La recherche appliquée consiste à étudier la physiologie et les pathologies humaines dans le but de trouver des thérapies. Les animaux utilisés ici sont donc soit sélectionnés pour développer naturellement (ou après modification génétique) quelque chose qui ressemble à la maladie humaine, soit rendus malades artificiellement (injection de substance toxique, par exemple). En aucun cas ces « modèles animaux » ne reproduisent la maladie telle qu’elle se présente chez les patients humains. Cancer, maladies neurologiques, maladies infectieuses, inflammation, transplantation d’organes… Prenez n’importe quel domaine et vous trouverez de nombreux articles scientifiques dans lesquels les chercheurs reconnaissent qu’il n’y a pas de « bon modèle animal ». Nous en avons cité beaucoup dans La Notice d’Antidote. Et nous insistons sur ce fait : les « modèles animaux » induisent en erreur (des thérapies efficaces pour eux ne le sont pas forcément pour l’homme) et font perdre des quantités considérables de temps et d’argent.
Du point de vue de la règlementation, aucune loi n’impose (contrairement à la toxicologie) de faire des études sur des animaux. Le problème ici est de comprendre quelles sont les causes d’une maladie, par quels mécanismes elle se déclenche et se développe et comment pourrait-on agir sur ces causes ou mécanismes pour empêcher que la maladie ne se déclare ou pour en arrêter et inverser la progression.
Notre corps étant composé de cellules, elles-mêmes composées de molécules, il est évident que parmi les méthodes les plus puissantes de la recherche appliquée, nous allons trouver les études cellulaires et moléculaires -sur du matériel humain, bien sûr ! A l’origine d’un cancer, il peut y avoir une mutation génétique ou un dérèglement du cycle cellulaire. A l’origine d’une maladie neurologique, il peut y avoir une accumulation de protéines mal repliées à l’intérieur des cellules nerveuses. A l’origine d’une maladie métabolique (obésité, diabète…), il peut y avoir un dysfonctionnement hormonal, lui-même provoqué par la présence dans le corps de perturbateurs endocriniens issus de la chimie industrielle. Etudier des cellules humaines, soit normales, soit prélevées sur des patients, soit prélevées sur des cadavres de patients, peut donc fournir des données précieuses et pertinentes sur les causes et les manifestations des maladies humaines.
Un médicament est une molécule chimique (naturelle ou de synthèse) qui agit en se liant à une molécule présente dans nos cellules, bien souvent à la façon d’une clé qui fait jouer une serrure. La biologie cellulaire et moléculaire permet donc de recueillir de nombreuses informations sur la toxicité et l’efficacité d’un candidat médicament.
Chacune de nos cellules est « pilotée » par ses gènes, lesquels sont différents d’un individu à l’autre. La génétique et la biologie cellulaire permettent d’étudier non seulement les phénomènes biologiques propres à une espèce mais aussi ceux propres à un individu en particulier, ce qui a donné naissance à la « médecine personnalisée ». Aux méthodes traditionnelles de la biologie cellulaire et moléculaire (observations histologiques au microscope -de plus en plus perfectionné !-, dosages biochimiques, mesures de phénomènes électriques dans les cellules nerveuses, etc.), s’ajoutent depuis le début du siècle des connaissances en génétique humaine chaque jour plus précises. On dispose de la carte et de la séquence de tous les gènes humains et nous progressons de jour en jour dans la connaissance de la fonction de chacun. Ces connaissances ont de multiples applications. La toxicogénomique en est une. Mais aussi la pharmacogénomique, qui consiste à évaluer l’efficacité et la toxicité d’un médicament pour un patient en particulier. Elle est notamment utilisée en cancérologie, domaine où la chimiothérapie peut présenter des effets secondaires particulièrement difficiles à supporter. Cette médecine personnalisée recherche le médicament qui convient le mieux à un patient donné.
L’analyse du génome humain a généré des tonnes de données. Heureusement, la puissance des ordinateurs a augmenté aussi, de sorte qu’une nouvelle discipline est apparue dans les deux dernières décennies : la bioinformatique. Il s’agit de méthodes pour créer des bases de données et en extraire les données les plus significatives. Nos gènes sont constitués de molécules alignées comme un collier de perles. L’ordre dans lequel se trouvent ces molécules est appelé « séquence ». Quand on sait que cette séquence est de l’ordre de 3,5 milliards de « perles » et qu’environ 1% seulement contient les quelque 20.000 gènes humains, qu’entre deux individus humains il existe des millions de différences génétiques (« polymorphisme »), on comprend mieux l’intérêt de faire appel à l’informatique pour stocker et analyser toutes ces données.
