Le samedi 15 février 2014, notre antenne francilienne tenait un stand à la soirée organisée par Sea Shepherd, au Cabaret Sauvage, au parc de la Villette, à Paris. Plus de 700 personnes ont participé à l’événement, selon les organisateurs. Pour nous, ce fut l’occasion de distribuer de nombreux dépliants et numéros de La Notice d’Antidote (Muriel, Jessica et Séverine à l’oeuvre sur la photo). Beaucoup de questions de la part d’un public plutôt jeune et acquis à notre cause, ça fait plaisir ! Et des discussions intéressantes, notamment avec une journaliste, des professeurs de biologie et deux médecins qui ont reconnu que les tests sur des animaux sont une aberration. Un grand merci à Sea Shepherd (www.seashepherd.fr) de nous avoir invités à être présents dans le village associatif.
De nombreuses associations et organismes privés de recherche sur des maladies humaines collectent des fonds pour financer la recherche sur des animaux supposés être des « modèles » biologiques de l’homme. Or, il est prouvé que ces « modèles » sont de pures fictions. Ils sont donc incapables de mimer le déroulement de la maladie chez l’homme et encore moins de permettre de trouver une thérapie pour sa guérison. C’est ce que dénonce André Ménache dans cette lettre à CRUK.
Antidote Europe n’est pas concernée par « le bien-être animal » auquel notre directeur se réfère à titre personnel, en sa qualité vétérinaire.
Bien que cette lettre n’ait pas été écrite au nom d’Antidote Europe, nous la publions car elle contient de nombreuses données et citations utiles à notre combat. Nous la considérons aussi comme une mise en garde contre des campagnes de collectes pour la recherche médicale sur la voie publique ou dans les médias : avant de donner, demandez la garantie que votre don ne servira pas en réalité à des recherches sur des « modèles » animaux, inutiles et sans lendemain au mieux, très dangereuses pour notre santé, le plus souvent. Donnez si vous voulez, mais avec discernement.
Dr Harpal Kumar MA MEng MBA DSc
CEO of Cancer Research UK
Cancer Research UK Angel Building
407 St John Street
LondonEC1V 4AD
Londres, le 20 janvier 2014
Lettre ouverte au Dr Harpal Kumar, directeur exécutif de Cancer Research UK (association britannique de recherche sur le cancer) Le rôle de Cancer Research UK et la responsabilité sociale des entreprises
Cher Dr Kumar
Je vous écris en tant qu’individu et en tant que scientifique désireux de défendre la santé des consommateurs et le bien-être animal. J’attire votre attention sur la responsabilité sociale des entreprises (définie comme la contribution et l’impact d’une entreprise sur la société et l’environnement) de Cancer Research UK (CRUK), l’association de recherche sur le cancer la plus grande du monde, par rapport à la définition de ses priorités et de ses objectifs.
Parmi ces objectifs, trois questions devraient appeler votre attention et votre réponse immédiates :
1. L’impératif moral de mieux informer le public sur la possibilité de réduire le risque de cancer grâce à des choix appropriés d’hygiène de vie ;
2. L’interprétation de données statistiques dans les campagnes commerciales et les campagnes de publicité de CRUK ;
3. L’utilisation généralisée et inutile de modèles animaux dans les programmes de recherche financés par CRUK.
1. L’impératif moral de mieux informer le public sur la possibilité de réduire le risque de cancer grâce à des choix appropriés d’hygiène de vie
Comme le montrent les données résumées sur le tableau ci-dessous, le cancer est une maladie pour laquelle une prévention efficace peut être adoptée :
CAUSE
REDUCTION DU RISQUE % REF
Tabac
25% [1]
Viande rouge cuisinée > 40g/jour
16% [2]
Alcool (directives du gouvernement)
4% [3]
Obésité (en relation avec l’alimentation et l’activité physique)
45% [4,5]
Substances chimiques toxiques
5% [6]
TOTAL
95% [7]
Ce tableau indique clairement que, si des modifications significatives du mode de vie étaient faites suite à une éducation efficace du public, 95% de tous les cancers pourraient potentiellement être évités. Il serait par conséquent sensé d’investir en premier lieu et en tant que priorité dans des campagnes d’information et d’éducation du public, en particulier celles liées au tabagisme et à l’obésité. Pourtant, une revue de vos récents rapports financiers annuels montre autre chose.
Rapport financier annuel
Budget dépensé par CRUK en recherche en 2012/13 £ 347 millions
Budget dépensé par CRUK en information et éducation en 2012/13 £ 17 millions
TOTAL£ 364 millions
La somme dépensée en information et éducation représente moins de 5% du total de £ 364 millions de revenus disponibles.
En mai 2007, CRUK s’est fixé 10 objectifs [8] à atteindre en 2020. Parmi eux, des objectifs d’information et d’éducation, par exemple : « rendre le public conscient des principaux choix de styles de vie qu’il peut faire pour réduire son risque d’être atteint de cancer » [9]. Toutefois, la somme d’argent dépensée par CRUK en information et en éducation est restée essentiellement inchangée, à moins de 5% du revenu disponible. On attend de l’association sur le cancer la plus grande du monde qu’elle donne un exemple clair à ce sujet en respectant ses propres objectifs.
2. L’interprétation de données statistiques dans les campagnes commerciales et les campagnes de publicité de CRUK
CRUK déclare que le taux de survie après cancer dans le Royaume Uni a doublé en moins de 40 ans [10]. Toutefois, il est important de mettre cette déclaration en perspective, pour le bénéfice du public qui soutient si généreusement les activités de CRUK.
Suite à mes recherches, voici ce que j’ai trouvé, afin de déterminer le contexte, et donc l’analyse, appropriés :
Biais induits par le moment du dépistage plus précoce – l’augmentation apparente du taux de survie due à un diagnostic précoce suite au dépistage Les personnes auxquelles on diagnostique un cancer et qui survivent au-delà de 5 ans après la date du diagnostic sont considérées comme ayant survécu au cancer. Le fait que le cancer soit diagnostiqué plus tôt suite au dépistage peut ainsi donner l’impression que davantage de personnes souffrant de cancer survivent à la maladie. Toutefois, la raison principale pour laquelle les taux de survie à 5 ans ont changé de façon spectaculaire dans les 40 dernières années, tient au surdiagnostic. Surdiagnostic de façon générale mais aussi surdiagnostics induits par un dépistage de plus en plus précoce et par le dépistage de cancers à évolution lente dont certains cas n’auraient pas provoqué la mort du patient [11].
Le surdiagnostic contribue au biais induit par le moment du dépistage Le biais induit par le moment du dépistage est l’augmentation apparente du taux de survie parce que le cancer a été diagnostiqué plus tôt, suite au dépistage. Davantage de lésions précancéreuses qui n’auraient pas évolué vers un cancer sont également diagnostiquées et comptées dans les statistiques. Ce surdiagnostic contribue aussi au biais induit par le moment du dépistage. Beaucoup de cancers qui sont de nos jours diagnostiqués n’auraient pas tué les individus mais sont inclus dans les caculs de taux de survie [11].
Augmentation du cancer chez les enfants Le cancer chez les enfants est en augmentation au Royaume Uni. Il est la principale cause de mortalité pour les enfants de 1 à 14 ans [12]. Bien que de plus en plus d’enfants survivent au cancer aujourd’hui, ces individus ont quatre fois plus de probabilités de se voir diagnostiquer un autre cancer au cours de leur vie [13]. Le fait que les bébés qui naissent aujourd’hui aient dans le corps jusqu’à 300 substances chimiques, dont des perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A, appelle à un solide programme public d’information sur les moyens d’éviter ces substances, en particulier pendant la grossesse et l’allaitement [14,15].
3. L’utilisation généralisée et inutile de modèles animaux dans les programmes de recherche financés par CRUK
Le fait que les modèles animaux puissent induire en erreur et ne permettent pas de prédire les réactions biologiques humaines doit être mis dans le contexte des problèmes sociétaux que pose l’utilisation d’animaux dans la recherche et la toxicologie. Dans Nature, Giles écrit : « Dans la controverse sur la recherche animale, une question se pose encore et encore : de quelle utilité sont les expériences sur des animaux pour préparer les essais de traitements médicaux sur l’homme ? Cette question est cruciale puisque l’opinion publique ne soutient la recherche animale que si celle-ci aide à développer de meilleurs médicaments. Par conséquent, les scientifiques qui défendent l’expérimentation animale affirment que cette recherche est essentielle pour la sécurité des essais cliniques, tandis que les activistes des droits des animaux maintiennent avec force qu’elle est inutile. » (Giles, 2006) (Surlignage ajouté) [16].
Parmi les scientifiques qui travaillent dans les domaines en rapport avec le développement de médicaments et la recherche sur les maladies, le consensus est que les modèles animaux n’ont pas de valeur prédictive. Ce consensus est étayé par des preuves empiriques, la science de la complexité et la biologie de l’évolution [17].
Dans un éditorial à deux articles, Nature Medicine déclare : « La complexité du cancer métastasique humain est difficile à mimer sur des modèles souris. Ceci a pour conséquence que des études apparemment menées avec succès sur des modèles souris ne se traduisent pas par des succès dans les étapes ultimes d’essais cliniques. Adieu argent, temps et espoirs des malades. » (Ellis & Fidler, 2010) [18].
Le chercheur en cancérologie Robert Weinberg, du Massachusetts Institute of Technology est cité par Leaf dans la revue Fortune, disant : « On sait bien depuis plus d’une décennie, peut-être deux décennies, que beaucoup de ces modèles précliniques de cancer humain ont très peu de pouvoir prédictif quant à la façon réelle dont les êtres humains -tumeurs humaines réelles chez des patients- vont réagir… les modèles précliniques de cancer humain sont, en grande partie, de mauvaise qualité… des centaines de millions de dollars sont gaspillés chaque année par des firmes pharmaceutiques qui utilisent ces modèles [animaux]. » (Leaf, 2004) [19].
Leaf cite aussi Homer Pearce, « qui a fait des recherches sur le cancer et des recherches cliniques à Eli Lilly et qui est à présent chargé de recherches dans cette firme », disant : « …que les modèles souris sont « déplorablement inadéquats » pour déterminer si un médicament va fonctionner chez l’homme. « Si vous considérez les millions et millions et millions de souris qui ont été guéries, et vous comparez cela au succès relatif, ou à l’absence de succès, que nous avons atteint dans le traitement clinique de la maladie métastasique », dit-il, « vous réalisez qu’il y a tout simplement quelque chose qui ne va pas avec ces modèles ». » (Leaf, 2004) [19].
D’autres chercheurs ont aussi signalé l’insuffisance des modèles animaux de cancer, y compris des animaux génétiquement modifiés (Frese & Tuveson 2007 [20]; Kerbel 2003 [21]; Singh et al. 2010 [22]; Talmadge et al. 2007 [23]; Peterson & Houghton 2004 [24]; Francia & Kerbel 2010 [25]; Johnson et al. 2001 [26]; Zielinska 2010 [27]; Wade 2009 [28]).
A la lumière de ces données et analyses déjà dans le domaine public, je demande que, en tant que directeur exécutif, vous preniez sérieusement en compte ces points et vous meniez CRUK dans une autre direction, pour le bénéfice de la santé humaine et du bien-être animal.
Je vous informe que cette lettre sera diffusée auprès du grand public.
Ellis, L. M., and I. J. Fidler. 2010. Finding the tumor copycat. Therapy fails, patients don’t. Nat Med 16 (9):974-5
Leaf, C. 2004. Why we are losing the war on cancer. Fortune (March 9):77-92
Frese, K. K., and D. A. Tuveson. 2007. Maximizing mouse cancer models. Nat. Rev. Cancer 7:645-658
Kerbel, R. S. 2003. Human tumor xenografts as predictive preclinical models for anticancer drug activity in humans: better than commonly perceived-but they can be improved. Cancer Biol. Ther. 2 (4 Suppl 1):S134-922
Singh, M., et al. 2010. Assessing therapeutic responses in Kras mutant cancers using genetically engineered mouse models. Nat. Biotechnol. 28:585-593
Talmadge, J. E., R. K. Singh, I. J. Fidler, and A. Raz. 2007. Murine Models to Evaluate Novel and Conventional Therapeutic Strategies for Cancer. Am. J. Pathol. 170:793-804
Peterson, J. K., and P. J. Houghton. 2004. Integrating pharmacology and in vivo cancer models in preclinical and clinical drug development. Eur. J. Cancer 40:837-844
Francia, Giulio, and Robert S. Kerbel. 2010. Raising the bar for cancer therapy models. Nat Biotech 28 (6):561-562
Johnson, J. I., et al. 2001. Relationships between drug activity in NCI preclinical in vitro and in vivo models and early clinical trials. Br J Cancer 84 (10):1424-31
Zielinska, Edyta. 2010. Building a better mouse. The Scientist 24 (4):34-38
Wade, Nicholas. 2009. New Treatment for Cancer Shows Promise in Testing. New York Times, June 29
L’article ci-dessous aborde une question éthique dont la discussion ne fait pas partie des activités d’Antidote Europe. En effet, nous agissons uniquement sur le plan scientifique, en démontrant qu’aucune espèce animale n’est le modèle biologique de l’homme et en demandant aux autorités de ne plus utiliser les données issues de la recherche animale pour les extrapoler à l’homme. Toutefois, nous vous présentons cet article car il permet de comprendre ce qu’est la recherche fondamentale et, ainsi, de répondre à certaines questions que l’on nous pose souvent.
