Début 2003, la Commission européenne semble donner un nouvel élan à un projet qui est dans l’air depuis quelques années : faire évaluer la toxicité de dizaines de milliers de substances chimiques qui sont couramment utilisées et, donc, auxquelles nous sommes potentiellement exposés. Elle donne à son projet le nom de REACH (« Regulation, Evaluation and Authorization of Chemicals »).
La Commission européenne a raison de vouloir évaluer les quelque 100 000 produits chimiques fabriqués par l’homme. Cependant, le fait que le projet REACH prévoit que ces évaluations seraient effectuées aux frais du fabricant, qu’elles impliqueraient le sacrifice de centaines de millions d’animaux et qu’elles ne seraient pas terminées avant plusieurs décennies au moins, inquiète les parties intéressées. Les industriels craignent pour leur compétitivité et leurs marges, les défenseurs des animaux s’élèvent contre ce qu’ils considèrent comme le plus vaste projet d’empoisonnement jamais organisé, les écologistes veulent obtenir le retrait des produits toxiques au plus vite, chaque jour perdu entraînant la disparition définitive d’espèces végétales ou animales et des pollutions irrémédiables ou très persistantes des ressources naturelles. Mais ce sont surtout les associations dont le but est de préserver la santé humaine qui s’indignent des carences de ce projet, à cause de l’inadéquation de la méthode envisagée pour l’évaluation de la toxicité des 100 000 substances. En effet, l’observation d’effets toxiques chez une espèce animale n’est valable que pour cette espèce, et l’extrapolation de cette observation à une autre espèce (l’espèce humaine, par exemple), est loin d’être fiable. L’évolution des statistiques sanitaires (mortalité par cancer et autres maladies graves) depuis l’introduction des produits chimiques dans notre environnement (en gros, depuis la fin de la seconde guerre mondiale), semble confirmer l’impact négatif de ces produits sur la santé humaine.
Le projet REACH fait l’objet de nombreuses critiques. Pourtant, l’objectif d’évaluer sérieusement les risques des substances chimiques qui nous environnent ou que nous absorbons, est une priorité absolue.
Au coeur de la controverse se trouve le procédé retenu pour l’évaluation des risques. REACH envisage le recours à l’expérimentation animale. Or, les progrès scientifiques récents permettent d’envisager des méthodes capables de répondre aux attentes des diverses parties intéressées : moins cher, plus vite, sans animaux et surtout valable pour l’homme.
Morbidité et de mortalité dans l’Union européenne : des tendances alarmantes
Plusieurs millions de citoyens européens souffrent de maladies neurodégénératives graves (maladies d’Alzheimer et de Parkinson, sclérose en plaques, autisme, etc.). Bien que pour la plupart de ces maladies, l’augmentation du nombre de cas soit corrélée grossièrement avec l’allongement de l’espérance de vie, cette augmentation rapide (sclérose en plaques en particulier) est observée aussi parmi les personnes âgés de 20 à 40 ans et même chez les enfants (autisme).
La montée la plus forte de morbidité et de mortalité a, cependant, été observée pour les cancers. En France, par exemple, depuis 1990, le cancer est devenu la première cause de mortalité chez les personnes âgées de 35 à 65 ans. Pour la classe d’âge des 45-49 ans, la proportion de morts dues à tous les cancers excepté celui du poumon a été multipliée par six entre 1950 et 1980 (par dix pour le cancer du poumon). 300 000 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués chaque année, avec une augmentation importante des cas vraisemblablement liés aux hormones : une femme sur treize était affectée du cancer du sein en 1970, une sur sept aujourd’hui.
Il est généralement admis que 5 à 10 % des cancers sont liés à des défauts génétiques. Ainsi, les facteurs exogènes, en particulier le style de vie (tabagisme, alcool, excès alimentaires, stress, etc.) et les produits carcinogènes présents dans notre alimentation et dans notre environnement sont responsables de neuf cancers sur dix. Comme les comportements à risque tendent à diminuer et que, par contre, le nombre et la quantité de produits chimiques nouveaux ne cesse d’augmenter, il est certain que ces derniers sont les principaux coupables des 1,7 millions de nouveaux cancers diagnostiqués dans les pays de l’Union européenne chaque année. Ceci prouve que ces produits n’ont pas été testés pour leur potentiel carcinogène, ou bien, qu’ils ont été testés par des méthodes qui n’ont pu détecter ce danger.
