Bisphénol A : mais que font les experts ?
Le comité scientifique Antidote Europe félicite Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l’Ecologie, qui a saisi l’AFSSA d’un réexamen du dossier du bisphénol A (BPA), et M. Gérard Bapt, député de Haute-Garonne et maire de St-Jean (près de Toulouse) pour sa lettre ouverte à Mme Roselyne Bachelot toujours au sujet du BPA et pour les mesures qu’il a proposées dans sa commune.
Outre les données scientifiques obtenues par Antidote Europe sur le BPA, le concept QSAR suggère que cette substance pourrait être une « bombe à retardement » et l’un des scandales sanitaires à venir. D’après le QSAR, des substances chimiques de structures proches ont des activités biologiques comparables. Or, le BPA a une structure chimique proche de celle du diéthyl stilbestrol (DES) dont les effets sont malheureusement bien documentés : malformations génitales, cancers, baisse de fertilité, grossesses à risque, etc. pour les filles et petites-filles de femmes ayant pris ce médicament pendant leur grossesse. Contrairement au DES qui n’a été prescrit qu’à des femmes enceintes (environ 200.000 en France), le BPA est présent dans le sang d’une majorité de la population et il est donc susceptible d’affecter tous les foetus et nourrissons.
Ces données ont été transmises à Mme Chantal Jouanno (voir lettre en annexe ci-dessous) et à M. Gérard Bapt. Contactées aussi à plusieurs reprises, l’AFSSA et l’EFSA n’ont pas annoncé qu’elles prendraient en compte ces éléments. Ces agences continuent à fonder leurs décisions sur des données obtenues sur des animaux alors qu’il est démontré par une argumentation strictement logique et rationnelle qu’aucune espèce animale n’est un modèle biologique fiable pour une autre.
Les experts devraient donc prendre en considération des données humaines seulement (matériel biologique, épidémiologie, QSAR) et non les données animales qui, selon l’espèce utilisée, peuvent fournir des résultats contradictoires et, ainsi, masquer des effets toxiques pour l’homme.
Antidote Europe est une association à but non lucratif créée par des chercheurs issus du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) oeuvrant pour une meilleure prévention en matière de santé humaine.
Contact médias : Claude Reiss (33 (0)4 76 36 35 87 ou 33 (0)4 68 80 53 32)
Retrouvez notre communiqué précédent au sujet du BPA sur : https://antidote-europe.eu/cp25aou08_fr.htm
Annexe ci-dessous : lettre d’Antidote Europe à Mme Chantal Jouanno du 2 juillet 2009
Madame la Secrétaire d’Etat,
Vous avez saisi l’Afssa d’un réexamen du dossier du bisphénol A (BPA). Nous vous prions d’informer les experts de cette agence des données suivantes.
Formé de deux noyaux phénoliques liés par un atome de carbone, le BPA est une des substances chimiques de synthèse les plus produites (3 milliards de kg/an). Le BPA est utilisé d’une part pour la production de plastiques comme le polycarbonate (biberons, revêtements internes de boîtes de conserves ou de boissons, bouteilles…), d’autre part comme adjuvant dans la fabrication d’autres matières plastiques, comme le polychlorure de vinyle.
Le BPA s’extrait spontanément de ces matières plastiques, au contact avec l’eau (jusqu’à 50 fois plus dans l’eau chaude), les détergents, les substances acides, les corps gras… et les aliments en contact. Bien que le BPA soit assez rapidement éliminé du corps par les urines, pratiquement toutes les personnes vivant dans les pays industrialisés en ingèrent quotidiennement à leur insu et présentent de ce fait un taux d’imprégnation permanent élevé, les femmes plus que les hommes, les enfants (jusqu’à 12 fois) plus que les adultes. Visiblement, le BPA n’induit pas chez l’homme une toxicité aiguë, mais sa structure biphénolique intrigue et pourrait avoir des effets sur la santé humaine au moyen et long terme.
Il y a des milliers de publications qui décrivent les effets du BPA sur des » modèles » animaux, mais on doit refuser de les prendre en considération pour évaluer sa toxicité chez l’homme, car il est prouvé qu’aucune espèce n’est un modèle biologique fiable pour une autre. Il reste alors trois approches toxicologiques éthiquement acceptables : les études sur du matériel biologique d’origine humaine, les études épidémiologiques, les études indirectes basées sur l’analogie structurelle avec des molécules dont l’activité biologique chez l’homme est connue.
Un premier test, rapide, peu onéreux et valable pour l’homme, peut être fait sur des cellules humaines en culture par toxicogénomique. Plusieurs études sont disponibles, dont celles effectuées par Antidote Europe (conditions expérimentales et résultats déposés dans ArrayExpress, réf. E-TOXM-31 et A-MEXP-798), qui montrent que le BPA et ses métabolites empêchent les cellules humaines de s’opposer au stress oxydatif, à la cancérisation, à la prolifération, à la stimulation hormonale, à exercer le contrôle de qualité du repliement des protéines. En particulier, il favorise considérablement le développement de maladies conformationnelles (Parkinson, Alzheimer, diabète de type 2…) et il divise par 4 la sensibilité de ces cellules aux androgènes, ce qui a des implications importantes sur le développement sexuel et la fertilité masculine. D’autres travaux de toxicogénomique sur cellules humaines montrent d’une part que l’activité estrogénique du BPA est comparable, voire supérieure, à celle de l’hormone endogène 17beta-estradiol, d’autre part que les même gènes sont dérégulés par ces diverses substances. Ainsi, même présentes individuellement à des doses très faibles ne donnant pas lieu à des effets détectables, leur présence simultanée dans l’organisme peut déclencher des pathologies hormonales majeures (cancers du sein ou de la prostate…) et des malformations génitales (1). Ces observations sont corroborées par des études épidémiologiques (2-10).
