Madame Marisol TOURAINE
Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes
14, avenue Duquesne
75350 PARIS 07 SP
Paris, le 20 janvier 2016
LETTRE OUVERTE
Madame la Ministre de la Santé,
Le drame des essais cliniques de Rennes, un « évènement d’une extrême gravité », dites-vous. Ne serait-ce pas plutôt un dramatique mais banal effet secondaire de médicament, comme il s’en reproduit des dizaines de milliers par an en France ? Selon un de vos prédécesseurs, M. Bernard Kouchner, il y avait, déjà en 1997, 20 000 morts et 1,3 millions d’hospitalisations par an en France, du seul fait d’effets secondaires de médicaments, tous testés « avec succès » sur des animaux « modèles ». La cause première et unique de cette hécatombe, y compris de ce drame de Rennes : la confiance aveugle, pour des questions de santé humaine, dans les résultats obtenus précisément sur des animaux « modèles ».
La notion de « modèle » est, en biologie, une pure fiction : aucune espèce n’est un modèle biologique pour une autre. La preuve irréfutable est dans la définition même d’une espèce, son isolement reproductif (les gamètes mâles et femelles ne peuvent se recombiner s’ils ne proviennent pas de la même espèce). Les patrimoines génétiques d’espèces différentes sont donc différents, chaque espèce va réagir à une maladie ou à une agression extérieure avec ses gènes, il n’y a donc aucune raison que la réaction à un candidat médicament d’un chien soit identique à celle d’un singe, ou que celles d’un chien ou d’un singe soient identiques à celle d’un humain. C’est une évidence scientifique qui s’impose sans discussion si on veut éviter des drames, qui font la une des journaux comme l’affaire de Rennes, ou qui se déroulent dans l’anonymat pour les dizaines de milliers de morts, victimes d’effets secondaires de médicaments tous les ans. Vos services de pharmacovigilance ont dû vous en communiquer le chiffre, mais il est sans doute frappé du sceau « Secret », puisque nous vous l’avons déjà demandé plusieurs fois, en vain jusqu’ici.
Ne faut-il donc plus tester les médicaments ? Si, bien sûr ! Mais le seul modèle valable de l’homme est… l’homme, et pour commencer le matériel biologique d’origine humaine. Avant les tests cliniques de phases 1, 2, 3 et 4 (rarissime !), il faudrait un test « zéro » :
(1) de pharmacogénomique sur des cellules pluripotentes induites obtenues auprès de personnes saines de sexes, d’âges et d’ethnies différents, différenciées dans l’une ou l’autre des 243 lignées cellulaires humaines ; ce test met en évidence les organes affectés, les gènes dérégulés par le candidat médicament, les voies pathologiques dans lesquels ce dernier engage les cellules ;
(2) sur des « miniorganes » générés à partir des cellules pluripotentes induites (mini cerveau, mini foie, mini rein…), dont les réactions sont analysées par génomique comme ci-dessus.
Ce sont là deux tests précliniques, valables pour l’homme, rapides, d’un coût abordable, largement utilisés à l’étranger, mais d’autres peuvent les compléter. Affecter à ces méthodes, et aux recherches scientifiques pour d’autres, les moyens gaspillés en France dans des tests sur les soi-disant « modèles » animaux permettrait d’éviter les drames dus aux effets secondaires et le sacrifice de volontaires qui ont fait confiance aux paroles des cliniciens. Pourquoi ces derniers, s’ils étaient tellement sûrs de l’innocuité des candidats médicaments, ne s’y sont-ils pas exposés eux-mêmes ?
Sachant à présent que la notion de « modèle » animal n’a aucune valeur en ce qui concerne la santé humaine, mais conduit bien souvent à de graves accidents, il vous appartient, au nom des pouvoirs attachés à votre fonction, de mettre un terme sans délai à l’utilisation de ces prétendus « modèles ». Vous engageriez sinon votre responsabilité personnelle, comme ce fut le cas en son temps dans le scandale du sang contaminé.
Veuillez agréer, Madame la Ministre de la Santé, l’expression de notre haute considération.
Nous nous limitons à traduire ici certaines phrases de l’article publié en octobre 2015 par la neurophysiologiste Aysha Akhtar en évitant de répéter des éléments que nous avons déjà donnés et développés par ailleurs. Nous reproduisons toutefois les grandes lignes de son article, remarquable synthèse de l’argumentation scientifique contre l’utilisation d’animaux pour la recherche biomédicale humaine. Nous encourageons vivement tous les anglophones intéressés par ce sujet à lire l’article d’Aysha Akhtar dans son intégralité (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4594046/ ; Camb Q Healthc Ethics. 2015 Oct; 24(4): 407–419).