En ce qui concerne les médicaments, bien que leur développement suppose des années de recherche et des batteries de tests, leurs effets secondaires sont la quatrième cause de mortalité dans l’Union européenne, provoquant 20 000 décès annuellement en France et quelque 120 000 dans l’ensemble des pays de l’Union.
Comme requis par la loi, les tests de toxicité en général et pour les médicaments en particulier, doivent être effectués sur des animaux, c’est-à-dire des « modèles » dont on pense qu’ils présentent des réactions biologiques similaires à celles des humains.
Il y a une preuve simple et claire du fait qu’aucune espèce animale ne peut être prise comme modèle biologique fiable d’une autre. Une espèce est définie par son isolement reproductif, ce qui signifie que les membres d’espèces différentes ne peuvent pas se croiser. Cela est la conséquence du fait qu’une espèce donnée a un patrimoine génétique unique, qu’il s’agisse du nombre, de l’organisation et de la structure des chromosomes, ou de la régulation et du contrôle de l’expression génique. La biologie moderne a mis en évidence que le patrimoine génétique d’un individu détermine les activités biologiques précises de ses cellules, tissus et organes. Ainsi, les individus d’espèces différentes ont des patrimoines génétiques différents et présentent donc des activités biologiques différentes, pouvant, selon, paraître similaires, différentes ou opposées à celles d’une autre espèce. Du fait de ce comportement biologique aléatoire, l’affirmation que les membres d’une espèce donnée peuvent se substituer comme modèles biologiques fiables pour une autre espèce est fausse.
En particulier, l’hypothèse que les résultats obtenus chez certains mammifères seraient applicables aux humains est non fondée et compromet sérieusement la santé humaine.
Considérons, par exemple, le chimpanzé, notre parent le plus proche en termes évolutifs. Exposé au virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le chimpanzé ne développe pas de maladie – chez les humains, ce virus provoque le SIDA. Si on lui injecte le virus de l’hépatite B, un chimpanzé sur dix peut développer une forme atténuée d’hépatite et il récupérera rapidement – chez les humains, ce virus provoque une hépatite chronique et parfois le cancer du foie. Et, quand on lui injecte le virus Ebola, le chimpanzé meurt de fièvre hémorragique, comme les humains. En d’autres termes, le meilleur modèle animal se comporte d’une manière opposée, différente ou identique aux humains, face à un facteur donné. Personne ne pourrait avoir prévu ces résultats, qui ne peuvent être obtenus qu’après observation chez les deux espèces. Tester sur les modèles animaux est donc inutile au mieux, dangereux au pire, parfois fatal pour les humains : le scandale français du sang contaminé a eu lieu parce que les « experts », notant que le chimpanzé ne présentait pas de réaction, ont approuvé la mise sur le marché de ce sang.
Une estimation conservatrice du nombre de morts en France, résultant de cette méthodologie imparfaite d’évaluation de la toxicité des médicaments et produits carcinogènes seuls, est de 100 000 à 120 000 décès par an. En supposant que des taux similaires per capita soient valides dans les autres nations de l’Union européenne, quelque 600 000 à 750 000 citoyens européens mourront prématurément année près année, à cause des effets secondaires des médicaments et des produits carcinogènes présents dans notre environnement.
Comment évaluer correctement le risque toxique pour les humains ?
Recourir aux animaux pour évaluer les risques toxiques pour les humains nous ramène à des temps médiévaux, quand c’était la seule manière d’avoir une vague indication du risque. A présent, la révolution scientifique nous propose des moyens beaucoup plus fiables.
