Etude « Test cancer » : mission accomplie !
Nous avons àvous faire partager une immense joie et une grande préoccupation. La joie d’avoir terminé notre étude “Test cancer” et de la voir publiée dans un très prestigieux périodique scientifique. La préoccupation pour notre santé et celle des générations futures car cette étude met en évidence certains des effets néfastes de combinaisons de pesticides à des doses auxquelles nous sommes tous exposés. La balle est à présent dans le camp des autorités en charge de la santé publique : vont-elles prendre les mesures appropriées ?
Notre projet “Test cancer” avait vu le jour à l‘été 2008. Nous souhaitions faire une étude scientifique démontrant que l’on pouvait mettre en évidence les effets toxiques, en particulier cancérigènes, de substances chimiques sans recourir aux tests sur des animaux. Ce projet faisait suite à notre analyse de 28 substances chimiques par toxicogénomique en 2005. En trois ans, les techniques modernes avaient beaucoup évolué, permettant une étude encore plus précise que la première.
Début 2008, nous étions contactés par l’association Générations Futures qui avait mis en évidence la présence de plusieurs pesticides dans une même grappe de raisin achetée dans le commerce et qui nous a demandé si nous pouvions démontrer les effets toxiques de ces pesticides.
Générations Futures et Antidote Europe se sont donc associées pour concevoir et financer les expériences nécessaires à cette démonstration. Notre étude “Test cancer” s’est orientée vers la mise en évidence des effets des mélanges de substances chimiques, un domaine encore très peu exploré à l‘époque. Cette étude nous tenait à coeur pour au moins deux raisons. D’abord, comme nous l’avions fait en utilisant la toxicogénomique de façon originale en 2005, montrer aux autorités l‘énorme potentiel et les avantages des méthodes de toxicologie modernes. Ensuite, montrer que ces méthodes permettent de faire des tests impossibles à réaliser sur des animaux, tests pourtant nécessaires puisque les mélanges de pesticides et autres substances chimiques correspondent bien aux conditions d’exposition de la population.
L‘ère des tests de toxicologie faits sur des animaux doit prendre fin. Les autorités en charge de la santé publique doivent reconnaître que ces tests sont obsolètes, qu’ils n’ont aucune fiabilité, en plus d‘être longs et coûteux. Si elles n’imposent pas, par une réglementation adaptée, les tests modernes dont nous (entre autres) venons encore une fois de démontrer la fiabilité et la précision, elles seront tenues pour responsables de la dégradation de la santé de notre génération et de celles à venir.
L‘étude a consisté àmettre des cellules humaines en culture et à les exposer à trois pesticides (détectés dans du raisin de table), chacun isolément, puis en mélange. Claude Reiss et André Ménache ont discuté des modalités techniques avec Michael Coleman, professeur de toxicologie et directeur d’un laboratoire de toxicologie à l’Université d’Aston, au Royaume Uni (1). Une fois le protocole expérimental établi, c’est l‘équipe du Pr Coleman qui a réalisé toutes les expériences.
Des cellules humaines neuronales et gliales ont été utilisées. Ces deux types de cellules coexistent dans le cerveau et le SNC humain. Toutes deux sont des lignées établies qui ont été extraites de tumeurs prélevées chirurgicalement et disponibles commercialement (il ne s’agit pas de cellules souches embryonnaires, elles ne pose donc pas de problème éthique). Les cellules neuronales SH-SY5Y et les cellules gliales U251 utilisées dans notre étude ont été isolées il y a plusieurs dizaines d’années et leurs propriétés biologiques sont bien connues. Notre équipe scientifique les a donc choisies comme modèles de notre SNC pour ces expériences.
Les pesticides (plus précisément des fongicides) testés sont le pyrimethanil, le cyprodinil et le fludioxonil. Les cellules ont tout d’abord été exposées à différentes concentrations de chacune de ces substances ainsi qu’au mélange des trois, de façon à définir les concentrations auxquelles des effets sont constatés et les concentrations de cytotoxicité (concentration tuant les cellules). Les essais ont été par la suite effectués en-dessous de ce seuil pour permettre aux cellules de réagir. Les deux lignées cellulaires ont été affectées de façon comparable par le mélange des pesticides ainsi que par le fludioxonil et le cyprodinil seuls, tandis que le pyrimethanil s’est avéré plus toxique pour les cellules gliales que pour les cellules neuronales.