Résumé
L’expérimentation animale est défendue par l’affirmation qu’elle serait fiable, que les animaux fournissent d’assez bons modèles de la biologie humaine et des maladies humaines pour générer des informations pertinentes et que, en conséquence, son utilisation fournit de grands bénéfices pour la santé humaine. Je démontre qu’un corpus grandissant de littérature scientifique évaluant de façon critique la validité de l’expérimentation animale soulève des préoccupations importantes au sujet de sa fiabilité et de sa valeur prédictive pour les réponses humaines et pour la compréhension de la physiologie humaine. L’absence de fiabilité de l’expérimentation animale dans beaucoup de domaines sape les arguments scientifiques en faveur de cette pratique. De plus, je montre comment l’expérimentation animale provoque souvent des dommages significatifs aux humains, en raison d’études de sécurité (toxicité) souvent trompeuses, d’abandon possible de thérapies efficaces pour l’homme et de captation de ressources au détriment de méthodes plus efficaces. La conclusion suggère que les dommages et le coût pour l’homme de l’expérimentation animale dépassent les bénéfices potentiels et que les ressources seraient mieux investies dans le développement de méthodes basées sur l’homme.
Introduction
Plus de 115 millions d’animaux sont utilisés chaque année dans le monde pour l’expérimentation ou pour fournir l’industrie biomédicale. L’expérimentation animale vise à informer sur la biologie humaine et les sciences de la santé et à assurer la sécurité et l’efficacité de traitements potentiels.
Bien qu’il soit largement accepté que la médecine devrait être basée sur des preuves, l’expérimentation animale en tant que moyen d’informer sur la santé humaine n’a pas été soumise, en pratique, à cette exigence. En raison de ce fait, il est surprenant que l’expérimentation animale soit considérée comme la référence en matière de tests précliniques et soit généralement soutenue sans examen critique de sa validité.
Je montre que l’expérimentation animale est peu prédictive des réponses humaines, qu’elle n’est pas fiable dans beaucoup de maladies et que la littérature publiée démontre la non fiabilité de l’expérimentation animale, détruisant ainsi l’argumentation scientifique en sa faveur.
Problèmes pour traduire avec succès à l’homme les données de l’expérimentation animale
Effets de l’environnement du laboratoire et autres variables sur les résultats des expériences
Parmi les facteurs de détresse générée par le laboratoire, citons le phénomène d’anxiété contagieuse :
– les niveaux de cortisone augmentent chez des singes qui voient d’autres singes être placés dans des dispositifs de contention pour des prises de sang ;
– la pression sanguine et la fréquence cardiaque augmente chez des rats qui voient d’autres rats être décapités.
Des procédures de routine telles qu’attraper un animal et le retirer de sa cage, en plus des procédures expérimentales, provoquent une élévation significative et prolongée des marqueurs de stress.
Ces variations de paramètres physiologiques dues au stress peuvent avoir des effets significatifs sur les résultats des expériences. Des rats stressés, par exemple, développent des maladies inflammatoires chroniques et des diarrhées qui ajoutent des variables et peuvent perturber les données.
D’autres conditions au sein du laboratoire peuvent provoquer des modifications dans la neurochimie, l’expression génétique et la régénération nerveuse.
– Dans une étude, par exemple, des souris avaient été génétiquement modifiées pour développer des défauts aortiques. Pourtant, placées dans des cages plus grandes, ces défauts disparurent presque totalement.
– Dans d’autres exemples, le bruit typique du laboratoire peut endommager les vaisseaux sanguins chez les animaux,
– et même le type de sol sur lequel des animaux sont étudiés lors d’expériences sur des lésions de la moelle épinière peut affecter l’effet d’un médicament.
Différences entre les modèles animaux de maladies et les maladies humaines
La recherche sur les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représente un exemple marquant de la difficulté de modéliser des maladies humaines en utilisant des animaux. Un ensemble de lignes directrices a été adopté en 1999 et réactualisé en 2009 pour standardiser les protocoles, limiter les différences et améliorer l’applicabilité à l’homme des expériences sur les AVC chez l’animal. NXY-059 a été l’un des traitements les plus prometteurs qui en a résulté. Présenté comme le produit phare de ces nouvelles normes, il n’en a pas moins été un échec lors des études cliniques humaines.