Les techniques de culture de cellules humaines ont énormément progressé dans les vingt dernières années. Autrefois cultivées sur une seule couche, les cellules sont à présent couramment cultivées en trois dimensions, plusieurs types cellulaires sont cultivés ensemble, les cellules sont maintenues en vie et fonctionnelles pendant des durées de plus en plus longues. Des chambres de culture dynamiques ont été développées pour assurer la fourniture de gaz et de nutriments, l’élimination des déchets, la stimulation mécanique des cellules, l’étude des échanges entre différents tissus et l’analyse des cellules en temps réel (ALTEX Proceedings, Prague 2014, I-5-706).
La découverte des cellules souches dans le corps des adultes a ouvert d’immenses champs de recherche. Voyez déjà, par exemple, l’interview du Dr Susanna Penco, que nous vous présentions dans La Notice d’Antidote de mars 2014. De nombreuses recherches portent sur les cellules souches elles-mêmes et comment les induire à devenir des cellules ayant une fonction bien définie dans l’organisme.
Quelques applications concrètes de ces méthodes :
– un système de culture de cellules du système nerveux central a permis de modéliser des blessures de la moelle épinière et de tester des médicaments susceptibles de contribuer à la restauration des fibres nerveuses (ALTEX Proceedings, Prague 2014, I-2-314) ;
– des cellules de l’épithélium respiratoire ont été prélevées chez des donneurs sains et des donneurs asthmatiques et mises en culture pour étudier le rhinovirus (ALTEX Proceedings, Prague 2014, VI-1a-740) ;
– un modèle en trois dimensions d’intestin humain inflammé a été développé pour tester des médicaments (ALTEX Proceedings, Prague 2014, VI-1b-393) ;
– un modèle de réponse allergique basé sur la culture de cellules du système immunitaire (lymphocytes T) a été jugé prédictif de la réponse humaine (ALTEX Proceedings, Prague 2014, VI-1b-639) ;
– de la peau humaine reconstituée a été utilisée comme modèle de psoriasis dans lequel certains médicaments ont réduit l’inflammation, suggérant un intérêt pour le criblage préclinique de médicaments (ALTEX Proceedings, Prague 2014, VI-1c-522) ;
– la barrière hémato-encéphalique (cellules qui empêchent certaines substances présentes dans le sang de pénétrer dans le cerveau) a été modélisée à partir de cellules souches de cordon ombilical (ALTEX Proceedings, Prague 2014, VI-4b-836) ;
– et beaucoup d’autres exemples, n’en déplaise aux défenseurs de la recherche animale qui prétendent que ces phénomènes ne peuvent être étudiés que sur un organisme entier.
D’autres applications des cellules souches incluent la production d’organoïdes. Ce sont des structures tridimensionnelles, produites en stimulant chimiquement les cellules souches à des moments bien précis, qui ressemblent, morphologiquement et fonctionnellement, à du tissu oculaire, intestinal, hépatique, rénal, etc. Elles servent à la recherche sur le développement humain, en tant que modèles de maladies pour les essais de médicaments et pourraient aider à régénérer des organes malades. Depuis une dizaine d’années, la recherche dans ce domaine avance à pas de géant. Une recherche bibliographique fournit des milliers d’articles sur le sujet, avec une liste incluant des organoïdes cérébraux, intestinaux, hépatiques, cardiaques, épithéliaux, pancréatiques, etc. Parmi les publications les plus récentes, citons ces titres : « Des organoïdes cérébraux modélisent le développement du cerveau humain et la microcéphalie » (Nature, 19 septembre 2013, 501(7467), pp373-9) ; « Cellules souches hépatiques Lgr5(+), organoïdes hépatiques et médecine régénérative » (Regen Med, juillet 2013, 8(4), pp385-7) ; « Organoïdes intestinaux comme substituts de tissus pour les études toxicologiques et pharmacologiques » (Biochem Phamacol, 15 juin 2013, 85(12), pp1721-6) ; « Organoïdes intestinaux dérivés de cellules souches humaines comme modèles d’infection pour les rotavirus » (MBio, 3 juillet 2012, 3(4), e00159-12) ; « Tester les effets immunologiques des substances chimiques sur des micro-organoïdes lymphatiques humains in vitro » (J Biotechnol, 1er juillet 2010, 148(1), pp38-45)…
Dans son numéro du 30 juillet 2015, l’hebdomadaire scientifique Nature faisait le point sur les applications potentielles de la « banque d’organoïdes » (en plus de celles citées ci-dessus) : source de tissu rétinien pour des thérapies oculaires, glande pituitaire comme source de cellules thérapeutiques pour des désordres endocriniens, rein pour essais de toxicologie et source de tissus pour des transplantations, pancréas pour traiter le diabète et identifier des médicaments contre le cancer du pancréas, estomac pour comprendre le développement de l’estomac et modéliser des maladies gastriques comme l’ulcère, etc.
