Recherche animale : des médecins s’y opposent
Alors que la recherche animale est souvent présentée comme nécessaire pour faire progresser la médecine humaine, alors que des tests sur des animaux sont obligatoires de par la loi pour évaluer l’efficacité et la toxicité des médicaments destinés à l’homme, beaucoup de médecins sont opposés à l’utilisation d’animaux pour la recherche, la toxicologie et l’enseignement de la biologie humaine.
Des sondages ont montré que l’opinion publique est majoritairement opposée à l’utilisation d’animaux dans les laboratoires. Il serait intéressant de réaliser de tels sondages parmi les médecins, que les médias ont tendance à trop couramment présenter comme soutenant la recherche animale et les espoirs qu’elle apporterait aux patients humains.
En Allemagne, l’association Médecins contre les expériences sur des animaux (Aertze Gegen Tierversuche – DAAE) compte plusieurs centaines de membres, médecins et scientifiques. Elle demande l’abolition immédiate de toutes les expériences sur des animaux et contribue activement à l’information et à la mise en œuvre de méthodes, notamment éducatives, sans animaux. Nous avons le plaisir de vous présenter une interview de l’une de ses vice-présidentes. Nous vous reparlerons bientôt de cette association avec laquelle nous travaillerons désormais régulièrement. André Ménache y a d’ailleurs adhéré et explique sur son site pourquoi il est opposé à l’expérimentation animale. Pour les germanophones : http://www.aerzte-gegen-tierversuche.de/de/ueber-uns/warum-wir-gegen-tierversuche-sind/1959-dr-med-vet-andre-menache.
Entretien avec Corina Gericke, vice-présidente de « Médecins contre les expériences sur les animaux »
Antidote Europe (AE) : Merci, Dr Corina Gericke, de nous accorder cette interview. Pourriez-vous dire à nos lecteurs comment vous, une chirurgienne vétérinaire, vous êtes-vous impliquée dans ce qui est aujourd’hui la plus grande organisation de scientifiques et médecins opposés à l’expérimentation animale en Europe ?
Corina Gericke (CG) : En 1985, étant déjà une anti-vivisectionniste active, j’ai été embauchée comme assistante technique médicale par le laboratoire de biochimie du Dr Bernhard Rambeck. Il était membre du conseil d’administration de DAAE et était l’une des icônes du mouvement anti-vivisection allemand. Par exemple, il est l’auteur du livre « Les Mythes des expériences sur des animaux ». Il est devenu une sorte de mentor pour moi et c’est grâce à lui que je suis devenue active au sein de DAAE, avant d’obtenir mon diplôme de vétérinaire. Ensuite, et après avoir exercé pendant plusieurs années comme vétérinaire, je suis devenue anti-vivisectionniste à plein temps, d’abord pour une organisation de défense animale et plus tard pour DAAE. Depuis 2011, je fais partie du conseil d’administration.
AE : Depuis combien de temps l’organisation existe-t-elle et quels ont été, selon vous, ses plus grands succès ?
CG : DAAE a été fondée en 1979 et a certainement joué un rôle important dans le mouvement contre les expériences sur des animaux. Le plus grand succès de ce mouvement est d’avoir contribué de façon significative au développement des méthodes in vitro. Sans notre travail et sans la pression de l’opinion publique qui en a résulté depuis des décennies, la recherche in vitro n’en serait pas là où elle en est aujourd’hui.
Notre organisation peut se prévaloir de succès spécifiques. Avec nos projets en Ukraine et dans d’autres pays d’Europe de l’Est, nous fournissons des outils pédagogiques sans animaux à des universités désireuses de remplacer l’utilisation d’animaux dans les cours de sciences. Nous avons signé des accords avec les responsables de 55 départements universitaires dans cinq pays, sauvant ainsi au moins 53 000 animaux par an (!) qui, autrement, auraient été tués à des fins d’enseignement. Quand nous avons lancé notre campagne botox, contre le très cruel test DL50 pour évaluer les produits contenant de la toxine botulique en 2007, ce problème était complètement ignoré du public allemand. La pression constante sur les fabricants et sur les autorités a mené à des progrès significatifs dans le remplacement de ce test cruel.
Ensemble avec la Coalition européenne pour mettre fin aux expériences sur des animaux (ECEAE) dont nous faisons partie, nos experts ont aidé à éviter des test de toxicologie sur au moins 18 000 rats et poissons dans le cadre du règlement REACH. Ce ne sont que quelques exemples.