Il y a peu d’éléments de preuve suggérant qu’une ratte, une chienne ou une guenon aient une physiologie comparable à celle d’une femme. Plus important peut-être encore, reproduire l’état préexistant à un AVC chez l’animal s’avère tout aussi difficile que reproduire la pathologie et l’évolution d’un AVC.
Plus de 114 thérapies potentielles testées sur des animaux ont échoué aux essais cliniques.
D’autres exemples d’échecs suite à des essais sur des modèles animaux incluent le développement de médicaments contre :
– le cancer, le taux d’échec étant parmi les plus élevés de toutes les catégories de maladies ;
– la sclérose latérale amyotrophique, pour laquelle plus de 20 médicaments ont échoué aux essais cliniques et le seul médicament approuvé par la FDA (autorité d’autorisation des médicaments états-unienne) ne montre que des avantages marginaux en termes de survie des patients ;
– les lésions traumatiques cérébrales, pour lesquelles 27 essais cliniques de phase 3 (tests d’efficacité sur un grand nombre de patients) et 6 essais non publiés ont tous échoué sur l’homme alors qu’ils avaient montré des bénéfices sur des animaux ;
– la maladie d’Alzheimer, pour laquelle 172 médicaments ont échoué sur l’homme après avoir réussi sur des animaux ;
– les inflammations, pour lesquelles 150 médicaments ont échoué sur l’homme après avoir réussi sur des animaux.
En 2004, la FDA estimait que 92% des médicaments qui passent les tests précliniques, y compris des tests clés sur des animaux, n’obtiennent pas leur autorisation de mise sur le marché pour l’homme. Des analyses plus récentes suggèrent que, malgré les efforts pour améliorer la capacité de la recherche animale à prédire les réactions humaines, le taux d’échec a augmenté et approcherait les 96%. Les principales causes de l’échec des médicaments sont le manque d’efficacité et les problèmes de sécurité qui n’ont pas été prédits par les tests sur des animaux.
Différences de physiologie et de génétique entre espèces animales
Dans les lésions de la moelle épinière, par exemple, les résultats des essais de médicaments varient selon l’espèce animale et même selon la lignée, au sein d’une espèce animale, qui a été utilisée. Ces variations s’expliquent par les nombreuses différences neurophyiologiques, anatomiques et comportementales entre les espèces et les lignées. Des différences ont même été constatées entre des rats de la même lignée achetés auprès de fournisseurs différents. Après des décennies d’utilisation de modèles animaux, pas un seul agent neuroprotecteur ayant amélioré une lésion de la moelle épinière chez l’animal ne s’est montré efficace chez l’homme.
Autre exemple, des souris utilisés abondamment pour l’étude de réponses inflammatoires suite à des infections, brûlures ou traumatismes ont montré des différences vis-à-vis de l’homme dans les gènes activés ou inactivés et dans le moment ou la durée de l’expression de ces gènes. Les modèles souris ont même différé entre eux (voir La Notice d’Antidote de juin 2013).
La régulation des gènes peut différer de façon significative entre différentes espèces et peut aller jusqu’à la présence ou l’absence d’un gène en particulier. En dépit d’un haut degré de conservation du génome, il y a des différences critiques dans l’ordre et la fonction des gènes entre différentes espèces animales.
Reconnaissant ces différences génétiques, des chercheurs ont exprimé un enthousiasme considérable pour les animaux génétiquement modifiés, y compris pour des souris transgéniques dans lesquelles des gènes humains ont été insérés dans le génome de souris. Toutefois, si un gène humain s’exprime chez la souris, il va probablement fonctionner d’une façon différente de chez l’homme, étant affecté par les mécanismes physiologiques propres à la souris. Par exemple, une importante protéine qui contrôle le glucose sanguin chez l’homme est absente chez la souris. Lorsque le gène humain qui produit cette protéine a été exprimé dans des souris transgéniques, il a eu l’effet opposé à celui qu’il a chez l’homme : il a provoqué une perte du contrôle du glucose sanguin chez ces souris. L’utilisation de souris génétiquement modifiées a échoué à modéliser des maladies humaines et à apporter des bénéfices cliniques dans beaucoup de catégories de maladies.
