SIDA : et si la thérapie définitive existait déjà ?

Parmi les travaux du Pr Claude Reiss, une possible thérapie du sida, dont le brevet a été délivré, le 27 avril 2004, aux Etats-Unis. Pourquoi les autorités françaises lui tournent-elles le dos ?

Le virus du sida (VIH) s’attaque à certaines cellules de notre système immunitaire. Il parvient à échapper à nos défenses et s’adapte pour n’être pas affecté, non plus, par les médicaments actuels. Son cycle de vie et la qualité des particules virales produites à chaque étape de reproduction reposent sur l’une de ses enzymes, la reverse transcriptase. En effet, le VIH est un rétrovirus. Ses gènes sont donc conservés sous forme d’ARN et non d’ADN comme dans la plupart des organismes. Mais son cycle de vie inclut obligatoirement une étape où l’ARN est transcrit en ADN. Cette étape est importante car c’est la fiabilité de cette transcription qui va déterminer les chances de survie de la descendance du virus. Or, il se trouve que la reverse transcriptase, en charge de cette opération, n’est pas une très bonne copieuse. Paradoxalement, c’est ce qui confère au VIH sa stratégie gagnante : le petit nombre de copies conformes suffit à assurer la génération suivante et, comme cette génération est déjà légèrement différente de la précédente, notre système immunitaire se retrouve, à chaque génération, face à un ennemi nouveau et inconnu.

La recherche

Alors qu’il était encore directeur de recherche au CNRS, Claude Reiss a, avec sa collaboratrice, Valérie Derrien, cherché une voie thérapeutique du sida tirant avantage de la stratégie particulière du virus, plutôt que se lancer dans une recherche de nouveaux antiviraux. Ces derniers ne sont pas capables d’éliminer le virus, car il mute en permanence et finit ainsi par trouver un moyen d’échapper à l’action de la médication antivirale. Cette même stratégie lui permet aussi d’échapper aux globules blancs, car sa mutation incessante lui donne un habillage sans cesse renouvelé qui n’est pas reconnu par les globules blancs présents. Le système immunitaire est obligé de refaire des globules blancs reconnaissant le nouvel habillage, ce qui prend plusieurs jours alors que le virus a un cycle d’infection de moins d’un jour. S’engage donc une course poursuite entre le virus et le système immunitaire, qui est perdu par ce dernier car le virus fait toujours la course en tête ; sa cible est précisément le système immunitaire et le répertoire de ce dernier est sollicité jusqu’à épuisement.

L’idée du travail était non pas de tuer le virus (puisqu’il ne se laisse pas tuer), mais de l’amener à s’éliminer lui-même en nous emparant du contrôle de sa dérive mutationnelle : si on l’augmente, le virus sera criblé de tellement de mutations qu’il ne sera plus infectieux et donc, incapable de se reproduire, il disparaîtra ; si au contraire on diminue cette dérive mutationnelle, on peut voir apparaître une lignée virale stable avec un habillage constant, ce qui permettrait aux globules blancs de l’éliminer. Pour arriver à cette fin, il suffirait de fournir au virus une matière première pour fabriquer son ADN avec plus ou moins de mutations. De telles substances se trouvent en abondance, mais mélangées, dans tout organisme vivant. Pour en faire un médicament, il suffirait de les extraire, les trier et les « énergiser » biochimiquement.

Pour nos lecteurs biologistes, précisons que cette matière première est notamment contenue dans l’ARN de transfert. Le code génétique associe 61 codons de 3 bases chacun choisies parmi les 4 bases A,T,G,C, aux 20 aminoacides, dont tous sauf deux sont codés par plus d’un codon. L’anticodon d’un ARN de transfert chargé de livrer au ribosome un aminoacide donné devra donc souvent reconnaître avec précision deux (ou plus) codons dont en général la dernière base varie. Ainsi la première base de l’anticodon (position dite wobble) peut s’apparier (wobble pairing) avec deux ou plus de bases, ce qui serait interdit dans l’appariement Watson-Crick traditionnel. Pour corriger ce « flou », ces ARN de transfert portent en général à côté de la dernière base de l’anticodon une base modifiée particulière destinée, semble-t-il, à renforcer l’appariement Watson-Crick des deux dernières bases de l’anticodon avec les deux premières bases du codon. La base de la position wobble relaxe l’appariement Watson-Crick, tandis que celle à côté de la dernière base de l’anticodon le renforce, la première facilite la mutation, la seconde tend à l’interdire. Beaucoup de ces bases modifiées sont acceptées comme substrats par la réverse transcriptase. Fin de la parenthèse pour initiés !

Nous avons montré in vitro que des extraits des ARN de transfert permettent de contrôler la dérive mutationnelle du virus du sida, soit pour l’augmenter et empêcher le virus de se reproduire, soit pour la diminuer et permettre au système immunitaire de s’en saisir. Les deux solutions sont intéressantes. Avec une reverse transcriptase plus efficace, il se produit moins de mutations dans la descendance du virus et nous pouvons espérer que le système immunitaire parviendra enfin à l’identifier et à le détruire et d’ailleurs par la même occasion vaccinera le patient contre ce virus ; ce serait la meilleure solution mais elle suppose que le patient ait encore des défenses immunitaires en bon état. Avec une reverse transcriptase moins efficace, la descendance du virus ne serait pas suffisante pour assurer les générations suivantes et, donc, il disparaîtrait de l’organisme, une solution plus indiquée pour les patients dont le compte de globules blancs est déjà bas.

Les applications

Ces travaux ont donné lieu à une demande par le CNRS de brevet en France, puis dans de nombreux autres pays. Après les longues années d’examen, délai courant dans ce genre de procédures, le brevet a été délivré aux Etats-Unis, le 27 avril 2004 (brevet No US 6,727,059 consultable sur le site Internet de l’Office américain des brevets : www.uspto.gov). D’autres pays devraient suivre.

Mais le CNRS n’a pas souhaité aller plus loin dans ces recherches. Claude Reiss cherche donc des mécènes. Le programme des derniers essais pré-cliniques est établi dans le détail. Il pourrait être réalisé en un peu moins d’une année, pour un coût de 2 millions d’euros.