AE : Quels sont, d’après vous, les plus grands obstacles au remplacement de l’utilisation d’animaux en Allemagne aujourd’hui ? Merci d’aborder séparément le sujet des essais sur des animaux dans l’industrie et dans les universités.
CG : L’obstacle majeur est qu’aussi bien l’industrie que les universités ont une énorme influence sur les législateurs. Lors de la révision de la directive européenne 86/609, les lobbyistes de l’industrie et de l’université ont réussi à faire obstacle à la moindre amélioration et lorsque la directive résultante 2010/63 a été transposée en loi allemande, ces lobbies ont réussi à l’affaiblir encore plus. Le résultat est une loi qui ne fait que règlementer les expériences sur des animaux mais qui n’est pas conçue pour mettre fin à aucun d’entre eux.
Si nous examinons l’industrie et les universités séparément, l’un des principaux obstacles pour l’industrie est le ridicule processus de validation qui empêche les alternatives sans animaux d’être implémentées. Les tests in vitro, qui peuvent fournir des résultats plus pertinents que les tests sur des animaux et qui pourraient aussi intéresser l’industrie chimique et pharmaceutique, doivent subir une validation et une approbation règlementaire qui peuvent prendre des décennies et même alors ils ne sont pas toujours acceptés par les autorités ou sont requis en parallèle avec les essais sur des animaux.
En ce qui concerne les universités, il n’y a pas d’obstacles pour elles, elles-mêmes sont l’obstacle. Surtout en recherche fondamentale (recherche motivée par la curiosité) qui, en Allemagne, est principalement faite dans les universités et les instituts Max Planck, où les chercheurs continuent à s’accrocher au système dépassé de l’expérimentation animale, bloquant ainsi l’innovation. Seule une interdiction légale les arrêtera. Mais il est très difficile d’obtenir même de petites améliorations de la loi, en raison du pouvoir de ceux qui ne supportent aucune restriction à l’expérimentation animale. En Allemagne, la liberté de la recherche est un droit constitutionnel qui prévaut sur l’Acte de protection animale. Ce dernier n’est pas efficace pour limiter les expériences sur des animaux. Les autorités responsables de délivrer les licences pour les expériences sur des animaux ont des possibilités très limitées de ne pas approuver une demande. Si la demande est remplie correctement, ces autorités sont obligées de l’approuver.
AE : Voyez-vous des progrès en Allemagne au sein de l’opinion publique et dans la communauté scientifique, en termes de moins dépendre des tests sur des animaux ?
CG : Le public a l’air mieux informé et conscient maintenant qu’il y a trente ans, quand la question était nouvelle. Par exemple, l’un de nos scientifiques (un neurobiologiste), qui mène actuellement une campagne d’information du public avec notre « Camion Souris » à travers l’Allemagne, reçoit des réponses très positives du public.
L’industrie pharmaceutique et chimique mettent beaucoup de moyens dans la recherche d’alternatives sans animaux -principalement pour des raisons financières. Malheureusement, en dépit d’un bon progrès, elles continuent à croire que certaines expériences sur des animaux sont toujours nécessaires. Mais elles sont du moins sur la voie d’une réduction de l’utilisation d’animaux, alors qu’en recherche fondamentale le nombre d’animaux utilisés et tués est en constante progression et les chercheurs qui travaillent dans ce domaine n’ont aucun intérêt à faire autrement que comme ils ont toujours fait.
D’un autre côté, il y a de plus en plus de chercheurs qui remettent en question ce système obsolète. Un nombre croissant de jeunes scientifiques et de nouvelles firmes font de fantastiques progrès dans le développement de méthodes de recherche sophistiquées comme les organes sur puces et croient vraiment à ces voies modernes de recherche. Ils sont le futur !
AE : Pour conclure, y a-t-il d’autres pensées que vous voudriez partager avec nos lecteurs ?
CG : Le combat contre les expériences sur des animaux est ardu, long et parfois frustrant. Toutefois, le droit moral et les faits scientifiques sont de notre côté. Je suis convaincue que le temps viendra où l’humanité tournera son regard en arrière et verra l’expérimentation animale comme ce qu’elle est : un crime, une atrocité et une fraude scientifique. Nous pouvons tous contribuer, chacun à sa mesure, à ce que ce temps arrive le plus tôt possible.