Pr Gianni Tamino : un combat de longue haleine
C’est un plaisir et un honneur de publier cette interview du Professeur Gianni Tamino, opposant de longue date à l’expérimentation animale pour des raisons scientifiques. Claude Reiss et Gianni Tamino ont eu maintes occasions de parler à la même tribune, dernièrement à l’université d’Urbino, il y a quelques années au Parlement européen. Longue vie à Equivita et tous nos voeux de succès !
Nous nous réjouissons de la collaboration que nous entretenons avec Equivita depuis la création d’Antidote Europe. Les présidents des deux associations se connaissaient déjà bien avant et avaient oeuvré ensemble. Cette collaboration a, en particulier, permis d’aboutir à ce que la toxicogénomique soit mentionnée dans le règlement européen REACH sur les substances chimiques, entré en vigueur le 1er juin 2007. Toutes nos félicitations pour les actions qu’Equivita entreprend de son côté.
Antidote Europe (AE) : Nous sommes heureux de collaborer régulièrement avec Equivita, dont vous êtes le président. Quelles sont les principales actions que vous aimeriez lancer ?
Gianni Tamino (GT) : Equivita est née comme comité scientifique contre la vivisection et s’est activement engagée contre l’utilisation d’animaux dans la recherche biomédicale, mais elle a aussi mis en lumière les risques des OGM et, récemment, les dangers que provoque l’utilisation de pesticides dans l’agriculture.
La critique à la vivisection n’est pas de nature éthique mais scientifique : dans la mesure où le résultat des essais sur des animaux ne permet pas de prédire la réaction humaine, la vivisection est nuisible pour l’homme puisque cela revient à tester directement sur l’homme des substances dont les effets, pour lui, n’ont pas été vérifiés ; en outre, on risque d’écarter des substances qui, au contraire, pourraient être utiles pour l’homme, du seul fait qu’elles se sont montrées toxiques sur une ou plusieurs espèces animales.
L’actuel engagement d’Equivita est en faveur d’un changement de paradigme dans la recherche, qui dépasse le réductionnisme, pour arriver à une approche de la complexité.
Expérimentation animale, OGM et abus de substances chimiques en agriculture dérivent tous de la vision mécaniste et réductionniste des êtres vivants, vus comme des sommes de parties et non comme des ensembles complexes. Cette vision mécaniste de la nature assimile les hommes et les animaux à des machines dont on pense pouvoir connaître le fonctionnement à travers une relation mécanique entre les parties. Dans cette optique, l’animal-machine devient un modèle de l’homme-machine, mais pas de l’homme « organisme vivant », puisqu’on ignore les caractéristiques typiques de chaque espèce.
À cause de ces erreurs, chaque résultat expérimental obtenu sur un animal nous fournit des connaissances utiles, dans la meilleure des hypothèses, pour cet animal (même si un animal de laboratoire, tenu en cage, a des comportements différents de ceux qui vivent en liberté). Les résultats obtenus sur un animal sont peut-être valables pour l’homme mais peut-être pas : nous ne saurons s’il y a concordance entre l’homme et cet animal qu’après avoir observé les effets des mêmes substances sur l’homme.
De même, on pense qu’il serait suffisant d’ajouter un gène à des milliers d’autres pour faire fonctionner à notre convenance une plante ou un animal (OGM). C’est ignorer que les gènes interagissent entre eux dans un système complexe, qui fonctionne en réseau. Enfin, les pesticides ont pour objet de détruire tout ce qui est autour de la plante cultivée. C’est ignorer que dans la nature le but est l’équilibre et non l’anéantissement des autres espèces, toutes utiles au sein d’un écosystème.
Pour Equivita, il faut faire comprendre à un vaste public que l’expérimentation sur les animaux fournit aux producteurs de médicaments et de produits chimiques (comme les pesticides) la possibilité d’orienter les résultats des tests, en choisissant l’espèce animale ou simplement les conditions de l’expérience, avec le but de commercialiser, dans une optique de profit, des milliers de produits qui, une fois introduits sur le marché, se révèlent souvent inutiles et parfois nuisibles.
C’est donc l’homme le vrai cobaye, l’animal n’étant qu’un alibi pour permettre de passer à l’expérimentation humaine dans le cas des médicaments, ou directement à la commercialisation dans le cas des pesticides.
AE : L’Italie est considérée comme l’un des pays les plus avancés au monde concernant le mouvement scientifique antivivisectionniste. C’est grâce à des chercheurs comme vous et comme votre ancien confrère, le Professeur Pietro Croce. Pouvez vous nous donner quelques informations historiques à ce sujet ?
