation animale d’un point de vue strictement scientifique. Votre dernier livre Modèles animaux à la lumière de l‘évolution (co-écrit avec le professeur Niall Shanks) traite avec force détails de la question de la prédictivité. Pourriez-vous expliquer, pour un public non scientifique, l’importance de ce concept clé et son impact sur la santé humaine et l‘évaluation des risques toxiques ?
RG : Le public accepte la recherche utilisant des animaux sensibles car il lui a été dit que cette recherche permettait de développer des médicaments plus sûrs et plus efficaces car si l’animal meurt ou subit des lésions suite à l’essai, alors ce médicament ne sera pas mis sur le marché. En d’autres termes, la réaction animale peut permettre de prédire la réaction humaine. Ce que j’ai appris vers la fin des années 1980 c’est que ceci est tout simplement faux. Les différentes espèces animales ont une évolution différente avec des différences dans l’expression et la régulation des gènes de sorte qu’aucune espèce animale ne peut prédire la réaction d’une autre espèce, dans ce cas, de l’homme. C’est aussi vrai pour l‘étude des maladies humaines à partir de recherches sur des animaux. On fait la supposition que si des chercheurs déterminent comment leVIH entre dans les globules blancs d’un singe alors ils auront appris comment ce virus entre dans les globules blancs d’un homme. Encore une fois, on peut démontrer que ceci est faux. Donc, la société utilise des animaux pour tester des médicaments et trouver des thérapies en pensant que les modèles animaux prédisent ce qui se passera chez l’homme alors que ces modèles ne permettent pas cette prédiction. La société permettrait-elle l’utilisation d’animaux sensibles si elle était consciente du manque de prédictivité de ces “modèles” ? Cela concerne aussi les lois et les réglementations en vigueur dans des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume Uni et qui mènent à décider quels médicaments et substances chimiques peuvent être vendus.
AE : Il y a de nombreuses et très fortes preuves scientifiques du fait que les études sur des animaux ne permettent pas de prédire les réactions humaines. Donc, à votre avis, quels sont les principaux obstacles au remplacement de cet ancien paradigme par un paradigme nouveau ?
RG : Le nouveau paradigme est de faire les essais sur du matériel biologique humain, et même, sur l’individu qui va recevoir le médicament. Votre principale préoccupation n’est pas de savoir comment tel médicament va agir sur la plupart des gens mais, plutôt, comment il va agir sur vous. On peut déterminer cela en faisant un essai sur vos propres gènes grâce à une puce à ADN. Ceci se fait déjà de façon courante pour certains médicaments. Les raisons pour lesquelles nous ne progressons pas davantage dans ce domaine sont les mêmes que celles pour lesquelles la société conserve d’autres pratiques ridicules. La recherche sur des animaux est alimentée par les mêmes forces de la nature humaine qui ont lésé des individus depuis l’aube des temps : ignorance, cupidité, ego, préservation de soi, peur. Ajoutez à cela l’inertie et l’obéissance au système et vous aurez la formule parfaite pour maintenir florissante cette industrie multi-milliardaire.
Beaucoup de personnes s’enrichissent en utilisant des animaux pour la recherche et la toxicologie et des institutions ont grandi aux côtés de ces individus. Tant que chacun n’aura pas réalisé que, en tant qu’individus, nous pouvons être lésés par les tests et la recherche sur des animaux, les groupes qui ont des intérêts dans ces tests et recherches continueront à en profiter, au détriment des patients.
AE : Après avoir identifié les obstacles au progrès, quelle serait, d’après vous, la stratégie la plus efficace pour conduire au changement ?
RG : L’information. La société dans son ensemble doit pouvoir comprendre ce qui se passe et pourquoi. C’est seulement alors qu’elle sera capable de s’opposer avec suffisamment de force aux groupes qui ont des intérêts dans l’expérimentation animale. Je suggère la lecture de notre livre, destiné à un public de non scientifiques, Les Questions les plus fréquentes au sujet de l’utilisation des animaux en sciences. Ce livre a été écrit pour informer un public cultivé non scientifique sur les raisons de l’utilisation des animaux dans la recherche, pourquoi cette démarche est un échec et quelles sont les conséquences de cet échec. Je ne recommande pas ce livre dans un intérêt personnel ; tous les bénéfices sont versés à des associations. La société ne fera pas l’effort de changer le système tant qu’elle n’aura pas compris à quel point le système est corrompu et à quel point les recherches sur des animaux sont dangereuses pour l’homme. Ce livre est une bonne source pour commencer à apprendre ces choses.
