Entretien avec Michelle Julien
Entretien avec Michelle Julien, volontaire pour des essais de médicaments
Michelle Julien est essayiste, auteure de plusieurs ouvrages, fondatrice de StopVivisection.info, site Internet aujourd’hui disparu. Parmi ses œuvres, « Le Monde ignoré des testeurs de médicaments » (éditions du Cygne, 2008) a particulièrement retenu notre attention.
Avant-propos
Antidote Europe considère qu’il est important de diffuser le témoignage de Michelle Julien, courageux et rare, paru dans son livre publié en 2008. L’interview ci-dessous, réalisé en octobre 2023, retrace son expérience d’insider des essais cliniques de phase 1. Nous ne partageons pas nécessairement tous les propos qui y sont tenus. En effet, il est important de signaler que la science a évolué depuis mais, pourtant, la réglementation impose toujours d’utiliser des animaux et des personnes en bonne santé, souvent jeunes, pour tester des médicaments destinés aux malades, lesquels peuvent constituer une population très diverse en termes d’âge, de profil génétique ou de comorbidités. L’industrie pharmaceutique pourrait, si elle le souhaitait, remplacer ce vieux paradigme par des technologies dignes du 21ème siècle désormais disponibles mais largement sous-utilisées. L’un des meilleurs exemples en est la technologie des organes sur puce d’origine humaine, tels que le foie-sur-puce, qui a déjà démontré ses capacités à révéler des effets indésirables graves liés à certains médicaments, effets que les essais sur des animaux n’avaient pas détectés. Ce fait n’est pas anodin, vu que les lésions hépatiques d’origine médicamenteuse représentent la raison la plus importante du retrait d’un médicament du marché. Il est temps d’arrêter les essais sur des animaux et sur des volontaires sains à la lumière de nos connaissances actuelles en science du vivant.
Antidote Europe (AE) : Merci à vous d’accepter de témoigner sur votre expérience en tant que « volontaire sain » à plusieurs essais cliniques en France et en Angleterre. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce qui vous a poussée à participer à ce genre d’expérience ?
Michelle Julien (MJ) : Depuis très jeune, j’ai toujours été contre l’expérimentation animale. Je me souviens adolescente des campagnes de sensibilisation contre les tests cosmétiques – sur les lapins, en particulier, des images choquantes circulaient. Un jour lors d’une conversation avec Mai, une collègue d’Eurodisney, sur le moyen d’arrondir les fins de mois – nous travaillions à mi-temps – elle m’informe qu’il existe des tests cosmétiques rémunérés pour « des femmes comme moi », c’est-à-dire à la peau blanche. Mai était d’origine vietnamienne et trouvait inadmissible que ces tests ne concernent pas les femmes d’autres ethnies que caucasiennes. Puis, elle ajouta qu’il existe aussi des tests de médicaments rémunérés, mais seulement les hommes étaient concernés par ces tests.
J’étais très intriguée par cette histoire de médicaments testés sur des hommes, et seulement les hommes, pourquoi ? Je découvrais que ce qui existait déjà pour les animaux, l’était également pour les humains – c’était bien la première fois que j’entendais cela ! En effet, je croyais à l’époque que les expérimentations se pratiquaient sur les animaux pour « éviter » l’utilisation d’humains…
AE : Les autres testeurs de médicaments, que vous avez rencontrés, étaient-ils aussi sensibilisés à l’expérimentation animale ?
MJ : Dès le premier chapitre de la première page du document de consentement – que les testeurs doivent obligatoirement lire et signer s’ils acceptent leur participation au protocole – sont divulgués les effets secondaires et indésirables observés sur les animaux (des chiens et des singes, les rongeurs ne sont pas cités) ; mais également sur les humains, si le protocole a déjà été conduit sur eux – ce qui était généralement notifié (à mon époque) : « hommes, États-Unis ». Précision nécessaire : en tant que femme je n’ai jamais été enrôlée dans le tout premier essai d’un nouveau médicament sur humain : « first in Man clinical study ».
Tous les testeurs hommes que j’ai côtoyés n’étaient aucunement sensibilisés à la problématique de l’expérimentation animale. Je suppose même que cela devait les rassurer : si des tests ont déjà été réalisés sur des animaux… Toutefois, ce qui les rassurait vraiment était la présence de femmes enrôlées dans le même protocole qu’eux et, mieux encore, celle de volontaires âgés. Par exemple, lors de mon dernier essai clinique sur le diabète de type 2, la tranche d’âge avait été élargie aux 46 à 65 ans. Un jeune volontaire novice de mon protocole me glissa un jour à l’oreille : « Quand j’ai vu qu’ils prenaient aussi des vieux, alors je me suis dit que je ne risquais rien ».