GT : En 1976, le livre de Hans Ruesch Impératrice nue était publié. Il a provoqué même en Italie une vague de dédain qui a favorisé la naissance de plusieurs associations opposées à la vivisection. En 1988, naissait la Fondation Impératrice nue, dans le but de réunir des médecins, des philosophes et des écrivains opposés à la vivisection. Deux ans plus tard naissait le Comité scientifique antivivisectionniste (CSA), composé de médecins, biologistes, vétérinaires, pharmaciens, chercheurs, et qui allait devenir Equivita. Pour le CSA, l’expérimentation sur des animaux est, comme l’avait déjà expliqué Pietro Croce, une erreur méthodologique, une mauvaise science, qui, en se basant sur le concept de « semblable », valorise dans la science biomédicale quelque chose qui n’a pas de fondements.
Il y a eu ensuite beaucoup d’initiatives et de rencontres avec une grande participation du public, comme en novembre 2002, à l’occasion du Forum social européen de Florence. Equivita y avait organisé une rencontre sur la « culture réductionniste et l’expérimentation animale » qui visait à offrir un cadre actuel de la gestion de la complexité des systèmes naturels, en affrontant les risques des biotechnologies et de l’expérimentation sur les animaux, considérées comme l’étendue de la vision réductionniste à chaque secteur de la science et de la vie.
AE : En tant que scientifique vous n’avez jamais pratiqué l’expérimentation animale. Qu’est-ce que vous considérez aujourd’hui comme le plus grand obstacle à l’élimination de cette « mauvaise science » ?
GT : Les chercheurs et l’industrie préfèrent utiliser les tests sur des animaux parce que cette méthode permet d’obtenir la réponse la plus agréable (de tels tests ont servi à dire que la fumée de cigarette était cancérigène, ainsi qu’à le nier), et permet de rendre impossible le contrôle sur des millions de substances chimiques différentes mises sur le marché dans les vingt dernières années.
Il y a en outre une inertie culturelle des chercheurs : celui qui utilise des animaux à des fins expérimentales ne s’est jamais posé la question de savoir si cette pratique est digne de foi scientifiquement. D’autant moins si cela lui a été imposé comme un « mal nécessaire » au cours de ses études. Cet état de choses est renforcé par le contexte social et culturel dans lequel on pense que l’emploi d’animaux serait nécessaire et justifié, et dans lequel ceux qui les utilisent sont considérés par le plus grand nombre comme des bienfaiteurs de l’humanité. Expérimenter sur des animaux est un métier, avec ses procédures et fonctions spécifiques, qui permet de publier facilement des recherches et donc de faire carrière. Il est donc évident que celui qui a appris à le faire a tout intérêt à le défendre.
AE : A votre avis, y a-t-il plus de conscience en Italie aujourd’hui par rapport à la dernière décennie concernant le lien entre les tests sur des animaux et la santé humaine ?
GT : Je ne sais pas si en Italie la conscience du dommage provoqué à notre santé par les tests sur les animaux a augmenté. Mais ce qui a sûrement augmenté, c’est la déception vis-à-vis de la médecine moderne, qui avait promis la défaite de chaque maladie et du cancer en particulier, grâce à l’expérimentation animale. Cette déception peut favoriser le recours à de fausses thérapies plutôt que favoriser une nouvelle médecine qui garantisse la santé comme bien-être psycho-physique, en mesure de nous défendre d’une grande partie des maladies modernes, provoquées par des causes humaines, comme la pollution, une alimentation riche en poisons, etc.
AE : En conclusion, y a-t-il des points particuliers, non évoqués dans cette interview, que vous voudriez partager avec nos lecteurs ?
GT : Je voudrais ajouter qu’il y a beaucoup de méthodes plus valables et substitutives de l’expérimentation animale comme les cellules et les tissus humains cultivés in vitro ou comme la toxicogénomique.
Cependant, la solution ne consiste pas seulement à faire de la recherche avec des méthodes plus fiables, mais aussi à changer le modèle sanitaire, basé seulement sur des soins pharmacologiques et des thérapies clinico-chirurgicales.
Le but de la médecine devrait être la détermination des meilleures stratégies pour maintenir en santé un individu, en maintenant efficaces ou en développant les systèmes naturels de défense et, seulement quand tout ceci n’a pas suffi, soigner la maladie en agissant plus sur les causes que sur les symptômes. Aujourd’hui on se limite malheureusement à l’administration de médicaments et de thérapies chirurgicales qui ont généré de gros profits pour toutes les activités économiques développées autour de ce modèle sanitaire. La logique est : « Tombez malades, nous vous soignerons d’une façon ou d’une autre ! », et qu’importe si la thérapie produit de nouvelles maladies…
Là aussi il faut changer de paradigme
(1) Voir son témoignage dans La Notice d’Antidote n°10