On a cherché ainsi à comprendre par quels mécanismes les pesticides ont affecté les cellules, ce qui est important pour évaluer les possibles effets toxiques à long terme sur les cellules et, donc, sur l’organisme humain. C’est évidemment la partie la plus importante de l‘étude, les tests de cytotoxicité n‘étant qu’un préalable à celle-ci. Contrairement à une affirmation récurrente de nos adversaires qui prétendent que seuls les tests sur des animaux permettent d‘évaluer les effets d’une substance chimique à long terme sur un organisme entier, les modèles cellulaires le permettent bien aussi à condition de ne pas se limiter à une simple mesure de la cytotoxicité et d’utiliser les connaissances acquises depuis quelques décennies en biologie moléculaire et, surtout, en génétique humaine.
Plusieurs tests ont été effectués pour mettre en évidence les effets des pesticides à des concentrations non létales et après une période d’exposition de 48 heures :
- la mesure du potentiel de membrane mitochondriale ;
- la mesure de l’ATP par luminescence ;
- la mesure du glutathion ;
- la mesure de l’expression de certains gènes (caspase-3, superoxyde dismutase et glutathione peroxydase) par la technique de la réaction de polymérisation en chaîne (PCR) en temps réel.
Les deux premiers tests effectués visaient à étudier l’effet des pesticides sur les mitochondries qui sont les générateurs d‘énergie de nos cellules.
1. Le premier test a révélé que sur les deux lignées cellulaires, le cyprodinil et le mélange des trois étaient les plus toxiques. Venaient ensuite, par toxicité décroissante, le fludioxonil sur les cellules neuronales et le pyrimethanil sur les cellules gliales, puis le pyrimethanil sur les cellules neuronales et le fludioxonil sur les cellules gliales. Ce test indique l‘état de la membrane mitochondriale. Si elle est en mauvais état (dépolarisée), les mitochondries seront détruites et la production d‘énergie dans la cellule ne pourra pas se faire. Plus il y aura de mitochondries détruites et moins la cellule sera capable d’assurer sa fonction, faute d‘énergie suffisante.
2. Le deuxième test mesurait la quantité d’ATP, c’est-à-dire de la molécule que les cellules utilisent comme “combustible” (source d‘énergie). L’ATP est produit dans les mitochondries. De façon logique, il a donc été constaté que les trois pesticides isolément et en mélange ont fait chuter la quantité d’ATP disponible sur les deux lignées cellulaires. Toutefois, il n’y a pas eu, ici, des différences significatives : les lignées cellulaires réagissent “ à fond “ aux trois fongicides comme à leur mélange, avec un petit “ plus “ pour le cyprodinil qui s’est montré plus toxique que le pyrimethanil sur les cellules neuronales.
Au total, les cellules gliales ont paru plus résistantes que les cellules neuronales à la destruction des mitochondries. Dans notre cerveau, les cellules gliales ont un rôle nourricier et protecteur (entre autres) vis-à-vis des neurones qui sont les responsables de la transmission nerveuse et, donc, des fonctions cérébrales (perception, cognition, mémoire, etc.).
Les deux derniers tests visaient à mettre en évidence le stress oxydant, une agression qui peut aller jusqu‘à provoquer la mort de nos cellules et contribuer au vieillissement de l’organisme, ainsi que la capacité de détoxification des cellules.
3. Le glutathion est une petite molécule formée de 3 acides aminés, dont la cystéine qui assure ses principales propriétés biochimiques. Présente en abondance dans toutes nos cellules, le couple formé par les formes réduites et oxydées de la glutathion permet de “ manipuler “ les électrons dans la cellule. Elle “neutralise” entre autres les radicaux libres de l’oxygène, lesquels peuvent être très agressifs pour tout le métabolisme cellulaire et même induire des mutations génétiques. Un taux de glutathione élevé correspond à une bonne défense des cellules face aux radicaux libres, responsables de ce que l’on appelle “stress oxydant” ou “stress oxydatif”. Or, notre troisième test a indiqué que, à de faibles concentrations, le cyprodinil et le pyrimethanil induisaient des réductions significatives de glutathione dans les cellules neuronales ; le cyprodinil et le fludioxonil induisaient des réductions de glutathione dans les cellules gliales ; la combinaison des trois induisait des réductions dans les deux lignées cellulaires, à faible et à forte concentration.
