Comment la recherche animale nuit à l’homme
Nous nous limitons à traduire ici certaines phrases de l’article publié en octobre 2015 par la neurophysiologiste Aysha Akhtar en évitant de répéter des éléments que nous avons déjà donnés et développés par ailleurs. Nous reproduisons toutefois les grandes lignes de son article, remarquable synthèse de l’argumentation scientifique contre l’utilisation d’animaux pour la recherche biomédicale humaine. Nous encourageons vivement tous les anglophones intéressés par ce sujet à lire l’article d’Aysha Akhtar dans son intégralité (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4594046/ ; Camb Q Healthc Ethics. 2015 Oct; 24(4): 407–419).
Résumé
L’expérimentation animale est défendue par l’affirmation qu’elle serait fiable, que les animaux fournissent d’assez bons modèles de la biologie humaine et des maladies humaines pour générer des informations pertinentes et que, en conséquence, son utilisation fournit de grands bénéfices pour la santé humaine. Je démontre qu’un corpus grandissant de littérature scientifique évaluant de façon critique la validité de l’expérimentation animale soulève des préoccupations importantes au sujet de sa fiabilité et de sa valeur prédictive pour les réponses humaines et pour la compréhension de la physiologie humaine. L’absence de fiabilité de l’expérimentation animale dans beaucoup de domaines sape les arguments scientifiques en faveur de cette pratique. De plus, je montre comment l’expérimentation animale provoque souvent des dommages significatifs aux humains, en raison d’études de sécurité (toxicité) souvent trompeuses, d’abandon possible de thérapies efficaces pour l’homme et de captation de ressources au détriment de méthodes plus efficaces. La conclusion suggère que les dommages et le coût pour l’homme de l’expérimentation animale dépassent les bénéfices potentiels et que les ressources seraient mieux investies dans le développement de méthodes basées sur l’homme.
Introduction
Plus de 115 millions d’animaux sont utilisés chaque année dans le monde pour l’expérimentation ou pour fournir l’industrie biomédicale. L’expérimentation animale vise à informer sur la biologie humaine et les sciences de la santé et à assurer la sécurité et l’efficacité de traitements potentiels.
Bien qu’il soit largement accepté que la médecine devrait être basée sur des preuves, l’expérimentation animale en tant que moyen d’informer sur la santé humaine n’a pas été soumise, en pratique, à cette exigence. En raison de ce fait, il est surprenant que l’expérimentation animale soit considérée comme la référence en matière de tests précliniques et soit généralement soutenue sans examen critique de sa validité.
Je montre que l’expérimentation animale est peu prédictive des réponses humaines, qu’elle n’est pas fiable dans beaucoup de maladies et que la littérature publiée démontre la non fiabilité de l’expérimentation animale, détruisant ainsi l’argumentation scientifique en sa faveur.
Problèmes pour traduire avec succès à l’homme les données de l’expérimentation animale
- Effets de l’environnement du laboratoire et autres variables sur les résultats des expériences
Parmi les facteurs de détresse générée par le laboratoire, citons le phénomène d’anxiété contagieuse :
– les niveaux de cortisone augmentent chez des singes qui voient d’autres singes être placés dans des dispositifs de contention pour des prises de sang ;
– la pression sanguine et la fréquence cardiaque augmente chez des rats qui voient d’autres rats être décapités.
Des procédures de routine telles qu’attraper un animal et le retirer de sa cage, en plus des procédures expérimentales, provoquent une élévation significative et prolongée des marqueurs de stress.
Ces variations de paramètres physiologiques dues au stress peuvent avoir des effets significatifs sur les résultats des expériences. Des rats stressés, par exemple, développent des maladies inflammatoires chroniques et des diarrhées qui ajoutent des variables et peuvent perturber les données.
D’autres conditions au sein du laboratoire peuvent provoquer des modifications dans la neurochimie, l’expression génétique et la régénération nerveuse.
– Dans une étude, par exemple, des souris avaient été génétiquement modifiées pour développer des défauts aortiques. Pourtant, placées dans des cages plus grandes, ces défauts disparurent presque totalement.
– Dans d’autres exemples, le bruit typique du laboratoire peut endommager les vaisseaux sanguins chez les animaux,
– et même le type de sol sur lequel des animaux sont étudiés lors d’expériences sur des lésions de la moelle épinière peut affecter l’effet d’un médicament.
- Différences entre les modèles animaux de maladies et les maladies humaines
La recherche sur les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représente un exemple marquant de la difficulté de modéliser des maladies humaines en utilisant des animaux. Un ensemble de lignes directrices a été adopté en 1999 et réactualisé en 2009 pour standardiser les protocoles, limiter les différences et améliorer l’applicabilité à l’homme des expériences sur les AVC chez l’animal. NXY-059 a été l’un des traitements les plus prometteurs qui en a résulté. Présenté comme le produit phare de ces nouvelles normes, il n’en a pas moins été un échec lors des études cliniques humaines.
Il y a peu d’éléments de preuve suggérant qu’une ratte, une chienne ou une guenon aient une physiologie comparable à celle d’une femme. Plus important peut-être encore, reproduire l’état préexistant à un AVC chez l’animal s’avère tout aussi difficile que reproduire la pathologie et l’évolution d’un AVC.