Dans certains cas, des singes sont utilisés, plutôt que des souris ou autres animaux, avec l’espoir qu’ils mimeront mieux les résultats observés chez l’homme. Mais :
– des modèles singes ont échoué à reproduire les caractéristiques clés de la maladie de Parkinson, aussi bien du point de vue fonctionnel que pathologique. Plusieurs thérapies qui paraissaient prometteuses à la fois chez le singe et chez le rat modèles de la maladie de Parkinson ont été décevantes chez l’homme ;
– la campagne pour prescrire le traitement hormonal substitutif à des millions de femmes pour prévenir des maladies cardiovasculaires a été basée en grande partie sur des expériences sur des singes. Ce traitement est connu, maintenant, pour augmenter le risque de ces maladies chez la femme.
La recherche de vaccins contre le sida en utilisant des singes représente l’un des échecs les plus notables de la transposition à l’homme de données obtenues par l’expérimentation animale. D’immenses ressources et des décennies ont été dévolues à la création de modèles singes (y compris chimpanzés) du sida. Pourtant, tous les quelque 90 vaccins HIV qui ont réussi chez l’animal ont échoué sur l’homme.
La supposition que les données animales seraient fiables pour l’homme a mené à des souffrances humaines significatives et injustifiables. Par exemple :
– les volontaires d’un essai clinique du gp120 (contre le sida) ont couru des risques inutiles en raison de la confiance placée dans des résultats d’expériences sur des singes ;
– deux études phares impliquant des milliers de femmes ménopausées traitées avec la thérapie hormonale de substitution ont été écourtées en raison de risques accrus d’AVC et de cancer du sein ;
– en 2003, Elan Pharmaceuticals a dû mettre fin à un essai clinique de phase 2 (sur un petit nombre de patients) lorsqu’un vaccin expérimental contre la maladie d’Alzheimer a provoqué des inflammations du cerveau chez l’homme. Aucun effet secondaire significatif n’avait été détecté sur des souris transgénique ni sur des singes ;
– avant le premier essai sur l’homme, le TGN1412 avait été testé sur des souris, des lapins, des rats et des singes sans montrer d’effets négatifs (voir La Notice d’Antidote de juin 2006). Des singes avaient également subi des études de toxicité chronique et avaient reçu pendant 4 semaines consécutives des doses 500 fois supérieures à celle qui a été donnée aux volontaires humains. Aucun de ces singes n’avait subi les effets qui ont affecté les hommes presqu’immédiatement après avoir reçu des doses minimes du médicament testé. Des macaques rhésus et cynomolgus avaient spécialement été choisis car leurs récepteurs CD28 montraient une affinité semblable aux récepteurs CD28 humains pour le TGN1412. Sur la foi de telles données, il avait été conclu que les résultats obtenus sur ces singes permettraient de prédire de façon fiable la réponse humaine à ce médicament -une conclusion qui s’est avérée catastrophiquement erronnée.
Les dommages collectifs qui résultent d’expériences trompeuses sur des animaux
Les problèmes ont surgi car les différences -souvent non détectées- entre espèces animales sont de loin beaucoup plus nombreuses et importantes que les similarités.
Il a été affirmé que recueillir quelques informations par des expériences sur des animaux était préférable à ne pas avoir d’information du tout. Cette thèse néglige le fait que des informations trompeuses peuvent être pires que l’absence d’information à partir d’essais sur des animaux. L’utilisation d’expériences non prédictives sur l’animal peut provoquer de la souffrance humaine de deux façons au moins : d’abord, en produisant des données trompeuses de sécurité et d’efficacité ; et ensuite, en menant à l’abandon potentiel de traitements médicaux utiles et en privant de ressources des méthodes plus efficaces.
Sur 5 000 à 10 000 médicaments potentiels étudiés, seulement 5 environ entrent en phase 1 d’essais cliniques. De possibles thérapies peuvent être abandonnées à cause de résultats sur l’animal qui ne s’appliquent pas à l’homme.
– Le tamoxifène, un des médicaments les plus efficaces pour certains types de cancer du sein, aurait sans doute été rejeté si sa propension à provoquer des tumeurs dans le foie chez le rat avait été découverte au cours des essais précliniques plus tôt qu’après des années d’utilisation chez l’homme.
– Le Glivec, utilisé contre la leucémie myéloïde chronique, a provoqué de sérieux effets secondaires sur au moins cinq espèces animales, y compris des dommages au foie chez le chien. Toutefois, la toxicité hépatique n’ayant pas été détectée sur des cellules humaines en culture, les essais cliniques ont pu avoir lieu et ont confirmé l’absence de toxicité hépatique significative chez l’homme.