Remerciements à Marie-Line Souq pour la traduction française.
Peut-on justifier l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale ?
par Ray Greek*, Jean Greek
*Correspondance : DrRayGreek@aol.com Americans For Medical Advancement, 2251 Refugio Rd, Goleta, CA 93117, USA
Publié le 8 septembre 2010 dans Philosophy, Ethics, and Humanities in Medicine 2010, 5 : 14 doi:10.1186/1747-5341-5-14
(Reçu le : 25 novembre 2009 ; accepté le : 8 septembre 2010)
Cet article est disponible à l’adresse suivante : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2949619/
Les animaux sont utilisés de nombreuses façons dans les sciences et la recherche scientifique. Etant donné que la société accorde de l’importance aux animaux sentients et que la recherche fondamentale n’est pas orientée vers un but, la question se pose : « Peut-on justifier l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale ? » Nous allons étudier cela en abordant des questions liées aux financements, aux résultats issus de la recherche fondamentale, ainsi qu’à la position de la société dans son ensemble sur l’utilisation d’animaux sentients pour des recherches qui ne sont pas orientées vers un but. Nous en concluerons, à la lumière des priorités de la société, que l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale ne peut être justifiée.
Introduction
Le but de cet article est d’étudier l’utilisation des animaux sentients en recherche fondamentale. (Nous sommes conscients que les êtres humains sont des animaux mais dans cet article nous utiliserons le terme animal pour désigner les animaux non-humains.) Nous posons la question : « Peut-on justifier l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale ? » Nous posons la question de cette manière parce qu’il existe des preuves montrant que la société trouve acceptable que des animaux sentients soient utilisés pour prédire la réaction de l’homme à des médicaments ou des maladies. Cependant, une telle utilisation n’est pas défendable d’un point de vue scientifique puisque les animaux ne peuvent pas prédire la réaction de l’homme [1-27]. (Voir les références 1 et 2 pour des articles abordant la théorie sous-jacente à cette position ainsi que des preuves empiriques la confirmant. Voir les références 3-27 pour des analyses d’exemples choisis. Nous comprenons parfaitement la nature controversée de notre affirmation que les animaux ne peuvent pas prédire la réponse de l’homme à des médicaments et maladies, mais nous défendons cette affirmation avec les références 1 et 2, pas dans cet article.) Par conséquent, les questions soulevées sont : « Qu’en est-il de l’utilisation d’animaux sentients pour des recherches reconnues comme étant dirigées par la curiosité plutôt qu’orientées vers un but ? Quels facteurs devraient être pris en compte lors de l’utilisation d’animaux sentients à cette fin ? Quel serait l’avis d’une société informée sur l’utilisation d’animaux sentients dans la recherche en général ?
Dans cet essai, nous montrons que : 1) la recherche fondamentale par définition n’est pas destinée à trouver des remèdes ; 2) dans une vaste majorité de cas, elle ne le fait pas ; et 3) nous montrons que la société n’est pas à l’aise avec cette situation. Nous voyons cet article comme un syllogisme. SI la société n’est pas à l’aise, ou ne tolère pas l’utilisation d’animaux sentients pour des recherches n’aboutissant pas à des remèdes et SI la recherche fondamentale est constituée de ce type de recherches, ALORS la société ne tolère pas l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale.
Si la recherche fondamentale se définit comme une recherche qui n’est pas destinée à prédire la réaction de l’homme à des médicaments ou des maladies et si elle est conduite par curiosité, alors quel est le but de prendre du temps au lecteur pour étudier l’utilisation des animaux sentients en recherche fondamentale ? Le résultat n’est-il pas déjà connu ? En réalité, les points précédents sont très controversés, de même que la conclusion, le but de cet essai est donc d’amener le lecteur à comprendre les considérations majeures. Les auteurs ont commencé cette discussion avec Niall Shanks dans l’article, « Les modèles animaux ont-ils une valeur prédictive pour l’homme ? » [1] Cet essai est la deuxième partie de notre étude sur la question de l’utilisation des animaux dans la recherche et les sciences en général.
Le sujet dans son ensemble suscite beaucoup d’émotions et de controverses et présente de nombreuses facettes. De nombreuses questions supplémentaires peuvent, et devraient au final être posées. Par exemple :
Quel type de recherche fondamentale peut être effectué sans utiliser d’animaux et quels sont les coûts et bénéfices associés ?
Quel fut le rôle des animaux dans les découvertes scientifiques et médicales passées ? (Ce n’est pas une question à laquelle il est facile de répondre. L’histoire exacte de la façon dont les percées et les découvertes ont eu lieu ressemble plus à un puzzle qu’à un simple exemple de A amenant à B amenant à C.)
Est-ce que des découvertes majeures impliquant l’utilisation d’animaux auraient pu voir le jour sans animaux ? Si de telles découvertes n’auraient pu voir le jour sans animaux à cette période de l’histoire, pourquoi était-ce le cas ? Est-ce que les avancées scientifiques et techniques ultérieures auraient pu permettre que ces percées et découvertes scientifiques voient le jour plus tard sans l’utilisation d’animaux ? Quelles auraient été les conséquences si ces découvertes avaient été plus tardives ?
De quelles manières sont utilisés les animaux dans l’ensemble des champs de la recherche et des sciences et quels en sont les intérêts ? Par exemple, dans l’article « Les modèles animaux ont-ils une valeur prédictive pour l’homme ? » [1] et dans le livre Les Modèles Animaux à la Lumière de l’Evolution [2] les auteurs exposent neuf façons dont les animaux sont utilisés en sciences et soutiennent que sur les neuf, sept sont valables scientifiquement. En divisant l’utilisation des animaux en catégories comme nous le faisons dans cet essai, le sujet devient non seulement plus facile à étudier mais cela permet également d’étayer les arguments. Les généralisations trop hâtives sont également évitées. Utiliser des animaux d’une manière scientifiquement valable dans une des catégories ne doit pas justifier les manières dont sont utilisés les animaux dans les autres catégories.
Devrait-il y avoir un effort concerté de la part des scientifiques pour expliquer l’intérêt de la recherche fondamentale conduite dans le seul but d’acquérir des connaissances ? Est-ce que l’opinion de la société sur l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale changerait si la société croyait, comme nombre de scientifiques, que la recherche utilisant des animaux sentients n’est justifiée que si elle permet d’acquérir plus de connaissances ?
Quelles barrières se dressent contre le remplacement des animaux dans la recherche ? Quelle est l’influence des comités d’éthique et des comités de protection des animaux sur cette question ? Apportent-ils de l’aide ou freinent-ils le processus ? Quelle est la disponibilité des tissus humains par rapport à celle des tissus animaux et pourquoi cela ?
Qu’est-ce que la recherche sur la recherche révèle ? Les auteurs sont d’avis que la société a besoin de bien plus de recherche sur la recherche. Qu’est-ce qui fonctionne et qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Qu’est ce qui est le plus rentable ? La séparation entre les National Institutes of Health (Instituts nationaux américains de santé [NIH]) et la National Science Foundation (Fondation nationale des sciences [NSF]) fonctionne-t-elle comme prévue ou le système devrait-il être modifié ? Quels types de recherches ne sont pas suffisamment financés et lesquels sont trop financés ?
Le dernier point de cette liste (mais ce n’est en aucun cas une liste exhaustive) est la question de l’éthique. Est-ce que les hommes peuvent utiliser les animaux comme bon leur semble ? Pourquoi les pays européens exigent-ils plus de justifications relatives au rapport éthique entre les coûts et les bénéfices que les Etats-Unis ? Certains animaux sentients méritent-ils plus de considération que d’autres ?
Tout ce qui précède fait partie et n’est qu’une partie du thème général de l’utilisation des animaux en recherche et dans les sciences. Comme nous l’avons fait dans l’essai : « Les modèles animaux ont-ils une valeur prédictive pour l’homme ? » [1], nous ramenons le problème à une seule question à laquelle il est plus facile de répondre, tout en ayant conscience que le sujet en lui-même est beaucoup plus large et que cet essai n’en est qu’un parmi de nombreux.
Normes sociétales
Les philosophies de la vie varient considérablement, particulièrement quand la question de l’utilisation des animaux pour la recherche est concernée. Certains soutiennent que les animaux devraient être utilisés sans considérations relatives à la sentience ou aux préoccupations de la société. Derbyshire est représentatif d’un grand nombre de personnes de la communauté de la recherche fondamentale lorsqu’il affirme :
Au final, on ne peut pas aller dans les deux sens. Ce n’est pas possible de prôner le bien-être animal et, en même temps, de donner à des animaux des médicaments non testés ou des maladies, ou de les découper pour tester un nouveau procédé chirurgical. Les trois R [la notion que le nombre d’animaux utilisés devrait être Réduit, les procédures Raffinées pour diminuer la douleur, et que tous les animaux devraient à terme être Remplacés par des méthodes sans animaux] invitent à porter une attention particulière au bien-être animal, ce qui est à la fois irréaliste et malhonnête. Indépendamment de toute croyance quant à la valeur des animaux, si vous vous engagez dans des activités qui sont invasives ou létales pour les animaux ou si vous contrôlez leur reproduction, leur espace de vie et leurs habitudes, vous exprimez de facto la conviction que les animaux sont suffisamment différents des hommes pour que l’exercice de ces activités soit justifié. Les scientifiques sont désireux de se défendre contre des accusations de cruauté en faisant valoir leur fidélité aux trois R mais ils oublient que la vraie raison d’être de l’expérimentation animale est d’améliorer le bien-être et la compréhension de l’humanité. Améliorer la compréhension de l’homme exige la liberté de faire plus de recherches sur les animaux, et souvent avec des espèces plus complexes, ce qui est incompatible avec un respect constant aux trois R [28].
D’autres soutiennent un autre point de vue. Un sondage effectué par le Pew Research Center (Centre de recherche américain Pew) et l’American Association for the Advancement of Science (Association américaine pour le progrès de la science [AAAS]), diffusé le 9 juillet 2009, révéla que seulement 52 % du grand public non scientifique supportait l’utilisation d’animaux pour la recherche scientifique [29]. (Il faut remarquer ici que la plupart des sondages sur ce sujet, comme le sondage du Pew Research Center et de l’AAAS, ont été élaborés sous une forme dichotomique : « Soutenez-vous ou rejetez-vous l’utilisation d’animaux pour la recherche ? » De tels sondages n’ont ainsi permis aucune flexibilité à la personne interrogée ou aucune nuance dans sa réponse. De notre point de vue, ces sondages ne sont pas suffisamment efficaces, et devraient être utilisés comme des outils reconnus inexacts ou à des fins de suivi. Nous ne nous appuierons pas sur eux ici. Il suffit de rappeler que nous avons besoin de plus de sondages permettant de distinguer les différentes utilisations des animaux dans les sciences et la recherche.) De meilleurs sondages ont posé des questions plus spécifiques et ont révélé systématiquement que la société tolère l’utilisation d’animaux en recherche quand elle pense que cela aboutira à des traitements capables de sauver des vies mais pas quand elle pense que ces recherches sont motivées par la curiosité. Par exemple, en 1999, le MORI a élaboré en collaboration avec le New Scientist un sondage qui fut publié dans le New Scientist le 22 mai 1999 [30]. Quand on demanda aux personnes interrogées si elles étaient favorables à l’utilisation d’animaux, 24 % ont répondu « oui » alors que 64 % ont répondu « non ». Mais les enquêteurs avaient décomposé les questions en plusieurs catégories. Par exemple lorsque les personnes furent interrogées au sujet d’expériences impliquant des souffrances, des maladies ou de la chirurgie à des souris, 61 % étaient contre les utiliser dans le but d’étudier le fonctionnement de l’ouïe, mais seulement 32 % étaient contre les utiliser dans le but de s’assurer qu’un nouveau médicament destiné à soigner la leucémie infantile était sans danger et efficace. Quand les singes remplaçaient les souris, les taux de désapprobation allaient respectivement de 64 % à 75 % et de 32 % à 44 %.