Plus de 114 thérapies potentielles testées sur des animaux ont échoué aux essais cliniques.
D’autres exemples d’échecs suite à des essais sur des modèles animaux incluent le développement de médicaments contre :
– le cancer, le taux d’échec étant parmi les plus élevés de toutes les catégories de maladies ;
– la sclérose latérale amyotrophique, pour laquelle plus de 20 médicaments ont échoué aux essais cliniques et le seul médicament approuvé par la FDA (autorité d’autorisation des médicaments états-unienne) ne montre que des avantages marginaux en termes de survie des patients ;
– les lésions traumatiques cérébrales, pour lesquelles 27 essais cliniques de phase 3 (tests d’efficacité sur un grand nombre de patients) et 6 essais non publiés ont tous échoué sur l’homme alors qu’ils avaient montré des bénéfices sur des animaux ;
– la maladie d’Alzheimer, pour laquelle 172 médicaments ont échoué sur l’homme après avoir réussi sur des animaux ;
– les inflammations, pour lesquelles 150 médicaments ont échoué sur l’homme après avoir réussi sur des animaux.
En 2004, la FDA estimait que 92% des médicaments qui passent les tests précliniques, y compris des tests clés sur des animaux, n’obtiennent pas leur autorisation de mise sur le marché pour l’homme. Des analyses plus récentes suggèrent que, malgré les efforts pour améliorer la capacité de la recherche animale à prédire les réactions humaines, le taux d’échec a augmenté et approcherait les 96%. Les principales causes de l’échec des médicaments sont le manque d’efficacité et les problèmes de sécurité qui n’ont pas été prédits par les tests sur des animaux.
- Différences de physiologie et de génétique entre espèces animales
Dans les lésions de la moelle épinière, par exemple, les résultats des essais de médicaments varient selon l’espèce animale et même selon la lignée, au sein d’une espèce animale, qui a été utilisée. Ces variations s’expliquent par les nombreuses différences neurophyiologiques, anatomiques et comportementales entre les espèces et les lignées. Des différences ont même été constatées entre des rats de la même lignée achetés auprès de fournisseurs différents. Après des décennies d’utilisation de modèles animaux, pas un seul agent neuroprotecteur ayant amélioré une lésion de la moelle épinière chez l’animal ne s’est montré efficace chez l’homme.
Autre exemple, des souris utilisés abondamment pour l’étude de réponses inflammatoires suite à des infections, brûlures ou traumatismes ont montré des différences vis-à-vis de l’homme dans les gènes activés ou inactivés et dans le moment ou la durée de l’expression de ces gènes. Les modèles souris ont même différé entre eux (voir La Notice d’Antidote de juin 2013).
La régulation des gènes peut différer de façon significative entre différentes espèces et peut aller jusqu’à la présence ou l’absence d’un gène en particulier. En dépit d’un haut degré de conservation du génome, il y a des différences critiques dans l’ordre et la fonction des gènes entre différentes espèces animales.
Reconnaissant ces différences génétiques, des chercheurs ont exprimé un enthousiasme considérable pour les animaux génétiquement modifiés, y compris pour des souris transgéniques dans lesquelles des gènes humains ont été insérés dans le génome de souris. Toutefois, si un gène humain s’exprime chez la souris, il va probablement fonctionner d’une façon différente de chez l’homme, étant affecté par les mécanismes physiologiques propres à la souris. Par exemple, une importante protéine qui contrôle le glucose sanguin chez l’homme est absente chez la souris. Lorsque le gène humain qui produit cette protéine a été exprimé dans des souris transgéniques, il a eu l’effet opposé à celui qu’il a chez l’homme : il a provoqué une perte du contrôle du glucose sanguin chez ces souris. L’utilisation de souris génétiquement modifiées a échoué à modéliser des maladies humaines et à apporter des bénéfices cliniques dans beaucoup de catégories de maladies.
Dans certains cas, des singes sont utilisés, plutôt que des souris ou autres animaux, avec l’espoir qu’ils mimeront mieux les résultats observés chez l’homme. Mais :
– des modèles singes ont échoué à reproduire les caractéristiques clés de la maladie de Parkinson, aussi bien du point de vue fonctionnel que pathologique. Plusieurs thérapies qui paraissaient prometteuses à la fois chez le singe et chez le rat modèles de la maladie de Parkinson ont été décevantes chez l’homme ;
– la campagne pour prescrire le traitement hormonal substitutif à des millions de femmes pour prévenir des maladies cardiovasculaires a été basée en grande partie sur des expériences sur des singes. Ce traitement est connu, maintenant, pour augmenter le risque de ces maladies chez la femme.
La recherche de vaccins contre le sida en utilisant des singes représente l’un des échecs les plus notables de la transposition à l’homme de données obtenues par l’expérimentation animale. D’immenses ressources et des décennies ont été dévolues à la création de modèles singes (y compris chimpanzés) du sida. Pourtant, tous les quelque 90 vaccins HIV qui ont réussi chez l’animal ont échoué sur l’homme.
