« Rigor Mortis » ou la science rigide

La recherche scientifique ne devrait pas être attachée à des dogmes ou paradigmes particuliers mais, au contraire, faire évoluer ses méthodes selon les résultats obtenus. Dans son livre « Rigor Mortis » (textuellement « Rigidité cadavérique »), le journaliste scientifique Richard Harris dénonce le coût -financier et humain- d’une science bâclée, trop souvent engluée dans des « modèles animaux ».

Par André Ménache

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Rigor Mortis, de Richard Harris, éditions Basic Books, publié en avril 2017

En tant que journaliste scientifique expérimenté, Richard Harris a fait du bon travail en dénonçant plusieurs des raisons pour lesquelles une bonne partie de la recherche biomédicale, et parfois même de la recherche clinique, n’est pas fiable. Cette « science bâclée », selon ses propres termes, « crée des remèdes sans valeur, détruit l’espoir et gaspille des milliards ».

L’objectif de cette critique de livre n’est pas d’en couvrir le contenu en entier mais, plutôt, de se concentrer sur certains aspects de la recherche sur des animaux évoqués dans l’ouvrage. Harris fournit plusieurs exemples de la faiblesse et des échecs inhérents à la recherche sur des animaux mais n’assemble pas toutes les pièces du puzzle de façon à présenter une conclusion claire. La raison de ceci est peut-être qu’il ne veut pas critiquer l’establishment plus que nécessaire, ou simplement qu’il lui manque des connaissances essentielles pour voir l’évidence. Harris est un journaliste scientifique, pas un biologiste de l’évolution.

Voici quelques exemples qui, dans ce livre, pointent du doigt la recherche sur des animaux :

1) Les scientifiques peuvent se leurrer eux-mêmes de 235 façons en biaisant inconsciemment leurs études (page 41).

2) De nouvelles recherches montrant que les résultats obtenus sur des souris ne s’appliquent pas aux humains ont été rejetées par des journaux scientifiques au motif que : « Si ce papier est publié, il retardera le domaine [de la recherche sur les souris] de 10 ou 20 ans… Evidemment, la vieille garde va souffrir d’un changement de paradigme et des carrières entières vont disparaître. » (pages 50 et 51)

3) « Des études trompeuses sur l’animal ont conduit à un gaspillage d’efforts et à des impasses dans la recherche de médicaments dont le coût est estimé à des milliards de dollars. Les échecs d’études sur des animaux ont également eu des conséquences mortelles. » (page 71)

4) Harris cite un chercheur qui continue à utiliser des animaux et qui dit : « Les modèles animaux sont un désastre… Je suis inquiet pas seulement du fait qu’ils puissent être faux… mais qu’en serait-il si les modèles de maladies neurodégénératives (sclérose latérale amyotrophique et Alzheimer) n’étaient pas faux mais sans pertinence ? Non pertinent est bien pire que faux. Parce que la non pertinence vous envoie dans la mauvaise direction. » (page 82)

5) L’un des scientifiques interviewés pour ce livre fournit une piste clé sur la question de savoir pourquoi un traitement qui semble efficace chez l’animal échoue ensuite chez l’homme : « L’évolution a créé tellement de systèmes [de sauvegarde] redondants que cibler une simple voie dans un réseau complexe fonctionnera rarement. » (page 89)

Au total, ce livre est une occasion manquée de dénoncer la fraude scientifique que représente la recherche sur des animaux, étant donné notre connaissance actuelle des systèmes complexes et de la biologie de l’évolution. Harris semble soutenir l’idée que la recherche sur des animaux pourrait être améliorée par l’adhésion à des lignes directrices strictes concernant la méthodologie. La véritable raison pour laquelle les études sur des animaux échouent est qu’elles ne sont pas prédictives de la façon dont les humains réagissent à des médicaments et aux maladies. Augmenter le nombre d’animaux utilisés pour une étude ne résoudra pas le problème. Plutôt, c’est une révision majeure d’un paradigme scientifique dépassé au vu des connaissances scientifiques actuelles qui serait nécessaire.

Le Dr Ray Greek et moi-même avons abordé ce point précis dans notre article « Systematic Reviews of Animal Models : Methodology versus Epistemology » (Revue de synthèse des modèles animaux : méthodologie versus épistémologie), présenté dans La Notice d’Antidote de juin 2013 et consultable intégralement, en anglais, sur http://www.medsci.org/v10p0206.htm