– Plusieurs médicaments utiles qui ont été utilisés de façon sûre chez l’homme pendant des décennies, comme l’aspirine ou la pénicilline, pourraient ne pas être disponibles aujourd’hui si les exigences règlementaires actuelles de tests sur des animaux avaient été en vigueur à l’époque de leur développement.
Des organes humains cultivés en laboratoire, des organes humains sur puces, des technologies informatiques, l’impression en trois dimensions de tissus humains vivants et le Projet Toxome Humain sont des exemples de nouvelles technologies basées sur l’homme qui suscitent de plus en plus d’enthousiasme. Le bénéfice d’utiliser ces méthodes au cours des essais précliniques plutôt que des expériences sur des animaux repose sur le fait qu’elles sont basées sur la biologie humaine. Ainsi, leur utilisation élimine en grande partie le travail de supposition requis lorsqu’on cherche à extrapoler à l’homme des données obtenues sur d’autres espèces animales. De plus, ces essais proposent des systèmes biologiques complexes, à la différence des techniques in vitro classiques.
Conclusion
Les données montrant l’absence de fiabilité de l’expérimentation animale et les dommages pour l’homme qui résultent de son utilisation démontrent que la recherche animale induit des coûts et des dommages significatifs pour l’homme. Nous devrions nous demander s’il est éthiquement acceptable de priver des humains de ressources, opportunités, espoirs et même de vie, en cherchant des réponses à ce qui pourait être l’endroit erronné. Je pense qu’il serait préférable de retirer ces ressources de l’expérimentation animale pour les diriger vers le développement de technologies plus précises, basées sur l’homme.
Des expériences sur des singes (macaques) viennent d’être autorisées en Suède. Les chercheurs ont fait valoir des notions vagues telles que la « similarité » des systèmes immunitaires simien et humain. Nous contestons leurs arguments sur le plan scientifique et dénonçons une carence de la loi.
Par André Ménache
Alors que les Etats-Unis viennent d’annoncer que les fonds publics ne financeront plus d’expériences sur les chimpanzés au motif qu’il existe aujourd’hui des méthodes plus pertinentes, des chercheurs suédois ont obtenu l’approbation de leur comité d’éthique pour mener, sur des macaques, des expériences devant -théoriquement !- permettre le développement d’un vaccin contre le paludisme. A l’Institut Karolinska, le dernier centre de recherche scandinave à utiliser encore des singes, 120 macaques devraient être infectés avec le parasite du paludisme et subir, pendant au moins une année, des procédures invasives.
En tant que conseiller scientifique des associations Animal Justice Project et Djurrättsaliansen, j’ai rédigé un rapport contestant le bien-fondé scientifique et légal de ces expériences. Les anglophones pourront tout de suite prendre connaissance de cette campagne et signer la pétition sur http://www.animaljusticeproject.com/sweden et lire le rapport complet sur http://www.animaljusticeproject.com/Sweden Report MERGED 15.11.pdf
Pour les francophones, voici un bref résumé de ce rapport, intitulé : « Les expériences suédoises sur des singes contreviennent-elles à la loi européenne ? » Animal Justice Project et Djurrättsaliansen tentent d’empêcher l’importation en Suède des 120 macaques en provenance des Etats-Unis.
Des expériences sur les singes douloureuses et inutiles
Les procédures auxquelles les macaques seraient soumis incluent des biopsies de moelle osseuse, des vaccinations et des prises de sang répétées, ainsi que des biopsies de ganglions lymphatiques au niveau de l’aisselle ou de l’aine.
Bien que les biopsies doivent être réalisées sous anesthésie générale, les singes pourront ressentir de la douleur ou de l’inconfort par la suite. Tous les singes seront logés dans des cages d’une surface au sol, pour certaines, n’excédant pas deux mètres carrés. La captivité, l’impossibilité d’exprimer des comportements normaux et la rupture des liens sociaux et familiaux génèrent stress et peur qui ne sont pas pris en compte dans le calcul que font les chercheurs du degré de sévérité des expériences.
La directive européenne 2010/63/UE stipule : « (39) Il est également essentiel, tant pour des raisons morales que dans l’intérêt de la recherche scientifique, de veiller à ce que chaque utilisation d’animal soit soumise à une évaluation minutieuse de la validité scientifique ou éducative, de l’utilité et de la pertinence des résultats attendus de cette utilisation. »
Nous pensons que les expériences projetées à l’Institut Karolinska contreviennent à cette loi car :
– selon les connaissances scientifiques actuelles, y compris en génétique et en biologie de l’évolution, le « modèle » singe n’est ni fiable ni pertinent pour l’étude de la maladie humaine ;
– selon les connaissances scientifiques actuelles, les dommages probables infligés aux singes dépasseraient de beaucoup les bénéfices escomptés pour le progrès médical humain (0,004%) ;
– les macaques sont naturellement immunisés contre la forme humaine du paludisme ;
– des méthodes sans animaux (MIMIC et vaccinomique, par exemple) sont disponibles et pertinentes pour le développement de vaccins pour l’homme.