Le paragraphe ci-dessus suggère que des questions plus détaillées en révèlent plus sur l’état d’esprit de la société que de simples questions dichotomiques. Il nous apparaît que plus la société est informée, par des questions plus précises, plus elle est mal à l’aise avec l’utilisation d’animaux sentients pour des recherches non orientées vers un objectif. On peut remarquer que le malaise face à l’utilisation d’animaux atteint son paroxysme lorsqu’il s’agit par exemple de primates non-humains, de chiens et de chats, c’est-à-dire des animaux que la société côtoie au quotidien ou considère comme étant comme nous. Cela soulève de nombreuses questions, parmi lesquelles : « Quelle est l’importance de la recherche fondamentale biomédicale actuelle dans la découverte de nouveaux traitements ? »
Les sociétés construites sur les principes de la soi-disante philosophie occidentale (Les Etats-Unis, l’Europe etc.) semblent être mal à l’aise avec le fait que des animaux soient utilisés en recherche fondamentale , « fondamentale » définissant la recherche non destinée à aboutir à des remèdes. Nous poursuivons ce sujet avec Giles qui écrit dans Nature :
Dans le monde controversé de la recherche animale, une question refait surface encore et toujours : Dans quelle mesure les expériences sur animaux sont-elles des méthodes préparatoires utiles, préalablement aux essais de traitements médicamenteux sur l’homme ? La question est cruciale, parce que l’opinion publique soutient la recherche sur animaux seulement si elle contribue au développement de médicaments plus efficaces.Par conséquent, les scientifiques qui défendent les expériences sur animaux insistent sur le fait qu’elles sont indispensables pour la mise en place d’essais cliniques sans danger, alors que les militants pour les droits des animaux maintiennent avec véhémence qu’elles sont inutiles [31]. (Souligné par les auteurs).
L’Institute for Laboratory Animal Research (Institut américain pour la recherche sur animaux de laboratoire) [[32]a] et d’autres partisans de l’utilisation d’animaux en recherche [33] ont des avis similaires à celui de Giles. Un éditorial paru dans Nature en 2009 renforça l’affirmation ci-dessus : « Les politiques relatives à la recherche sur animaux ont besoin d’être guidées par un sens moral, un consensus entre ce que les gens trouvent acceptables et inacceptables. » [34] Il faut remarquer que cette position est plutôt en désaccord avec ce que l’ancien fervent défenseur des animaux Henry Spira affirmait. Spira pensait que tant que la société considérerait le fait de manger des animaux comme moralement acceptable, elle n’aurait aucun problème avec le fait de faire des expériences sur eux. Ceci est important pour notre discussion car, en faisant cette déclaration, Spira ignorait le fait que nombre des fondateurs des différentes organisations opposées à la vivisection mangeaient de la viande et que les membres actuels de ces organisations font de même. Le commentaire paru dans Nature est plus proche de la réalité. Les gens peuvent être, et sont, incohérents et certaines choses les dérangent plus que d’autres. Telle est la réalité de la vie.
Lorsque le sujet de l’utilisation des animaux pour la recherche est abordé, beaucoup, sinon la plupart des gens dans notre société occidentale acceptent que les animaux sentients méritent de la considération morale et des revues comme Nature le reconnaissent. (Nous avons conscience que la société n’est pas monolithique et que les opinions varient sur presque tous les sujets y compris celui-ci. Néanmoins, à en juger par des sondages et des commentaires de revues scientifiques, il apparaît que les États-Unis et l’Europe, au moins, sont constitués d’individus qui, dans l’ensemble, ne sont pas à l’aise avec le fait que des animaux soient utilisés pour des recherches motivées par la curiosité.) Le rapport coûts/ bénéfices doit être évalué ici, les coûts étant la souffrance d’animaux sentients. Certaines personnes ont évalué ce rapport et ne sont pas à l’aise avec l’utilisation d’animaux en recherche fondamentale mais sont d’accord pour les utiliser d’autres manières. (Il y a un autre coût qui est la rentabilité relative de la recherche fondamentale dans son ensemble, qu’elle utilise des animaux ou non, par opposition à la possibilité d’utiliser le maigre budget alloué à la recherche pour des recherches cliniques ou d’autres domaines de recherche. Cependant, comme ce n’est pas notre sujet, nous laissons cela de côté ici.) C’est ce point de vue, l’analyse des coûts et bénéfices, qui donne de la valeur à la recherche destinée à trouver des remèdes mais pas à la recherche motivée par la curiosité, que nous tiendrons quand nous discuterons de l’utilisation des animaux pour les sciences fondamentales.
Définitions
Comme nous nous intéressons ici à deux concepts, la sentience et la recherche fondamentale, nous allons prendre un moment pour mieux les définir et les décrire. Nous avons déjà fait référence à la recherche fondamentale en tant que recherche qui n’a pas pour but d’aboutir à des remèdes mais nous avons besoin d’étayer cette définition. La recherche fondamentale a également été dénommée recherche scientifique fondamentale, recherche motivée par la curiosité et recherche pure. [32,35-38]. Nous utiliserons l’appellation « recherche fondamentale ». La recherche fondamentale peut être définie de différentes manières et le sens que lui donne les chercheurs lorsqu’ils en parlent varie considérablement. Cependant, la définition suivante est représentative. L’Organisation for Economic Cooperation and Development (L’Organisation de Coopération et de Développement Economique) a défini la recherche fondamentale comme étant :
Un travail expérimental ou théorique entrepris initialement pour obtenir de nouvelles connaissances sur des phénomènes et des faits observables sans aucune application ou usage particulier en vue. Ce type de recherche est souvent entrepris par des scientifiques qui établissent leur propre programme et qui, dans une plus large mesure, organisent leur propre travail [39].
Francis Bacon [40], Claude Bernard [41], et JJ Thompson [42], le découvreur de l’électron, le National Environment Research Council (Conseil national de la recherche sur l’environnement) [38], Braben [43], et d’autres [[32]b], [35] sont d’accord avec la définition ci-dessus. Arthur Kornberg déclara dans un éditorial de la revue Science en 1995 :
On nous exhorte : Faites de la recherche fondamentale stratégique ! Faites de la recherche fondamentale ciblée ! Comment peut-on éclaircir ces termes, par définition contradictoires ? [44].
Alors que la citation précédente n’assure pas que la définition que nous utilisons soit universellement acceptable, elle distingue clairement la recherche appliquée, orientée vers un but qui, de notre point de vue, est synonyme de recherche prédictive, de la recherche qui n’est pas, de par sa nature, prédictive pour l’homme.
Soyons très clairs sur l’importance de la recherche fondamentale en sciences dans l’histoire. Grâce à la recherche fondamentale, un grand nombre de découvertes parmi les plus importantes en physique, chimie et biologie ont vu le jour. La recherche fondamentale a contribué de manière très importante aux progrès scientifiques.
Les découvertes et inventions issues de la recherche scientifique fondamentale comprennent :
La découverte de l’ADN
Des principes de chimie fondamentale, comme le cycle de Krebs
Le tableau périodique des éléments
Le spectromètre de masse
Les transistors
Les circuits électroniques
Les rayons X
Les électrons, les protons et les neutrons
L’énergie nucléaire
Les ondes électromagnétiques
Les bobines à induction des voitures
Le système GPS (Global Positioning Satellite)
Cependant, la recherche fondamentale n’implique pas nécessairement l’utilisation d’animaux sentients. La recherche fondamentale peut s’effectuer en utilisant des animaux non sentients, sur ordinateur, dans un laboratoire de physique ou de chimie, par des expériences de pensée ou de multiples autres façons. Pratiquement toute la recherche fondamentale en chimie et physique (qui a abouti aux découvertes listées ci-dessus) n’implique pas l’utilisation d’animaux sentients et un grand nombre des découvertes les plus importantes qui ont permis de réduire le poids de maladies et de handicaps furent issues de ces deux domaines. Par exemple, la tomodensitométrie (CT-scans), la tomographie par émission de positons (TEP), les radiographies, les rayons cathodiques, les valves électroniques, la cristallographie aux rayons X, la résonnance magnétique nucléaire et les scanners IRM, les implants radioactifs, l’ultracentrifugeuse, les méthodes de préparation d’enzymes et de virus purs, la chimie des hormones, l’électrophorèse de protéines, la chromatographie, la microscopie électronique, la spectroscopie de masse, et beaucoup d’autres, ont tous été les résultats de recherches fondamentales en physique et chimie. Ces découvertes ainsi que la technologie qu’elles représentent ont probablement été plus loin dans le soulagement de la souffrance que la plupart des autres découvertes.
Nous ne sommes en aucun cas en train de remettre en question la valeur de la recherche fondamentale en elle-même dans les sciences en général. (Nous discutons le fait que l’importance relative de la recherche fondamentale dans les sciences biomédicales est en train d’être remise en question en ce qui concerne la somme d’argent qui devrait lui être allouée, par opposition à des recherches plus orientées cliniquement.) Par définition, tout ce qui aboutit à plus de connaissances a de la valeur pour peu que l’on apporte de la valeur à l’acquisition de connaissances. Beaucoup affirment que toute connaissance acquise est importante et personne ne peut nier que, même aujourd’hui, des connaissances sont acquises à partir de l’utilisation d’animaux. Par exemple, des expériences conduites sur des primates non humains sont certainement menées actuellement dans le but d’étudier la neurophysiologie et ne peuvent pas être effectuées sur des êtres humains. Nous reconnaissons que les connaissances scientifiques peuvent progresser et progressent en étudiant des animaux sentients dans les laboratoires. Ce fait n’est pas un point de litige dans cet article. Nous discutons plutôt de la nécessité ou du rapport coûts/bénéfices, tel qu’il est évalué par la société, de l’utilisation d’animaux sentients pour de telles recherches dans les sciences biomédicales.
La recherche fondamentale en biologie a traditionnellement étudié la vie à son degré le plus fondamental ; qu’est-ce que la cellule, de quoi est-elle faite, qu’est-ce qui distingue la vie de l’absence de vie, de quoi sont constituées les choses, etc. En recherche appliquée, les scientifiques veulent généralement produire quelque chose de commercialement viable. La recherche est indubitablement un continuum allant du fondamental à l’appliqué et ce n’est pas toujours facile de mettre un projet de recherche donné dans une catégorie. Mais, en se basant sur les définitions ci-dessus, une chose demeure certaine : La recherche fondamentale ne revendique pas d’applicabilité.
Historiquement, l’utilisation d’animaux en recherche était synonyme de recherche fondamentale. Il était facile de disséquer ou de faire des expériences sur des animaux sans aucun but particulier en tête. Si vous vous intéressiez à un phénomène ou vouliez en apprendre plus sur la vie en général, vous pouviez utiliser des animaux. Par exemple, les recherches de Claude Bernard menées sur des animaux étaient en grande partie de la recherche scientifique fondamentale. Cette approche était grandement efficace lorsque les scientifiques voulaient en savoir plus sur les principes les plus fondamentaux de la vie. Après tout, les singes, les grenouilles, les souris et les êtres humains ont beaucoup en commun. Mais actuellement la recherche et la pratique de la médecine se focalisent sur les différences entre individus humains [45-61] et non sur les points communs entre les humains et d’autres animaux. Ceci a des implications pour notre réflexion.
Le second terme qui nécessite d’être défini est la sentience. Sentient, de même que la recherche fondamentale, peut être défini de différentes manières, parmi lesquelles :
Avoir des perceptions sensorielles,
La conscience,
Faire l’expérience de sensations ou de sentiments,
Être réceptif à ou conscient d’impressions sensorielles,
Être conscient
Être finement sensible aux perceptions et aux sensations,
Être capable de faire l’expérience de sensations physiques et probablement émotionnelles,
Avoir la capacité de recevoir des sensations,
Être capable d’avoir des perceptions.
Pour les objectifs de cet article, savoir exactement quels animaux sont sentients et lesquels ne le sont pas n’a aucune importance. La plupart des gens seront d’accord avec le fait que les chiens, les chimpanzés et les souris sont sentients et également avec le fait que les drosophiles, les vers et les Cnidaires ne le sont pas. Nous voulons ouvrir un débat pour savoir si la société approuve ou non l’utilisation d’organismes sentients en recherche fondamentale, et non pour établir quels animaux précisément font partie de cette catégorie. La question de savoir précisément quels animaux sont sentients peut être discutée après avoir défini le concept que nous étudions, et elle est en fait déjà examinée dans de nombreux livres et revues.
La question de savoir si la sentience confère de la considération morale a aussi été posée ailleurs et nous renvoyons les lecteurs à ces arguments [62-66]. Très brièvement, de tels arguments soutiennent que la sentience est le seul trait moralement pertinent partagé par tous ceux qui reçoivent actuellement de la considération morale ; donc n’importe quel individu sentient devrait bénéficier de considération morale. Ceci constitue l’argument pour la cohérence morale. Alors que la société elle-même ne peut pas exprimer cet argument pour la cohérence morale, elle a certainement une intuition du concept.
Julius Comroe et Robert Dripps
L’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale est une branche de la recherche fondamentale en général. Étudier la pertinence de la recherche fondamentale dans la recherche biomédicale est un bon point de départ pour notre discussion.