C’est dans la cellule que la vie commence. Il n’est donc pas surprenant (et c’est entièrement soutenu par la biologie moderne) que les réponses à pratiquement tous les problèmes biologiques doivent d’abord être recherchées au niveau de la cellule. Les maladies humaines ont presque toutes une origine cellulaire, que la cause soit endogène (dans l’organisme) ou exogène (hors de l’organisme). Ceci est vrai pour le cancer, les neuropathologies et les maladies cardiovasculaires, pour citer les maladies les plus fréquentes et graves dans les pays développés. Les dommages causés à une cellule par une substance toxique est la première étape des maladies.
L’étude des cellules humaines cultivées en présence de produits toxiques sera donc la première étape pour une évaluation fiable de la toxicité de ces produits pour les humains. La biologie moderne a aussi fait des progrès spectaculaires dans l’étude des systèmes intégrés au niveau du tissu, de l’organe et systémique. Des méthodes non invasives (diverses tomographies, tests fonctionnels des activités biochimiques dans les organes, etc.) permettent l’évaluation complète du risque de substances auxquelles les consommateurs sont fortement exposés (médicaments, additifs alimentaires, pesticides, etc.).
La toxicologie scientifique
La toxicité peut provoquer des réponses aiguës et systémiques ; ces réponses peuvent être retardées du fait d’une accumulation de dommages mineurs qui arrivent finalement à surmonter la défense cellulaire et les mécanismes de réparation, ou bien, parce que le développement de la maladie est long. Un exemple typique de ce retard est le cancer, car il faut en moyenne cinq à dix ans entre le déclenchement de la prolifération d’une cellule et le diagnostic de la tumeur. Les états neurodégénératifs sont aussi très longs à apparaître. D’où la nécessité d’évaluer les réponses toxiques à la fois à court et à long terme.
Les études cellulaires sont adaptées à cette fin. Elles sont réalisées idéalement sur des cultures primaires, mais les lignées cellulaires établies permettent des examens préliminaires faciles. Un complément intéressant aux méthodes décrites ci-dessous est l’évaluation in silico des effets toxiques d’une molécule, dérivés de sa structure chimique (relation structure – activité), qui est de plus en plus fiable dans la prévision des activités biologiques néfastes de la molécule avant même qu’elle n’ait été synthétisée.
Toxicologie moléculaire et cellulaire.
Pour entrer dans la cellule, la substance chimique doit traverser des barrières lipidiques ou aqueuses et doit parfois être métabolisée à cette fin. Cela mobilise divers gènes codant pour des enzymes de métabolisation spécifiques, des facteurs de transcription nucléaires, des transporteurs de molécules, etc. Les métabolites obtenus doivent être soigneusement identifiés, car certains sont très toxiques, même si la substance d’origine ne l’est pas. Comme la substance transitera forcément par le rein et le foie, les cellules de ces organes doivent être testées en premier. Plusieurs méthodes permettent de le faire : le test in vitro de l’activité enzymatique des gènes impliqués ; les puces à ADN (kits disponibles dans le commerce), qui permettent le contrôle de l’expression d’un grand nombre de ces gènes ; l’identification des métabolites par spectrométrie de masse ; etc.
Une fois que la substance ou ses métabolites sont entrés dans la cellule, l’effet sur cette dernière et sa descendance doit être contrôlé. En réponse à une agression, même modérée, la cellule mobilisera encore une série de gènes, soit pour se protéger soit pour réparer le dommage. De nombreux gènes de stress ou d’enzymes de réparation sont connus et peuvent être recrutés comme « reporters » : ils fournissent des informations sur la cible de la substance, l’étendue du dommage et la capacité de la cellule à le surmonter. Les reporters permettent aussi de contrôler le devenir de la cellule exposée à diverses doses du produit, nous informant sur sa capacité à survivre et comment elle va faire face au produit à long terme. A présent, des cellules chargées de gènes reporters sont disponibles dans le commerce, permettant la mise en évidence rapide et peu coûteuse de divers types de dommages (à l’ADN, à la membrane, etc.).