4. Lors du quatrième test, les variations d’expression de certains gènes ont été étudiées par toxicogénomique. Il s’agit d’une variante de la méthode que nous avions utilisée en 2005, qui était basée sur des puces à ADN pour révéler les modifications de l’expression des gènes. Les progrès faits depuis ont développé une autre méthode (qRT PCR, ici méthode avec intercalation de SYBR-Green) qui permet aussi de déterminer le nombre de copies du messager du gène ciblé, mais plus rapidement et plus précisément.
Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la dérégulation, en présence des fongicides, de 3 gènes associés au stress oxydatif : la glutathion peroxydase (GPx, ne pas confondre avec GSH, près de 100 fois plus petit que GPx), enzyme qui accélère considérablement la production de glutathion oxydé à partir du glutathion réduit, donc la destruction par GSH des radicaux libres. La Superoxyde dismutase (SOD), une enzyme qui détruit (dismute) le radical superoxyde O2- en O2 et H2O2. Enfin, la Caspase 3 (CASP3), dont l’expression augmentée prouve que la cellule va vers l’apoptose (suicide programmé, en général consécutif à la destruction des mitochondries).
Exposées pendant 48 heures aux fongicides seuls à des concentrations de 62.5 et 500µM, ces gènes dans les deux lignées cellulaires réagissent très modérément sauf contre le cyprodinil à 500µM. Dans ce dernier cas les cellules neuronales voient leurs gènes SOD et GPx stimulés d’un facteur 5, consistant avec la réaction de dismutation en H2O2 et la destruction de ce dernier par GSH activé par GPx. Exposées à 500µM de cyprodinil, les cellules gliales voient elles l’expression deSOD stimulée 20 fois, mais sans stimulation de GPx. Ces cellules n‘éliminent donc pas les H2O2 créés en abondance par la dismutation, ce qui explique peut-être la stimulation de 12 fois de CASP3, qui signal le suicide cellulaire programmé.
Les résultats les plus spectaculaires sont obtenus avec les mélanges 500µM des trois fongicides. Les cellules neuronales surexpriment près de 20 fois SOD (à comparer aux 5 fois pour le cyprodinil seul), mais la stimulation de GPx est au niveau de celle du cyprodinil seul. La CASP3 étant aussi stimulé 5 fois dans le mélange, il est probable que l’abondance de H2O2 due à la forte dismutation par SOD mais non détruits par GPx dirige la cellule vers le suicide programmé.
Les cellules gliales exposées aux mélanges 500µM des trois fongicides surexpriment près de 30 fois le gène GPx, dont les niveaux d’expressions aux substances pures sont quasi inexistants. Comme la surexpression dans le mélange de SOD est comparable à celle du pyridanil seul, la forte surexpression de GPx signifie que le mélange stimule très considérablement la neutralisation de H2O2. La stimulation de CASP3 dans le mélange est à peine supérieure à celle due au cyprodinil seul.
Les trois gènes étudiés sont très actifs dans la lutte des cellules étudiées contre le stress oxydant. Plus l’agression est forte et plus l’expression de ces gènes va augmenter de façon à permettre à la cellule soit de tenter de réparer les dégâts, soit de se “suicider” si elle n’est plus viable. Le test a montré que les cellules gliales réagissaient plus fortement au mélange que les cellules neuronales pour l’induction de l’apoptose (près de 3 fois) et la mobilisation de la glutathion superoxydase (près de 6 fois), de façon comparable pour la SOD.
Interprétation des résultats
Chacun des trois pesticides et plus encore leur combinaison ont affecté très fortement la capacité des deux types de cellules nerveuses à produire de l‘énergie. Or, on sait qu’une faible production d‘énergie par nos cellules nerveuses est un mécanisme possible de neurotoxicité in vivo. Neurotoxicité qui, selon les individus, la nature de l’exposition (aiguà« ou chronique, forte ou faible dose, etc.), les interactions avec d’autres substances chimiques ou d’autres facteurs, pourra éventuellement se traduire par une évolution vers des maladies comme celles de Parkinson ou d’Alzheimer.
Chacun des trois pesticides et plus encore leur combinaison a également affecté l’expression de gènes qui protègent les cellules contre le stress oxydant et contre les substances toxiques. Or, le stress oxydant peut mener à la disparition pure et simple des cellules ou (entre autres) au déclenchement d’un processus cancéreux.
