Un professeur d’épidémiologie et d’autres sciences médicales dénonce la mauvaise utilisation de fonds publics alloués à la recherche biomédicale, en partie faite sur des animaux. Lauréat 2016 d’un prix prestigieux décerné par l’Institut national de la santé états-unien, le professeur Michael Bracken appelle à réduire le gaspillage et à augmenter la valeur de la recherche.
Par Hélène Sarraseca
L’Institut national de la santé des Etats-Unis (NIH) est sans doute l’un des plus grands financeurs au monde -avec des fonds publics- de recherche biomédicale. Il n’a pas hésité à décerner en 2016 un prestigieux prix au professeur Michael Bracken, ni à l’inviter à donner une conférence le 20 avril dernier dans la non moins prestigieuse série Wednesday Afternoon Lecture (Conférences du mercredi après-midi) à l’auditorium Masur mis à disposition par cette institution. Pourtant, Michael Bracken est très critique de l’utilisation qui est faite des fonds publics alloués à la recherche biomédicale.
Le titre de sa conférence donne le ton : « Inefficacité et gaspillage dans la recherche biomédicale : dans quelle mesure, avec quelles causes et comment l’éviter ? » Dotée de 200 milliards de dollars chaque année dans le monde (dont 30 milliards par le NIH), près de 87,5% de la recherche biomédicale serait inefficace. « Le gaspillage n’est pas qu’une affaire d’argent et de ressources », souligne le Pr Bracken. « Cela peut entraîner des dommages à la santé des personnes. »
Recherche animale : « 40 ans de retard ! »
Sur 100 projets de recherche, seule la moitié donnerait lieu à des découvertes publiées, donc accessibles à la communauté scientifique et au public et susceptibles ainsi de contribuer à la progression des connaissances. Mais de cette moitié, il faut encore retirer les données qui ne sont pas fiables, celles qui sont redondantes et celles qui sont inutiles en raison de travaux antérieurs.
La recherche préclinique, en particulier sur des animaux, est jugée particulièrement inutile. Lorsqu’ils réalisent des études sur l’homme, les chercheurs utilisent le plus souvent des méthodes dites « en aveugle », ou « en double aveugle », de façon à ne pas influencer le résultat selon les attentes des expérimentateurs. Or, ce principe est largement ignoré dans la recherche animale. Le Pr Bracken estime que la méthodologie appliquée aux études sur des animaux a 40 ans de retard par rapport à celle utilisée pour des études cliniques sur l’homme.
Ce scientifique n’en est pas à ses premières déclarations sur le sujet. Nous avons plusieurs fois cité dans La Notice d’Antidote l’un de ses articles, intitulé « Où sont les preuves que la recherche animale profite bien à l’homme ? », publié dans le British Medical Journal le 28 février 2004. Michael Bracken récidivait le 8 janvier 2014 dans The Lancet, autre revue médicale très prisée, avec cet autre titre : « Comment augmenter la valeur et réduire le gaspillage quand les priorités de la recherche sont établies ». Au cours de sa carrière, il a publié quelque 380 articles dans la littérature scientifique et trois livres. Son dernier ouvrage a été qualifié par le British Medical Journal comme l’un des plus influents dans le domaine de la médecine basée sur des preuves.
Quelle recherche faire ?
Certaines bonnes idées ne donnent pas les résultats escomptés mais, dans la mesure où les recherches sont menées dans la transparence, il n’y a pas de gaspillage, seulement des déceptions inhérentes à la façon dont la science avance. D’autres recherches ne mènent pas à des découvertes importantes « en partie parce qu’elles sont faites pour améliorer la compréhension de mécanismes de base qui peuvent ne pas être pertinents pour la santé humaine ». Michael Bracken et ses coauteurs recommandent : d’améliorer le rendement de la recherche fondamentale ; d’améliorer la transparence avec laquelle les organismes financeurs prennent en compte les besoins des utilisateurs potentiels de la recherche ; d’évaluer les données existantes avant de lancer de nouvelles recherches ; d’améliorer les sources d’information sur les recherches en cours. « Les financeurs ont une responsabilité première pour la réduction du gaspillage découlant des décisions sur les recherches à mener », concluent-ils.