Susan Hockfield, présidente du Massachussets Institute of Technology (Institut de technologie du Massachussets) a écrit dans un éditorial pour la revue Science :
Les investissements fédéraux américains pour la recherche fondamentale ont transformé la vie et le commerce au 20ème siècle. Ils nous ont envoyés sur la lune et au-delà, ont entrainé des révolutions, aidé à nourrir la planète, réinventé les méthodes de travail, et ont mené la remarquable croissance économique des États-Unis après 1950. Ces avancées, et bien d’autres, sont nées de la convergence de l’ingénierie et des découvertes en sciences physiques du début du 20ème siècle. Les États-Unis peuvent prévoir pour le 21ème siècle de telles innovations, bouleversantes pour le monde, si nous adoptons nos stratégies de financement de manière à tirer parti des nouvelles opportunités émergeant au croisement des sciences de la vie, des sciences physiques et de l’ingénierie.
La recherche fondamentale aux États-Unis a sérieusement commencé après la seconde guerre mondiale. On doit cela, au moins en partie, à l’ingénieur Vannevar Bush, directeur de l’Office of Scientific Research and Development (Bureau de la recherche scientifique et du développement). Bush avait écrit un rapport pour le président Roosevelt déclarant que « de nouvelles connaissances ne peuvent être obtenues qu’à partir de recherches scientifiques fondamentales. » [68]
Ceci marqua un tournant dans le financement de la recherche. Au 19ème siècle, la majorité de la recherche avait été financée par des fonds privés et au 20ème siècle, les investissements des industriels et des gouvernements ont augmenté. Après ce rapport, la recherche financée par le gouvernement, contrairement à la recherche financée par des fonds privés, devint la norme. Au 19ème siècle, on attendait des recherches qu’elles produisent des résultats. Toutes ne le faisaient pas et certaines étaient financées sans objectif de résultats, mais dans l’ensemble les investisseurs attendaient des résultats concrets. Suite à ce rapport, le gouvernement des États-Unis créa en 1950 la National Science Foundation (Fondation nationale des Sciences) qui, depuis lors, finance toujours la recherche fondamentale. (Aujourd’hui, les NIH de même que d’autres agences gouvernementales et œuvres de charité financent également une grande partie de la recherche fondamentale.) Cet accent porté sur la recherche fondamentale traversa l’Atlantique et constitue depuis la norme dans le monde entier.
Est-ce que l’utilité de la recherche fondamentale pour la médecine actuelle a été prouvé ? Tout le monde a des anecdotes, parfois de nombreuses, pour étayer leur opinion que la recherche fondamentale, et plus particulièrement la recherche fondamentale utilisant des animaux sentients, est indispensable aux progrès des sciences médicales. Mais y-a-t-il des données scientifiques pour défendre ce point de vue ? Le point d’honneur mis actuellement sur la recherche fondamentale en médecine, par opposition à la recherche appliquée, est né d’une étude de l’U.S. Defense Department (Département de la défense des États-Unis) publiée en 1967 dans la revue Science,qui concluait que les recherches effectuées avec un objectif en tête était largement plus efficaces pour améliorer une technologie que les recherches effectuées sans objectif en tête, comme par exemple, la recherche fondamentale [69]. Cette étude amena ensuite le président Johnson à déclarer : « Enormément de choses ont été faites dans la recherche fondamentale [en médecine] … mais je pense que le temps est venu de revoir nos objectifs, en essayant de faire en sorte que nos connaissances soient entièrement appliquées… Nous devons être sûrs qu’aucune découverte capable de sauver des vies ne reste enfermée dans un laboratoire [70]. »
Ce point de vue sur la recherche fondamentale, perçu comme négatif, conduit le physiologiste de la respiration Julius Comroe et l’anesthésiste Robert Dripps à élaborer un sondage à propos des découvertes médicales. L’argument classique justifiant la recherche fondamentale provient de cette étude publiée en 1976 [71]. Leur article intitulé « Fondements scientifiques pour soutenir la recherche biomédicale », prétendait que 41 % de tous les articles jugés essentiels aux avancées cliniques ultérieures en médecine cardiovasculaire et pulmonaire et en chirurgie, n’étaient pas orientées vers la pratique clinique au moment où elles étaient conduites et que 62 % des articles déterminants étaient le fruit de recherches fondamentales. Cette affirmation apparut comme la preuve solide que la recherche fondamentale et translationnelle utilisant des animaux étaient capitales pour découvrir de nouveaux traitements, et en fait, de nombreux pays en ont tiré profit, comme le remarquent Grant et al. :
Depuis cette analyse, le soutien à la recherche fondamentale a augmenté dans les pays membres du G7. Au Royaume-Uni, les dépenses du Research Council (Conseil de la recherche) sont passées d’un faible montant de 444 millions de livres (soit 42 % du total de la recherche et développement du secteur civil) en 1991/1992 à 769 millions de livres (soit 61 % du total de la recherche et développement du secteur civil). Bien qu’il serait difficile d’affirmer que Comroe et Dripps furent directement responsables du changement stratégique (ou de la dérive) concernant le type de science soutenue par ceux qui financent la recherche, leurs arguments sont souvent cités (bien que parfois de façon implicite) pour encourager l’augmentation des financements de la recherche biomédicale fondamentale [72].
Une recherche avec PubMed (effectuée le 17 août 2010) fournit 22 citations pour l’article de Comroe et Dripps de 1976. Nous pensons que ce chiffre est très significatif. Notre affirmation que la recherche fondamentale, particulièrement la recherche fondamentale utilisant des animaux sentients, est la norme communément admise pour développer les connaissances qui seront finalement utilisées pour développer des traitements, est confirmée par le faible nombre de références. La valeur de l’étude de Comroe et Dripps n’est simplement pas remise en cause en dépit de l’ampleur de ses conséquences comme l’a noté ci-dessus Grant et al.. C’est seulement récemment [72] que la conclusion de Comroe et Dripps a commencé à être remise en question.
À ce stade, nous commençons à voir une dichotomie dans la manière dont les scientifiques expliquent au grand public l’intérêt de la recherche scientifique fondamentale. A cause de commentaires comme celui de Johnson et d’autres et des grandes avancées de la recherche appliquée, des membres de la communauté de la recherche fondamentale ont commencé à ressentir une pression venant de la société, leur demandant de justifier leurs recherches par d’autres motifs que celui de la connaissance pour la connaissance. Cette rupture avec le passé a des implications directes pour notre discussion. La société laissait déjà entendre qu’il y a des limites à ce qu’elle serait prête à financer en terme de recherche pour la seule connaissance. Nous estimons qu’une grande partie de la recherche fondamentale actuelle est effectuée sous couvert de recherche appliquée parce que cela augmente la potentialité que le projet soit financé par des institutions [2]. Par exemple, Freeman et St. Johnson déclarèrent en 2008 :
On sait que de nombreux scientifiques qui travaillent sur des organismes modèles, y compris nous deux, ont inventé un lien avec une maladie humaine pour accélérer l’acquisition d’une subvention ou la publication d’un article. Cela est juste : après tout, le parallèle est honnête, mais le lien est souvent plutôt indirect [73].
Utiliser des animaux comme modèles causalistes et analogiques [74] ou comme modèles prédictifs n’est pas de la recherche fondamentale, c’est de la recherche appliquée. Le véritable point essentiel semble être pour certains : « Donnez-nous de l’argent pour faire de la recherche fondamentale sur animaux sentients parce que nos recherches sont prédictives pour l’homme » [[2]b]. Lorsque de telles recherches apparaissent comme n’étant en fait pas prédictives, ils affirment cependant : « Notre recherche est de la recherche fondamentale, elle n’est donc pas supposée être prédictive. » Même ceux qui admettent que la recherche fondamentale utilisant des animaux sentients n’est pas prédictive se cachent sous l’affirmation que « les modèles animaux sont prédictifs » pour augmenter leurs chances d’obtenir des financements [[2]b].
(Nous devrions ici faire remarquer que nous ne pensons pas le lecteur-scientifique si naïf qu’il ne comprenne pas ce à quoi nous faisons référence ici. Nous, et nous sommes certains que le lecteur-scientifique aussi, sommes parfaitement conscients que, dans le but d’obtenir des financements d’institutions telles que les NIH, le candidat est sous la pression de montrer que la recherche en question est directement en rapport avec une maladie humaine [observations non publiées]. Le candidat est sous la pression de transformer ce qui a été considéré comme étant de la recherche fondamentale en recherche appliquée. Les problèmes liés à cette situation sont nombreux, cependant ils ne font pas partie de nos considérations présentes. Il nous suffit de dire que nous tentons ici d’utiliser des mots et des formules, telles que recherche fondamentale, avec des significations cohérentes avec la réalité et non avec le sens qui leur est attribué dans les procédés de financement.)
Comroe et Dripps s’enthousiasmaient pour la recherche fondamentale et l’expérimentation animale. Ils avaient critiqué l’administration du président Johnson pour s’être exprimée en faveur de la recherche appliquée plutôt que de la recherche fondamentale. Ils critiquèrent également les premiers chirurgiens ayant effectué une transplantation cardiaque pour ne pas avoir déclaré publiquement que l’opération, selon eux, fut possible uniquement grâce à l’utilisation préalable d’animaux en recherche fondamentale [71,75-77]. Comroe avait également écrit une critique sur les progrès médicaux affirmant que toutes les découvertes majeures avaient été le résultat de recherches fondamentales impliquant des animaux [76,77]. Comroe critiquait également la recherche clinique :
Ne vivons pas dans la peur constante de la grande déesse Randomisation [la recherche clinique], son appétit est immense, et, nourrie continuellement, elle pourrait consommer la majeure partie des dollars et du personnel alloués à la recherche dans ce pays, et même voler la vie à des patients [78].
La déclaration précédente est toujours citée pour rappeler que beaucoup dans l’histoire ont eu, et ont toujours, du dédain pour la recherche clinique. Silverman in 2004 :
À l’époque du débat de 1969 [concernant les niveaux optimaux d’oxygène pour les bébés prématurés], j’ai trouvé difficile de comprendre pourquoi ceux qui s’exprimaient contre un essai contrôlé et officiel gagnèrent le débat « sur les méthodes » si facilement (la puissance des essais randomisés et contrôlés avaient été fermement et largement établis suite aux célèbres essais cliniques effectués en Grande Bretagne dans les années 1940 et 1950). Mais j’avais sous-estimé l’influence de la contre-offensive menée aux États-Unis par d’éminents chercheurs tournés vers la recherche de laboratoire. Par exemple, un leader célèbre écrivit…
Ici, Silverman cite Comroe (la citation de la « grande déesse Randomisation » relatée précédemment) et continue :
Ces commentaires méprisants à propos de l’utilisation de méthodes statistiques dans les études cliniques rappelaient la dérangeante division de points de vue concernant la manière avec laquelle la profession médicale devait résoudre les problèmes naissant dans les cliniques [79].
Comroe et Dripps interrogèrent la « communauté scientifique » pour déterminer quelles découvertes étaient importantes. Ils envoyèrent un certain nombre de sondages (environ la moitié d’après certains) à des scientifiques effectuant des expériences de science fondamentale. Sans surprise, ces scientifiques conclurent que les études de recherche fondamentale effectuées sur animaux avaient été inestimables. Comme l’assistant d’édition d’alors et futur éditeur du British Medical Journal le remarqua, le rapport laissa complètement de côté la découverte clinique des effets du tabac sur les maladies cardiaques et pulmonaires bien que cette relation de cause à effet fut « l’élément le plus important pour la plupart des médecins traitant les troubles des poumons et du cœur. » [80] (souligné par les auteurs) Les cliniciens, selon toute vraisemblance, n’auraient pas laissé de côté cette découverte, accordant du crédit à l’idée que Comroe et Dripps favorisèrent les chercheurs en recherche fondamentale quand ils envoyèrent leur sondage.
Le rapport de Comroe et Dripps est toujours cité comme essentiel par ceux qui souhaitent justifier l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale. (Les auteurs savent d’expérience que ces discussions ont lieu habituellement en dehors de la littérature scientifique, ce qui explique également le faible nombre de citations obtenu pour l’article de Comroe et Dripps.) Cependant, ce rapport fut (en 1987, Smith remit en question leurs conclusions [80]), et il l’est toujours, critiqué par de nombreux scientifiques et cliniciens pour des erreurs de méthodologie et des partis pris. Dans quelle mesure peut-on se fier à l’analyse de Comroe et Dripps ? Grant et al. observent qu’à cause de lacunes méthodologiques, le travail de Comroe et Dripps
… ne répondrait probablement pas aux normes actuelles de révision par les pairs. Comme Farrar l’observa, les problèmes méthodologiques comprenaient : « … un manque de clarté quant aux personnes interrogées, quant à la façon dont les avancées cliniques étaient évaluées et quant aux critères définissant ce qu’était un article clé. » [81]
Grant et al. conclurent qu’il faut environ 17 ans pour qu’une recherche fondamentale ait un impact clinique. Plus important :
En utilisant le protocole bibliométrique mis à jour, nous avons montré dans cette étude qu’… entre 2 % et 21 % de la recherche était de la recherche fondamentale. Cela corrobore les résultats de l’étude sur les directives médicales qui montra que … seulement 8 % de la recherche était fondamentale. Ces deux résultats vont à l’encontre du résultat de Comroe et Dripps montrant que 40 % de tous les articles de recherche jugés essentiels à des avancées cliniques ultérieures n’étaient pas orientés vers la recherche clinique au moment de l’étude. Ces nouvelles données ébranlèrent ainsi les preuves initiales qui, dans le passé, encouragèrent l’augmentation des financements pour la recherche fondamentale. [[72]b]
Grant et al. conclurent que l’étude de Comroe et Dripps n’était « pas reproductible, fiable ou valable [82]. » Des mots réellement forts. De plus, Grant et al. ne se sont pas demandés si les découvertes en sciences fondamentales qui jouèrent un rôle important dans l’histoire et impliquèrent l’utilisation d’animaux sentients auraient pu être effectuées sans utiliser d’animaux. Pour quelqu’un qui analyse l’importance d’utiliser des animaux sentients (ce qui n’était pas le cas de Grant et al.) ce point n’est pas sans importance.
