Une manche et la « belle » pour Séralini: le moucheron va-t-il mettre l’empire des OGM à genoux ?
Tous les moyens sont bons pour imposer les OGM, à commencer par les si pratiques tests sur des animaux. Un scientifique indépendant présente des résultats exactement contraires à ceux présentés par le fabricant de ces OGM. Punition : le journal retire sa publication ! Motif avoué ? Comprenne qui pourra…
Par Claude Reiss et André Ménache
En septembre 2012 éclatait l’affaire Séralini, professeur de biologie à l’Université de Caen et membre du CRIIGEN. Il venait de publier un article dans Food and Chemical Toxicology, relatant les résultats édifiants de rats exposés à un maïs OGM et à l’herbicide auquel il résiste, qui au bout de 2 ans avaient développé de volumineuses tumeurs. Nous vous en parlions dans La Notice de décembre 2012 et sur notre site (« Un moucheron attaque l’empire des OGM »). Nous nous étonnions du nombre de scientifiques hostiles à Séralini, commandités ou non par le fabricant du maïs et de l’herbicide (appelons-le MOS) qui, lui, restait apparemment silencieux mais se livrait en sous-main à d’intenses tractations pour décrédibiliser le travail de Séralini. Les critiques concernaient la méthode de l’étude. Or, c’était exactement la méthode utilisée par MOS, dans son dossier pour obtenir l’autorisation de commercialiser ce maïs et l’herbicide associé.
Nous écrivions à l’époque : « cette étude souffre de faiblesses méthodologiques, évidentes même pour un chercheur débutant, qu’un routier aguerri comme Séralini n’a pu ignorer. On peut donc légitimement se demander quelle aurait été sa véritable motivation pour effectuer et publier une étude qui ne pouvait qu’attirer des critiques acerbes, auxquelles un chercheur évite de s’exposer, sauf à viser un objectif qui en vaille vraiment la peine. Si c’est le cas, à Séralini de le dévoiler. »
A part que nous n’accordons aucun crédit aux recherches faite sur des animaux « modèles » de l’homme, rat ou autres, il nous semblait évident que l’objectif premier de Séralini était de démontrer que l’autorisation de vendre l’OGM et son herbicide avait été donnée complaisamment à MOS par ceux-là mêmes qui critiquaient à présent la méthode, précisément celle de l’industriel pour obtenir l’autorisation. Cette incohérence faisait soulever les sourcils à de nombreux chercheurs, qui sont intervenus de diverses façons pour soutenir Séralini. Le grondement dans le milieu de la recherche qui s’en suivit déplaisait évidemment à ceux –nombreux- qui s’étaient engagés pour éviter que l’image de marque de MOS ne soit ternie. Pour cela, il leur fallait frapper le plus fort possible : une seule solution, faire retirer la publication de Séralini de Food and Chemical Toxicology.
Cela ne s’appellerait-il pas « censure » ?
Cela paraissait aussi impensable que de vouloir faire tourner la Terre à l’envers. C’est pourtant ce qui s’est produit en novembre dernier, dans des circonstances bizarres. Le journal, qui avait initialement estimé que le travail « avait du mérite malgré ses limites » (petit « nombre d’animaux testés dans chaque groupe et la souche particulière de rats sélectionnée »), estime à présent, soit plus d’un an après la publication, que « les résultats présentés sont peu concluants et n’atteignent donc pas le seuil de la publication. » Lors d’une conférence de presse, Séralini proteste : « Il n’y aucune fraude relevée, aucun manque d’intégrité dans les données brutes que je leur ai transmises, mais ils me demandent de retirer l’étude ! » Il refuse d’obtempérer puisque les études menées par l’industriel, avec la même souche de rats, le même nombre d’animaux et le même OGM –mais concluant à l’absence d’effets- n’avaient pas été critiquées. Un argument imparable, qui n’a pas empêché le journal de retirer son papier d’autorité. Du jamais vu !