AE : Merci beaucoup pour le temps que vous avez consacré à cette interview. Avez-vous d’autres commentaires que vous aimeriez partager avec nos lecteurs ?
RG : Depuis plus de 150 ans, des groupes anti-vivisectionnistes et de protection animale ont montré à la société à quel point l’expérimentation animale était mauvaise. Pourtant, la société n’a pas réclamé de changement, pensant que cette pratique était nécessaire pour le progrès scientifique et la découverte de thérapies. Nous disons que, même si vous aimez les animaux ou si vous aimez manger des animaux, il est dans votre intérêt de vous informer davantage sur ce sujet car votre santé, voire votre vie, ou la vie de quelqu’un que vous aimez, pourrait un jour dépendre d’une recherche biomédicale viable, basée sur les connaissances que nous avons dans des domaines comme la génétique ou la biologie de l‘évolution. Si la société continue à permettre aux chercheurs en blouse blanche de continuer comme jusqu‘à présent, les patients continueront à souffrir et à mourir.
Scientifiquement parlant, les modèles animaux ne peuvent pas prédire la réponse humaine et ceci ne va pas changer. Il faut que tout le monde en soit conscient et s’implique pour exiger les changements nécessaires.
En tant qu‘étudiant en médecine vétérinaire en Australie, Andrew Knight lutte pour que les étudiants ne soient pas obligés d’expérimenter sur des animaux – et réussit !
Andrew Knight a obtenu son diplôme de vétérinaire en Australie de l’‘Ouest en 2001. Il a ensuite obtenu un diplôme en sciences du bien-être animal et passé les examens de vétérinaire aux Etats-Unis en 2005. Il a reçu une bourse de recherche au Centre pour l’‘éthique animale d’‘Oxford en 2009. Ce centre de renommée mondiale se consacre au renforcement du statut éthique des animaux, à travers l’‘excellence en matière de recherche académique, d’‘enseignement, de publications. Andrew Knight est également porte-parole de Animals Count, un parti politique britannique pour les hommes et les animaux, et directeur de Animal Consultants International, qui vise à faciliter, au niveau international, le partage de compétences pour des campagnes de défense des animaux. Il pratique la médecine vétérinaire à Londres.
Antidote Europe (AE) : Pourriez-vous décrire votre initiative pionnière en tant qu‘étudiant de médecine vétérinaire en Australie et ce qui vous a mené à penser hors des sentiers battus en premier lieu ?
Andrew Knight (AK) : En 1998, mon université (Murdoch University) a instauré la mesure pionnière de permettre l’objection de conscience aux étudiants par rapport à l’expérimentation animale ou à d’autres domaines de leur cursus. Murdoch a été la première université australienne à prendre formellement cette mesure, laquelle a, depuis, été adoptée par plusieurs autres universités en Australie et aux Etats-Unis.
En 1999, j’ai présenté un dossier au comité d‘éthique de l’université, énumérant des alternatives éthiques à nos laboratoires de démonstration invasive de physiologie animale. Ceux-ci ont, plus tard, été fermés. Et en 2000, un camarade de classe et moi-même avons établi le premier programme d’entraînement éthique en chirurgie vétérinaire en Australie de l’Ouest. Au lieu de pratiquer des procédures chirurgicales sur des animaux sains avant de les euthanasier, comme c‘était la norme, nous avons acquis de l’expérience en assistant lors de procédures thérapeutiques sur de vrais patients, comme c’est le cas pour l’entraînement des médecins. Notre programme a été très efficace. Nous avons acquis cinq fois plus d’expérience chirurgicale que nos camarades qui tuaient des animaux sains pour acquérir leur qualification. Depuis, d’autres étudiants dans d’autres écoles de médecine vétérinaire australiennes ont fait comme nous et, en 2005, des étudiants ont obtenu leurs diplômes dans chaque école sans avoir tué des animaux sains pendant leur formation chirurgicale.
AE : Vous avez publié plusieurs articles scientifiques excellents qui critiquent le “modèle animal” de maladies humaines. Pourriez-vous décrire l’utilité d’une “revue systématique” ?
