Eau du robinet : amie ou ennemie ?
Suite à des sollicitations pour donner des conférences sur l’eau (notamment à Lyon et à Rillieux-la-Pape), notre président s’est intéressé de près à la composition de l’eau du robinet. Conclusion : pas toujours ce que l’on voudrait nous faire croire…
Par Claude Reiss
L’eau du robinet inspire confiance. Elle est (relativement) bon marché, abondante (chez nous), elle est fraiche et limpide. Il y a parfois une odeur de chlore ou un goût de javel, mais on l’accepte car on nous dit que ça permet d’éliminer divers microorganismes dont certains pourraient nous rendre malades. Le consommateur, qui prend connaissance des comptes rendus sur la qualité de l’eau du robinet, établis par la cellule « EAU » de l’agence régionale de santé, n’apprend guère plus, sauf peut-être une indication de l’acidité (pH), de la dureté (Titre Hydrotimétrique), de la minéralisation (la présence d’ions calcium ou sodium…) et, de rares fois dans un coin en bas de page, l’indication « phytosanitaires » ou « pesticides » « < 0,1µg/l » (inférieur à un dixième de microgramme par litre), une concentration décrétée limite supérieure autorisée. Tout va bien, c’est comme l’an passé…
Qu’y a-t-il vraiment dans le verre ?
Si néanmoins vous insistez pour savoir de quels pesticides il s’agit et si l’employé(e) de la commune le veut bien, on peut vous sortir du fond d’un tiroir quelques feuillets édités par le laboratoire « Santé, Environnement Hygiène » local ou régional. J’ai sous les yeux une liasse de 7 pages sur l’eau potable d’un grand centre urbain, qui énumère plus de 200 substances chimiques produites par l’homme. Ces substances ont été amenées aux stations de pompage par des cours d’eau (ruissellement, lessivage de terres agricoles, effluents non ou partiellement épurés) ou par prélèvement sur la nappe phréatique. Elles ont visiblement passé sans encombre l’étape de purification / potabilité.
Passons rapidement sur les nitrites, fluorures, cyanures, mercure, arsenic, sélénium, etc. Une vingtaine de substances, toutes largement inférieures aux concentrations limites autorisées.
Il y a ensuite une quarantaine de dérivés benzéniques –dont beaucoup sont réputés cancérigènes—, une cinquantaine de « solvants organohalogénés » (chloroforme, bromoforme, dichloroéthane, trichloroéthane, tétrachlorure de carbone…) et plus de 150 pesticides, majoritairement des herbicides, dont certains sont interdits depuis des décennies (metolachlore (cancérigène et perturbateur endocrinien), bromacil (cancérigène), carbofurane (inhibiteur de la communication neuronale…), ou connus comme toxiques de la reproduction (dinoseb, captan…). Les concentrations de tous ces pesticides ont été mesurées 36 fois dans l’année. Toutes ont été trouvées « sous la limite supérieure autorisée », soit uniformément moins de 0,1 microgramme par litre.
Une limite arbitraire
Cette limite très faible peut paraître insignifiante au consommateur d’eau du robinet non averti, mais elle est en réalité très significative en termes de danger pour notre santé, pour au moins six raisons, dont chacune est indiscutable et bien établie.
- Tout d’abord, cette limite ne signifie rien pour l’homme. C’est un héritage datant de plus d’un demi-siècle, basé sur des évaluations anonymes faites sur des rongeurs selon un protocole inconnu et ne répondant probablement pas aux critères scientifiques les plus élémentaires : quel rongeur ? quelle lignée ? quel sexe ? combien d’animaux ? type d’exposition (gavage, inhalation, injection…) ? temps d’exposition ? exposition à la substance liquide, solide, gazeuse ? à quelle concentration ? etc. Même si on devait établir cette limite avec toute la rigueur scientifique requise, elle concernerait l’espèce testée et encore seulement la lignée choisie, une autre lignée dans cette même espèce pouvant donner une limite totalement différente. Soutenir qu’une quelconque limite établie dans ces conditions est valable pour l’homme, même après corrections pour tenir compte de la différence de poids et autres facteurs de « sécurité », est simplement une supercherie caractérisée.
- Dans aucun cas, la concentration de ces substances dans l’eau du robinet n’a été donnée. Or les substances mentionnées ont bien été trouvées, une révélation qui devrait déjà inquiéter le consommateur. D’autre part, les méthodes de mesure utilisées (HPLC/MS/MS, GC/MS…) ont une précision jusqu’à un million de fois meilleure que 0,1 microgramme par litre. Ces mesures ont toutes été répétées 36 fois dans l’année. Pourquoi ne pas donner ces chiffres ? Parce qu’ils pourraient affoler le consommateur ? La rétention d’information est condamnable. Comme on va le voir, il y a en effet de quoi s’affoler.
- La concentration de moins de 0,1µg dans le litre d’eau peut être beaucoup plus importante au niveau de certains tissus et organes du corps, notamment de leurs cellules. Beaucoup de ces pesticides aiment l’eau, ou au contraire ne l’aiment pas. Les tissus adipeux attirent ceux qui n’aiment pas l’eau, ceux qui l’aiment vont préférer les fluides corporels, d’autres encore vont se loger dans des tissus minéralisés (os), où ils vont résider jusqu’à des dizaines d’années ! Le DDT, par exemple, a une demi-vie dans nos os de 20 ans (la concentration y aura chuté de moitié en 20 ans, à condition qu’il n’y ait pas eu de nouvel « arrivage » entretemps). Un commentaire à ce sujet : dans une étude portant sur 8000 femmes dont la moitié souffrait d’un cancer du sein, on a trouvé chez ces dernières 4 fois plus de DDT que chez les témoins indemnes de ce cancer… La majorité des pesticides sont cancérigènes, et on s’étonne que le cancer soit la première cause de mortalité en France ?