Plus récemment, d’autres se sont également interrogés sur le taux de conversion de la recherche fondamentale en traitements cliniques utiles. En 2003, Contopoulos-Ioannidis et al. ont quantifié le taux de conversion des recherches fondamentales « très prometteuses » en applications cliniques. Ils publièrent une étude dans l’American Journal of Medicine qui révéla que sur 101 articles de recherche fondamentale publiés dans les revues de renom Nature, Cell, Science, le Journal of Biological Chemistry, le Journal of Clinical Investigation, et le Journal of Experimental Medicine entre 1979 et 1983, vingt-sept menèrent à des essais cliniques randomisés et seulement cinq donnèrent finalement lieu à une application clinique autorisée [83,84]. Ils conclurent que « [m]ême les découvertes les plus prometteuses de la recherche fondamentale mettent beaucoup de temps à se traduire en expérimentation clinique, et que l’adoption dans la pratique clinique est rare [83]. »
Contopoulos-Ioannidis et al. cherchèrent en fait tous les articles publiés entre 1979 et 1983 dans les revues citées précédemment, soit un total de 25 000. Crowley commenta cela :
Sur les 25 000 articles recherchés, environ 500 (2 %) pouvaient potentiellement prétendre à une future application chez l’homme, environ 100 (0,4 %) donnèrent lieu à un essai clinique et, d’après les auteurs, un seul (0,004 %) conduisit au développement d’une catégorie de médicaments utiles à la médecine clinique (les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine) dans les 30 années suivant la publication de leur découverte en science fondamentale.Ils trouvèrent également que le soutien d’industries augmentait de huit fois la probabilité de conversion d’une découverte fondamentale en essai clinique. De même, sans tenir compte des limites de l’étude, et même si les auteurs ont sous-estimé la fréquence de conversion fructueuse en application clinique de 10 fois, leurs résultats suggèrent fortement que, comme la plupart des observateurs le suspectaient, le taux de transfert de la recherche fondamentale en application clinique est très bas[85]. (Souligné par les auteurs.)
Les constats ci-dessus mettent sérieusement en doute la capacité de la recherche fondamentale à trouver des traitements et des remèdes.
L’Institute for Scientific Information (Institut américain pour l’information scientifique [ISI]) a étudié les taux de citation d’articles publiés dans des revues indexées par l’Institut entre 1981 et 1985 et trouva que 55 % de la totalité des articles n’étaient pas cités dans les cinq ans suivant leur publication [86]. Les revues que l’ISI indexe sont uniquement des revues classées en tête de liste. Les articles publiés dans des revues de rangs inférieurs ne sont pas susceptibles de recevoir autant de citations que ceux publiés dans les revues classées en tête. Donc le chiffre de 55 % serait probablement très élevé si la totalité des revues était considérée. L’ISI trouva également que le taux d’auto-citation était de 5 % à 20 % du total des citations. Le nombre de revues (scientifiques et non scientifiques) s’élève aujourd’hui à 108 000 [86].
Les résultats actuels issus de plusieurs années d’importants financements pour la recherche fondamentale sont en train de forcer certaines personnes du milieu de la recherche à admettre l’échec de la recherche fondamentale à tenir ses promesses [87]. La médecine translationnelle, largement issue de cette prise de conscience, est devenue une expression beaucoup plus fréquente dans la littérature médicale. Ioannidis, écrivant dans le Journal of Translational Medicine,présente un bon exemple de cet état d’esprit : « Il y a des preuves considérables que le taux de conversion des promesses majeures des sciences fondamentales en applications cliniques a été inefficace et décevant [88]. »
Comment le progrès est-il mesuré ?
Grant et al. exprimèrent les attentes liées au financement de la recherche lorsqu’ils affirmèrent :
Le Royaume-Uni dépense plus de 1 600 millions de livres par an pour la recherche dans le domaine des services de santé et du biomédical non-commercial. Cette recherche est financée soit à partir de l’argent public, tels que le NHS et le Medical Research Council (Conseil de la recherche médicale), ou par des œuvres de charité destinées à la recherche médicale, tel que le Wellcome Trust. L’accord tacite est que la recherche médicale soutenue par ces institutions conduise au final à une amélioration de la santé[89]. (Souligné par les auteurs.)
Beaucoup se sont cependant demandés si ces financements étaient redirigés de façon adéquate et demandent des critères objectifs pour mesurer la source du progrès dans la pratique médicale [89-93].
Le président sortant Dwight Eisenhower semblait lire dans l’avenir quand il avertit lors de son dernier discours en tant que président que le complexe militaro-industriel exerçait trop d’influence sur les politiques de l’Amérique. L’expression complexe militaro-industriel (signifiant le mariage de l’armée avec l’industrie en général dans le but d’obtenir de l’argent du gouvernement pour financer des projets souhaités par l’armée) existe depuis toujours et actuellement presque tout le monde comprend ce que cela signifie. Ce qui a été oublié du discours d’Eisenhower ce jour-là est le fait qu’il donnait les mêmes avertissements contre l’influence du gouvernement sur la recherche scientifique [94]. Un avertissement/une analyse similaire à propos du financement de la recherche par le gouvernement est présenté dans Nature en 2008 :
Il y a une disparité croissante au sein de la biomédecine. Dans un certain sens, ce domaine est en train de vivre un âge d’or : la quantité de recherches fondamentales est en train d’exploser et les budgets sont de loin beaucoup plus élevés qu’ils ne l’étaient il y a vingt ans. Cependant, l’impact de ces recherches grandit à un taux bien plus modeste : les nouveaux remèdes et thérapies sont toujours plus chers à développer et leur rareté sur le terrain est inquiétante [95].
Les NIH sont vigoureusement critiqués parce qu’ils financent la recherche fondamentale à la place de recherches plus orientées vers un but [87, 96-98]. De grandes avancées en recherche fondamentale n’ont pas pour conséquences les progrès correspondant à l’objectif déclaré des NIH, qui est « de réduire les poids de la maladie et du handicap [99] ». De 1998 à 2003, le budget des National Institutes of Health a doublé. La demande de budget de 2004 fut de 27,9 milliards de dollars. Il est estimé que 70 % du budget des NIH alloué à la recherche va aux sciences fondamentales [97,98]. Le pourcentage au Royaume-Uni est à peu près le même [100] et des chiffres plus récents suggèrent que le ratio n’a pas changé [101-104].
Mais en dépit de ces importantes rentrées d’argent, le nombre de nouvelles entités chimiques, les fruits supposés de la recherche fondamentale, est passé de 14 % de chance de réussir à entrer en phase I d’essai clinique à 8 % de chance d’atteindre le marché [103]. En se basant sur les conclusions de Contopoulos-Ioannidis et al. [83] et Grant et al. [72], on peut remettre en question le large pourcentage de fonds alloués à la recherche fondamentale, dont les résultats sont responsables d’un si faible pourcentage d’avancées en médecine clinique. Selon Chalmers :
La recherche fondamentale et la recherche appliquée sont toutes deux nécessaires pour trouver de nouveaux moyens de protéger la santé, mais le déséquilibre de longue date concernant le financement de ces deux vastes domaines de la recherche biomédicale ne peut pas être défendu à la lumière de leurs résultats respectifs [105]. (Souligné par les auteurs.)
En 2003, JAMA publia un rapport préparé par une Table ronde sur la Recherche Clinique (TRC) à l’Institute of Medecine. L’Institute of Medecine à la National Academies of Science organisa une Table ronde sur la Recherche Clinique en 2000 pour analyser les réussites de la recherche fondamentale. Ils rapportèrent en 2003 qu’il y avait une « déconnexion entre les promesses de la recherche fondamentale et l’amélioration de la santé [102]. » Rosenberg fit écho à la TRC lorsqu’il qualifia « d’illusion » l’idée que l’augmentation des publications scientifiques et de l’information sur les maladies ont pour résultat une amélioration de la santé humaine [104] La TRC pointa également du doigt le fait que la recherche clinique recevait environ la moitié de l’argent que recevait la recherche fondamentale [102], ce qui est cohérent avec le chiffre de 70 % du budget alloué à la recherche fondamentale cité précédemment. De façon similaire, un groupe de travail formé par la United Kingdom-based Academy of Medical Sciences (l’académie des sciences médicales basée au Royaume-Uni) se déclara préoccupé du fait que la recherche clinique, incluant de larges essais cliniques, des études de cohorte et des méta-analyses, soit ignorée en faveur de la recherche en laboratoire [106].
Ioannidis s’est interrogé sur la capacité de la recherche fondamentale à donner lieu à des traitements plus efficaces. Ioannidis s’est intéressé aux modèles animaux et aux attaques cardiaques. Une étude conclut que sur 1 026 molécules chimiques testées sur animaux, celles choisies pour entrer en essai clinique n’étaient pas significativement différentes en termes d’effet sur la taille de l’infarctus de celles qui n’étaient pas choisies, [108]. En d’autres termes, les résultats issus des études sur animaux n’étaient pas informatifs pour décider de passer ou non à l’étape des essais cliniques. Ioannidis affirma ensuite : « La médecine qui s’appuie sur des preuves ne semble pas avoir pénétré les sciences fondamentales et précliniques, alors que les recherches fondamentales et précliniques sont souvent effectuées dans un vide clinique et méthodologique. » [107]
Il y a clairement un grand fossé entre l’estimation froide des promesses actuelles de résultats de la recherche fondamentale et la rhétorique destinée au public et aux législateurs utilisée par la communauté scientifique soutenant les animaux comme modèles d’études. Par exemple, selon Sigma Xi : « Mettre fin à la recherche sur animaux signifierait éteindre notre plus grand espoir de découvrir des traitements qui nous échappent encore. [109]
Recherche fondamentale et utilisation d’animaux sentients
Tout ce qui a été dit précédemment doit être replacé dans le contexte de la recherche fondamentale qui utilise des animaux sentients. Si on peut remettre en question la recherche fondamentale dans les sciences de la vie pour sa capacité à trouver des remèdes, qu’en est-il de la pratique discutable consistant à utiliser des animaux sentients en recherche fondamentale ? Comme le dit Rothwell :
L’environnement financier actuel est difficile pour les universités du Royaume-Uni. Dans ce contexte, seules des augmentations substantielles de financements à destination de recherches orientées vers la pratique, de préférence des financements globaux, les persuaderont de prendre plus au sérieux les besoins de recherche du NHS. Les arguments intellectuels et économiques sont puissants, et les bénéfices potentiels immenses. En effet, la plupart des développements thérapeutiques majeurs des quelques dernières décennies ont été dus à de simples innovations cliniques, accompagnées d’avancées en physique et en ingénierie, plutôt qu’à des recherches médicales en laboratoire. Par exemple, les bénéfices des progrès en chirurgie pour la médecine clinique, tels que la pose de prothèses articulaires, l’opération de la cataracte, les traitements endoscopiques des maladies gastro-intestinales ou urologiques, les interventions endovasculaires (par exemple, l’angioplastie coronarienne et périphérique/la pose d’endoprothèses (stents) ou l’occlusion par coiling endovasculaire des anévrismes cérébraux), la chirurgie mini invasive, et la neurochirurgie stéréotaxique, pour en nommer quelques-uns, ont été inestimables. Cependant, seulement une fraction de la recherche non financée par l’industrie a été axée sur de telles innovations cliniques. S’il en avait été autrement, combien d’autres auraient pu voir le jour ? [93] (souligné par les auteurs.)