On sait qu’en général des substances chimiques de structures proches ont des activités biologiques comparables (concept QSAR). Le diéthyl stilbestrol (DES) a également deux noyaux phénoliques, liés par deux atomes de carbone au lieu d’un seul pour le BPA. Or les effets biologiques du DES chez l’humain sont bien documentés. Le DES fut en effet prescrit en France pendant 30 ans à 200 000 femmes enceintes ayant des grossesses à problèmes (que le DES ne réglait d’ailleurs pas). On ne s’apercevra qu’au bout de 30 ans que ce traitement est tératogène et a en réalité de très graves conséquences chez les filles, et même les petites-filles de ces femmes (cancers et malformations génitales). De structures voisines, BPA et DES ont très probablement des activités biologiques voisines aussi. Celles du DES étant malheureusement bien documentées, il est fort probable que le BPA se révèle être dans quelques années une autre » bombe à retardement » analogue au DES, qu’il sera alors impossible à neutraliser. Cette fois, cette bombe ne concernerait pas que les femmes enceintes et leurs filles, mais toute la population (prioritairement les enfants) puisque nous sommes tous imprégnés de BPA. Elle menacerait gravement jusqu’à la survie de l’espèce, à la fois pour son impact négatif sur la fertilité et les pathologies provoquées (cancer, maladies neuronales, diabète, maladies cardio-vasculaires, hépatiques…).
Les experts (AFSSA) affirment que le BPA ne nous poserait qu’un risque » faible » et » non significatif « , alors que nous en avons dans notre organisme un niveau élevé permanent. Ils affirment (EFSA) aussi que les fœtus n’ont rien à craindre de cette substance puisque » la femme enceinte le métabolise et l’élimine rapidement « . Savent-ils que la vitesse de métabolisation/élimination d’une substance n’a rien à voir avec ses effets, un principe élémentaire de la pharmacocinétique ?
La France s’honorerait en prenant, pour restreindre l’exposition de la population au BPA, une initiative semblable à celle prise par le Canada en 2008.
Je vous remercie pour l’attention que vous aurez bien voulu accorder à ces informations et vous prie d’agréer, Madame la Secrétaire d’Etat, mes bien respectueuses salutations.
Claude Reiss
Président d’Antidote Europe
Ancien directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Références :
(1) « Convergent transcription profiles induced by endogenous estrogen and distinct xenoestrogens in breast cancer cells », Buterin T., Koch C. &H Naegeli, Carcinogenesis 2006, 27 : 1567-78.
(2). « Association of urinary Bisphenol A concentration with medical disorders and laboratory abnormalities in adults ». Lang IA, Galloway TS, Scarlett A et Als JAMA, 2008;300:1303-1310.
(3) « Urinary concentrations of bisphenol A and 4-nonylphenol in a human reference population. » Calafat AM, Kuklenyik Z, Reidy JA, et al. Environ Health Perspect 2005 ; 113 : 391-5.
(4) « Positive relationship between androgen and the endocrine disruptor, bisphenol A, in normal women and women with ovarian dysfunction ».Takeuchi T, Tsutsumi O, Ikezuki Y, Takai Y, Taketani Y, Endocr J, 2004;51:165-169.
(5) « Bisphenol-A disruption of the endocrine pancreas and blood glucose homeostasis » Ropero AB, Alonso-Magdalena P, Garcia-Garcia E, Ripoll C, Fuentes E, Nadal A, Int J Androl, 2008;31(2):194-200.
(6) « Thyroid hormone action is disrupted by bisphenol A as an antagonist », Moriyama K, Tagami T, Akamizu T et als. J Clin Endocrinol Metab, 2002;87:5185-5190.
(7) « Bisphenol A is released from polycarbonate drinking bottles and mimics the neurotoxic actions of estrogen in developing cerebellar neurons ». Le HH, Carlson EM, Chua JP, Belcher SM. Toxicol Lett. 2008 Jan 30;176(2):149-56.
(8) « Parental bisphenol A accumulation in the human maternal-fetal-placental unit », Schönfelder G., Wittfoh W., Hopp H., Talsness CE., Paul M. &Chahoud I. Env. Health Perspect 2002; 110: A703-7.
(9) « Migration of bisphenol A from polycarbonate baby and water bottlesinto water under sever conditions » Coa X.L. & Corriveau J. J.Agric Food Chem 2008; 56: 6378-81.
(10) « Exposure to Bisphenol A and Other Phenols in Neonatal Intensive Care Unit Premature Infants » Calafat AM & al. 2009 Env. Health Perspect. 117: 639-44.