- En plus d’être cancérigènes, beaucoup de pesticides sont aussi des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils miment les effets d’hormones, soit pour imiter les actions de ces dernières, soit pour en bloquer les récepteurs ou confisquer les transporteurs qui y mènent. Cette activité hormonale se manifeste à des concentrations infinitésimales. Il suffit d’une molécule d’hormone (qui pèse 0,000…(20 ou 21 zéros)… 001 g) pour déclencher un cataclysme dans la cellule réceptrice et éventuellement la forcer à proliférer et former à terme une tumeur. L’activité des hormones que nous produisons est très précisément contrôlée dans le temps et en quantité, et inhibée quand cette activité doit cesser. Rien de tel pour les perturbateurs endocriniens, dont ceux dans l’eau potable, dans lesquels nous « baignons » en permanence. Et on s’étonne que les cancers dépendants d’hormones (sein, prostate, organes génitaux) soient de loin les plus fréquents ?
- Le cocktail de pesticides dans l’eau du robinet est susceptible de synergies dans notre organisme, pour en particulier augmenter considérablement les dommages causés par des pesticides isolés. En collaboration avec un laboratoire anglais, nous avons montré que trois fongicides présents sur du raisin de table pouvaient multiplier par 100 les effets des fongicides isolés, aux mêmes concentrations (voir La Notice d’Antidote de septembre 2012). Ces effets, de forts stress oxydatifs, sont plutôt inquiétants puisqu’ils tuent deux variétés de cellules dont est fait notre cerveau. Et on s’étonne que le nombre de personnes soufrant d’Alzheimer ait doublé en 10 ans ?
- Enfin, quand ces substances pénètrent dans notre organisme, elles sont « métabolisées » (adjonction d’un H, d’un OH d’un O…) afin de faciliter le transit à travers les tissus ou organes pour parvenir aux cellules. La toxicité de ces métabolites n’a souvent rien à voir avec celle de la substance non métabolisée. Nombre de substances se révèlent cancérigènes seulement une fois métabolisées. Un exemple classique est le benzo-a pyrène, inoffensif, et son métabolite, cette même molécule décorée d’un O et de deux OH, cancérigène sévère. Les métabolites dans les cellules humaines de beaucoup de pesticides sont connus (voir le hors série de La Notice d’Antidote : les toxicités sur des cellules nerveuses humaines de métabolites d’une quinzaine de pesticides étudiés par toxicogénomique).
Tout le monde sait que l’eau du robinet n’est pas un toxique aigu. Pourtant, les effets à moyen et long terme des substances qui y sont dissoutes peuvent s’avérer dangereux pour notre santé. L’eau est un élément vital. Tout le monde n’a pas une source jaillissant à 2500m d’altitude et transporter cette eau pure jusqu’en ville par des canalisations ou bouteilles en plastique risque d’y introduire d’autres polluants dangereux, comme le bisphénol A.
Il faut donc exiger des autorités locales en charge de l’eau potable plus de transparence. Les cachoteries ne génèrent que la méfiance, qui a la vie dure une fois installée. En tout premier lieu, il faut pousser la purification de l’eau bien au-delà de ce qui se fait actuellement. Mettre en œuvre le traitement par l’oxygène, les UV, les filtres de charbon actif, si possible à proximité des lieux de consommation de l’eau. La méthode d’évaluation des risques toxiques que nous avons mise en œuvre il y a 10 ans déjà, permet à peu de frais et rapidement, de donner au consommateur toutes les informations sur la qualité de l’eau du robinet. Pour commencer, il faut « jeter à la rivière » cette notion fumeuse de « concentration limite autorisée », donner les vrais chiffres des concentrations des substances identifiées, notamment les pesticides, signaler ceux qui sont cancérigènes, neurotoxiques, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens, évaluer les effets synergiques de certains cocktails et les toxicités des métabolites humains. Cela va alourdir la facture du mètre cube d’eau mais, à terme, fera faire des économies substantielles sur les budget de santé.
« Right2Water »
La toute première initiative citoyenne européenne à avoir été examinée par la Commission européenne concernait, précisément le « Droit à l’eau ». Les organisateurs demandaient l’accès universel à l’eau et à l’assainissement au sein de l’Union et que l’eau ne soit pas considérée comme une marchandise (régie par les règles du marché intérieur) mais comme un droit humain. Le 19 mars 2014, la Commission européenne donnait une réponse sous forme de félicitations aux organisateurs, de promotion de son propre rôle dans le financement de mesures positives et de proposition de quelques actions qui devraient se faire suite à cette demande citoyenne. Réponse qui ne satisfaisait pas vraiment les organisateurs de l’initiative.
« Ce tout premier exercice paneuropéen de démocratie citoyenne aura pour conséquence directe d’améliorer la qualité de l’eau, les infrastructures, l’assainissement et la transparence pour tous », a déclaré Maros Sefcovic, le commissaire chargé d’examiner cette initiative (http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/sefcovic/headlines/news/2014/03/2014_03_19_right2water_eci_fr.htm). La Commission s’est engagée à lancer une consultation publique (ça ne mange pas de pain !) afin de recueillir l’avis des citoyens et des parties intéressées sur les améliorations à apporter et la manière de procéder (ah bon ! parce que la Commission, elle, ne sait pas comment faire ?). Exercice qui devrait conduire à la révision de la directive sur l’eau potable. Dans combien de temps ? Combien de microgrammes de pesticides seront parvenus dans nos cellules via l’eau du robinet d’ici-là ? Un certain nombre sans doute…