La recherche fondamentale, qui utilise un grand nombre d’animaux pour des expériences qui peuvent être douloureuses, ne mène à des applications utiles en thérapie humaine que dans 0,004% des cas, selon une étude publiée en 2003 par l’American Journal of Medicine. L’utilisation de fonds publics pour des recherches à si faible « rendement » ne devrait-elle pas être soumise à l’approbation des contribuables ?
Quant aux conseils donnés pour réduire le gaspillage, notamment par duplication d’études, certains relèvent du bon sens et on s’étonne qu’il faille encore les dispenser. Des revues systématiques pour les protocoles de recherche devraient être effectuées, dit Michael Bracken. Une revue systématique est une synthèse de la littérature qui suppose de collecter et d’analyser tous les articles scientifiques pertinents dans le domaine de la recherche envisagée, dans le but de réunir les meilleures preuves existantes sur le sujet. Le Pr Bracken conseille de réaliser les revues au fur et à mesure que la recherche est publiée. Les chercheurs estimeraient ainsi en temps réel si de nouvelles études sont nécessaires. Parce que des protocoles de recherche sont conçus et financés sans que soit fait ce travail élémentaire préalable ?
Dans le tout premier numéro du New England Journal of Medicine, publié il y a plus de deux siècles, le premier article commençait ainsi : « Dans nos investigations sur tout sujet particulier de médecine, nos efforts seront réduits et orientés vers leurs objets adéquats par la connaissance des découvertes précédentes. » Il semble que la leçon n’ait toujours pas été apprise. Au détriment de la santé humaine. Répéter des études quand il y a déjà des éléments suggérant qu’un traitement est efficace, par exemple, « signifie que des patients sont soumis à un placebo alors qu’ils pourraient recevoir une thérapie active », déplore Michael Bracken.
A quand une science et une médecine responsables ?
L’utilisation de singes pour la recherche biomédicale et la toxicologie est défendue au motif que ces animaux seraient les plus semblables à l’homme. Toutefois, les autorités reconnaissent que les connaissances sur leur intelligence, leur sensibilité et leur comportement posent des problèmes éthiques. La population européenne est d’ailleurs majoritairement opposée à leur utilisation dans les laboratoires. Antidote Europe apporte des arguments scientifiques sur l’inutilité, voire le danger pour la santé humaine, de l’utilisation de singes en tant que modèles biologiques de l’homme.
La directive européenne 2010/63/UE, encadrant l’utilisation d’animaux pour la recherche biomédicale, la recherche fondamentale et les essais de toxicologie, a été adoptée en 2010, en remplacement de la directive 86/609/CEE, première législation européenne en la matière. En raison de l’avancée rapide des connaissances scientifiques, les autorités ont prévu de réviser cette directive périodiquement avec l’objectif final, disent-elles, de remplacer les essais sur des animaux lorsque des méthodes alternatives seront disponibles.
La directive 2010/63 répond à l’impératif des 3Rs, énoncés par Russel et Burch en 1959 : réduire, rationaliser, remplacer les essais sur des animaux autant que possible selon la disponibilité des méthodes dites « alternatives ». La principale critique que nous faisons au principe des 3Rs et à la directive 2010/63 est qu’ils ne tiennent pas compte des arguments scientifiques, de plus en plus forts, qui démontrent que les expériences sur des animaux ne permettent pas de prédire les réactions humaines. Le « modèle animal » n’a aucun fondement scientifique.
Le cas particulier des singes
Chaque espèce animale réagissant avec sa propre physiologie, déterminée par ses propres gènes, il s’avère que les « prédictions » obtenues sur l’animal ne sont pas fiables pour l’homme. L’ensemble des gènes d’une espèce animale donnée, et plus encore la régulation de l’expression de ces gènes, est unique dans tout le règne animal (dont l’espèce humaine fait partie).
Prétendre que les singes, de par leur proximité évolutive avec l’espèce humaine, seraient de meilleurs « modèles » biologiques que d’autres animaux, ne résiste pas à un argumentaire scientifique sérieux. Or, c’est toujours sur la base de cette affirmation sans fondement que leur utilisation est justifiée par les autorités. Celles-ci sont pourtant de plus en plus attaquées par une opinion publique de mieux en mieux informée et de plus en plus opposée à l’utilisation d’animaux aussi semblables, dans leur sensibilité, à l’espèce humaine.