Rothwell poursuit en disant que l’échec de la recherche fondamentale peut être en grande partie attribué à l’utilisation de modèles animaux. Il n’est pas le seul. Sydney Brenner qui obtint le prix Nobel pour ses recherches sur Caenorhabditis elegans recommandait qu’il y ait plus de recherches utilisant Homo sapiens et appelait Homo sapiens « l’organisme modèle ». [110]
Même les médias ont reconnu l’absence de connexion entre recherche fondamentale et traitements. Sharon Begley, écrivit dans le Wall Street Journal :
« Les patients, » déclare l’immunologiste Ralph Steinman de l’Université Rockefeller de New York, « ont été trop patients avec la recherche fondamentale. » … De nombreux scientifiques parmi les plus brillants se sont plongés dans l’étude minutieuse des gènes des ascaris et des récepteurs des drosophiles, au lieu d’étudier les maladies humaines. « La plupart de nos meilleurs scientifiques travaillent sur des animaux de laboratoire et pas sur des êtres humains, » déclare le Dr Steinman qui présente son cas dans une nouvelle publication de la revue Cerebrum. « Mais cela n’a pas mené à des remèdes ni même significativement aidé la plupart des patients. »… « Les expériences sur l’homme consomment beaucoup plus de temps et sont beaucoup plus difficiles que les études sur animaux, » déclare James Krueger de l’Université Rockfeller dont les recherches sur l’homme tentent notamment de corréler l’activité de gènes et les changements des cellules du système immunitaire avec la progression du psoriasis. « Il y a aussi des problèmes liés au financement. Rédiger une demande de bourse pour des expériences sur animaux est plus facile et a plus de chance d’aboutir. Les animaux sont homogènes, et vous permettent de dire « aha ! » à partir d’une expérience propre et soignée. » Les êtres humains, en revanche, présentent plus de diversité génétique et comportementale, rendant difficile de dire si tel aspect de leur maladie reflète la seule maladie, leur ADN, leur manière de vivre, ou quelque superposition compliquée des trois [98].
Il est difficile de dire quel pourcentage de la recherche fondamentale biomédicale implique des animaux sentients parce que d’après l’Animal Welfare Act (Loi américaine sur le bien-être animal), les rats, les oiseaux et les souris ne doivent pas être comptabilisés. La meilleure estimation que l’on puisse trouver date d’une publication de 1985 du Comitee on Models for Biomedical Research (Comité sur les modèles pour la recherche biomédicale), du Board on Basic Biology (Bureau de la biologie fondamentale) (voir la figure 1 [111]). (Malgré le financement public des NIH, des chiffres plus récents ne sont pas disponibles.) [Tableau 1]
Il apparaît qu’en moyenne 50 % ou plus des dollars de la recherche extra-murale des NIH étaient consacrés à des recherches impliquant des animaux sentients. D’après le tableau, au moins 45 % étaient consacrés à des recherches sur mammifères (la plupart des gens considèrent que les mammifères sont sentients et beaucoup considèrent même que tous les vertébrés sont sentients [112-123]) et 30 % à des recherches impliquant d’autres animaux, incluant des vertébrés non mammifères et d’autres (il semble que la plupart des gens pensent qu’au moins certains de ces animaux sont sentients). En supposant que certains vertébrés non mammifères sont sentients, alors le total dépasse largement 50 %. En se basant sur ces chiffres et sur les prédispositions des NIH à financer la recherche fondamentale, il apparaît possible qu’au moins 50 % du financement extra-mural furent destinés à des recherches fondamentales impliquant des animaux sentients.
En 1997, il était estimé qu’entre 18 et 22 millions d’animaux furent utilisés pour la recherche fondamentale biomédicale aux États-Unis et qu’environ 85 % des animaux utilisés étaient des souris, des rats et des oiseaux [124]. Avec le recul, cela fut probablement une grosse sous-estimation. Dans tous les cas, aux alentours de l’an 2000, cette estimation avait grossi. Un rapport préparé par la Library of Congress Federal Research Division (Division de la recherche fédérale de la bibliothèque du congrès) estima que le nombre de souris, de rats et d’oiseaux utilisés chaque année aux États-Unis (dans tous les domaines) était supérieur à 500 millions [125]. Le nombre exact d’animaux utilisés pour la recherche est aujourd’hui, comme c’était le cas en 1997, inconnu mais l’augmentation exponentielle de l’utilisation d’animaux transgéniques et même seulement de lignées de souris génétiquement modifiées suggère que ce chiffre doit être très important. Madhusree Mukerjee, un ancien éditeur de la revue Scientific American, affirmaque plus de 100 millions de souris transgéniques étaient utilisées en 2004 [124]. Cinq cent millions pourraient en fait être un chiffre inférieur au nombre réel. Est-ce que cette augmentation apparemment très importante de l’utilisation d’animaux a apporté des améliorations significatives ou des avancées majeures dans le traitement des maladies humaines ? Apparemment non. Ceci a des implications pour notre discussion sur l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale.
Tableau 1
Distribution des financements des NIH à des recherches extramurales menées sur des humains, des mammifères de laboratoire et d’autres sujets de recherche, exprimés en pourcentages du total de la somme allouée en dollars et en pourcentages du total des projets et sous-projets. a
Sujet
Année fiscale de recherche
ExtramuralDollars, %
Total des projets et sous-projets, %
Humains
1977
27,5
32,4
1978
26,8
31,2
1979
26,8
29,2
1980
25,0
28,9
1981
23,8
29,7
1982
23,2
31,5
1983
22,9
32,2
Mammifères
1977
43,5
41,9
1978
44,0
42,5
1979
44,9
43,8
1980
45,0
44,2
1981
47,3
44,1
1982
48,1
43,5
1983
47,9
42,7
Autres b
1977
29,4
25,6
1978
29,3
26,3
1979
28,2
27,0
1980
29,8
26,9
1981
28,9
26,0
1982
28,7
25,0
1983
29,2
25,1
a Information non publiée fournie par la Division of Research Resources (Division des ressources sur la recherche, National Institutes of Health (Instituts nationaux de santé).
b Cette catégorie comprend les invertébrés, non-mammifères vertébrés, bactéries, virus, simulations mathématiques et informatiques et d’autres sujets.
Objections possibles
Lorsqu’on discute des questions précédentes avec des chercheurs utilisant des animaux sentients, plusieurs objections ressortent :
Il est très difficile de découvrir quelque chose de nouveau, et décrire cela comme étant « inefficace » implique qu’il y ait une façon plus efficace de le faire. C’est faux. Nous devons utiliser des animaux.
Ceci est fallacieux pour plusieurs raisons. Premièrement, la simple découverte de quelque chose de nouveau ne veut pas dire que cette découverte aura de quelconques conséquences en termes de traitement des maladies humaines. De nouvelles découvertes ont lieu chaque jour mais, comme le montrent les études ci-dessus, cela n’équivaut pas à de nouveaux traitements. Deuxièmement, il y a de nombreuses façons de faire de la recherche fondamentale et de la recherche destinée à en apprendre plus sur les propriétés fondamentales des organismes vivants tels que les êtres humains. L’utilisation de tissus humains semble être une très bonne méthode et a largement prouvé qu’elle permettait d’améliorer les connaissances sur l’homme.
Troisièmement, peut être que l’analogie la plus accablante de l’inefficacité de la recherche fondamentale utilisant des animaux sentients est celle du jeu des perles de verre, popularisée dans le livre du même nom de Herman Hesse. Horrobin a récemment écrit un article à propos de ce sujet spécifique. Il y aborde notamment le sujet de l’utilisation des animaux pour la recherche de connaissances sur les réactions humaines aux médicaments et aux maladies.
Une merveilleuse métaphore concernant une grande partie de la recherche médicale et pharmaceutique moderne peut être puisée dans le livre intitulé Le Jeu des Perles de Verre de Herman Hesse. Dans cette histoire, les leaders du monde réel conspirent avec les savants les plus brillants pour créer un état magique à l’intérieur de l’état, le monde isolé de Castalia. Castalia recrute les jeunes personnes les plus réfléchies et instruites, les éduque merveilleusement bien, et les persuade que le plus grand exploit que l’esprit humain puisse atteindre est de jouer au « jeu des perles de verre », un jeu très subtile et à la complexité quasi infinie, un jeu intellectuel digne des Jeux Olympiques qui défie et pousse les personnes les plus exceptionnelles à se surpasser. L’univers de ce jeu est admirablement raffiné et possède une logique intrinsèque. Les seuls problèmes viennent du fait que Castalia n’a pratiquement aucun contact avec le monde réel, et que participer au jeu ne contribue en rien à la résolution des problèmes du monde réel [126].
L’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale nécessite de nombreuses ressources. Les financements qui pourraient être attribués ailleurs, et les chercheurs eux-mêmes, constituent des produits consommés.
Quatrièmement, la question rassemble tous les types de recherche fondamentale. La recherche fondamentale en physique, par exemple, est difficile et la meilleure façon de faire de nouvelles découvertes est certainement de faire de la recherche fondamentale de façon traditionnelle. Mais ceci n’implique pas que la découverte de nouvelles choses sur l’homme puisse ou doive être accomplie en utilisant des animaux sentients en recherche fondamentale.
Et finalement, l’affirmation que nous ne pouvons pas le faire d’autres façons est comparable au pari de Pascal. « Qu’est-ce que nous avons à perdre en utilisant des animaux ? » La réponse est que nous perdons ce que la société pourrait recevoir de recherches utilisant des méthodes de recherche fondamentale n’impliquant pas d’animaux sentients ; les tissus humains, la recherche in silico, les puces à ADN, etc. En se basant sur tout cela, il semble que la société a potentiellement plus à gagner des méthodes sans animaux que de celles les utilisant.
Votre définition de la recherche fondamentale est fausse. La recherche fondamentale est orientée vers un but.
En nous basant sur la définition avec laquelle nous avons commencé notre article, nous réfutons poliment cette objection. Mais si la recherche fondamentale est synonyme d’atteindre des objectifs alors cela nous ramène à l’utilisation des animaux en tant que substituts à l’homme. Nous invitons encore le lecteur à consulter un article précédent [1] et un livre [2] qui abordent ce sujet en détails. Si par but nos critiques veulent dire augmenter la quantité de connaissances sur le monde, alors cela est une tautologie inutile.
La société accepte d’utiliser des animaux pour se nourrir, donc s’opposer à l’utilisation d’animaux pour la recherche est incohérent.
Nous avons évoqué ce sujet lorsque nous avons discuté de l’argument de Spira mais nous allons entrer davantage dans les détails ici. Nous ne nous opposerons pas à la critique en ce qui concerne l’incohérence de la société. En fait, la société a été incohérente de nombreuses façons et de nombreuses fois. Si la société et le gouvernement attendaient d’être cohérents, jamais rien ne changerait. Cependant, notre point de vue est qu’il y a, parfois, des choses auxquelles des membres de la société, en nombre suffisant, s’opposent et par lesquelles ils sont suffisamment dérangés, qui nécessitent du changement, indépendamment des autres incohérences que cela implique. Un exemple évident est l’abolition de l’esclavage dans le sud profond des États-Unis alors qu’on refusait simultanément le droit de vote à la plupart des noirs et des femmes. Alors que l’éradication d’un plus grand mal ne devrait pas être utilisée pour autoriser la perpétuation d’un moindre mal, c’est en fait souvent le cas. Cependant, il est tout aussi important de remarquer que le processus de correction est fréquemment itératif et que, par conséquent, il se fait par une série de changements dans le temps.
Il n’en reste pas moins que la société valorise certaines ressources, parmi lesquelles certaines ne sont même pas sentientes. L’arbre Taxus brevifolia de la famille des ifs en est un exemple parmi d’autres. Le Taxol, un médicament contre le cancer, était initialement dérivé de cette espèce d’if qui était menacée. Cette utilisation a donc provoqué beaucoup de débats dans la société, opposant la valeur de cet arbre et son extinction possible versus son utilisation pour traiter le cancer. Robert Holton de la Florida State University et Bristol Meyers ont résolu le problème en découvrant une façon d’utiliser l’if commun Taxus baccata de manière à extraire un composé chimique pouvant ensuite être modifié pour obtenir la molécule active. Actuellement, le médicament est produit à partir de culture cellulaire.
Mais avant ces avancées, le sujet était tellement controversé que le Native Yew Conservation Council (Conseil pour la conservation de l’if indigène [YewCon]) fut créé dans les années 1980 pour régler le problème. Certains ont comparé le fait de prélever l’arbre avec celui d’exterminer le bison [127-129]. (Pour information, les auteurs ne sont pas d’accord avec l’idée de donner plus de valeur aux plantes qu’aux patients atteints d’un cancer, mais cela illustre simplement le fait que différents groupes de la société ne valorisent pas les choses de la même façon et que la société dans son ensemble peut valoriser quelque chose que des individus ne valorisent pas.)
La recherche clinique utilisant des êtres humains présente également des défauts, puisque fréquemment, les principes fondamentaux sous-jacents aux maladies ne sont pas connus.
D’accord. Mais cela suppose qu’on ne peut apprendre les principes fondamentaux qu’en utilisant des animaux, et non des tissus humains.
Toute recherche se construit sur des recherches précédentes qui ont utilisé des animaux, donc les animaux ont été indispensables à toutes les découvertes faites jusqu’à maintenant.
