Michael Coleman explique la toxicologie moderne
Michael Coleman est un éminent toxicologue. Il est membre de la Royal Society of Medicine et auteur de plus de 90 articles publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture.
L’interview de ce trimestre est avec un autre courageux scientifique du nom de Michael Coleman. Courageux, car ce chercheur est un toxicologue qui voit loin, qui est prêt à bousculer l’immobilisme en la matière. Toutefois, il apparaît dans cette interview qu’il y a des limites à ce que l’on peut changer de l’intérieur. Il est clair que la science de la toxicologie est en train de subir une transition majeure en passant des anciennes méthodes vers les nouvelles. La mission d’Antidote Europe est d’accélérer cette transition.
Antidote Europe (AE) : Pouvez-vous dire à nos lecteurs quand et comment vous avez commencé à vous intéresser à la recherche sans animaux au cours de votre carrière ?
Michael Coleman (MC) : J’ai consacré mes années post-doctorales à essayer de trouver des stratégies thérapeutiques qui réduiraient la toxicité des médicaments pour les patients. Ce programme nécessitait l’emploi de différents modèles animaux et de modèles in vitro avec du matériel biologique humain et animal. J’ai réussi à produire un régime thérapeutique qui réduisait la toxicité d’un médicament, le dapsone. Toutefois, j’ai été frappé de constater que les modèles animaux que nous utilisions ne prédisaient pas bien la réaction humaine et que le travail sur les modèles humains in vitro était plus instructif. Ceci a été confirmé dans mon domaine par le travail ultérieur fait pour améliorer ce modèle.
Tous les chercheurs des sciences de la vie n’ont peut-être pas eu mon expérience, mais je considère que mettre au point des modèles basés sur l’homme est la “Formule 1” de la recherche scientifique en termes de défi intellectuel et de développement méthodologique et technique. Rien n’est acquis ; c’est comme de devoir construire sa propre voiture de course à partir de rien. C’est la grandeur de ce défi que je trouve irrésistible.
AE : Il y a un besoin fondamental dans notre société d‘évaluer de façon fiable les risques des substances chimiques pour la santé humaine et l’environnement. L’industrie chimique et la réglementation ont utilisé des études sur animaux depuis des années pour obtenir ces données. Les méthodes de toxicologie modernes semblent prêtes à se passer des animaux mais ce changement se produit très lentement. Pourquoi pensez-vous qu’il en soit ainsi et pensez-vous que le changement aurait pu se produire bien plus tôt ?
MC : Si c‘était un problème facile à résoudre, la solution aurait été trouvée depuis des années. Les scientifiques, nous sommes aussi grincheux et conservateurs que tout un chacun et nous résistons à ce que nous voyons souvent comme un changement injustifié. Les médecins n’apprécient pas ce qu’ils perçoivent comme une interférence dans leur jugement clinique et les fonctionnaires n’accueillent pas avec bienveillance les changements dans la procédure bureaucratique. Les gens investissent aussi de grands pans de leurs vies dans des croyances et méthodes particulières, qu’ils défendront alors jusqu’au bout. De plus, la technologie in vitro avec des tissus humains n’a pas eu l’investissement et l’intérêt que les travaux sur animaux ont eu, donc le progrès est lent. Un réel éclairage dans ce domaine au Royaume Uni est venu des investissements dans les travaux sans animaux menés par des associations, surtout la Humane Research Trust et le Lord Dowding Fund. Ces associations ont été presque seules pour financer le travail sur le remplacement par des méthodes sans animaux au Royaume Uni. Sans l’expertise, le financement et la volonté politique de trouver et investir dans des méthodes supérieures, les choses vont stagner pendant de longues périodes. Dans certains domaines, comme la recherche ophtalmologique à l’Université d’East Anglia, le remplacement des animaux est déjà une réalité. Tous les scientifiques cherchent les méthodes parfaites et nous ne devrions pas transiger avec cette recherche, nous avons donc besoin d’un haut niveau de financement. C‘était facile pour le type à cheval de se moquer des voitures en 1890, trébuchant et crachotant le long de la route. En 1905, un V-8 Darracq pouvait dépasser les 105 milles à l’heure. Avec de la volonté et de l’argent, nous pouvons résoudre n’importe quel défi scientifique, et assez rapidement.
AE : Pouvez-vous commenter la déclaration : “La principale raison pour laquelle ces études sur animaux persistent est que les législateurs du XXe siècle se débattent pour comprendre la toxicologie du XXIe siècle.” Diriez-vous que les toxicologues “classiques” et les toxicologues modernes sont dans deux mondes différents ?