La supposition que les données animales seraient fiables pour l’homme a mené à des souffrances humaines significatives et injustifiables. Par exemple :
– les volontaires d’un essai clinique du gp120 (contre le sida) ont couru des risques inutiles en raison de la confiance placée dans des résultats d’expériences sur des singes ;
– deux études phares impliquant des milliers de femmes ménopausées traitées avec la thérapie hormonale de substitution ont été écourtées en raison de risques accrus d’AVC et de cancer du sein ;
– en 2003, Elan Pharmaceuticals a dû mettre fin à un essai clinique de phase 2 (sur un petit nombre de patients) lorsqu’un vaccin expérimental contre la maladie d’Alzheimer a provoqué des inflammations du cerveau chez l’homme. Aucun effet secondaire significatif n’avait été détecté sur des souris transgénique ni sur des singes ;
– avant le premier essai sur l’homme, le TGN1412 avait été testé sur des souris, des lapins, des rats et des singes sans montrer d’effets négatifs (voir La Notice d’Antidote de juin 2006). Des singes avaient également subi des études de toxicité chronique et avaient reçu pendant 4 semaines consécutives des doses 500 fois supérieures à celle qui a été donnée aux volontaires humains. Aucun de ces singes n’avait subi les effets qui ont affecté les hommes presqu’immédiatement après avoir reçu des doses minimes du médicament testé. Des macaques rhésus et cynomolgus avaient spécialement été choisis car leurs récepteurs CD28 montraient une affinité semblable aux récepteurs CD28 humains pour le TGN1412. Sur la foi de telles données, il avait été conclu que les résultats obtenus sur ces singes permettraient de prédire de façon fiable la réponse humaine à ce médicament -une conclusion qui s’est avérée catastrophiquement erronnée.
Les dommages collectifs qui résultent d’expériences trompeuses sur des animaux
Les problèmes ont surgi car les différences -souvent non détectées- entre espèces animales sont de loin beaucoup plus nombreuses et importantes que les similarités.
Il a été affirmé que recueillir quelques informations par des expériences sur des animaux était préférable à ne pas avoir d’information du tout. Cette thèse néglige le fait que des informations trompeuses peuvent être pires que l’absence d’information à partir d’essais sur des animaux. L’utilisation d’expériences non prédictives sur l’animal peut provoquer de la souffrance humaine de deux façons au moins : d’abord, en produisant des données trompeuses de sécurité et d’efficacité ; et ensuite, en menant à l’abandon potentiel de traitements médicaux utiles et en privant de ressources des méthodes plus efficaces.
Sur 5 000 à 10 000 médicaments potentiels étudiés, seulement 5 environ entrent en phase 1 d’essais cliniques. De possibles thérapies peuvent être abandonnées à cause de résultats sur l’animal qui ne s’appliquent pas à l’homme.
– Le tamoxifène, un des médicaments les plus efficaces pour certains types de cancer du sein, aurait sans doute été rejeté si sa propension à provoquer des tumeurs dans le foie chez le rat avait été découverte au cours des essais précliniques plus tôt qu’après des années d’utilisation chez l’homme.
– Le Glivec, utilisé contre la leucémie myéloïde chronique, a provoqué de sérieux effets secondaires sur au moins cinq espèces animales, y compris des dommages au foie chez le chien. Toutefois, la toxicité hépatique n’ayant pas été détectée sur des cellules humaines en culture, les essais cliniques ont pu avoir lieu et ont confirmé l’absence de toxicité hépatique significative chez l’homme.
– Plusieurs médicaments utiles qui ont été utilisés de façon sûre chez l’homme pendant des décennies, comme l’aspirine ou la pénicilline, pourraient ne pas être disponibles aujourd’hui si les exigences règlementaires actuelles de tests sur des animaux avaient été en vigueur à l’époque de leur développement.
Des organes humains cultivés en laboratoire, des organes humains sur puces, des technologies informatiques, l’impression en trois dimensions de tissus humains vivants et le Projet Toxome Humain sont des exemples de nouvelles technologies basées sur l’homme qui suscitent de plus en plus d’enthousiasme. Le bénéfice d’utiliser ces méthodes au cours des essais précliniques plutôt que des expériences sur des animaux repose sur le fait qu’elles sont basées sur la biologie humaine. Ainsi, leur utilisation élimine en grande partie le travail de supposition requis lorsqu’on cherche à extrapoler à l’homme des données obtenues sur d’autres espèces animales. De plus, ces essais proposent des systèmes biologiques complexes, à la différence des techniques in vitro classiques.
Conclusion
Les données montrant l’absence de fiabilité de l’expérimentation animale et les dommages pour l’homme qui résultent de son utilisation démontrent que la recherche animale induit des coûts et des dommages significatifs pour l’homme. Nous devrions nous demander s’il est éthiquement acceptable de priver des humains de ressources, opportunités, espoirs et même de vie, en cherchant des réponses à ce qui pourait être l’endroit erronné. Je pense qu’il serait préférable de retirer ces ressources de l’expérimentation animale pour les diriger vers le développement de technologies plus précises, basées sur l’homme.