Des affirmations, mais quelles preuves ?
Les chercheurs suédois affirment que « le macaque est un modèle précieux pour les études d’immunologie en raison de sa ressemblance génétique avec l’homme ». Si par « ressemblance génétique » (peu précis, pour des scientifiques !) ils entendent « pourcentage d’homologie », alors ils auraient dû choisir le chimpanzé, l’animal dont l’ADN a le plus haut pourcentage d’homologie avec l’ADN humain. Pourtant, on le sait désormais, les expériences sur des chimpanzés auront bientôt pris fin dans le monde, notamment suite à la conclusion d’un rapport scientifique états-unien : « la plupart des utilisations actuelles de chimpanzés pour la recherche biomédicale n’est pas nécessaire » (www.nature.com/news/us-chimpazee-research-to-be-curtailed-1.9663). Comment, dès lors, justifier l’utilisation de singes moins « semblables » à l’homme ?
Dans le domaine du développement de vaccins, l’utilisation de primates non humains (y compris des chimpanzés) se solde par un échec spectaculaire. Sur 100 vaccins qui protègent des animaux de laboratoire contre le sida, pas un n’est efficace chez l’homme (www.omicsonline.org/animal-models-and-the-development-of-an-hiv-vaccine-2155-6113.58-001.php?aid=4889). Il est donc curieux que les chercheurs suédois justifient leur projet d’étude en notant dans leur demande d’autorisation qu’ils ont « déjà travaillé dans un certain nombre d’études de vaccins anti-HIV et ont ainsi acquis des compétences et de l’expérience dans le domaine de la recherche de vaccins sur les primates. »
Ces chercheurs affirment qu’il n’existe pas de méthode alternative à l’utilisation d’animaux. Pourtant, la meilleure façon de développer des vaccins pour l’homme est d’étudier les populations humaines et le système immunitaire humain. Un exemple de méthode in vitro pour le développement de vaccins pour l’homme est le système MIMIC, sélectionné par le gouvernement états-unien pour développer un vaccin efficace contre le virus Ebola.
Une loi inadaptée
La loi européenne, qui prétend limiter l’utilisation d’animaux en invoquant le « bien-être animal » et le principe des 3R, présente une grave lacune en n’exigeant pas la justification des expériences sur des animaux sur le plan scientifique, c’est-à-dire sans exiger des chercheurs qu’ils prouvent en quoi le « modèle animal » qu’ils comptent utiliser serait prédictif et pertinent vis-à-vis de la santé humaine.
Comme nous le faisons avec force depuis des années, continuons à demander l’organisation d’un débat public sur la pertinence du « modèle animal » dans la recherche biomédicale et la toxicologie humaines.
Le bastion de l’expérimentation animale tient encore mais il est assiégé de toutes parts. Les revues scientifiques à comité de lecture jouent un rôle important puisqu’elles publient des articles rendant compte d’expériences faites sur des animaux considérés comme des modèles biologiques de l’homme. Pour combien de temps encore ? Certaines commencent à les refuser…
Par Hélène Sarraseca
Pour un chercheur, la publication de ses travaux est importante pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il cherche pour faire avancer nos connaissances et qu’il lui est donc nécessaire de faire part de ses résultats à toute la communauté scientifique. Ensuite, parce que sa carrière avance au fur et à mesure que la liste de ses publications s’allonge, surtout s’il parvient à publier dans des revues prestigieuses. Enfin, parce que plus il publie et plus il lui sera facile d’obtenir des moyens pour se lancer dans de nouvelles recherches.
Pour une revue scientifique, il est important de publier des articles de bonne qualité afin d’être reconnue pour son sérieux. La qualité d’un article soumis à une revue est évaluée par un « comité de lecture » qui s’assure que les critères scientifiques ont été respectés lors de la réalisation des travaux rapportés et que la façon même dont ces travaux sont expliqués répond à certaines normes, pour certaines quasiment universelles, pour d’autres, établies par la revue.
