Evaluer les produits cosmétiques sans animaux, et encore ?
Perpignan, le 26 mars 2013
Réalisant sans doute le ridicule de faire évaluer le risque toxique du rouge à lèvres sur l’anus de lapin ou sur la joue de hamster, la Commission européenne (CE) cherche depuis 1993 à faire évaluer les risques toxiques des cosmétiques sans recours à l’expérimentation animale. Il faudra attendre 2004 pour une interdiction partielle des tests sur des animaux, 2009 pour l’interdiction de tels tests pour les ingrédients, mais avec des dérogations pour des évaluations pourtant fondamentales pour la santé humaine : la toxicité à doses répétées, y compris les allergies et la cancérogenèse, la toxicité pour la reproduction et la toxicocinétique. Ces dérogations devaient prendre fin le 11 mars dernier, mais les groupes d’experts sur ces 3 thèmes, nommés par la CE (et dont certains sont en conflit d’intérêt sur la question, comme Stuart Creton du NC3R), ont déclaré dès 2010 que les méthodes pour remplacer les animaux ne seraient pas prêtes en 2013, sans préciser de date ultérieure. La CE décide donc de prolonger ces dérogations sine die.
On peut d’abord s’interroger sur la capacité de ces experts à prédire l’impossibilité de lever ces dérogations 3 années à l’avance, en dépit des rapides progrès scientifiques dans le domaine depuis deux décennies. Les techniques « -omiques » par exemple, capables de surveiller simultanément un grand nombre de paramètres biologiques très divers (état d’expression des gènes de la cellule, de l’ensemble de ses protéines, des métabolites, etc., voir par exemple les travaux du Netherlands Toxicogenomics Centre), sont depuis plus de 10 ans à même d’effectuer les évaluations citées ci-dessus sur des cellules ou des tissus humains, mais il est vrai que la CE n’aime pas ces techniques et refuse depuis 7 ans de les valider, alors qu’elle dispose d’un centre (ECVAM) richement doté et dédié à cette tâche. Est-ce pour cela que les experts nommés par la CE les ignorent ?
La poursuite des tests sur animaux des toxicités « dérogées » va simplement faire l’impasse sur l’évaluation de ces toxicités pour l’homme, puisqu’il est prouvé qu’aucune espèce animale n’est un modèle biologique fiable pour une autre. Or, sauf de rares exceptions, ce que nous mettons sur notre peau pénètre profondément dans l’organisme, notamment via le circuit sanguin (cf. par exemple les « patch » de produits contraceptifs ou d’hormonothérapies de substitution). Les produits cosmétiques ne mériteraient-ils pas d’être évalués avec la même rigueur que les médicaments ? Leurs effets sur rongeur, poisson zèbre ou ver non seulement ne nous intéressent pas, mais risquent de nous faire accroire à leur innocuité et ces produits pourraient, à terme, se révéler pour nous cancérigènes, reprotoxiques, neurotoxiques, etc. Bien que depuis 2007, la CE admette avoir investi dans cette affaire 238 millions d’euros (on aimerait bien avoir plus de détails sur les travaux auxquels cette somme a été affectée), elle impose à présent aux consommateurs le rôle de cobayes et passe outre ses obligations de mettre en oeuvre les méthodes scientifiques d’évaluation de ces risques, qui sont à sa disposition.
Les mêmes constats valent pour les produits chimiques en général. Bien que la directive REACH mentionne des méthodes scientifiques d’évaluation des risques toxiques des produits chimiques, dont la toxicogénomique, la CE impose l’évaluation de ces risques sur des rongeurs. Ces évaluations sont sans intérêt pour l’homme, très onéreuses et lentes, incapables d’analyser les effets des métabolites, de mélanges, les effets épigénétiques (notamment multigénérationnels), etc.
C’est en réalité l’ensemble des méthodes d’évaluation des risques de santé de l’homme, telles que pratiquées par les autorités nationales ou européennes, qui doit être mis en débat, pour avoir enfin une prévention sérieuse, scientifique, dont l’absence se répercute de façon massive sur les morbidités et mortalités actuelles, en France et dans l’Union européenne.
Antidote Europe est une association à but non lucratif, fondée par des scientifiques, pour promouvoir les méthodes modernes de recherche biomédicale et une meilleure prévention en matière de santé humaine.
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