AK : La question clé dans les débats autour de l’expérimentation animale est : dans quelle mesure cette expérimentation est-elle utile pour le progrès des soins donnés à l’homme ou pour prédire la toxicité de substances chimiques pour l’homme ? Après tout, si les responsables de la réglementation croient que des vies animales peuvent réellement sauver des vies humaines, ils se prononceront toujours en faveur de l’homme.
Jusqu‘à récemment, le débat scientifique sur l’utilité des expériences sur des animaux pour l’homme a reposé sur deux approches : les opinions d’experts et les études de cas. Toutefois, les opinions d’experts sont de plus en plus décrédibilisées car des opinions contradictoires affirmant aussi bien l’utilité pour l’homme que le contraire, abondent. Les opinions sur l’importance historique des études sur l’animal lors du développement de diverses thérapies humaines sont également variables.
Des listes de cas dans lesquels les résultats animaux et humains sont soit concordants soit discordants posent également problème. Cette approche est pourtant basée sur des preuves. Mais sa faiblesse inhérente est qu’un trop petit nombre d’expériences sont analysées et que leur sélection peut être entachée de partialité.
Donc, pour apporter des conclusions plus définitives, il est nécessaire de réaliser des revues systématiques d’un grand nombre d’expériences sur des animaux et de leur utilité en clinique ou toxicologie humaines. Les expériences examinées dans ces revues sont sélectionnées sans préjugés, par randomisation ou autres méthodes impartiales. Les revues doivent atteindre une rigueur et une impartialité scientifiques suffisantes pour être publiées dans des journaux scientifiques à comité de lecture. De telles revues scientifiques publiées sont les meilleures preuves.
Depuis 2005, j’ai réalisé de telles revues systématiques, elles ont été publiées, et j’ai à présent 16 publications majeures et de nombreux autres articles mineurs sur l’expérimentation animale et sur les problèmes bioéthiques liés. Ils sont disponibles surhttp://www.aknight.info rubri,que “Publications”.
AE : Pouvez-vous donner à nos lecteurs un bref panorama des sujets couverts par vos revues systématiques ?
AK : Ma première série majeure d‘études examinait la prédictivité pour l’homme des études de cancérogénicité sur l’animal. En examinant les données de toxicité pour 160 contaminants environnementaux, sources de préoccupations majeures pour la santé publique aux Etats-Unis, et en comparant l‘évaluation du risque pour l’homme faite par l’Agence de protection de l’environnement (EPA) et par le Centre international de recherche sur le cancer (sous tutelle de l’OMS), j’ai trouvé que les évaluations de l’EPAétaient fréquemment incorrectes et que la cause probable de ceci était une trop grande confiance dans les données animales.
Plus récemment, j’ai examiné l’utilité pour l’homme de l’expérimentation invasive sur le chimpanzé. En examinant un grand échantillon de telles expérimentations prises au hasard, j’ai établi que la plupart de ces expériences ne sont jamais citées dans les publications scientifiques ultérieures, ce qui signifie qu’elles n’apportent aucune contribution évidente au progrès des connaissances biomédicales, dans aucun domaine. Une petite proportion était citée dans des articles de médecine humaine. Toutefois, quand, avec deux collègues, j’ai examiné ces études, nous avons découvert que leur contribution était mince par rapport à d’autres sources de connaissances. Aucune étude sur des chimpanzés n’a fait de contribution essentielle et la plupart n’ont fait aucune contribution importante à ces études de médecine humaine.
J’ai aussi examiné des revues systématiques publiées sur l’utilité de l’expérimentation animale pour la clinique et la toxicologie humaines. Sur 20 revues sur l’utilité en clinique humaine, seuls 2 modèles animaux ont montré un potentiel significatif de contribution au développement d’interventions cliniques humaines, l’un des deux étant litigieux. Parmi ces 20 revues, il y avait des expériences dont les comités d‘éthique attendaient qu’elles mènent à des avancées médicales, des expériences faisant l’objet de maintes citations publiées dans les plus prestigieux périodiques scientifiques, et des expériences sur des chimpanzés -l’espèce généralement la plus prédictive des réactions humaines. Sept autres revues ont échoué à démontrer l’utilité de l’expérimentation animale pour prédire de façon fiable pour l’homme des effets cancérigènes ou tératogènes. Les résultats sur les animaux se sont souvent montrés ambigus ou sans concordance avec les effets sur l’homme. Par conséquent, les données animales ne peuvent généralement pas être considérées comme utiles pour ces applications.