L’inconvénient des reporters est la nécessité de deviner le ou les gène mobilisés par la substance. Ce problème est surmonté avec les puces à ADN portant des centaines ou des milliers de gènes connus pour être impliqués dans la réponse toxique. Par des manipulations biochimiques standard, l’expression de chacun de ces gènes peut être visualisée, que ces gènes soient stimulés, réprimés ou non affectés par la substance.
Les puces à ADN sont actuellement les outils de pointe pour suivre la première partie – la transcription – de l’expression génique. Pour avoir une vue complète de l’effet de la substance sur l’expression génique, la deuxième partie de cette expression – la traduction, au cours de laquelle la protéine est réellement synthétisée – doit aussi être suivie. Cela peut être fait avec les outils appropriés : gel 2D d’électrophorèse capillaire, puces de protéines, spectrométrie de masse et nombreuses nouvelles méthodes en développement rapide.
Les effets génotoxiques doivent être contrôlés avec une attention particulière, car l’échec de cette évaluation est le principal facteur responsable de la montée importante de l’incidence du cancer observée ces 50 dernières années. Les mutations de l’ADN peuvent être contrôlées par de nombreuses techniques, directement (séquençage) ou indirectement en contrôlant l’expression des gènes de réparation de l’ADN. La tumorigenèse est favorisée par la mutation ou l’inactivation de gènes impliqués dans la régulation de la croissance et de la division cellulaires. Ces mutations dérèglent le contrôle de la mort cellulaire programmée, qui se fait normalement en réponse aux facteurs de croissance, de la migration cellulaire, etc. Des puces à ADN déjà disponibles permettent de caractériser le statut de la transcription de plusieurs centaines de gènes impliqués dans la tumorigenèse.
Les événements carcinogènes peuvent aussi être induits par des mécanismes non génotoxiques se produisant à diverses étapes du cycle cellulaire ou au niveau de l’organisation supérieure du matériel génétique. Les dénommés « suppresseurs de tumeurs » présentent un grand intérêt. Parmi ceux-ci, la protéine p53, par exemple, contrôle l’intégrité du matériel génétique de la cellule. Si un événement mutagène se produit, p53 interrompt le cycle cellulaire jusqu’à ce que le dommage soit réparé. Si la réparation n’a pas pu être faite en quelques heures, p53 force la cellule au suicide, empêchant la transmission du dommage à sa descendance. Les substances qui endommagent p53 (ou d’autres suppresseurs de tumeurs), aboliront cette activité de gardien et les mutations pourront alors se propager à la descendance de la cellule et, éventuellement, induire une prolifération cellulaire incontrôlée. Plus de la moitié des tumeurs solides portent des formes inactives de p53. De nombreux kits commerciaux sont disponibles pour contrôler l’état des suppresseurs de tumeurs. Des puces à ADN sont aussi disponibles pour contrôler l’expression de centaines de gènes humains impliqués dans les étapes majeures de la tumorigenèse : dérégulation des voies de la croissance et de la division cellulaire, réponse au dommage de l’ADN, stabilité et réparation du génome, adhésion cellulaire, invasion, métastase, angiogenèse, etc.
Les substances cytotoxiques ciblent l’organisation de la cellule, son équipement, son métabolisme, etc. Cette toxicité est souvent signalée par l’expression intense des gènes de stress (en particulier du stress oxydatif). La cytotoxicité peut être établie en contrôlant l’expression d’une longue liste de gènes de ménage et de gènes impliqués dans la nécrose, l’arrêt de croissance, la sénescence, etc.
Des méthodes spécifiques existent pour l’évaluation d’une variété de substances qui ciblent des fonctions biologiques particulières. En voici une courte liste :
La toxicité reproductive peut être contrôlée au niveau cellulaire par l’étude de l’activation des récepteurs hormonaux présents à la surface de cellules spécifiques. Par exemple, les « proliférateurs endocriniens » (tels certains insecticides) peuvent imiter les hormones naturelles et induire de façon excessive le signal spécifique d’une hormone, ou saturer des récepteurs et ainsi en empêcher l’accès à l’hormone normale. Pour mettre en évidence ces effets, il cultiver des cellules prélevées dans les organes et tissus sensibles (sein, ovaire, prostate).