Selon les dernières statistiques européennes, plus de 6.000 singes, sur un total d’environ 11 millions d’animaux, auraient été utilisés dans les laboratoires en 2011. En gros, 56% de ces singes auraient subi des essais de toxicologie et autres évaluations de sécurité, 10% auraient servi à la recherche fondamentale et 23% à la recherche appliquée, le développement et le contrôle de qualité de produits et dispositifs pour la médecine humaine, la dentisterie et la médecine vétérinaire (http://ec.europa.eu/health/scientific_committees/docs/rules_procedure_2016_en.pdf).
En vue de la révision de la directive 2010/63 que la Commission européenne (CE) doit publier au plus tard le 10 novembre 2017, la Commission a demandé au Comité scientifique sur l’environnement et les risques environnementaux et émergents (SCHEER) de mettre à jour son Opinion scientifique (émise le 13 janvier 2009) sur la nécessité d’utiliser des primates non humains pour la recherche biomédicale et pour la production et les essais de sécurité. Le SCHEER a lancé un appel à expertises, auquel André Ménache, vétérinaire, directeur d’Antidote Europe et représentant de l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection, a répondu. Nous publions intégralement ci-dessous cette réponse.
Réponse d’André Ménache :
La Commission européenne a demandé au Comité scientifique sur l’environnement et les risques environnementaux et émergents (SCHEER) de mettre à jour son Opinion scientifique sur la nécessité d’utiliser des primates non humains pour la recherche biomédicale et pour la production et les essais de sécurité de produits et dispositifs médicaux.
Par conséquent, je voudrais soumettre l’Opinion scientifique suivante à la considération de SCHEER à propos de l’utilisation de primates non humains dans la toxicologie réglementaire en général et de l’utilisation de primates non humains pour des essais de sécurité d’implants mammaires en particulier.
La position actuelle de SCHEER est que : « En raison de leur proximité génétique avec l’homme et de comportements sociaux très développés, l’utilisation de primates non humains dans des procédures scientifiques pose des questions éthiques spécifiques et des problèmes pratiques pour satisfaire leurs besoins comportementaux, environnementaux et sociaux au sein d’un laboratoire. De plus, l’utilisation de primates non humains pour des recherches scientifiques préoccupe au plus haut point les citoyens. En conséquence, l’utilisation de primates non humains a suscité une attention significative au cours de la révision de la Directive » (1,2).
Remarques générales sur l’utilisation de primates non humains en toxicologie réglementaire :
Comme la CE a demandé une mise à jour concernant une Opinion scientifique, les futurs rapports de SCHEER devraient attirer l’attention vers le débat de plus en plus vif au sein de la communauté scientifique sur la question de savoir si l’utilisation de primates non humains est suffisamment fondée sur des preuves pour servir de point d’appui à la recherche et aux essais en biomédecine (3,4).
Parmi ces remarques générales, je vous fais parvenir un document intitulé « Mettre fin à l’utilisation de primates non humains pour les essais de toxicité » signé par 32 médecins scientifiques et chercheurs, dont le professeur Michael Balls (ancien directeur du Centre européen pour la validation des méthodes alternatives) et le docteur Shirley McGreal, fondatrice et directrice de la Ligue internationale pour la protection des primates (voir pdf).
Une analyse de l’article de synthèse Bateson sur la recherche utilisant des primates non humains
Abstract : Une analyse de l’utilisation de primates non humains dans la recherche biomédicale au Royaume Uni, la « Synthèse de la recherche utilisant des primates non humains » (« Synthèse Bateson »), a été publiée en 2011. La Synthèse a été applaudie, à différents degrés, par la plupart des parties prenantes dans la controverse sur l’utilisation de primates non humains dans la recherche biomédicale. Toutefois, il n’y a pas eu d’analyse scientifique de cet article de synthèse. Dans le présent article, la Synthèse Bateson est examinée à la fois pour sa méthodologie et pour la pertinence des arguments scientifiques sur l’utilisation de primates non humains dans la recherche biomédicale. Les arguments scientifiques pertinents incluent la théorie de la complexité, la biologie de l’évolution, la génétique, les preuves empiriques sur la fiabilité de l’extrapolation entre différentes espèces animales, et la valeur de la recherche biomédicale fondamentale en général pour des découvertes qui mèneraient à des thérapies pour l’homme. Les auteurs de cet article concluent que la Synthèse Bateson ne respecte pas les critères d’une évaluation scientifique, en partie parce qu’elle ne prend pas en compte la façon dont la science actuelle détermine l’utilisation d’animaux en général et des primates non humains en particulier dans la recherche biomédicale. Cette absence de considération scientifique a des ramifications légales et éthiques. Etant donné que la Synthèse Bateson échoue en tant qu’évaluation scientifique, les recommandations éthiques et légales fondées sur ses arguments scientifiques sont également suspectes (voir pdf).