L’acceptation réglementaire de modèles non animaux est normalement conditionnée à une validation scientifique formelle. Au contraire, les modèles animaux sont simplement supposés prédire les réactions humaines. Nos résultats démontrent l’invalidité de telles suppositions. La faible utilité en clinique et toxicologie humaines de la plupart des modèles animaux, ajoutée à leur coût substantiel en termes de bien-être animal et de dépenses financières, justifie amplement de rediriger des ressources limitées vers des domaines de recherche plus pertinents du point de vue scientifique et médical.
AE : Avez-vous jamais subi l’intimidation institutionnelle ou l’ostracisme par vos pairs ? Quels sont les principaux obstacles que vous avez rencontrés en essayant de faire entendre votre point de vue scientifique ?
AK : J’ai subi ces réactions de la communauté vétérinaire et de la recherche sur animaux dès la première année à l‘école vétérinaire. L’atmosphère à mon école était déplaisante pour les étudiants qui osaient contester l’utilité de sacrifier des animaux sains pour les besoins du cursus. J’ai parfois été confronté à des pénalités importantes, dont la possibilité d‘échouer au cours vétérinaire parce que je ne voulais pas tuer des animaux sains ni utiliser leurs corps. Beaucoup d‘étudiants et d’employés administratifs étaient secrètement, ou parfois ouvertement, hostiles. Une surprenante minorité me soutenait en privé mais peu osaient exprimer ce soutien publiquement. C’est une honte pour la profession de vétérinaire que de tels environnements soient la norme dans les écoles vétérinaires dans le monde et dans beaucoup d‘écoles -dont toutes les écoles australiennes. Les étudiants qui choisissent des méthodes d’enseignement avec humanité doivent suivre une voie rendue bien plus ardue que nécessaire.
J’ai mené des campagnes pour des méthodes d’enseignement avec humanité bien plus grandes que ce que j’avais d’abord osé. Le résultat est que j’ai eu des victoires auxquelles je ne serais jamais parvenu si l‘école avait été plus accommodante. J’ai acquis d’importantes compétences dans la recherche, l‘écriture, la prise de parole en public ou le contact avec les médias, compétences que j’ai continué à utiliser pour défendre les animaux par des moyens que mes professeurs n’auraient jamais souhaité.
Certaines de ces compétences ont été rudement mises à l‘épreuve, toutefois, quand j’ai tenté de publier, dans des revues biomédicales, des articles sur la faible utilité pour l’homme de l’expérimentation animale . Bien que beaucoup de chercheurs et de journaux scientifiques tendent avec succès vers l’idéal scientifique de minimiser les partis pris personnels, beaucoup d’autres sont très réticents envers quiconque cherche à critiquer l’expérimentation animale. Non seulement nous remettons en cause le statu quo mais nos travaux montrent implicitement que ceux qui effectuent des expériences invasives sur les animaux commettent de graves fautes morales. Sans surprise, ceci génère de fortes réactions psychologiques, que ceux au caractère le moins trempé sont incapables de surmonter. La difficulté est donc beaucoup plus grande lorsqu’on cherche à publier de tels articles dans des journaux scientifiques.
Toutefois, il y a un côté positif à la plupart des choses. Cette rude évaluation par les comités de lecture a considérablement renforcé ma propre capacité à développer la critique objective, ce que j’apprécie plus que d’autres, si ce n’est plus que toute autre, qualités. De plus, mes articles publiés sont devenus significativement plus forts car j’ai dû défendre pratiquement chaque mot auquel un opposant aurait pu objecter. Je suis aussi devenu un bien meilleur auteur scientifique.
La force et la valeur d‘études critiquant l’expérimentation animale qui ont réussi à être publiées dans des journaux biomédicaux à comité de lecture devraient être appréciées dans ce contexte.
Ces préjugés affectent aussi certaines conférences et réunions scientifiques. Bien que mon travail ait été honoré avec des récompenses à plusieurs conférences, il n’a pas été admis à d’autres. De même, certains journaux ont expéditivement rejeté des articles scientifiques que j’ai plus tard publiés dans d’autres périodiques. Des études sur le niveau et la nature des partis pris au sein de journaux et de conférences par rapport à la critique de l’expérimentation animale fourniraient de très intéressants résultats.