La toxicité affectant le développement (y compris la tératogenèse) peut être évaluée grâce à des puces à ADN comportant de nombreux gènes humains impliqués dans la régulation des différentes phases du cycle cellulaire.
La neurotoxicité peut résulter de l’action de la substance sur les molécules impliquées dans la communication neuronale – une majorité d’insecticides ciblent ces molécules ! Les puces à ADN portant les gènes des canaux ioniques et des transporteurs de neurotransmetteurs sont disponibles pour contrôler l’effet d’une substance sur ces acteurs essentiels en neurobiologie. Les agents neurotoxiques peuvent aussi cibler les cellules neuronales en affectant leur capacité à synthétiser des protéines dans leur conformation native. Les protéines mal conformées tendent à s’accumuler dans ou autour de la cellule, à s’agréger et à former des fibres, des plaques ou des enchevêtrements qui forcent la cellule au suicide ou affectent la communication entre cellules. Les maladies de Parkinson, la maladie d’Alzheimer ou de Creutzfeldt-Jakob (variante humaine de la vache folle) et plus de vingt autres formes de démence appartenant à la famille des « maladies conformationnelles » peuvent résulter de la production de protéines mal repliées. Tester les substances pour leur capacité à induire le mauvais repliement des protéines, directement en utilisant les gènes reporters, est une nécessité urgente, si l’on considère le nombre important de patients âgés et, de plus en plus, les personnes de moins de 40 ans souffrant de maladies conformationnelles affaiblissantes.
L’inflammation est à la fois la réponse normale du corps aux pathogènes et un intermédiaire clé d’états tels que l’allergie, l’asthme ou l’arthrite, qui peuvent être induits par les substances chimiques. La cascade de signalisation de la réponse inflammatoire est propagée par la sécrétion de petites glycoprotéines (cytokines) et leur liaison à des récepteurs de cellules cibles. Les puces à ADN portant des dizaines de gènes de cytokines humaines impliquées dans la réponse inflammatoire et des gènes de leurs récepteurs, sont disponibles et permettent d’évaluer l’immunotoxicité.
Pour tenir compte du polymorphisme humain, c’est-à-dire des différences notables constatées entre différents individus, il peut être envisagé d’utiliser des puces à ADN spécifiques de chaque classe et qui permettraient ainsi de lister les substances particulièrement dangereuses ou, au contraire, sûres pour les membres de la classe. Par exemple, un polymorphisme humain important est trouvé dans la famille des cytochromes P450, des enzymes de métabolisation des substances qui jouent, justement, un rôle important dans la susceptibilité aux différentes substances chimiques. Ce polymorphisme pourrait expliquer pourquoi certaines personnes sont affectées par les effets secondaires de tel médicament alors que d’autres n’y sont pas sensibles.
De nombreuses cellules reçoivent des signaux externes (des hormones) qu’elles transduisent (traduisent) et en réponse auxquels elles effectuent telle ou telle opération. Les récepteurs couplés à la protéine G, par exemple, forment une grande famille de récepteurs de surface impliqués dans la transduction de signal. Ils sont activés par une grande variété de produits chimiques et la plupart des médicaments. A nouveau, les puces à ADN portant des centaines de gènes humains impliqués dans la transduction de signal peuvent mettre en évidence l’action des substances sur ces gènes.
Le devenir de la matrice extracellulaire (le substrat auquel les cellules s’attachent, via les molécules d’adhérence, pour aider à définir la forme, la structure et la fonction du tissu), quand elle est exposée à une substance, peut être contrôlé via le profil d’expression de molécules impliquées dans les interactions cellule-cellule et cellule-tissu, telles que les molécules d’adhérence cellulaire (intégrines, cadhérines, caténines, sélectines), les protéines de la matrice extracellulaire (lamines, fibronectine, fibrinogène), les protéases et les inhibiteurs de protéases. Les réseaux à ADN sont disponibles pour contrôler l’expression de centaines de gènes impliqués, fournissant des informations valables sur l’effet d’une substance sur les étapes primaires du développement du tissu et de l’organe.