MC : Je ne pense pas qu’il y ait un manque de compréhension de part et d’autre ; je pense qu’il s’agit plutôt de positions retranchées. Ceux qui travaillent sur les animaux rejettent les avancées du travail sans animaux et il important de remarquer aussi que ceux qui travaillent sans animaux sont très sceptiques sur le travail sur animaux. Il y a beaucoup de cas où les systèmes établis dépendant surtout d’animaux ne prédisent pas toujours la toxicité pour l’homme. Ceci ne fait aucun doute et le nombre de médicaments ayant échoué en témoigne. Il y a de la place pour la toxicologie classique et moléculaire pour résoudre les problèmes de prédiction en toxicologie. Les deux expertises sont non seulement pertinentes, elles sont essentielles. La toxicologie moléculaire génère d‘énormes quantités de données, comme de traiter cent tonnes de minerai d’une seule fois. Le problème, c’est de trouver les diamants. Les bases de la toxicologie sont toujours les mêmes dans cette situation, où un changement de structure mène à un changement de fonction. Nous devons travailler ensemble et les fonds devraient être disponibles pour les groupes qui veulent regrouper l’expertise et enterrer les hâches de guerre.
AE : REACH est entré en vigueur le 1er juin 2007 et va requérir beaucoup de tests sur des animaux. Bien que REACH ouvre la porte à des méthodes sans animaux, les autorités de réglementation estiment qu’il faudra au moins dix ans, et dans certains cas davantage, pour que le remplacement total des tests sur animaux ait lieu. Si on prend la toxicité aiguà« comme exemple, pourriez-vous proposer une stratégie de tests rationnelle qui pourrait être mise en oeuvre immédiatement ? Une critique courante à l’utilisation de cellules humaines pour l‘étude des substances chimiques est que ces cellules ne pourraient pas prédire la réponse systémique (de l’organisme entier) et que, par conséquent, les études sur animaux sont indispensables. Comment réagissez-vous à cette affirmation ?
MC : Les tests de médicaments, toxines, substances chimiques doivent répondre à deux questions : où va cette substance ? et que fait-elle quand elle y arrive ?
Si nous commençons par la seconde question, nous avons à présent de nombreuses possibilités pour évaluer la santé cellulaire, de la même façon qu’on pourrait évaluer une voiture pour son huile, antigel, émissions, bruit, etc. Nous pouvons regarder ce que fait une cellule quand elle a une tâche à accomplir et nous pouvons voir comment ses structures résistent au stress imposé. Nous pouvons ensuite comparer cette information sur une substance nouvelle à l’information disponible sur des toxines connues et avoir ainsi une idée de ce qu’une nouvelle substance chimique fera à une cellule. Les cellules sont différentes entre elles, comme les voitures, et nous pouvons cultiver des cellules qui représentent chaque organe du corps. Certaines seront plus susceptibles que d’autres aux dommages.
Le principal problème est la première question : où va la substance ? Elle peut rester dans le plasma, ou se diriger vers le cerveau, ou même ne jamais entrer dans le corps. Les chercheurs qui utilisent des animaux montrent la difficulté d‘évaluer cet aspect, mais elle peut être surmontée dans la mesure où les substances chimiques ont leurs règles, comme toute chose, des règles physiochimiques. Si vous voulez faire la vaisselle sans détergent, la graisse se déposera à la surface de l’eau et ne se diluera jamais. De même, les substances chimiques se dirigeront vers certaines parties du corps selon leur degré de “gras”. Nous pouvons prédire ceci par des calculs basés sur leurs structures. Nous comparons ceci à des données humaines pour des substances déjà connues et nous pouvons faire une estimation assez précise de l’endroit où une substance ira chez un être humain.
Donc, nous pouvons répondre aux deux questions… où va la substance et que fait-elle, sur des systèmes cellulaires humains.
AE : Quelles pensées non évoquées au cours de cet entretien voudriez-vous partager avec nos lecteurs dans votre conclusion ?
MC : En fin de comptes, nous sommes à l‘étape “voiture sans chevaux” du développement des tests in vitro humains. La Communauté européenne ne nous aide pas en mettant la pression sur le développement de procédures de tests tout en exigeant que 30.000 substances soient testées avant mercredi prochain, ou sinon… Cette piètre stratégie politique signifie que nous devrons tester les substances deux fois : une fois sur des animaux et éventuellement aussi sur des systèmes humains. L’Union européenne promeut des tests qui se veulent de remplacement mais qui ne le sont pas car ils impliquent des cellules animales.
Des études ont montré que 95% de la conduite automobile dans les villes se fait en ligne droite. Donc, une voiture à trois roues pourra modéliser correctement la plupart des situations, sauf pour les 5% restants, c’est-à -dire les coins. L’histoire du développement des médicaments est empoisonnée par de tels “coins” et je pense que nous devrions les éviter dans le processus de REACH et que seule une sorte d’opportunisme politique régit l’utilisation d’ADN animal pour évaluer des effets pour l’homme. Les systèmes basés sur du matériel humain devraient recevoir l’investissement adéquat pour notre futur et pour le futur de nos enfants.