L’initiative citoyenne européenne « Stop Vivisection », qui a été présentée au Parlement européen le 11 mai 2015 représente l’opinion de plus d’un million de citoyens européens. Elle met en évidence certains défauts majeurs de la directive 2010/63/UE et, surtout, le fait que la Directive continue à soutenir le paradigme du modèle animal en dépit de solides preuves du contraire, fondées sur les connaissances scientifiques actuelles (5).
Il n’y a pas de preuves que l’utilisation de primates non humains dans la recherche et les essais puisse prédire les réponses humaines. Au contraire, il existe des preuves dans la littérature scientifique à comité de lecture que les essais sur primates non humains ne sont pas prédictifs de la réponse humaine à des médicaments ou à des maladies (6,7,8).
Le NIH (Institut national de la santé des Etats-Unis), l’organisation de recherche biomédicale la plus grande du monde « ne financera plus la recherche biomédicale sur le chimpanzé ». Son directeur, Francis Collins, faisait cette déclaration le 18 novembre 2015 (9) en réponse à un rapport scientifique commandé au préalable à l’Institut de médecine (IOM, Etats-Unis), rapport qui contenait aussi des preuves scientifiques présentées par le Comité de médecins pour une médecine responsable (PCRM) (10).
Le point de vue courant qui considère les singes comme « la meilleure chose après le chimpanzé » n’est pas scientifiquement fondé. L’homme et le chimpanzé sont séparés dans l’évolution par environ sept millions d’années, alors que l’homme et les singes sont séparés par environ 25 millions d’années. Si le NIH est prêt à cesser de financer la recherche sur le chimpanzé pour des raisons éthiques et scientifiques, qu’est-ce qui pourrait justifier l’utilisation de singes ? Voir, par exemple, l’article approuvé par un comité de lecture : « Commentaire : leçons de l’analyse de l’utilisation de primates non humaines pour comprendre le vieillissement humain et les maladies neurodégénératives » (11).
Remarques particulières sur l’utilisation de primates non humains et autres animaux pour des essais de sécurité de matériel médical ou cosmétique, en rapport avec la toxicologie réglementaire :
« Le scandale PIP : une analyse des procédés de contrôle qualité qui ont échoué à protéger les femmes du risque sanitaire », par Victoria Martindale et André Ménache (publié par le Journal of the Royal Society of Medicine (2013)).
Les principales conclusions de cet article sont que les essais sur des animaux ont été, au mieux, imprécis. Le rapport final tient compte de la conclusion du Comité scientifique de l’Union européenne sur les risques de santé émergeants et nouvellement identifiés (SCENIHR) mais n’a pas mené d’autres investigations : « dans le cas des implants PIP, lorsque les maigres données cliniques sont prises en compte en même temps que des résultats d’essais des propriétés physiques et chimiques de la coque et du silicone, et que des résultats d’essais d’irritation in vivo, quelques préoccupations apparaissent sur la sécurité des implants mammaires PIP car la possibilité d’effets sur la santé ne peut être exclue ».
Conclusion :
L’utilisation de primates non humains dans la recherche biomédicale, la production et les essais de produits et de matériel n’a jamais été soumise à un audit scientifique indépendant. La fin de l’utilisation de chimpanzés dans la recherche biomédicale est le résultat d’une mobilisation d’une opinion publique fortement opposée à ce que ces animaux soient utilisés comme éprouvettes vivantes. C’est aussi le résultat du constat par la communauté scientifique que les chimpanzés ne sont plus essentiels pour l’étude des maladies humaines et pour le développement de médicaments, à l’ère du génome humain (pharmacogénomique, toxicogénomique), de la technologie des cellules souches pluripotentes induites, de la bioingénierie (comme par exemple à l’Institut Weiss : organes sur puces, corps sur puces) ou des stratégies d’essais intégrées, toutes méthodes pouvant être combinées pour fournir des données plus fiables et pertinentes pour l’homme que l’expérimentation animale.
