La culture de cellules humaines au XXIème siècle
Cette interview présente quelques uns des problèmes qui peuvent se poser lorsqu’on désire cultiver des cellules humaines sans aucun recours à des substances d’origine animale. Et montre surtout les solutions !
Cela fait près d’un siècle que l’on sait cultiver des cellules humaines. Mais ces cellules ne constituent un modèle valable pour l’étude des maladies ou de la toxicité des substances chimiques (dont les médicaments) que si leurs caractéristiques sont parfaitement connues. Et ces caractéristiques ne sont connues que lorsque les cellules sont cultivées dans un milieu donné. Changez un paramètre du milieu de culture et vous risquez de ne plus pouvoir compter sur la fiabilité du modèle. Or, traditionnellement, on utilisait le sérum de veau fœtal pour enrichir le milieu de culture. Le remplacement de ce sérum par une alternative synthétique est l’un des grands enjeux de la culture de cellules humaines sans substances d’origine animale. Nous vous présentons ici les travaux d’une chercheuse qui a réussi à mettre au point un modèle de culture de cellules du système nerveux central humain dans un milieu synthétique. C’est forcément un peu technique et d’une lecture difficile pour les non scientifiques mais allez jusqu’au bout, c’est passionnant !
L’interview du Dr Elizabeth Woehrling à propos de culture de cellules humaines
Antidote Europe (AE) : Comment avez-vous commencé à utiliser des méthodes in vitro pour vos recherches scientifiques à une époque où l’utilisation d’animaux est encore courante ?
Elizabeth Woehrling (EW) : Je suis végétarienne et impliquée dans la défense animale depuis mon adolescence. Après ma maîtrise en toxicologie, j’ai obtenu un emploi dans une unité de prévention du cancer. Le plus souvent, j’examinais des échantillons humains (tissu mammaire, etc., prélevé au cours de biopsies ou d’opérations) à la recherche de biomarqueurs du cancer mais, de temps en temps, je devais étudier des organes provenant d’animaux. A ce moment (il y a dix ans), j’ai commencé à lire davantage sur le remplacement en toxicologie et j’ai décidé de jouer un rôle dans ce domaine émergent. J’ai contacté le professeur Coleman (mon collègue, maintenant) car il était connu dans le domaine de la toxicologie in vitro. J’ai eu la chance d’apprendre qu’il venait de recevoir de quoi payer un étudiant en doctorat pour étudier la neurotoxicologie sur des cellules humaines, mettant ainsi au point un nouveau modèle pour l’étude du cerveau humain. C’était une double chance car beaucoup de travail in vitro, alors et maintenant, implique l’utilisation de cellules animales et, bien que cela réduise de beaucoup le nombre d’animaux utilisés pour des expérimentations, ça ne produit pas forcément les données les plus pertinentes pour l’homme. J’ai donc effectué un doctorat sous la direction du professeur Coleman, grâce au financement du Humane Research Trust (HRT),qui finance des recherches sur le remplacement des animaux, puis deux contrats post-doctoraux, le premier financé par le HRT, le second par le British Brain Research Fund (BBRF), qui finance des recherches sur les maladies neurologiques. C’est bien que le BBRF ait vu le potentiel de l’utilisation des méthodes in vitro basées sur l’homme dans ce domaine. Ce qui nous motive n’est pas seulement la question du bien-être animal mais le développement de modèles et de méthodes qui reflètent mieux les maladies humaines, des modèles basés sur l’homme qui, nous l’espérons, fourniront à l’avenir des données sur la toxicité chimique qui sont tout simplement plus pertinentes pour les humains que les données obtenues par des études sur des animaux. C’est une grande entreprise, surtout pour de petits groupes universitaires comme le nôtre avec des ressources limitées par rapport aux organisations dédiées en Europe et aux Etats-Unis, mais plus il y aura de personnes travaillant avec le même objectif et mieux ce sera.
AE : Dans quel domaine de recherche, en particulier, travaillez-vous ?
EW : Au sein du groupe de neurotoxicologie du professeur Coleman, nous avons développé un modèle de neurotoxicité sur des cellules humaines à partir de la lignée cellulaire Ntera2 qui peut être différenciée pour donner une co-culture de neurones du système nerveux central (SNC) et d’astrocytes (NT2.N/A). Nous avons commencé à le valider avec des neurotoxines humaines connues et avec une batterie de tests de biochimie générale et des tests spécifiques des neurones et des astrocytes. L’application de ce système in vitro basé sur l’homme pourrait considérablement augmenter le débit du processus préliminaire de criblage des neurotoxines par rapport aux études classiques sur des animaux, qui plus est d’une façon pertinente et éthique. Ce modèle est souple et a d’autres applications possibles en dehors de la neurotoxicologie. Récemment, nous avons établi la fonctionnalité cholinergique du modèle de co-culture neuronal NT2 et astrocytique (NT2.N/A) et nous l’avons développé pour déterminer le potentiel anticholinergique de certains médicaments, isolés ou en combinaison, en utilisant une imagerie au calcium fluorescent. Des études expérimentales et cliniques ont révélé un lien étroit entre la fonction anticholinergique de certains médicaments et une déficience cognitive aiguë chez l’adulte mais, à ce jour, il n’existe pas de modèle humain pertinent du SNC pour classer le potentiel anticholinergique des combinaisons les plus utilisées de ces médicaments. En parallèle, nous faisons des études pour adapter les cellules NT2.N/A à des conditions de culture sans produits animaux et à l’identification de biomarqueurs spécifiques de neurotoxicité pour des tests in vitro de sécurité des doses répétées de médicaments ou de cosmétiques.
