Chercheur anonyme au sujet de la levure de boulanger
La levure de boulanger Saccaromyces cerevisiae a été utilisée comme organisme modèle depuis de nombreuses années. La levure est un type de champignon et c’est un excellent modèle pour étudier beaucoup de processus cellulaires basiques.
De brillants chercheurs apportent une réelle contribution à la science moderne sans jamais envisager d’utiliser des animaux. Mais certains ne peuvent se permettre de critiquer ouvertement leurs collègues qui en utilisent. A partir de simples levures, des informations importantes peuvent être recueillies et il est rare que les médias grand public rendent hommage à ces travaux.
On nous demande souvent combien de chercheurs y a-t-il qui s’opposent à l’utilisation d’animaux dans la recherche biomédicale humaine. Beaucoup, évidemment. Mais nous ne pouvons répondre avec précision car cela supposerait de pouvoir désigner ces chercheurs, or, ils sont nombreux à ne pas vouloir ou pouvoir subir la pression qui s’exerce sur ceux qui en parlent ouvertement. Les exemples ne manquent pas et nos fidèles lecteurs l’auront compris s’ils connaissent l’histoire de notre président, Claude Reiss, ou s’ils ont lu l’interview de John Pippin ou celle de Jarrod Bailey. Ici, nous vous apportons le témoignage d’un chercheur qui nous montre comment on peut faire des découvertes importantes en utilisant des organismes unicellulaires et qui contribue donc à une recherche sans utilisation d’animaux mais qui ne souhaite pas que son nom soit mentionné.
Antidote Europe (AE) : La plupart des gens considèrent la levure comme l’ingrédient essentiel pour faire lever le pain ou fermenter le raisin. Peu de personnes connaissent le rôle important des levures dans notre compréhension de la génétique. Pouvez-vous donner à nos lecteurs un bref aperçu historique de la recherche sur les levures dans le domaine de la génétique ? Les levures sont-elles considérées comme des animaux, des plantes, ou autre chose ?
Chercheur anonyme (CA) : La levure de boulanger Saccaromyces cerevisiae a été utilisée comme organisme modèle depuis de nombreuses années. La levure est un type de champignon et c’est un excellent modèle pour étudier beaucoup de processus cellulaires basiques, du fait que la machinerie cellulaire a beaucoup d‘éléments communs avec presque tous les autres organismes dans lesquels l’ADN est localisé dans une structure appelée “noyau” (y compris les humains). Ces processus incluent la division cellulaire, l’expression des gènes, la réplication et la réparation de l’ADN. Le génome de la levure a été l’un des premiers à être séquencé. Etant donné que beaucoup de gènes de levure ont des “homologues” humains, connaître comment fonctionnent ces gènes de levure peut nous informer sur leur rôle dans les cellules humaines. Environ 20% des gènes humains impliqués dans des maladies ont des homologues dans la levure. L‘étude de ces gènes sur la levure nous a aidés à comprendre ce qui ne va pas dans ces maladies au niveau cellulaire.
AE : Quelles différences et similitudes y a-t-il entre levures et cellules humaines, en termes de nombre de chromosomes et ADN ? Pouvez-vous décrire dans un langage simple les découvertes les plus importantes faites à partir des levures et comment il a été possible d’apprendre autant sur la génétique humaine à partir d’un organisme aussi simple que la levure ?
CA : Les cellules de levure sont bien plus simples que les cellules humaines (ou d’autres mammifères) et ceci est la clé du succès de la levure en tant qu’organisme modèle. La levure a 16 chromosomes (l’homme, 46) et une seule copie de chaque gène (l’homme a deux copies de chacun). Le génome de la levure n’a que 12 millions de paires de bases et contient environ 6000 gènes. Le génome humain a 3 milliards de paires de bases (1) et 20 à 25 000 gènes. La petite taille du génome de la levure a permis de connaître sa séquence (2) depuis de nombreuses années. Le fait que la levure n’ait qu’une seule copie de chaque gène permet de supprimer facilement un gène et de voir comment ceci affecte la cellule. De plus, beaucoup d’outils pour faciliter la recherche sur les levures sont disponibles dans le commerce. Par exemple, des collections de lignées de levures avec un gène manquant. Dans le génome humain, il y a souvent plusieurs gènes intervenant dans la même tâche, ce qui rend difficile la compréhension du rôle de chaque gène. Bien que le génome de la levure soit bien plus simple que le génome humain, les levures sont un outil remarquable pour nous informer sur les cellules humaines. Beaucoup de protéines importantes dans la biologie humaine ont été découvertes en étudiant leurs homologues dans la levure. Par exemple, les protéines du cycle cellulaire, protéines de signalisation, protéines de modification. En 2001, le prix Nobel de médecine a été partagé par trois chercheurs travaillant sur des levures, qui ont montré quels gènes étaient impliqués dans la division cellulaire. Beaucoup de ces gènes ont des homologues humains et, parce que la division cellulaire est perturbée dans le cancer, ceci a d’importantes implications.
AE : Avec quelle précision peut-on extrapoler des données obtenues lors d’expériences sur des levures à l‘être humain ? Nous réalisons, bien sûr, qu’aucune espèce ne peut se substituer en tant que modèle fiable à une autre espèce. Diriez-vous que les études sur les levures relèvent de la “recherche fondamentale” plutôt que de la “recherche appliquée” en ce qui concerne la génétique humaine ?
CA : La levure de boulanger est un outil basique mais puissant qui a fourni des informations sur la fonction probable de beaucoup de gènes humains. Mais jusqu‘à ce que la fonction de ces gènes soit prouvée sur des cellules humaines, elle demeure une hypothèse et je ne connais aucun (bon) chercheur sur la levure (ni même aucun chercheur utilisant n’importe quel modèle non humain) qui extrapolerait directement les résultats à l’homme sans davantage de preuves. La simplicité des cellules de levure qui les rend si utiles pour la recherche peut aussi limiter les types de comparaison que l’on peut faire avec les cellules humaines dans lesquelles la complexité du génome signifie, par exemple, que les gènes sont plus susceptibles d’interagir les uns avec les autres et peuvent jouer des rôles différents de ceux définis dans un organisme modèle simple.
- L’ADN est, comme un collier de perles, une chaîne de molécules appelées “bases” ; deux chaînes se faisant face et torsadées ensemble forment la “double hélice d’ADN” modélisée sous la forme d’un escalier en colimaçon dont chaque marche constitue une “paire de bases”. Un “gène” est une portion d’ADN qui code pour une protéine donnée. Le “génome” est l’ensemble des gènes d’un individu (ou d’une espèce animale, végétale ou de l’homme ou de tout autre organisme).
- La “séquence” est l’ordre dans lequel les bases se suivent tout au long de la chaîne d’ADN.