C’est faux. Juste parce que A a précédé B ne veut pas dire que A est à l’origine de B. Il y a une différence entre le fait que les animaux soient nécessaires à une avancée et le fait qu’ils soient simplement suffisants pour cette avancée. Nous avons abordé ce point quand nous avons parlé des questions supplémentaires devant être posées. De plus, même s’il est prouvé que des animaux utilisés pour des recherches fondamentales ont été indispensables dans le passé, cela ne veut pas dire que c’est le cas aujourd’hui grâce à toutes les nouvelles technologies et avancées scientifiques. Si ceux qui nous critiquent veulent prendre ce chemin, alors c’est à eux de prouver que les animaux sont actuellement indispensables.
Indépendamment du nombre de découvertes majeures du passé qui ont dépendu des animaux, il y en a eu, et celles-là seules justifient l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale.
Il est irréfutable que certaines découvertes du passé ont vu le jour grâce à l’utilisation d’animaux sentients. Cependant, cette objection ne prend en considération, ni les connaissances et technologies actuelles qui sont disponibles aujourd’hui et qui ne l’étaient pas par le passé, ni les différences entre les questions qu’on se posait dans le passé et celles qu’on se pose aujourd’hui, ni la probabilité de trouver des traitements à partir de l’utilisation d’animaux par rapport à d’autres méthodes, et ni la valeur que la société accorde actuellement aux animaux sentients par rapport à des siècles ou même des décennies en arrière.
Quand Thomas Edison était interrogé sur tous les échecs qu’il avait eus en essayant de créer une ampoule, il dit, soi-disant, qu’il n’avait pas échoué 100 fois (ou 1 000 fois, les sources varient sur le nombre exact) mais qu’il avait réussi à trouver 100 façons de faire qui ne marchaient pas et que lorsqu’il eut éliminé les façons de faire qui ne marchaient pas, il trouva celle qui fonctionnait. Voici ce qu’est la recherche fondamentale.
C’est une mignonne petite histoire et elle est même peut-être vraie (une nouvelle fois, les sources varient), mais cela n’a absolument rien à faire avec notre discussion. Premièrement, Edison ne dépensait pas des ressources que la société valorisait au-delà de leur valeur monétaire. La société accorde plus de valeur aux enfants qu’au jus d’orange et plus aux plantes menacées qu’à celles qui ne le sont pas. La société a une hiérarchie de valeurs. Les scientifiques peuvent dépenser des ressources qui n’ont quasiment aucune valeur, ou très peu pour la société, comme des produits chimiques ordinaires, si par miracle quelque chose pouvait en ressortir. Mais la société exige que les chercheurs ne puissent pas dépenser, en toute impunité, des ressources auxquelles elle accorde de la valeur. La société accorde de la valeur aux animaux sentients plus qu’aux matériaux inorganiques.
Deuxièmement, Edison consacrait son propre temps et ses propres fonds, et utilisait des ressources que la société jugeait ne pas avoir de valeur intrinsèque. Par conséquent, la société n’avait absolument aucune raison légitime de critiquer Edison par rapport à tout ce qui a été évoqué précédemment. Troisièmement, la société ne finançait pas Edison plutôt que d’autres options. Quatrièmement, Edison n’avait fait aucune promesse à la société en échange de ses ressources. À cet égard, ces échecs étaient largement sans importance.
Alternatives
Il n’y a rien de scientifiquement sacré concernant l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale. Néanmoins, à chaque fois que l’on pose la question de l’efficacité d’un tel usage, on doit faire face à la question inévitable : « Comment pourrons-nous faire de la recherche fondamentale sans utiliser d’animaux sentients ? » Si cette question n’était pas posée sérieusement, on pourrait suspecter du cynisme de la part de celui qui la pose. Mais celui-ci est sérieux, donc nous allons très brièvement présenter d’autres méthodes disponibles pour la recherche fondamentale.
La longue tradition de l’étude de la chimie et de la physique a mené à des découvertes sans lesquelles nous serions aujourd’hui encore en train de pratiquer une médecine datant du 19ème siècle environ. La recherche fondamentale en ingénierie et en sciences physiques a mené à des avancées historiques dans le domaine des technologies.
La recherche in vitro utilisant des tissus humains.
Des bactéries, des virus, des champignons peuvent être étudiés de manière à découvrir des propriétés fondamentales sur les cellules et les gènes. Des recherches utilisant des organismes non sentients, moins complexes, comme Drosophilia, sont à l’origine de la totalité du domaine de l’évo-dévo (Évolution et développement). Comme nous l’avons mentionné, d’autres organismes pouvant être étudiés incluent E. coli, C. elegans, Brassica rapa, Saccharomyces cerevisiae, Phage Phi-X174, Dictyostelium discoideum. Ceci n’étant qu’une liste très partielle.
Les autopsies pourraient être financées en tant que recherches fondamentales car les autopsies ont historiquement mené à de nombreuses découvertes et faits inattendus sur le corps humain. De nouvelles connaissances sont encore aujourd’hui générées grâce à des autopsies [130, 131].
Les domaines de la modélisation mathématique et informatique offrent des moyens d’étudier des systèmes complexes mais ont besoin de financements.
Les recherches fondamentales utilisant des cellules souches humaines.
Un autre domaine d’étude important mais souvent négligé est la biologie de l’évolution. Un accent plus fort doit être mis sur l’étude de l’évolution, la place de l’évolution dans les maladies et les implications de l’évolution pour la recherche sur les maladies et la recherche de traitements.
Cette liste est très partielle. Éliminer l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale ne mènerait pas à une pénurie de recherches fondamentales ayant besoin de financements. Arrêter de financer la recherche fondamentale utilisant des animaux sentients n’aiderait pas les NIH à augmenter leur rapport entre le nombre d’applications financées et le nombre d’applications obtenues.
Conclusion
Sir Ernst Chain, un des découvreurs de la pénicilline, affirma en 1970 :
La science, tant qu’elle se limite à l’étude descriptive de la Nature, n’a aucune qualité morale ou éthique, et cela s’applique aussi bien aux sciences biologiques qu’aux sciences physiques. Aucun attribut de bien ou de mal n’est attaché aux résultats de recherches dont le but est de déterminer des constantes naturelles, telles que la gravité ou la vitesse de la lumière, ou de mesurer les mouvements des étoiles, de décrire les propriétés cinétiques d’une enzyme ou de décrire le comportement d’animaux (quelque puisse être notre état émotionnel concernant cela) ou d’étudier l’activité métabolique d’un microbe, qu’il soit dangereux ou bénéfique pour l’humanité, ou d’étudier une fonction physiologique ou une action pharmacologique et toxique. Aucun qualificatif de bien ou de mal ne peut être attribué à des études dont le but est l’élucidation [de telles questions] [132].
Il n’y a aucun doute sur le fait que la recherche fondamentale a eu pour résultats de grandes percées en physique, chimie et biologie. Presque par définition, aux premiers jours de la science, la recherche fondamentale était responsable de nombreuses, sinon de la majorité, des grandes découvertes. Aujourd’hui, nous voyons encore la recherche fondamentale générer une pléthore de faits. La question que nous avons posée est : peut-on justifier la pratique controversée de l’utilisation d’animaux sentients en recherche médicale fondamentale, étant donné le désarroi de la société face à de telles manières d’utiliser ces animaux ?
L’affirmation de Sir Ernst doit être observée à la lumière des responsabilités morales qui se trouvent en dehors de la science. L’esclavage, par exemple, est quelque chose de mal même si les esclaves étaient utilisés à des fins scientifiques. D’autres problèmes apparaissent pour celui qui réfléchit à la recherche fondamentale. Selon la philosophe Mary Midgley :
L’obsession moralisatrice doit être démasquée publiquement. Il doit être expliqué clairement pourquoi une tentative de comprendre la désertification en Afrique dans le but de lui résister n’est pas, à un profond degré, académiquement inférieur aux avancées de la physique théorique. Quelque chose doit être fait ici en ce qui concerne l’usage actuel tendancieux de mots tels que « fondamentale » et « pure » pour décrire n’importe quelle recherche qui n’a pas vocation à être utile. Les questions triviales sont encore triviales, même quand leurs réponses sont inutiles. Leur inutilité ne peut pas d’elle-même les transformer en des questions essentielles [133].
La recherche fondamentale a de la valeur en elle-même, même quand les traitements ne suivent pas. Cependant, cette valeur doit être évaluée en fonction 1) d’autres domaines de recherche qui pourraient être financés, 2) du prix, autre que financier, de la réalisation des recherches et 3) de la valeur que la société accorde aux animaux sentients, même si la société est parfois incohérente quant au respect de cette valeur.
Pour conclure, nous avons montré que :
La société a exprimé son opinion lors de débats publics et de sondages bien conduits. Selon elle, les animaux sentients ne devraient être utilisés que pour des recherches biomédicales susceptibles d’apporter des traitements et des remèdes ou de diminuer la souffrance des patients humains. Ce point de vue a été reconnu par des revues scientifiques de renom.
La recherche fondamentale a été justifiée historiquement sur la base de sa capacité à apporter de nouvelles connaissances au monde et non sur la base de sa capacité à diminuer la souffrance humaine.
Au milieu du 20ème siècle, cette justification fut menacée et les chercheurs réagirent en associant la recherche fondamentale à des avancées en sciences médicales par le rapport de Comroe et Dripps.
Des recherches actuelles réexaminant le rapport de Comroe et Dripps et la contribution de la recherche fondamentale en général à la découverte de nouveaux traitements et remèdes ont révélé qu’il existe actuellement une faible probabilité que la recherche fondamentale en général puisse conduire à des remèdes contre des maladies humaines. Cela ne contredit pas le fait que, historiquement, la recherche scientifique fondamentale en général et la recherche scientifique fondamentale utilisant des animaux ont effectivement conduit à des percées en recherche biomédicale. L’époque, les méthodes disponibles et les questions ont changé.
D’après des chiffres des NIH, la recherche médicale fondamentale reçoit plus de financements que n’importe quelle autre forme de recherche, utilise des animaux plus souvent qu’elle ne le fait pas, et beaucoup, sinon la majorité de ces animaux seraient classés par la société en général comme étant sentients. Il y a une très forte probabilité que de tels usages, par le simple fait que ces animaux sont confinés dans un environnement non naturel, causent de la douleur et de la souffrance.
En nous basant sur notre interprétation de données acquises à partir de recherches publiées dans des revues à comité de lecture, de sondages auprès de l’opinion publique et de commentaires reflétant les points de vue susmentionnés dans la littérature scientifique, nous concluons que la société n’approuve pas l’utilisation d’animaux sentients en recherche fondamentale.
Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier Mark Rice, Larry Hansen, Stephen Baird et Clayton Wiley pour avoir lu et commenté le manuscrit. L’Americans For Medical Advancement (AFMA) est une organisation éducative à but non lucratif qui se concentre sur l’intérêt scientifique d’utiliser des animaux pour la recherche médicale. Les opinions exprimées par les auteurs n’appartiennent qu’à eux et ne représentent pas l’AFMA.
À propos des auteurs
Le docteur Ray Greek a obtenu son doctorat de médecine à l’Université d’Alabama à Birmingham, puis sa spécialisation en anesthésiologie à l’université du Wisconsin à Madison. Il a enseigné à l’université du Wisconsin et à l’université Thomas Jefferson de Philadelphie. Il est actuellement président de l’association à but non lucratif Americans For Medical Advancement (Des américains pour le progrès médical) http://www.AFMA-curedisease.org.
Jean Greek, docteur en médecine vétérinaire, est diplômée de l’école vétérinaire de l’université du Wisconsin à Madison et a obtenu une spécialisation en dermatologie à l’université de Pennsylvanie. Elle a enseigné à l’université du Missouri et exerce à présent son activité à titre libéral.
Contributions des auteurs
Les deux auteurs ont contribué de manière égale au présent article, et ont lu et approuvé le manuscrit.
Intérêts concurrents
Les auteurs déclarent l’absence d’intérêts concurrents
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La collecte de signatures pour l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection se termine sur une immense et inespérée victoire. Plus d’un million de citoyens européens ont voté contre l’expérimentation animale et pour l’utilisation de méthodes modernes et fiables pour l’homme. Une mobilisation sans précédent ! Elle restera l’un des acquis majeurs de cette cause, quoi qu’il advienne de cette initiative qui va maintenant se mesurer à la puissance des lobbies et aux lourdeurs de la règlementation.
Article paru dans La Notice d’Antidote n°37
Cette aventure a commencé précisément le 29 mars 2012, date de notre assemblée générale annuelle, au domicile de Claude et Françoise Reiss, président et trésorière d’Antidote Europe. Angela Tandura, responsable de notre antenne francilienne, et Muriel Bougeard, membre de cette antenne, ont proposé d’utiliser le tout nouveau dispositif des initiatives citoyennes européennes au profit de la lutte contre l’expérimentation animale. Il s’agissait de réunir un million de signatures dans toute l’Europe, avec un minimum imposé dans au moins sept pays, en seulement une année !