Parmi les applications qui ont déjà abouti à des essais cliniques, citons l’utilisation de mini-intestins par un chercheur hollandais pour étudier l’efficacité de médicaments pour la mucoviscidose. Des biopsies rectales sont effectuées chez des patients, leurs cellules sont utilisées pour créer des organoïdes intestinaux personnalisés auquels on applique un médicament potentiel. Sur 100 patients, 2 sont en train de prendre un médicament récemment développé et testé pour eux de cette manière.
Comme le rapporte Le Monde du13 mai 2015, ces organoïdes sont aussi utilisés pour la recherche de thérapies contre le cancer. « Des organoïdes ont déjà été dérivés de cancers de la prostate, de la vessie, du côlon ou du pancréas humains. Mais ici, les auteurs franchissent un pas supplémentaire : ils ont testé sur ces modèles en culture 83 médicaments anticancéreux déjà commercialisés ou en cours de développement. » Le but étant de « choisir les armes thérapeutiques qui cibleront au mieux la tumeur de chaque patient. »
La médecine personnalisée, de plus en plus développée par les chercheurs et demandée par les patients, la mieux à même d’apporter une solution thérapeutique efficace et aux effets secondaires le plus limités possibles, ne peut progresser que grâce à des méthodes de recherche exclusivement basées sur les études humaines.
Plusieurs de ces méthodes peuvent être utilisées ensemble pour générer de nouvelles approches de recherche appliquée et de nouvelles approches thérapeutiques. Ainsi, par exemple, grâce aux connaissances en génétique humaine, en culture de cellules souches et en production d’organoïdes, la méthode CRISPR/Cas9 a été appliquée à la recherche d’une possible thérapie pour la mucoviscidose dans un laboratoire néerlandais (Functional repair of CFTR by CRISPR/Cas9 in intestinal stem cell organoids of cystic fibrosis patients, Schwank G et al, Cell Stem Cell, 5 décembre 2013, 13(6), pp653-8). La méthode CRISPR permet de modifier une région précise du génome humain (ou de tout autre génome). Ici, elle a été utilisée pour « corriger » le gène CFTR, responsable de la mucoviscidose. Le Téléthon ne ferait-il pas bien de s’y intéresser ?
Autre exemple, rapporté dans Le Monde du 11 juin 2014 : « chez 12 patients infectés par le virus du sida. Leurs lymphocytes T ont été prélevés et soumis à un système visant à rendre dysfonctionnel le gène CCR5 codant un récepteur qui permet au virus du sida d’infecter les cellules humaines. Puis ces lymphocytes (11% à 28% portaient un CCR5 modifié) ont été réinjectés aux patients. Cet essai préliminaire suggère une bonne sécurité de la méthode. »
Des organes sur puce imprimés en trois dimension, à partir de cellules humaines, peuvent être utilisés en toxicologie et pour évaluer l’efficacité de nouveaux médicaments. De quoi s’agit-il ? Pour faire simple, ce sont des cellules humaines mises en culture avec une technique inspirée des imprimantes à jet d’encre, en plusieurs couches, de façons à reproduire le plus fidèlement possible la structure des tissus humains. Plusieurs de ces « organes » peuvent être combinés pour créer des structures plus complexes.
Par exemple, des chercheurs ont utilisé un circuit biologique interconnecté qui comprend : i) du tissu adipeux en trois dimensions à trois différentes concentrations représentant des masses corporelles caractéristiques du poids normal, du surpoids et de l’obésité ; ii) des cellules hépatiques humaines sur des supports en collagène poreux ; iii) des monocouches de cellules endothéliales humaines. Une forte adiposité et un taux de glucose élevé ont provoqué une inflammation systémique et endothéliale dans le circuit, comme cela s’observe chez des individus humains diabétiques et en surpoids (ALTEX Proceedings, Prague 2014, I-5-407).