En résumé, en utilisant les techniques basées sur la toxicité moléculaire, nous pouvons obtenir une vue claire du mécanisme par lequel la substance ou le produit est dangereux, à quelle dose la cellule peut résister et, le plus important, l’effet à long terme sur la cellule. L’expérience prend quelques jours en moyenne, peut être effectuée en grands ensembles parallèles de criblage (divers types cellulaires ou doses, par exemple), est relativement peu coûteuse, facile à standardiser et nécessite des quantités infimes de la substance (important dans le test des médicaments). Les résultats sont quantitatifs (large plage de dose-réponse linéaire), reproductibles et, le plus important, sont valides pour l’espèce qui a fourni les cellules. Ces points représentent des avantages scientifiques et économiques certains, même si des compétences techniques de pointe sont nécessaires pour la plupart de ces méthodes.
Toxicologie au niveau de l’organe, du tissu et systémique
Nous estimons que l’évaluation du risque toxique par des approches moléculaires et cellulaires peut être étendue de façon pratiquement fiable à l’organe, au tissu et au niveau systémique. Néanmoins, la faible incertitude restante doit encore être réduite, en particulier pour les médicaments et les produits auxquels les consommateurs sont exposés pendant de longues périodes ou à des doses élevées (additifs alimentaires, pesticides). Dans certains cas, le produit peut être testé sur des tissus perfusés ou des tranches d’organe. Du fait des problèmes de fourniture et de dégradation rapide des tranches, ces tests sont difficiles à effectuer en routine. Il est plus facile de s’en remettre aux méthodes non invasives sur des volontaires humains en conditions de test clinique strictes pour contrôler l’effet du produit sur le tissu ou l’organe en fonctionnement in situ. Les techniques d’imagerie (MRI, PET, scan, etc.) ont une valeur particulière puisqu’elles permettent d’identifier l’organe affecté et de visualiser le métabolisme et l’élimination du produit. Des informations complémentaires valables sur le fonctionnement d’organes particuliers peuvent être obtenues par les tests biochimiques et biomédicaux standard.
Avantages de la toxicologie scientifique par rapport à l’évaluation de la toxicité basée sur les animaux
Comme montré précédemment, les réactions biologiques des individus d’une espèce donnée sont uniques. Les individus d’espèces différentes peuvent, à l’occasion, présenter des réponses grossièrement similaires quand ils sont exposés au même produit toxique, mais on ne doit jamais se laisser tromper par ces phénomènes de hasard.
Le mécanisme par lequel un produit induit une réaction pathologique peut être assez différent dans des espèces différentes. Parmi les médicaments utilisés, 60 % sont métabolisés, chez les humains, par le même membre de la famille des cytochromes P450, mais plusieurs membres différents de cette famille d’enzymes sont impliqués chez les singes, les chiens ou les rongeurs. La toxicologie scientifique, en identifiant précisément les gènes sollicités dans la réaction à la substance, permet de déduire le mécanisme d’action de cette substance.
Par ailleurs, les effets à long terme chez les humains sont impossibles à évaluer dans un espèce avec une espérance de vie plus courte. Chez les souris, le développement spontané du cancer commence à l’âge de 10 mois, alors que chez les humains il commence en général après l’âge de 40 ans, et les mécanismes qui favorisent le cancer sont très différents dans chaque espèce. La susceptibilité au cancer de différentes souches de souris peut varier jusqu’à cent fois, certaines souches tolérant, sans effets de maladie apparents, des doses d’oestrogène plusieurs fois supérieures à celles qui rendent malades d’autres souches. Même si les réponses grossières dans deux espèces différentes se ressemblent sur le court terme, le mécanisme sous-jacent qui détermine le résultat à long terme est très vraisemblablement différent et peut donc aboutir à des résultats très différents au fil des années.