Ca paraissait impossible. Pourtant, Angela, Muriel et André Ménache y ont cru d’emblée. Le projet avait déjà mûri en Italie grâce à Fabrizia Pratesi, coordinatrice d’Equivita, association dont le but est identique au nôtre et avec laquelle nous travaillons régulièrement. Son président, Gianni Tamino, est professeur de biologie et ancien membre du Parlement européen. On peut dire que tout a démarré ainsi, grâce à la bonne entente entre Antidote et Equivita.
Très vite, d’autres partenaires sont arrivés. Le projet a pris de l’ampleur et s’est cristallisé sous la forme de l’initiative citoyenne européenne « Stop Vivisection ». Vous avez pu lire plusieurs articles sur cette action capitale dans les précédents numéros de La Notice d’Antidote. Mais nous ne vous avions pas tout dit. La collecte enfin terminée, nous pouvons vous avouer qu’il a fallu une énorme ténacité et beaucoup d’efforts pour surmonter tous les obstacles. La victoire n’en a que plus de valeur !
Soulever des montagnes
Ceux d’entre vous qui ont suivi la progression de la collecte de signatures en France savent à quel point les débuts ont été difficiles. Les contacts n’aboutissaient pas. Par exemple : « parce que ça ne peut pas réussir ! » Sans commentaires… Ou encore : « parce que votre demande est trop extrémiste ! » Extrémiste ? Voilà un mot inconnu des scientifiques que nous sommes. Ou bien une méthode de recherche ou de test est pertinente, c’est-à-dire qu’elle permet de répondre à la question posée concernant la santé humaine, ou bien la méthode n’est pas pertinente. Dans le premier cas, on peut l’utiliser, dans le second, on ne doit pas. L’expérimentation animale relève du second cas. Il ne faut donc pas en faire « un peu moins » (Réduire), « un peu moins mal » (Raffiner), « un peu autrement » (Remplacer). Il faut ne pas en faire du tout. Les 3R, c’est toujours de la mauvaise science. L’abolition de l’utilisation des animaux considérés, à tort, comme des modèles biologiques de l’homme n’est pas de l’extrémisme mais de la rigueur scientifique. Heureusement, au fur et à mesure que la collecte « réussissait », l’enthousiasme a été contagieux et plus de 200 associations dans toute l’Europe ont apporté leur soutien à Stop Vivisection. Mais ce n’est l’action d’aucune en particulier, c’est l’action de toutes, c’est l’action du peuple européen qui a saisi cette opportunité d’exprimer avec force son opposition à l’expérimentation animale.
Un autre obstacle majeur est venu du système de collecte de signatures en ligne. Le logiciel, fourni par la Commission européenne, n’a été certifié que fin décembre 2012. C’est pourquoi, alors que l’initiative a été enregistrée le 22 juin 2012, la collecte de signatures sur internet n’a pu commencer qu’en janvier 2013. Une autre initiative, celle pour que l’eau soit considérée comme un bien public et non comme une marchandise, a eu quinze mois pour collecter des signatures (et en a reçu 1,5 million par internet), alors que Stop Vivisection n’a eu que dix mois. Par deux fois, les organisateurs ont écrit à la Commission européenne (mars et septembre 2013) qui a refusé de prolonger le délai de collecte. Une injustice flagrante que nous avons dénoncée auprès du Médiateur européen le 29 octobre 2013. Il ne nous restait alors que 4 jours et, bien que le million de signatures fut déjà atteint, la collecte battait son plein et nous voulions dépasser le million de signatures afin de compenser celles que les autorités ne manqueront pas de refuser. Stop Vivisection recevait, fin octobre, en moyenne 15 000 signatures par jour ! Le Médiateur nous envoyait, le 5 novembre… un simple accusé de réception.
C’est parti !
Nous n’allons pas nous attarder sur des difficultés mineures comme la nécessité d’ouvrir un compte bancaire, une page facebook, d’expliquer pourquoi il fallait donner un numéro de carte d’identité, etc. Tout cela nous a appris à travailler ensemble, a renforcé la cohésion entre militants, initiateurs et comité organisateur.
En quelques mois, deux pays ont montré l’exemple. L’Italie, d’abord, qui a réussi le formidable exploit de collecter 570 400 signatures à elle seule ! Et la Slovénie, deuxième pays à atteindre son minimum et qui a finalement collecté plus de trois fois et demie ce minimum imposé. Dans toute l’Europe, vingt mille personnes se sont enregistrées pour collecter des signatures sur papier. Deux personnes doivent être chaleureusement remerciées : l’eurodéputée Sonia Alfano et Adriano Varrica. Stop Vivisection n’aurait pu avoir lieu sans eux.
En France, l’équipe s’est soudée autour d’Angela et de Muriel. La collecte doit beaucoup à, par ordre alphabétique pour ne vexer personne et parce que tous ont joué un rôle important : Benoît, Jessica, Joëlle, Luce, Marie-Claude, Marie-Noëlle, Séverine et deux mille militants qui, pour l’immense majorité, ne sont pas membres d’Antidote.
Le concert : point d’orgue !
Au cours de l’été 2013, tout s’est accéléré. Les 20 000 tracts que nous avions fait imprimer ont été épuisés. Nous avons dû demander aux militants s’ils pouvaient en imprimer eux-mêmes et distribuer des photocopies. Des demandes nous parvenaient de toutes les régions de France et de Belgique. Des personnes qui n’ont pas internet voulaient participer aussi ; nous leur avons envoyé le formulaire papier. Muriel passait des heures à répondre aux questions sur stopvivisectionfrance@gmail.com. Luce relayait sans cesse la campagne dans Charlie Hebdo. Le compteur décollait !
Début octobre, le suspens était grand. Beaucoup de signatures arrivaient chaque jour. Mais le million serait-il atteint ? Le 6 octobre, Allain Bougrain-Dubourg interviewait André Ménache sur France Inter. Plusieurs personnes nous ont fait part de leur souhait de signer dans les jours qui ont suivi l’émission (et de difficultés à se connecter au site). Et le 13, Michèle Scharapan interprétait au piano, avec Thomas Gauthier et Johanne Mathaly, deux œuvres de Schubert au profit de Stop Vivisection. Après quelques craintes en raison de relativement peu de réservations, le public a afflué sans prévenir. Le concert a été un grand moment de joie et de succès. Merci, bien sûr, aux musiciens, et aussi à Joëlle pour l’organisation, à Angela et à Luce qui ont présenté les enjeux de Stop Vivisection et à Christophe Marie qui est venu réaffirmer le soutien de la Fondation Brigitte Bardot. De nombreux spectateurs ont signé pendant l’entracte et après le concert. Les fonds recueillis grâce à la vente des entrées ont permis de rembourser Antidote d’une grande partie des frais engagés pour la campagne Stop Vivisection.
La dernière ligne droite
Dans les deux dernières semaines d’octobre, le suspens a été son comble. Sept pays (et même neuf !) avaient bien atteint leur minimum de signatures imposé par le règlement sur les initiatives citoyennes européennes. Mais le million de signatures n’a été atteint que le 24 octobre. Un jour supplémentaire de collecte ayant été accordé, nous avions jusqu’au 1er novembre inclus. Ce fut la ruée ! Le serveur était saturé et de très nombreuses personnes nous disaient que le site « ne fonctionne pas ». C’est ce qui a décidé Gianni Tamino à écrire au Médiateur européen. Silence radio. Nous nous demanderons toujours s’il a été dû aux lenteurs administratives ou délibéré.
Malgré toutes les difficultés, nous avons vécu ces derniers jours de collecte dans l’euphorie. Petite déception, quand même, de voir le Royaume Uni, l’un des pays européens qui utilise le plus d’animaux, ne pas atteindre 50% de son minimum imposé. Trop « extrémiste », Stop Vivisection ? On en reste aux 3R, au Royaume Uni ? Dommage…
Mais surtout joie immense de voir de combien bondissait le compteur global et certains compteurs nationaux chaque jour. Au total, non pas sept pays, non pas dix comme nous l’aurions parié mi-octobre, mais… douze pays ont atteint leur minimum ! Citons-les, avec leur pourcentage atteint : Allemagne (214%), Belgique (178%), Bulgarie (115%), Espagne (135%), Estonie (137%), Finlande (130%), France (129%), Hongrie (149%), Italie (champion toutes catégories !), Pologne (117%), Slovénie (362%), Slovaquie (137%). Que l’Allemagne et la France soient parmi ces douze pays est important car elles forment, avec le Royaume Uni, le trio de tête des grands utilisateurs d’animaux à des fins dites scientifiques en Europe.
Cette grande victoire a été possible grâce aux moyens de communication mis en œuvre dans chaque pays. Comme l’ont montré plusieurs sondages, dont un réalisé par la Commission européenne, la population est majoritairement opposée à l’expérimentation animale. Qu’est-ce qui a fait que cette population s’est exprimée avec beaucoup plus de force dans certains pays ? Il ne fait pas de doute que c’est l’organisation et la mobilisation des réseaux. Ceux que l’on appelle « réseaux sociaux » (Facebook et Twitter) mais aussi les réseaux associatifs et les réseaux personnels de militants. La Pologne, par exemple, en était à 72% de son minimum imposé le 29 octobre et à 84% le lendemain ! Il y a donc des pays où les réseaux ont fonctionné à plein régime et où la boule de neige s’est emballée et les pays où, pour des raisons que nous ignorons, l’information n’est pas parvenue aux citoyens. Il est particulièrement regrettable, dans ces conditions, de ne pas avoir eu ces deux mois supplémentaires qui nous auraient permis de mener la collecte pendant une année effective. En effet, cette collecte s’est arrêtée au moment même où des millions d’Européens prenaient connaissance de l’initiative et voulaient y participer. Plus de 100 000 signatures ont été collectées en seulement six jours !
Il est clair que si les autorités objectent que nous avons à peine collecté le nombre de signatures nécessaires ou que nous n’avons pas atteint ce nombre, il faudra leur répondre que le million en question aurait sans doute été plusieurs fois atteint si le système de collecte en ligne avait fonctionné correctement pendant douze mois.
Et maintenant ?
Il faut se préparer au bras de fer. A l’heure de boucler cette Notice, le compteur affiche 1 126 005 signatures. Il devrait augmenter encore lorsque toutes les signatures reçues sur papier auront été comptabilisées. Le chiffre définitif est attendu vers la fin décembre. Ensuite, il faut s’attendre à ce que les autorités rejettent un certain nombre de signatures après vérification. Par exemple, parce que certaines personnes auront signé à la fois sur internet et sur papier, ou bien parce que la signature sera jugée non conforme (illisible, sur deux lignes du formulaire…). Toute la question est de savoir si le chiffre finalement admis par les autorités atteindra un million. Nous devrions le savoir courant mars 2014.
Si Stop Vivisection a effectivement recueilli un million de signatures, la Commission européenne fixera une date pour une audition publique au Parlement européen. André Ménache et Gianni Tamino, respectivement représentant et suppléant de cette initiative citoyenne, seront entendus. En vue de cette audition, nous travaillons avec des juristes car c’est à nous de proposer un texte de loi par lequel nous voulons voir remplacer la directive 2010/63/UE « relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ». La Commission européenne aura ensuite trois mois pour préparer une réponse écrite et publique dans laquelle elle détaillera l’action législative qu’elle proposera pour répondre à la demande de plus d’un million de citoyens européens.
Le site www.stopvivisection.eu reste actif. N’hésitez pas à y consulter les communiqués qui y seront régulièrement publiés et le nombre de signatures collectées dans chaque pays.
Témoignage d’une scientifique
La campagne Stop Vivisection nous a permis de rencontrer beaucoup de personnes. Voici un très intéressant témoignage : « Lorsque, scientifique française maintenant retraitée, je préparais une thèse d’Etat sur la maladie d’Alzheimer, vue la faible quantité de cerveaux humains disponibles, j’ai fait des mesures sur des cerveaux de rats, puis ma technique de travail étant au point, je suis passée aux mêmes mesures d’oligo-éléments sur des cerveaux humains. Quelle n’a pas été ma surprise de voir que la composition des deux types de cerveaux différaient tellement que mes résultats sur les rats n’avaient rien de transposables à l’homme ! Tout mon travail était à refaire complètement en direct. Ces animaux ont été sacrifiés pour rien de même que de nombreux autres qui supposaient d’office une similitude entre les deux races.
A cette époque j’ai travaillé à la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry et j’ai par hasard remarqué qu’un professeur – âgé et routinier – faisait faire en travaux pratiques (TP) à ses élèves systématiquement des dissections de grenouilles sans rapport avec le programme simplement parce qu’il était habitué à ce TP ancien. Autres animaux sacrifiés pour rien. »
Merci beaucoup, Noëlle ! Nous continuerons à nous exprimer, de plus en plus nombreux, pour dénoncer cette grave erreur, lourde de conséquences pour notre santé, que constitue l’utilisation d’animaux pour la recherche biomédicale humaine.