Comment ce journal a-t-il pu faire cette volte-face et se met à plat ventre devant MOS ? Séralini rapporte durant sa conférence de presse que début 2013, Food and Chemical Toxicology avait recruté un rédacteur en chef associé, ex-salarié de MOS et actif au sein de l’ILSI, un lobby industriel qui réunit la plupart des groupes agrochimiques actifs dans les OGM (dont MOS). La coïncidence entre ce recrutement et le retrait d’office du papier de Séralini, qui infligeait un sérieux revers au produit phare de MOS, ne saurait évidemment être qu’un effet du hasard…
Nous possédons une longue liste de lobbies industriels dans les domaines de la chimie, de la pharmacie, du tabac, de l’agroalimentaire… Tous sont richement dotés par les industries qui les emploient pour défendre leurs intérêts financiers. Leur moyens financiers se chiffrent en dizaines de milliards d’euros ou de dollars, en face desquels la santé publique compte pour du beurre. Jusqu’ici, les activités des lobbies s’exerçaient principalement dans les arrière-boutiques des autorités nationales, européennes ou internationales en charge de la santé. Le plus souvent, les lobbies soufflent aux attachés et conseillers des mesures en faveur des industriels qu’ils défendent, il leur arriverait même de tenir la plume pour rédiger circulaire, directive, loi… allant dans le même sens. Pour les conditionner ou en guise de récompense, ces conseillers compréhensifs sont invités dans les meilleurs restaurants ou dans des hôtels prestigieux situés dans des endroits paradisiaques, il se pourrait même que l’on ait « oublié » une « enveloppe » sur leur bureau…
Jusqu’ici, ces manœuvres se déroulaient apparemment avec discrétion et entre gens du monde. Là, le ton a monté d’un bon cran, le scandale se passe au grand jour et instille un fort doute dans l’opinion : « Vous ne pouvez plus croire la science là où il y a de forts intérêts financiers », commente Séralini.
Que disent nos cellules ?
« Une mouche survient » comme le disait le bon La Fontaine, ou plutôt un moucheron, par allusion au titre de notre article dans La Notice de décembre 2012. Comme dans toute bonne pièce ou roman, il y a un coup de théâtre : ici, une nouvelle publication de Séralini, cette fois-ci en béton. A partir d’études sur des cellules humaines établies en culture, la publication –sous presse dans Biomed Research International mais dont nous avons pu nous procurer copie- indique les effets de 9 pesticides (3 herbicides dont le Roundup, 3 insecticides et 3 fongicides) purs ou dans leurs formulations commerciales, en usage courant planétaire, domestique et agricole. Huit de ces formulations sont des centaines à 1 000 fois plus toxiques que les pesticides purs, alors que les toxicités des ingrédients ajoutés dans les formulations ne sont jamais évaluées par les fabricants, et le plus souvent même pas mentionnées.
On peut, à ce stade, dresser le bilan suivant de ces 15 mois de confrontations entre Séralini et la nébuleuse de lobbyistes de MOS et d’autres entreprises :
1° avec un protocole identique à celui utilisé par MOS pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché de l’OGM et de l’herbicide auquel il résiste, Séralini montre que l’on obtient un résultat exactement opposé à celui de MOS en prolongeant la durée de l’expérience de 3 à 24 mois ;
2° la publication du travail de l’équipe Séralini mobilise en France, en Europe et au-delà, des dizaines, voire centaines « d’experts » scientifiques, dont beaucoup sans compétences dans le domaine, pour dénoncer ce protocole, mais en omettant soigneusement de dénoncer aussi le même utilisé par MOS ;
3° plus d’un an après sa publication, le manuscrit est retiré de la revue, sans autre critique que l’insuffisance de la méthode, avec la complicité possible de MOS ; cette opération soulève la réprobation de beaucoup de chercheurs, qui la considèrent comme une incursion du pouvoir économique dans le domaine scientifique, au mépris du respect de la santé publique et de la liberté académique ;
4° Séralini et ses collègues publient à présent un travail montrant que des cellules humaines en culture, exposées aux formulations commerciales de 8 pesticides dont celui de MOS, subissent des agressions cytotoxiques à des doses cent à mille fois plus faibles que celles provoquées par les pesticides purs, mettant pour la première fois en évidence les toxicités redoutables de ces adjuvants pour l’homme. Ce travail est techniquement irréprochable, mais on aimerait aussi connaître les diverses toxicités des pesticides à des concentrations inferieures à leurs cytotoxicités.