Du fond des âges
Alors, bien sûr, on peut déplorer que des études faites sur des animaux dans le but d’en extrapoler les résultats à l’homme soient considérées comme respectant les critères scientifiques. C’est bien contre ça que nous nous battons. L’immense majorité des revues à comité de lecture, à commencer par les hebdomadaires Nature et Science, probablement les plus prestigieuses, sont loin de remettre en question ce dogme. Elles passent pour des revues de référence alors qu’elles publient aussi bien des études rigoureuses faites sur l’homme que des résultats d’expérimentations animales.
Le 9 mars 1882 (vu avez bien lu mille huit cent quatre-vingt deux), Nature publiait un article de synthèse sur la « discussion » sur la « vivisection », alimentée par « douze à quatorze articles » parus les mois précédents sur la question. « Il ne peut y avoir de doute que l’avantage penche largement du côté des physiologistes », affirmait la revue. Lesquels physiologistes, héritiers proches de Claude Bernard, défendaient « l’utilité de la vivisection ». Cela dit, Nature ajoutait : « Nous nous efforcerons de donner une analyse des arguments des deux parties, l’impartialité de laquelle ne devra pas être affectée par l’opinion arrêtée que ce journal a toujours eu sur ce sujet ». Est-ce une attitude réellement scientifique d’avoir une opinion arrêtée sur un concept et une méthode de recherche donnés ?
Au vu des arguments des deux parties -chercheurs contre défenseurs des animaux-, l’article aurait pu être écrit récemment. Lors de la création d’Antidote Europe, il y a un peu plus de onze ans, le débat se résumait encore à cela : des chercheurs favorables à la vivisection pour des raisons scientifiques contre des défenseurs des animaux opposés à la vivisection pour des raisons morales. Mais c’était passer sous silence les arguments des chercheurs opposés, pour des raisons scientifiques, à l’utilisation d’animaux considérés comme des modèles biologiques de l’homme, de plus en plus nombreux et de moins en moins silencieux.
Un nouveau paradigme
Si le débat et les lignes éditoriales des revues sont restés figés pendant plus d’un siècle, le renouveau se prépare. Dans La Notice d’Antidote de décembre 2014, nous vous parlions du Nutrition Journal qui annonçait sur son site (www.nutritionj.com) : « Les études sur des animaux ne sont pas publiées. L’objectif du journal est d’encourager les scientifiques et les médecins de tous les domaines à publier des résultats qui mettent au défi les modèles, croyances ou dogmes courants. »
La fin du 20ème siècle a vu la naissance de périodiques dédiés aux « méthodes alternatives ». Répondant à la logique des 3R (réduire, rationaliser, remplacer les expériences sur des animaux), ils ne refusent pas les articles sur la recherche animale mais cherchent avant tout à faire connaître les autres méthodes. Parmi ces revues à comité de lecture, les plus connues sont ATLA (Alternatives to Laboratory Animals ; http://altweb.jhsph.edu/pubs/journals/atla/), ALTEX (http://altweb.jhsph.edu/altex/), née en 1984, et ALTEX Proceedings, ou encore Toxicology in Vitro (www.journals.elsevier.com/toxicology-in-vitro), depuis 1987, la revue de la Société européenne de toxicologie. Preuve que le secteur a de l’avenir, une publication a vu le jour en mars 2015 : Applied In Vitro Toxicology (AIVT, www.liebertpub.com/aivt/connect), dans la même veine.
Le premier éditorial d’AIVT se veut résolument tourné vers l’avenir et, sans remettre en question la recherche animale -son éditeur en publie par ailleurs beaucoup !-, introduit un nouvel et très intéressant élément : la prise en compte des tests sans animaux par la règlementation. Deux faits de la première décennie du 21ème siècle ont été déterminants, d’après James McKim, rédacteur en chef de la revue : le rapport états-unien « Tests de toxicité au 21ème siècle : une vision et une stratégie », dont nous vous avons longuement parlé depuis sa publication en 2007, et la directive européenne Cosmétiques (adoptée en 2009) qui interdit de tester ces produits ou leurs ingrédients sur des animaux.