Le remplacement total des primates non humains dans la recherche et les essais sera fortement accéléré par un changement dans le financement des projets par la CE, s’éloignant de la recherche animale et allant vers les technologies modernes, basées sur l’homme, comme illustré par le rapport du Conseil national de la recherche des Etats-Unis : « Tests de toxicité au 21ème siècle : une vision et une stratégie » (12).
Enfin, il y a un besoin urgent de transformer en profondeur le processus d’approbation des expériences sur des animaux par les comités d’éthique afin de permettre une plus grande participation du public et, ainsi, une plus grande transparence (13).
Madame Marisol TOURAINE
Ministre des Affaires Sociales, de la Santé et du Droit des Femmes
14, avenue Duquesne, 75350 Paris 07 SP
Paris, le 9 juin 2016
Madame la Ministre de la Santé,
Concernant les essais cliniques funestes de Rennes, nous vous avons fait parvenir le 23 janvier 2016 une lettre dans laquelle nous mettons en cause les tests précliniques recourant à un quelconque « modèle » animal. Notre lettre démontre que le recours à ces « modèles » permet, à volonté, de prouver n’importe quoi, ou son exact contraire ! Exposer les vies de 90 volontaires sur la foi de tels tests précliniques est simplement criminel. Nous avons aussi attiré votre attention sur des tests précliniques basés sur du matériel biologique d’origine humaine, car le seul modèle biologique de l’homme, c’est l’homme.
Votre Chef de Cabinet, M Grégory Guillaume, nous a répondu que notre lettre avait été transmise à la Direction de la Santé, qui est restée muette jusqu’ici –et sans doute pour longtemps encore.
Les informations sur ces essais parues dans les médias, minimales et vagues à souhait, semblent révéler un embarras certain, notamment de l’IGAS, que nous attribuons à des négligences dans le dossier du fabricant, à la conception du protocole des essais (confiée à ANSM, CSST, CPP) et à l’exécution des tests par BIOTRIAL.
Comme le soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe, la mort du volontaire de Rennes symbolise les centaines de milliers de victimes d’effets secondaires de médicaments en France –en moyenne cent par jour selon nos estimations. Mais vous allez sans doute nous donner enfin le chiffre exact, puisque vous êtes destinataire des données de pharmacovigilance. Là aussi, un peu plus de rigueur scientifique dans les essais cliniques devrait grandement réduire le nombre de ces morts inutiles. Dans notre lettre de janvier, nous recommandions des tests cliniques de phase zéro systématiques, sur du matériel biologique d’origine humaine, ainsi que le recours à la pharmaco –génomique pour réserver la prescription d’un médicament à des patients d’âge, de sexe, d’ethnicité ou de particularités physiologiques, biochimiques ou génétiques, compatibles.
Votre Ministère a pour mission de veiller à la santé publique en général, pas uniquement la médecine. Outre le record européen du nombre de décès par effets secondaires de médicaments, la France détient aussi le record européen du nombre de décès prématurés (avant 65 ans) : 100.000 par an, soit un décès sur 5 (20%). Ce constat n’est pas surprenant. Selon les données publiées par l’InVS, la HAS, l’OPEPS, des documents établis par des CHU et des associations de malades, la prévalence globale de quelques pathologies graves (Alzheimer, Diabète 2, cancers du sein, de la prostate, les TED, a doublé en France entre 2000 et 2009, les incidences pour certaines de ces maladies ont été multipliées par 3, voire par 50 (TED) ! Ces données vous sont certainement connues, sinon nous tenons à votre disposition les graphiques de ces évolutions année par année. Dans l’hypothèse où le niveau de prévention reste ce qu’il est, c’est-à-dire nul, les extrapolations sur les décennies à venir, sont catastrophiques : quand les enfants nés depuis 2000 seront dans la force de l’âge, un sur 4 serait Alzheimer, un sur 3 diabétique, tous les hommes seraient concernés par le cancer de la prostate, une femme sur trois par le cancer mammaire, une naissance sur 3 serait affectée du syndrome d’Asperger, l’infertilité masculine serait une réalité dès 2027…
En cause : l’absence de prévention. La France a bien adopté le plan REACH de l’UE, qui oblige de tester les substances chimiques de synthèse… sur des rongeurs. Sauf que nous ne sommes pas des rats de 70 kg et que ce modèle est manipulable à souhait, il suffit de choisir dans le catalogue des milliers de lignées de rongeurs celle qui donnera le résultat souhaité… par l’industriel !