Autre exemple de la complexité et du réalisme qu’il est possible d’atteindre dès aujourd’hui : une plate-forme multi-organes sur puce comprenant deux réseaux circulatoires indépendants, des micropompes intégrées à la puce qui produisent une circulation pulsatile, une barrière endothéliale qui peut interagir avec les constituants du milieu de culture et réguler leur diffusion dans le tissu sous-jascent (ALTEX Proceedings, Prague 2014, X-1-152).
La recherche appliquée dispose en outre de nombreuses méthodes pour étudier le corps humain dans son ensemble. Commençons par mentionner l’imagerie médicale qui a, elle aussi, fait d’immenses progrès depuis les premières radiographies prises au début du XXème siècle. On dispose aujourd’hui de nombreux types d’appareils d’exploration et de mesure de certains paramètres physiologiques : scanner, échographie, endoscopie, scintigraphie, tomographie, imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM), électrocardiographie et électroencéphalographie, etc. Tous ces appareils couramment utilisés à des fins diagnostiques sont également à disposition des chercheurs pour faire des études peu ou non invasives et sans douleur, sur des patients ou des sujets sains volontaires.
Notre cerveau est un organe dont le fonctionnement n’a d’égale dans aucune autre espèce animale. L’imagerie médicale permet de l’explorer dans ses moindres recoins, au repos et en activité. Les connaissances que nous avons sur lui permettent, par exemple, d’implanter une électrode dans une structure cérébrale précise chez un individu atteint de la maladie de Parkinson que l’on maintient éveillé pendant l’opération pour mieux diriger l’électrode. Autre exemple, l’implantation de systèmes électroniques chez des paralysés permettant à ceux-ci de commander un curseur d’ordinateur par la seule force de la pensée. Certes, les « interfaces cerveau-ordinateur », comme on les appelle, sont expérimentales. Les applications sont encore à venir. Mais en tant que méthodes de recherche appliquée sur l’homme, elles sont utilisées depuis plusieurs années. Et on continue pourtant à ouvrir le crâne de singes…
La recherche appliquée dispose aussi de méthodes pour étudier des populations humaines. Epidémiologie et statistiques peuvent fournir des données capables d’orienter vers les causes d’une maladie. L’informatique est un puissant allié de ces deux sciences. Les ordinateurs modernes permettent de faire toutes sortes de calculs et de tris à partir d’un grand nombre de données obtenues sur des populations importantes ou sur un grand nombre de paramètres, étudiés sur plusieurs années ou dizaines d’années. L’épidémiologie a, par exemple, joué un rôle important dans l’élucidation des facteurs de risque des maladies cardiovasculaires, au siècle dernier.
Pour supprimer l’utilisation d’animaux en recherche appliquée, il faudrait que les chercheurs apprennent à poser la question de telle sorte qu’il puisse y être répondu par des méthodes de recherche sur l’homme. Il est clair que certaines expériences faites sur des animaux ne pourraient pas, pour des raisons éthiques, être faites selon le même protocole sur l’homme. Mais de quelle valeur sont leurs résultats ? Exemple : cela fait des années que l’on inocule le virus du sida (VIH) à des animaux, y compris à des chimpanzés -qui ne développent pas cette maladie- pour tester ensuite des médicaments ou vaccins sur ces animaux. Tous les essais de vaccins développés sur des animaux ont échoué sur l’homme. Or, Claude Reiss, président d’Antidote Europe, a mis au point une classe de molécules qui pourraient peut-être débarrasser un corps humain du VIH. Ces molécules sont protégées par un brevet déposé par le CNRS et délivré aux Etats-Unis mais n’ont jamais fait l’objet d’essais cliniques. Elles sont efficaces in vitro. Il serait facile d’en évaluer la toxicité éventuelle pour l’homme (voir le chapitre toxicologie). Claude Reiss n’a jamais travaillé sur des animaux. Il a simplement posé le problème en termes pouvant être étudiés par la biologie cellulaire et moléculaire. Cette approche, complétée selon les cas par les méthodes disponibles pour étudier les individus et les populations humaines, devrait être la norme dans tous les domaines de la recherche appliquée.