AE : Pouvez-vous nous décrire les types de médicaments que vous avez testés ?
MJ : Plusieurs fois, j’ai testé un traitement médicamenteux contre le diabète de type 2, à une époque (les années 1990) où le business des statines explosait. Ainsi, tous les labos voulaient avoir leur part du gâteau, en mettant sur le marché leur Me Too (1). La pandémie d’obésité et son flot de comorbidités (hypertension, maladies cardiovasculaires, etc.) sont tout simplement du pain béni pour les labos, encore plus aujourd’hui ! D’ailleurs mon dernier protocole concernait une nouvelle fois le diabète de type 2, réalisé quelques temps après celui du tragique TGN1412 au Royaume Uni en 2006 (2).
J’ai également participé à un test médicamenteux pour soigner l’épilepsie. C’est véritablement la seule fois où je me suis sentie « utile », dans le sens que l’épilepsie est une vraie maladie subie, et non auto-infligée par une mauvaise hygiène de vie ou/et une addiction. J’ai aussi testé un hypotenseur et un traitement contre le reflux gastrique (inhibiteurs de la pompe à proton) : encore des Me Too, tout ce qu’il y a de plus banal, finalement…
AE : Considérez-vous que les « volontaires sains » soient suffisamment informés et suffisamment protégés pour donner leur consentement libre et éclairé ?
MJ : Avant tout, il n’y a aucun doute sur le fait que les volontaires sains savent qu’ils participent à un essai clinique sans bénéfice direct, donc sans issue thérapeutique pour eux. Ils sont informés du type de médicament, sa voie d’administration (orale, intraveineuse) avec le nom du promoteur, donc du labo, pour traiter telle maladie, ainsi que les contraintes liées au test : jours et nuitées d’enfermement, nombre de prises de sang, cathéter, etc.
Sur chaque document de consentement sont inscrits le Code de Nuremberg (rédigé par des juristes, c’est donc une loi), ainsi que la déclaration d’Helsinki (une recommandation éthique de bonnes pratiques rédigée par des médecins). Je ne connaissais pas le Code de Nuremberg, avant ma première participation à un essai clinique ; néanmoins, je compris instantanément sa référence au procès de Nuremberg et particulièrement aux expérimentations de médecins nazis sur les prisonniers qu’ils traitaient comme des « cobayes ».
Maintenant, vous me demandez si les volontaires sont « suffisamment informés », je vous réponds : même les médecins investigateurs (ceux qui conduisent les protocoles et s’assurent de leur bon fonctionnement) ne le sont pas entièrement. Pourquoi ? Qui finance les essais cliniques ? Les promoteurs. Qui analyse les données collectées par les médecins investigateurs ? Les promoteurs. Vous me demandez également si les volontaires sont « suffisamment protégés ». Qui chapeaute et donne l’autorisation de conduire un essai clinique ? Les agences publiques de réglementation des médicaments, dont les membres ont des intérêts avec l’industrie pharmaceutique. Toutefois, il faut garder en mémoire que l’objectif principal des essais cliniques est l’obtention de l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché). Les labos n’ont donc pas la volonté d’avoir des volontaires sains blessés ou qui meurent lors d’essais cliniques, leur business plan s’écroulerait…
AE : Au cours des essais cliniques auxquels vous avez participé, y a-t-il des choses qui vous ont choquée ? Des exemples ?
MJ : Le comportement de certains médecins lors de la pose de cathéters. J’avais d’ailleurs surnommé l’un d’eux « le boucher » : ça en dit long du respect de certains de ces médecins vis-à-vis du bien-être des volontaires. Le manque d’hygiène également, chez certains médecins. Par exemple, j’avais participé à un essai sur le reflux gastrique qui consistait, avant l’administration du cacheton, en la pose d’une sonde gastrique pour monitorer le taux de pH de l’estomac. Cette sonde est un long et fin tuyau que le médecin investigateur fait glisser par une narine jusqu’à l’estomac. Clairement, ce toubib ne s’était même pas donné la peine de se laver les mains car je pouvais sentir l’odeur infecte du tabac sur ses doigts. C’est connu que certains médecins ne sont pas de bons modèles de santé publique – à l’image de leurs patients, finalement. Ce qui explique en partie pourquoi ils sont bien plus prompts à les gaver de médocs, plutôt que de leur donner des conseils pour améliorer leur hygiène de vie.
