Cancer : combien de victimes exactement ?
Certaines associations de recherche sur des maladies humaines vivent surtout de la générosité du public. Il est donc logique qu’elles annoncent de grandes avancées, ce qui ne manque pas d’encourager les dons. Voyons l’exemple de Cancer Research UK (CRUK), une association britannique avec laquelle notre directeur a déjà eu des échanges de courriers. C’est l’une des plus grandes associations au monde de recherche sur le cancer.
Mi-août, cette association lançait une nouvelle campagne intitulée « Battons le cancer plus vite ! », campagne qui démarrait par un communiqué de presse repris par les médias britanniques. Les journalistes ont-ils vérifié les données présentées dans ce communiqué ? Notre directeur l’a fait et a écrit une nouvelle fois au directeur exécutif de CRUK, lui faisant part de son désaccord sur l’interprétation de certaines données. Il y va de l’information reçue par le grand public. Nous avons donc aussi alerté les médias. Tous les détails dans la lettre ouverte de notre directeur au directeur de CRUK, que nous publions ici.
Dr Harpal Kumar MA MEng MBA DSc
CEO of Cancer Research UK
Cancer Research UK Angel Building
407 St John Street
London EC1V 4AD
Londres, le 25 août 2014
Lettre ouverte au Dr Harpal Kumar, directeur exécutif de Cancer Research UK (association britannique de recherche sur le cancer)
Le rôle de Cancer Research UK et la responsabilité sociale
Cher Dr Kumar,
Suite à ma lettre ouverte du 20 janvier dernier et à votre réponse du 3 février, je me sens obligé d’attirer encore une fois votre attention sur la responsabilité sociale des entreprises (définie comme la contribution et l’impact d’une entreprise sur la société et l’environnement) de Cancer Research UK (CRUK) en relation avec ses engagements.
Je me réfère en cette occasion au communiqué de presse de CRUK du 18 août 2014, intitulé : « Le taux de mortalité de 4 cancers parmi les plus meurtriers a diminué d’un tiers en 20 ans » (1).
Ce titre est-il vraiment une interprétation exacte des données ? Dans la lettre que vous m’avez adressée le 3 février 2014, vous déclarez : « Alors que nous reconnaissons ce [surdiagnostic de cancers non létaux] comme un problème en interprétant les estimations de survie après cancer, les estimations du nombre de cancers surdiagnostiqués (à l’exception du surdiagnostic dû au dépistage du cancer du sein) ne sont pas totalement disponibles et il est donc difficile de tirer une conclusion basée sur des preuves au sujet des effets sur les estimations de survie au cancer. »
Dans un article publié dans le périodique Cancer Research (2012), Ning et ses collègues écrivaient qu’un peu plus de la moitié (51%) des « survivants au cancer » mouraient plus tard de cancer (2). En d’autres termes, beaucoup de personnes qui survivent à l’un des 4 cancers parmi les plus meurtriers mais qui décèdent plus tard de métastases ou d’un cancer différent seront classés dans les « survivants au cancer » dans le contexte du communiqué de presse de CRUK.
Alors que, dans son communiqué de presse, CRUK attribue l’amélioration du taux de survie après cancer principalement à la recherche, au dépistage précoce et à l’amélioration des traitements, il est à la fois étonnant et décevant que l’importance de la prévention n’ait pas été mentionnée une seule fois dans le communiqué de presse, en dépit du fait que la plupart des cancers ont leur cause dans l’environnement et le mode de vie et qu’il serait donc potentiellement possible de les prévenir (3).
Bien qu’il soit reconnu que CRUK est surtout une organisation de recherche, il y aurait beaucoup de portée à étudier et rechercher des façons de prévenir le cancer, surtout chez les jeunes enfants. Vous déclarez dans votre lettre du 3 février 2014 : « Il est vrai que les taux [de cancer] chez les enfants ont augmenté depuis les années 1960. Les raisons en sont mal comprises… On sait très peu de choses de façon concluante sur les causes de la plupart des cancers chez les enfants, en raison de la cohérence limitée entre différentes études, le nombre d’études et le manque d’information sur des substances spécifiques. »
Comme vous le savez peut-être, les bébés qui naissent aujourd’hui ont jusqu’à 300 substances chimiques industrielles dans le corps, certaines étant des cancérigènes humains connus (4). Voilà une possible étude phare à entreprendre par CRUK. Le financement et les ressources pour un tel projet pourraient être mis à disposition en retirant des moyens alloués à l’expérimentation animale et en investissant ces moyens dans une étude humaine bien conçue, en commençant par de la biosurveillance sous la forme d’analyses de substances chimiques dans le sang de cordon ombilical.
La biosurveillance se prête à l’identification de marqueurs biologiques dans les populations humaines, que ce soit comme indicateurs d’exposition, d’effets ou de susceptibilité. L’étude de biomarqueurs, en combinaison avec d’autres technologies basées sur l’étude de matériel humain, telles la toxicogénomique, l’épigénomique, l’utilisation de cellules souches humaines pluripotentes induites, l’épidémiologie et les modèles de pharmaco/toxicocinétique basés sur la physiologie humaine, contribueront à des politiques de santé publique mieux informées en matière d’exposition et de prévention vis à vis des substances chimiques. (5)
Le soutien continu de CRUK à la recherche animale n’est pas en phase avec la biologie moderne, il est de plus en plus déconnecté de la communauté scientifique. Je vous renvoie à la lecture du récent éditorial et article publié dans le British Medical Journal (2014), intitulé « La recherche animale est-elle suffisamment basée sur des preuves pour être la pierre angulaire de la recherche biomédicale ? » (6)
Une étude bien conçue par CRUK sur les causes et la prévention des cancers de l’enfant est une priorité urgente dans l’intérêt de la génération actuelle et des générations futures. Un engagement public à mener une telle étude serait en cohérence avec votre responsabilité sociale d’entreprise.
Bien cordialement,
André Ménache
Vétérinaire
Références
- http://www.cancerresearchuk.org/about-us/cancer-news/press-release/death-rates-in-top-four-cancer-killers-fall-by-a-third-over-20-years
- Ning Y et al (2012) Cancer Research. April 15, 2012; Volume 72, Issue 8, Supplement 1.
- Preetha A, Ajaikumar B, Kunnumakara CS et al(2008). Cancer is a Preventable Disease that Requires Major Lifestyle Changes. Pharm Res. 25(9):2097–2116
- http://www.ewg.org/research/body-burden-pollution-newborns
- http://www.dovepress.com/reach-animal-testing-and-the-precautionary-principle-peer-reviewed-article-MB
- http://www.bmj.com/content/348/bmj.g3387