Le coeur et la raison
Lawrence Hansen a obtenu son doctorat de médecine en 1977. Il s’est ensuite spécialisé en psychiatrie et neuropathologie et, ensuite encore en neuropathologie gériatrique et en chirurgie.
Lawrence Hansen enseigne les neurosciences depuis 1988 à l’Université de Californie à San Diego. Il a reçu de nombreux et prestigieux prix en tant que professeur de médecine. Il est auteur ou co-auteur de plus de 150 articles et chapitres de livres dans la presse scientifique spécialisée. Il est membre directeur de l’association Americans for Medical Advancement (http://www.curedisease.com ), dont fait également partie le Dr Ray Greek, que nos lecteurs connaissent bien (voir son interview dans La Notice d’Antidote de juin 2010).
Antidote Europe (AE) : Pouvez-vous donner à nos lecteurs une idée du dilemme éthique auquel vous avez été confronté au cours de vos études de médecine et nous dire comment vous l’avez résolu ?
Lawrence Hansen (LH) : Les dilemmes éthiques sont omniprésents et je ne les ai pas résolus. En commençant par l‘école de médecine quand nous devions expérimenter sur des chiens puis les tuer en cours de physiologie, pour continuer par, pire encore, effectuer des opérations chaque semaine sur le même chien, la morale de ma formation médicale était que la souffrance des animaux n’avait pas d’importance. Ensuite, quand j’ai commencé ma spécialisation en neurosciences, j’ai vu que la souffrance horrible infligée à des singes (nous l’appellerions torture si elle était infligée à des humains) n’impressionnait pas les vivisecteurs, qui occupent le terrain dans tous les comités d‘éthique universitaires et entérinent les approbations pour l’utilisation de tous les animaux et de chacun d’entre eux. Je ne considère pas l’opposition à la cruauté envers les animaux comme un dilemme ; je considère qu’utiliser la science pour justifier la cruauté envers les animaux est un mal auquel il devrait être mis un terme. Il y a beaucoup de façons de faire de la bonne neuroscience sans cruauté. Prétendre que la science exige de la cruauté est mal, à la fois techniquement et éthiquement.
AE : Vous êtes professeur de pathologie et de neurosciences à l’Université de Californie à San Diego (UCSD) et membre dirigeant de l’association Americans for Medical Advancement (Américains pour le progrès médical). Etant donné les points de vue opposés de ces deux organisations sur l’expérimentation animale, comment conciliez-vous l’affiliation aux deux ?
LH : Je suis déchiré. Parce que les honnêtes gens reculent face à la cruauté envers les animaux et refuseraient certainement de la financer juste pour permettre l’avancement de la carrière de certains chercheurs, les vivisecteurs fabriquent des connexions trompeuses entre leurs recherches sur des animaux et de lointaines et hypothétiques pistes de thérapies éventuelles pour les maladies les plus redoutées. Et parce que les gens ont peur de ces maladies, ils acceptent, bien qu’avec réticence, la cruauté envers les animaux. Americans for Medical Advancement existe pour dénoncer le mensonge sur lequel cette cruauté repose : que la recherche sur des animaux serait pertinente pour améliorer la santé humaine, mais elle ne l’est pas. Mon travail au sein d’une unité de recherche universitaire me place dans l’antre de la bête vivisectionniste mais il ne m’oblige pas à vendre la réclame d’une cruauté envers les animaux qui se dit éthiquement défendable. Pour paraphraser ce que Lincoln a dit au sujet de l’esclavage, si la cruauté envers les animaux n’est pas mauvaise, alors rien n’est mauvais. Je crois que c’est mauvais et que, comme pour toute autre chose mauvaise que des personnes livrées à elles-mêmes sont susceptibles de faire, il faudrait que la loi l’interdise.
AE : Des scientifiques dont les avis s‘écartent significativement de ceux de leur autorité de tutelle peuvent devenir des victimes de l’intimidation institutionnelle s’ils expriment publiquement leurs opinions. Diriez-vous que vous avez personnellement rencontré ce phénomène au cours de votre carrière ? En avez-vous été affecté ?
LH : Quand j’ai commencé à aider les étudiants de médecine à l’UCSD à supprimer les expérimentations sur des chiens auxquelles j’avais moi-même dû participer en tant qu‘étudiant, le corps enseignant s’est plaint au directeur de mon département. Celui-ci m’a averti que ces enseignants formaient un comité ad hoc pour enquêter sur mon “interférence avec la mission académique” de l‘école de médecine, mais rien de substantiel n’est sorti de leurs efforts. Ensuite, quand j’ai représenté ma candidature au département de neurosciences, quelques vivisecteurs ont tenté de la bloquer et ont formé un autre comité ad hoc pour enquêter sur mon opposition à la recherche (cruauté) sur des animaux, mais ma candidature a été acceptée une nouvelle fois. Et, plus récemment, quand j‘étais sur le point d‘être promu au sein du département de neurosciences, les vivisecteurs ont essayé encore, avec un nouveau comité ad hoc et une nouvelle enquête, mais j’ai tout de même obtenu cette promotion-là aussi. Pour faire court, l’UCSD a bien protégé ma liberté de parole et ma liberté académique jusqu‘à présent, mais les vivisecteurs m’ont toujours à l’oeil. Toutefois, si jamais ils parvenaient à persuader de hauts responsables de l’université de tenter de me bâillonner, nous en ferions une cause célèbre et cela pourrait aider les animaux plus que toute autre chose à laquelle je peux penser.