Néanmoins, ce qui m’a le plus frappée, et continue de me choquer aujourd’hui, est l’attitude de la société en général – grand public, journalistes – à l’encontre des volontaires sains. Il y aurait beaucoup de choses à dire, et surtout à dénoncer, sur l’attitude condescendante, pour ne pas dire méprisante des journalistes français…
Mais comme je dois faire court, je donnerai alors un seul exemple qui me semble illustrer l’hypocrisie systémique de notre société vis-à-vis de l’expérimentation humaine… et animale. Au premier jour de l’administration du médicament, tous les volontaires d’un protocole sont regroupés dans une salle, sous la surveillance du médecin investigateur et d’un à deux autres médecins. À côté de moi, se trouvait un jeune homme d’environ 18-19 ans qui m’avait antérieurement raconté qu’il participait pour la première fois à un essai clinique et voulait se payer son permis de conduire. Soudainement, le père du garçon déboula dans la salle en hurlant à son fils de le suivre et en sermonnant vertement les médecins : « Vous n’avez pas honte de traiter mon fils comme un vulgaire cobaye, faites donc à la place vos expérimentations sur des animaux !!! ».
AE : Avec le recul, participeriez-vous aujourd’hui aux essais cliniques en tant que volontaire sain ? Pourquoi ?
MJ : Oui, c’est la réponse que je fais encore aujourd’hui car la société a besoin d’insiders comme moi : voir, écouter et ensuite témoigner. Bien sûr, l’utilisation de sujets sains en phase I est problématique sur le plan éthique puisque, par définition, ils sont en très bonne santé, donc aucun bénéfice direct. Ils sont jeunes (autour de 20-30 ans), masculins, alors que ce n’est pas le profil de la plupart des consommateurs de médicaments : patients âgés, souvent féminins, avec comorbidité et, par conséquent, prise quotidienne de plusieurs molécules. Mais ce qui est encore plus problématique, c’est que ces essais cliniques sont aujourd’hui majoritairement externalisés dans des pays (Chine, Inde, Pologne, Ukraine, Russie, etc.) où la législation et la médiatisation des accidents ne sont pas du tout au même niveau qu’en Europe de l’Ouest.
À titre personnel, ces tests m’ont appris à aiguiser un regard toujours plus critique envers les labos, les médicaments et les médecins car j’ai compris, grâce à mes participations, que tout est biaisé : pas grand-chose de médical/scientifique et beaucoup de gros sous – certainement pas pour les testeurs ! C’est encore mon regard aiguisé qui m’a déterminée à ne surtout pas céder au chantage de la « vaccination » Covid. Je suis déjà vaccinée par le bullshit des labos !
AE : Un dernier mot à ajouter, pour conclure ?
MJ : Je souhaite conclure en interpellant sur le fait que le terme « essai clinique » ne s’est jamais autant propagé et banalisé depuis 2021, avec la campagne de médiatisation desdits vaccins Covid. La plupart des gens se sont allègrement appropriés ce vocable, alors qu’auparavant il n’était utilisé que par les pharmacologues et autres professionnels liés directement à la recherche médicale. L’ironie de l’histoire montre que ce même grand public continue de croire ce qui conforte ses jugements et de se complaire dans le déni de la réalité : qui sont les vrais « cobayes », et pourquoi ? Ne pas avoir voulu se couper d’un droit au pass loisirs, restos, cinés, déclencha l’approbation massive à l’injection d’un produit toujours en phase expérimentale. Au moins, la majorité des vrais « volontaires sains » acceptent franchement d’être enrôlés dans des essais cliniques, aussi pour des motivations altruistes…
- Un médicament me-too appartient à la même classe thérapeutique qu’un médicament de référence protégé par brevet, mais qui bénéficie d’innovations et de modifications mineures suffisantes pour qu’il ne soit pas considéré comme un générique.
2.Le TGN1412 est un anticorps monoclonal expérimental testé auparavant sur des singes à 500 fois la dose à laquelle ont été exposés six jeunes hommes, qui se sont trouvés très vite aux urgences suite à une réaction violente inattendue.