Grâce aux données de santé publique disponibles auprès d’organismes comme l’INED, l’INSERM, etc. nous constatons que le nombre de personnes atteintes de cancer, de maladies neurodégénératives, de diabète et autres maladies graves ne cesse d’augmenter depuis les années 1960. Notre étude apporte une nouvelle preuve du lien possible entre l’exposition à certaines substances chimiques et la survenue de ces maladies. Nous avons montré qu’il est possible d‘évaluer la toxicité des substances chimiques de façon fiable et que ce sont ces méthodes modernes qui devraient être imposées par la réglementation plutôt que les tests sur des animaux. Ces derniers peuvent induire en erreur (et par la même occasion permettre aux fabricants d‘écouler des substances en fait très toxiques pour l’homme), ils sont beaucoup trop longs à mettre en éuvre (alors que de très nombreuses substances sont “inventées” chaque année) et ils sont très coûteux.
Nous appelons donc les autorités en charge de la santé publique à légiférer pour que cesse le recours aux tests de toxicologie sur des animaux, pour que les méthodes modernes et fiables soient mises en éuvre, pour que la toxicité des substances soit enfin évaluée et pour que les plus toxiques de ces substances soient interdites. Des exemples comme le bisphénol A ont montré que les fabricants étaient capables de trouver des substances de remplacement quand une substance dont la toxicité est démontré a été interdite. Notre santé ne doit plus être sacrifiée aux profits des industriels de la chimie ou des phytosanitaires!
Consécration
Comme nos lecteurs fidèles le savent, cette étude a nécessité des moyens financiers importants (de l’ordre de 70 000 euros) et quatre années de travail. Ce délai extraordinairement long n’est pas dû au temps nécessaire pour réaliser les expériences puisque, comme nous le disons régulièrement, ces méthodes sont beaucoup plus rapides que les tests sur des animaux qui, eux, peuvent prendre jusqu‘à deux ans pour une seule substance. Quelques semaines seulement seraient nécessaires pour réaliser notre étude dans un laboratoire préalablement équipé. Le coût par substance serait également très faible dans un tel laboratoire.
Le coût et le temps qu’il nous a fallu s’expliquent par le fait que nous avons conçu l‘étude de A à Z, que nous avons dû jongler avec la disponibilité de l‘équipe de chercheurs universitaires et régler à la fois le coût du matériel et les honoraires des chercheurs, que nous avons dû réaliser un complément d‘étude suite à la demande d’un périodique scientifique et que nous étions, depuis plusieurs mois, dans l’attente de l’acceptation pour publication.
Or, la vraie consécration de notre étude est, précisément, la publication dans une très prestigieuse revue à comité de lecture. Nous vous l’avons expliqué dans les Notices précédentes, les résultats d’une étude scientifique sont bien davantage pris au sérieux s’ils sont publiés dans de telles revues, les plus prestigieuses de préférence. Nous avons voulu donner le plus de poids possible à cette étude et sommes donc très heureux d’avoir pu annoncer sa publication dans PLoS ONE d’août 2012 (2).
Le 7 août 2012, nous avons diffusé un communiqué de presse que ceux d’entre vous qui nous ont donné leur adresse électronique ont dû recevoir. A l’heure de boucler cette Notice, il est trop tôt pour connaître les échos que cette étude aura dans les médias grand public mais Claude Reiss a été interviewé par un journaliste du Monde dès la publication de l’article scientifique, avant même la diffusion de notre communiqué de presse !
Un grand merci !
Accomplir ce travail n’aurait jamais été possible sans le soutien financier de beaucoup de nos adhérents, ceux qui avaient répondu à notre appel de l‘été 2008. C’est donc tout naturellement d’abord à eux que vont nos très vifs remerciements. Nous remercions également du fond du céur les organisations qui nous ont envoyé leur soutien, à savoir, par ordre alphabétique : Fondation Marchig, Générations Futures, Union belge pour l’abolition de l’expérimentations sur les animaux vivants (UBAEAV).
(1) Nous vous proposions une interview de lui dans La Notice d’Antidote de septembre 2008.
(2) Référence précise consultable sur internet : “A Preliminary Investigation into the Impact of a Pesticide Combination on Human Neuronal and Glial Cell Lines In Vitro” by Michael D. Coleman, John D. O’Neil, Elizabeth K. Woehrling, Oscar Bate Akide Ndunge, Eric J. Hill, Andre Menache, Claude J. Reiss