AE : Vous avez récemment publié un article décrivant l’utilisation d’un milieu de culture synthétique pour remplacer l’utilisation, classique, de sérum de veau fœtal pour vos cultures de cellules. Pensez-vous que toute l’utilisation de sérum de veau fœtal pourrait être remplacée par des alternatives synthétiques ? Sinon, serait-ce par « tradition » ou bien parce que la technologie nécessaire doit continuer à évoluer ?
EW : Il y a deux facteurs. Premièrement, alors que le développement de milieux de culture sans substances d’origine animale est un récent progrès, la technologie continue à évoluer en ce qui concerne les types cellulaires individuels. Deuxièmement, le temps nécessaire et le coût d’une totale adaptation et vérification d’une lignée cellulaire sont grands. Je ne peux répondre que pour la lignée cellulaire que nous utilisons, c’est-à-dire la lignée cellulaire humaine Ntera (NT2), à partir de laquelle nous produisons des neurones (NT2) et astrocytes (NT2.N/A) post-mitotiques. Cette lignée cellulaire a été établie il y a plus de trente ans et, depuis, un grand nombre d’équipes ont développé la procédure de différenciation et ont caractérisé les cellules résultantes (en utilisant de nombreux marqueurs protéiques, etc., pour neurones et astrocytes) pour déterminer et vérifier leur fonctionnalité et leur nature post-mitotique et d’appartenance au SNC. Il ne suffit pas de décider de cultiver des cellules dans un milieu synthétique. D’abord, les cellules indifférenciées doivent être adaptées pas à pas au nouveau milieu, ce qui peut prendre des semaines, voire des mois. Ensuite, le processus de différenciation lui-même doit être adapté. Comme le sérum [de veau fœtal] contient des albumines qui se lient à de nombreuses substances chimiques utilisées dans le processus de différenciation, sans ce sérum dans le milieu, plusieurs de ces substances (à présent libres) peuvent se montrer toxiques à leur concentration habituelle. Ainsi, il est nécessaire d’établir de nouvelles concentrations, à la fois non toxiques et efficaces.
KnockOutTM DMEM (de la société Life Technologies, Royaume Uni) est un milieu de culture sans produits animaux, chimiquement défini, récemment développé pour optimiser la croissance et la différenciation des cellules souches pluripotentes. Il s’utilise avec le sérum synthétique GIBCO® KnockOutTM. Toutefois, les propriétés innovantes de ces produits s’accompagnent d’une coût jusqu’à dix fois supérieur à celui de leurs équivalents dérivés d’animaux. Les entités qui financent ne sont pas toujours capables ou désireuses d’intégrer ces coûts. Il peut aussi être nécessaire d’ajouter une grande quantité d’heures de travail pour adapter un modèle cellulaire à croître dans de nouvelles conditions et pour prouver qu’il fonctionne normalement, avec des caractéristiques identiques et avec une durée de vie comparable à celle de la lignée originale cultivée en milieu contenant du sérum de veau fœtal. Sans le Prix LUSH, je n’aurais pas été en mesure de commencer à étudier et à développer la croissance de nos cellules neuronales et astrocytiques dans un milieu synthétique. Et il reste encore beaucoup à faire dans les processus d’adaptation et de vérification avant que nous puissions confirmer que les cellules sont identiques aux neurones et astrocytes NT2 différenciés depuis les dernières 20-30 années.
Elizabeth Woerhrling, docteur ès sciences, est diplômée en chimie et en toxicologie. Elle a une grande expérience professionnelle en neurotoxicologie. Elle est chercheur, membre de l’équipe du professeur Michael Coleman, à l’Université d’Aston, à Birmingham. Elle a pris part à l’étude de l’effet de cocktails de pesticides sur des cellules neuronales humaines financée par Antidote Europe. Elle s’intéresse de près à la recherche sur les méthodes alternatives à l’expérimentation animale, à la communication sur les méthodes basées sur l’homme et à l’acceptation scientifique de ces dernières. Elle est membre de la Société européenne de toxicologie in vitro (ESTIV). Elle a été invitée par le groupe Neurotoxicité du Centre européen pour la validation des méthodes alternatives (ECVAM) à lui présenter le modèle de co-culture qu’elle a développé avec l’équipe du professeur Coleman.