Il est de votre responsabilité d’imposer des mesures pour qu’à l’avenir, un drame comme celui de Rennes ne se reproduise pas. Que l’hécatombe dûe aux effets secondaires de médicaments cesse ou devienne marginale. Qu’une prévention scientifique efficace mette les citoyens à l’abri de substances auxquelles ils sont exposés à leur insu, responsables des troubles graves au moyen ou long terme.
Il vous appartient, au nom des pouvoirs attachés à votre fonction, de mettre sans délai un terme à l’obscurantisme et l’amateurisme ambiant qui règne dans le domaine de la santé publique. A défaut, votre responsabilité personnelle serait engagée, notamment pour exception d’inconstitutionnalité, puisque l’article 11 du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 « garantit à tous le protection de la santé ».
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.
La directive européenne 2010/63/UE, qui régit les conditions d’utilisation des animaux dans les laboratoires, impose à tous les Etats membres la publication de statistiques périodiques sur le nombre d’animaux utilisés, les buts des expériences et autres paramètres. La France se caractérise depuis longtemps par un retard à fournir ces données.
Nos très vifs remerciements à Mme Laurence Abeille, députée écologiste du Val-de-Marne qui a posé une question écrite au gouvernement, à ce sujet. Les questions écrites sont publiées au Journal officiel et le ministère concerné est tenu d’y répondre, également par écrit et avec publication au Journal officiel.
Nous reproduisons ci-dessous le texte de la question écrite de Mme Abeille publiée le 26 janvier 2016. Nous rendrons compte de la réponse dès qu’elle sera disponible.
Texte de la question :
Mme Laurence Abeille interroge M. le secrétaire d’État, auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la transposition de la directive 2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques en droit français. Par une communication du 3 juin 2015, la Commission européenne a répondu aux organisateurs de l’initiative citoyenne « Stop vivisection » en réaffirmant sa volonté de faire appliquer par tous les États membres l’ensemble des dispositions contenues dans la directive 2010/63/UE. Cette communication de la Commission européenne se termine ainsi : « La Commission invite les États membres agissant dans le cadre de leurs compétences, à tenir compte des préoccupations exprimées dans le cadre de cette initiative et à intensifier leurs efforts en vue de mettre pleinement en oeuvre et d’appliquer la directive 2010/63/UE, et à participer activement à l’élaboration de solutions de remplacement ». En France, force est de constater que la plus grande opacité règne sur le sujet de l’expérimentation animale et les données chiffrées et techniques sont inaccessibles au public, nonobstant les obligations fixées par cette directive européenne. Son article 54-2 prévoit pourtant que « les États membres collectent et publient chaque année des informations statistiques sur l’utilisation d’animaux dans des procédures, y compris des informations sur la gravité réelle des procédures et sur l’origine et les espèces de primates non humains utilisés dans des procédures. Les États membres transmettent ces informations statistiques à la Commission, au plus tard le 10 novembre 2015, et par la suite tous les ans ». Or les dernières statistiques concernent l’année 2010 et elles ont été publiées en 2013. Ce sont les seules que l’on puisse consulter sur le site du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Aucun nouveau chiffre n’est disponible depuis presque 3 ans. Selon l’article 43-3 de la même directive, «les États membres publient les résumés non techniques des projets autorisés et leurs mises à jour éventuelles ». Ces résumés non techniques sont à fournir obligatoirement aux autorités compétentes par le responsable de tout projet de recherche impliquant l’utilisation d’animaux vivants. Le point 2 de ce même article 43 prévoit que « les États membres peuvent exiger que le résumé non technique précise si un projet doit faire l’objet d’une appréciation rétrospective et dans quel délai. Dans ce cas, les États membres veillent à ce que le résumé non technique du projet soit mis à jour en fonction des résultats de toute appréciation rétrospective ». Il est à noter que les projets utilisant des primates non humains ainsi que les projets impliquant des procédures de classe « sévère » (infligeant de lourdes souffrances durables aux animaux) doivent obligatoirement donner lieu à une appréciation rétrospective (article 39-2 de la directive 2010/63/UE). Elle lui demande donc si le Gouvernement compte se mettre en conformité avec la directive 2010/63/UE pour les points essentiels sus – cités.