Cœur de porc
En raison de la rareté des organes humains disponibles pour des transplantations, la tentation est grande d’utiliser des organes d’animaux. Ce procédé, appelé « xénogreffe », est à l’essai. Mais chercheurs et médecins en mesurent-ils bien les risques ?
Par André Ménache
Le 7 janvier 2022, David Bennett a été le premier homme à se voir greffer un cœur de porc génétiquement modifié. Cette expérimentation à la fois humaine et animale fait suite à d’autres “xénogreffes”, c’est-à-dire des transplantations impliquant un organe d’une espèce animale et un receveur d’une autre espèce. Par le passé, des cœurs de porcs ont été greffés sur des babouins sans que le résultat soit concluant pour l’homme : “Nous avons appris davantage sur 4 patients que nous n’aurions appris sur 40 singes”, déclare un chirurgien étasunien1.
Autres expériences préalables, deux reins de porc ont été maintenus en vie pendant quelques jours dans le corps de deux personnes légalement décédées. Les porcs “de qualité médicale” sont produits par une seule société au monde sans que l’on sache encore si toutes les modifications génétiques qu’ils subissent sont nécessaires et sûres pour le receveur.
Une boîte de Pandore ?
Les médecins avaient jugé le patient de 57 ans inéligible à une transplantation cardiaque humaine parce qu’il n’avait pas pris soin de sa santé. L’organe provient d’un porc ayant subi pas moins de dix modifications génétiques, pourtant, l’administration au patient d’un puissant immunosuppresseur a été jugée indispensable.
La transplantation à l’homme de valves cardiaques d’origine porcine se pratique depuis des décennies. Celles-ci sont rigoureusement stérilisées avant d’être implantées afin de minimiser le risque de transmission de pathogènes d’origine porcine.
Transplanter un cœur de porc entier n’est pas du tout pareil. D’abord, impossible de stériliser le cœur vivant. Or, outre le risque du rejet de l’organe, il y a celui de transmettre des virus et autres pathogènes d’origine porcine au patient.
Les virus les plus préoccupants chez le porc sont les rétrovirus, famille à laquelle appartient le virus du SIDA chez les humains. Les rétrovirus font partie du génome, humain comme porcin. Chez nous, il a été estimé que jusqu’à 8 % de notre ADN pourrait être d’origine rétrovirale. Ces séquences rétrovirales resteront-elles à jamais dormantes ? Une xénogreffe pourrait-elle en réactiver certaines ? Questions sans réponse à ce jour.
Enfin, était-il raisonnable de pratiquer une xénogreffe en pleine pandémie de Covid-19 ? On ne pouvait ignorer le risque d’infection du patient par le SARS-CoV-2, vu ses comorbidités et son traitement immunosuppresseur. Le coronavirus est spécialiste de la recombinaison avec d’autres virus. En théorie, il suffirait que ce coronavirus se recombine avec un rétrovirus d’origine porcine pour créer une nouvelle souche de virus. Si cette dernière venait à « sauter » du patient aux personnes de son entourage, une boîte de Pandore serait ouverte.
Nous sommes donc tous concernés. Les chercheurs étasuniens ont pris pour acquis le consentement du grand public. Mais un public bien informé aurait-il approuvé cette procédure expérimentale, risquée à la fois pour le patient et pour l’ensemble de la population ?
Notre commentaire publié
Le 11 janvier, Le Figaro publiait un article sur cette « première mondiale ». À sa suite, Antidote Europe publiait le commentaire suivant : « Est-ce vraiment le bon moment de transplanter des organes d’origine animale chez des patients humains en pleine période Covid-19 ? Mis à part le problème de rejet de l’organe, quid du danger de transmettre des virus et d’autres pathogènes (prions) du porc à l’homme ? Le vrai problème n’est pas un manque d’organes d’origine humaine mais un surplus de personnes en mauvaise santé liée à une politique sanitaire où le mot « prévention » est inaudible. »2
Nous avons également été invités à publier une tribune sur ce sujet dans La Dépêche Vétérinaire du 26 mars 2022.
Epilogue
« Nous sommes dévastés par la perte de M. Bennett », déclarait son chirurgien le 9 mars 20223. Deux mois, c’est le temps qu’aura vécu le patient avec son nouveau cœur. Son état s’était détérioré dans les jours précédant son décès et, convaincus qu’il ne pourrait pas se rétablir, ses médecins l’avaient placé en soins palliatifs.
D’après les chercheurs ayant mené cette étude, le patient serait mort en raison du cytomégalovirus porcin, un virus inoffensif pour l’homme mais qui aurait provoqué le rejet de l’organe par le système immunitaire du receveur. L’infection n’avait pas été détectée chez le porc donneur et l’éventualité que d’autres virus animaux latents puissent affecter les humains longtemps après la réalisation d’une transplantation demeure une inconnue4.
Il serait prématuré de mettre ici un point final à cette aventure scientifique : « Nous sommes optimistes et avons l’intention de poursuivre notre travail dans de futurs essais cliniques », déclarait Muhammad M. Mohiuddin, professeur de chirurgie et directeur du Programme de xénogreffe cardiaque à l’Université du Maryland (États-Unis). Restons vigilants !