AE : L’utilisation de rongeurs en tant que “modèles” de maladies neurodégénératives humaines comme Alzheimer est très répandu. Pourriez-vous brièvement expliquer, en termes non techniques, votre opinion sur l’utilité ou la pertinence de ces “modèles animaux” des maladies humaines ?
LH : En laissant de côté la dimension éthique (ce que nous ne devrions jamais faire) de la douleur infligée à des animaux, fussent-ils rats ou souris, le problème scientifique amoral que pose l’utilisation de rongeurs en tant que modèles de maladies neurodégénératives est que les rongeurs ne sont pas naturellement atteints des maladies d’Alzheimer (AD) ou de Parkinson (PD). La seule façon d’obtenir quelque chose qui ressemble à une AD ou PD est d’utiliser des rats ou des souris transgéniques, c’est-à -dire d’introduire chez ces rongeurs les gènes qui causent la maladie chez l’homme. Ceci crée une sorte de modèle mutant à la Frankenstein chez lequel se développent certains traits caractéristiques de AD ou de PD, traits que l’on peut faire disparaître. Mais supprimer des symptômes de AD ou de PD, induits artificiellement, sur un animal qui ne les développe jamais naturellement est une opération très lointaine de la mise au point d’une thérapie pour l’homme. Les “thérapies” qui ont été efficaces sur des rongeurs n’ont jamais fonctionné lorsqu’on a tenté de les appliquer à l’homme. C’est pareil pour les “modèles animaux” de cancer. Cela fait des décennies que des chercheurs introduisent des cancers humains dans des souris et guérissent ces dernières. Mais ceci n’a jamais permis de guérir les cancers qui se développent naturellement chez l’homme. Les différences entre espèces animales qui ont évolué sur des millions d’années rendent inutiles les “modèles animaux”, sauf pour permettre l’avancement de carrières scientifiques ou pour attirer des financements.
AE : Si les “modèles animaux” sont inadéquats pour étudier les maladies humaines, pouvez-vous mentionner des méthodes pertinentes pour l’homme ?
LH : Bien sûr. Comme l’a dit Alexander Pope, “l’homme est le premier sujet d‘étude de l’homme”. Il y a des millions de personnes atteintes des maladies qui nous intéressent et il n’y a pas d’animaux non humains qui développent naturellement ces maladies. Faites le lien ! Nous avons des biomarqueurs très sensibles et spécifiques, des techniques d’imagerie médicale, des tests psychométriques et des profils génétiques pour nous dire qui est en train de développer une AD, aux stades les plus précoces, à quel moment une intervention dans la cascade pathologique serait le plus à même de retarder l’apparition de la démence. Que ça nous plaise ou non, l’homme est le seul sujet chez lequel on peut étudier de façon fiable la maladie humaine. Etant donné que l’on peut prédire la progression du vieillissement normal vers la difficulté cognitive mineure, vers la démence précoce légère et vers la démence grave, il est peu probable que des volontaires pour des traitements expérimentaux seraient lésés par des essais cliniques. Au contraire, ces essais pourraient leur être bénéfiques.
AE : Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir pris le temps de répondre à ces questions. Y a-t-il d’autres commentaires que vous voudriez ajouter ?
LH : Juste quelques remarques finales d’encouragement pour ceux qui pensent que la bonté envers les animaux est importante. En paraphrasant encore Lincoln, l’expérimentation animale repose sur l‘égoïsme de la nature humaine et sur l’opposition à celle-ci dans sa capacité d’empathie. Le principe moral est tout ce qui nous unit contre l’expérimentation animale et il est regrettable que ceci soit un lien plus faible que l‘égoïsme et la cupidité. Toutefois, le coeur de l’homme est avec nous. L’histoire a montré que les humains ont été amenés à mettre fin à des activités cruelles telles que l’esclavage, le génocide, l’oppression des femmes, le tabassage des homosexuels, les combats d’ours, de chiens, etc. Notre longue histoire semble nous montrer que nous sommes éventuellement capables d‘écouter les meilleurs anges de notre nature. De façon plus cynique, comme les vieux vivisecteurs ne peuvent se maintenir éternellement, nous progresserons ponctuellement à l’occasion de départs à la retraite, ou de funérailles. Au fur et à mesure que les femmes s’imposent dans les universités, elles apportent plus d’empathie et de sympathie pour les autres créatures. La démographie académique va faire progresser la cause de la compassion.