Avantages pour les parties intéressées
L’avantage le plus évident serait la sécurité du consommateur. En identifiant les produits favorisant le cancer, la prévention en serait significativement améliorée. Nous estimons que les chiffres de morbidité du cancer seraient ainsi divisés par deux les trois à cinq années suivantes. L’évaluation fiable de la toxicité des médicaments pourrait sauver des dizaines de milliers de vies chaque année. Les substances neurotoxiques (80 % des insecticides sont neurotoxiques pour les insectes ; qu’en est-il pour les humains ?) pourraient être identifiées et retirées du marché, prévenant les dommages du développement neuronal des enfants – selon la FDA, l’insecticide roténone entraînerait de tels dommages. La détection et le retrait des proliférateurs endocriniens éviterait à la fois le développement anormal des organes sexuels et de la plupart des cancers induits par les hormones (sein, ovaire, prostate).
Une sécurité du consommateur améliorée entraînerait le soulagement immédiat des coûts socio-économiques résultant des maladies, dont les taux sont présentement en plein essor dans les pays de l’Union européenne.
L’industrie trouverait de nombreux avantages à la toxicologie scientifique. Les expériences ne prennent que quelques jours en moyenne, sont relativement peu coûteuses, faciles à standardiser et nécessitent des quantités infimes du produit à tester. La compréhension du mécanisme de l’effet toxique peut permettre aux chimistes de modifier le produit pour annuler ou réduire sa toxicité (avec l’aide des modèles de relation structure-activité, par exemple) ou pour améliorer sa qualité – et l’image du fabriquant !.
Bien que des compétences techniques avancées soient nécessaires pour la plupart des méthodes de toxicologie scientifique et que l’équipement de laboratoire requis soit coûteux, cela serait plus que contrebalancé par les avantages scientifiques, économiques et de santé publique. De plus, des économies d’échelle pourraient rapidement être réalisées.
La toxicologie scientifique peut s’appliquer à n’importe quelle espèce et peut donc être utilisée pour évaluer les toxicités environnementales dans toute espèce animale ou végétale.
En évitant le sacrifice de millions d’animaux, la toxicologie scientifique satisferait les associations de protection animale.
Enfin, la mise en oeuvre des méthodes de toxicologie scientifique améliorerait l’image de l’Union européenne, à la fois à l’intérieur des pays membres (les consommateurs seraient reconnaissants pour une meilleure protection de leur santé) et à l’extérieur, car l’Union pourrait montrer la voie d’une amélioration du traitement des problèmes de santé environnementale dans le monde entier.
Comment mettre en oeuvre la toxicologie scientifique dans l’Union européenne ?
Une stratégie pour introduire la toxicologie scientifique pourrait être basée sur les étapes suivantes :
1. Elaborer un programme de toxicologie scientifique détaillé. A cette fin, créer et financer un comité de spécialistes. Les chercheurs d’Antidote Europe, qui ont déjà organisé des colloques internationaux sur ce sujet, sont prêts à apporter leur expérience et à renouer les contacts avec nombre de leurs collègues, dans différents pays, qui n’ont cessé d’améliorer ces techniques dans les dernières années.
2. Financer et mettre en place un laboratoire pilote européen de toxicologie scientifique.
3. Financer et former des toxicologues. Organiser un cours de formation de 6 à 8 mois dans le laboratoire pilote pour les étudiants de maîtrise et de post-maîtrise de tous les pays européens, avec des conférences et des cours donnés par les spécialistes de chaque technique.
4. Encourager tous les pays de l’Union européenne à mettre en place des laboratoires pilotes et des centres de formation.
5. Encourager les initiatives industrielles de conversion à la toxicologie scientifique.
6. Publier des directives établissant que tout nouveau produit mis sur le marché doit avoir été testé par les méthodes de toxicologie scientifique, aux niveaux moléculaire et cellulaire pour les produits pour lesquels l’exposition est limitée, et au niveau du tissu ou organe (en particulier le foie et le rein) et systémique pour les produits pour lesquels l’exposition est importante (médicaments, additifs alimentaires, pesticides, etc.). Les produits déjà sur le marché devraient être testés par les méthodes de toxicologie scientifique dans les trois à cinq ans. Ceux qui ne passeraient pas le test devraient être retirés.