« Le climat scientifique et règlementaire global change rapidement, écrit James McKim, avec une attention nouvelle sur l’utilisation de méthodes modernes pour prédire les réactions humaines sans utiliser d’animaux. » Et ailleurs : « L’idée d’utiliser des cellules ou tissus en culture pour évaluer comment une substance chimique interagit avec un système biologique n’est pas nouvelle ; toutefois, les données issues de ces modèles commencent tout juste à être utilisées pour prendre des décisions dans les processus de développement au sein des entreprises et sont dans les premières étapes d’être utilisées pour des décisions règlementaires. » Sans critiquer de front la recherche animale, il reconnaît cependant : « L’utilisation de cellules et tissus humains combinée à des méthodes analytiques qui peuvent mettre en évidence les effets des agents testés sur des voies de toxicité est tout simplement de la meilleure science. »
Le défi actuel
Mais ce qui nous fait encore plus plaisir, c’est l’éditorial du numéro de septembre 2015 du Turkish Journal of Gastroenterology (le Journal turc de gastroentérologie ; www.turkjgastroenterol.org/eng/Anasayfa). Alors que ce journal existe depuis plus de vingt ans, il a franchi le pas et proclame aujourd’hui : « Avancer au-delà des modèles animaux ». Tous nos encouragements et félicitations à Hakan Sentürk, qui écrit : « Depuis que je suis devenu rédacteur en chef du Journal turc de gastroentérologie il y a dix-huit mois, cette publication n’a accepté que des manuscrits rendant compte de recherches n’ayant pas impliqué directement l’utilisation d’animaux. Cette politique est toujours d’actualité et le restera car elle incarne les hautes exigences scientifiques et éthiques que les chercheurs attendent de notre journal. »
Certes, cette revue n’est pas de celles qui ont les plus grands tirages et sont lues dans le monde entier. Après avoir été fidèle à une opinion arrêtée pendant plus d’un siècle, Nature (comme bien d’autres !) aura sans doute plus de mal à s’aligner sur les exigences scientifiques et éthiques du 21ème siècle. Toutefois, la validité d’un argument scientifique ne se mesure pas au nombre de personnes qui l’énoncent ni au nombre de lecteurs qui l’approuvent. Un argument scientifique fort doit se fonder sur des faits avérés, aussi, nous laisserons tous les éditeurs et comités de lecture des journaux scientifiques méditer sur la suite de l’éditorial de Hakan Sentürk dont nous traduisons encore quelques extraits.
« Il y a une préoccupation de plus en plus grande au sujet de l’absence de fiabilité des données animales pour l’homme. L’autorité états-unienne en charge de la sécurité des aliments et des médicaments (FDA), par exemple, fait état d’un taux d’échec de 92% pour les essais cliniques qui suivent des essais précliniques réussis chez l’animal et ce taux a été estimé à 95% selon des données plus récentes. Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer cet accablant échec. (…) En plus des défauts de conception et de publication des études précliniques, il y a un problème majeur sans solution évidente, qui est l’influence des différences intrinsèques entre les espèces. »
Pour preuve, l’éditorialiste énumère des études concluantes chez l’animal ayant donné lieu à la mise au point de médicaments inefficaces ou dangereux pour l’homme. Nous en avons cité plusieurs dans différents numéros de La Notice d’Antidote.
« Heureusement, des méthodes de recherche sans animaux telles que les essais cliniques, les modèles informatiques ou in vitro, abondent. De plus en plus de nouvelles technologies comme les intestins et autres organes sur puces sont développées et validées. Avec l’implémentation de ces technologies modernes, les scientifiques n’ont pas besoin de compter sur des expériences qui font du mal aux animaux et dont nous savons qu’elles n’amélioreront probablement jamais la santé humaine. En tant que publication scientifique, nous avons un rôle particulier pour définir la direction des efforts futurs.
Etant données les limites des modèles animaux, publier des études sur l’animal égarerait la communauté scientifique vers de la recherche futile et donnerait au public de faux espoirs. Ceci est contraire à l’éthique. [C’est nous qui soulignons] Nous encourageons la soumission d’études pertinentes pour l’homme comme des études cliniques, in vitro ou basées sur d’autres méthodes sans animaux et nous lançons le défi à d’autres journaux scientifiques de faire de même. Le Journal turc de gastroentérologie est un « journal sans cruauté », à la fois envers les humains et envers les animaux et nous pensons que cette politique stimulerait des changements positifs dans les actuels systèmes de recherche et faciliterait un progrès médical bien nécessaire. »
Antidote Europe ne peut que se réjouir de cette courageuse ligne éditoriale. Nous sommes prêts à parier qu’il ne s’agit pas d’une dissidence à visée commerciale ou publicitaire mais bien du point de départ d’une évolution nécessaire des standards éditoriaux vers plus de rigueur, en cohérence avec un changement de paradigme dans la recherche elle-même, de plus en plus tournée vers les méthodes modernes et véritablement scientifiques.