Il sera intéressant d’observer la riposte des « experts » qui sont montés au créneau il y a 18 mois. Il y en a déjà une, exprimée bruyamment par le président du lobby de la pharmacie GIRCOR (Groupe Interprofessionnel de Réflexion et de Communication sur la Recherche), qui promeut la recherche animale. Dans un autre contexte, ce président traite de « malhonnête » le recours aux lignées établies, étalant ainsi au grand jour son ignorance de ce que sont les lignées établies… que ses collègues de l’INSERM utilisent depuis un demi-siècle. Le lobbying fait par des « experts » de ce calibre va être l’occasion de franches rigolades…
Retour à l’essentiel
Toute cette affaire montre une fois encore qu’Antidote Europe est dans le vrai : seul le travail sur du matériel biologique d’origine humaine est à même de révéler des risques pour l’homme et toute autre approche est vouée à controverses stériles et sans fin, tandis que la santé publique se dégrade. Elle montre aussi que des « experts » souvent autoproclamés ou sélectionnés par les industriels pour leur souplesse d’échine, défendent n’importe quelle cause si elle leur rapporte ne serait-ce que gloriole.
Encadré
La nouvelle étude de Séralini présente beaucoup d’analogies avec notre étude « Test cancer », portant sur des mélanges de pesticides, effectuée en collaboration avec l’équipe du Pr Coleman (La Notice d’Antidote de septembre 2012). La méthode que nous avons employée est aussi à disposition pour tester les OGM. L’étude de Séralini a été effectuée sur des lignées de cellules humaines « établies », c’est-à-dire que chacune a une origine unique, la capacité d’être sous-cultivée indéfiniment (« immortelle ») tout en conservant des caractéristiques stables. Il s’agit de cellules embryonnaires de rein (HEK293), de placenta (JEG3) et de foie de jeune adulte (HEPG2).
La cytotoxicité des pesticides purs et en formulations a été évaluée en mesurant l’activité de la deshydrogénase succinate mitochondriale (essai MTT), confirmée par l’observation de l’apoptose (essai caspase 3/7). Nous avions formulé un projet d’étude des OGM et de pesticides par toxicogénomique dans La Notice de mars 2013 (page 8), sur 3 lignées de cellules humaines, dont HEPG2 et deux lignées neuronales. Une telle étude aurait l’avantage de ne pas seulement indiquer le seuil de cytotoxicité –concentration qui tue la moitié des cellules exposées- mais aussi les dommages subis par les cellules exposées durant divers laps de temps à des concentrations plus faibles des pesticides, qui pourraient indiquer si (et au bout de quel temps d’exposition) ces derniers seraient neurotoxiques, cancérigènes, reprotoxiques, affectent le système cardio-vasculaire, le développement et la mise en place du système nerveux central (autisme en particulier, c’est probablement le cas vu les effets sur les mitochondries), miment l’effet d’hormones, etc. La toxicogénomique permettrait aussi de décrire les mécanismes précis responsables de ces dommages, d’apprécier les toxicités éventuelles des métabolites de ces pesticides (utilisation de la capacité de métabolisation des cellules hépatiques HEPG2) et même les toxicités de leurs mélanges.
Image : couverture N32
Légende : En septembre 2012, nous publiions le résultat de notre étude « Test cancer », portant sur les effets de mélanges de pesticides sur des cellules neuronales humaines. Les méthodes que nous avons utilisées sont à disposition pour l’étude des effets des OGM.