Un débat plus que nécessaire: notre santé en dépend
Les animaux peuvent-ils être des modèles biologiques de l’homme ? Les chercheurs qui ont créé Antidote Europe démontrent que non. D’autres chercheurs soutiennent le contraire. Pourquoi ne pas les confronter ? C’est ce que devrait faire le gouvernement. Il en va de notre santé à tous.
Par Claude Reiss
Les recherches faites sur des animaux fournissent-elles des données pertinentes pour comprendre et guérir les maladies humaines ? Pour permettre de prévoir les réactions d’un organisme humain face à une substance chimique donnée (médicament ou autre) ?
Cela fait plus d’un an qu’Antidote Europe, association créée par des chercheurs issus du CNRS, a demandé au CNRS, à l’INRA, à l’INSERM et à leurs ministères de tutelle, d’organiser un débat strictement scientifique (la défense et les droits des animaux ne relèvent pas de sa compétence) sur cette question. Aucun de ces trois Etablissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) n’a accepté. Les ministères n’ont même pas répondu.
Dans la littérature scientifique, de nombreux arguments contre l’utilisation d’animaux sont publiés. Mais également de très nombreux articles décrivant des expériences faites sur des animaux. Au sein de la communauté scientifique, les camps sont bien séparés. Pourquoi alors ne pas organiser un débat et trancher cette question une fois pour toutes ? En réalité, le débat s’amorce, sinon dans les ministères, du moins dans les médias et lieux publics, ce qui est déjà une bonne chose.
Des chercheurs se rencontrent
A la Cité des Sciences (le 7 décembre 2013), le débat « L’Expérimentation animale est-elle encore légitime ? » a opposé Claude Reiss, président d’Antidote Europe, à divers intervenants dont François Lachapelle, président du GIRCOR, un lobby de l’industrie pharmaceutique dont l’objectif est de faire accepter l’expérimentation animale par l’opinion.
Il s’agissait évidemment de l’expérimentation sur des animaux pris comme « modèles » de l’homme. D’entrée de jeu, je démontre, au moyen d’un argument que nos lecteurs connaissent bien, qu’aucune espèce n’est un modèle biologique pour une autre. Ce constat n’a soulevé aucune objection ni commentaire, car impossible de prouver le contraire. Donc l’expérimentation sur un animal modèle de l’homme n’est pas légitime. Je rappelle alors les graves conséquences sur la santé humaine des tests de toxicité et des recherches médicales sur ces « modèles » qui n’en sont pas, et les perspectives de santé catastrophiques dans les décennies à venir si on continue ainsi. Nous étions là au cœur du thème du débat, mais ni les participants, ni la modératrice ne s’en sont apparemment aperçus.
Sans surprise pour nous, nos adversaires ont esquivé le débat pour répéter leurs sempiternelles affirmations : on a toujours fait comme ça, on ne peut pas faire autrement, les chercheurs « aiment les animaux » et n’aiment pas faire souffrir les animaux et le bien-être de ceux-ci est bien pris en compte par la règlementation qu’ils appliquent eux-mêmes, etc. Ils oublient, vraisemblablement, qu’ils sont payés non pour assurer le bien-être animal mais pour obtenir des données utiles pour la santé de l’homme.
Il y eut finalement deux intervenants, une chercheuse qui admet qu’il y aura « un jour » la fin du recours au « modèle » animal, qu’elle espère encore voir (elle doit être dans la quarantaine… elle étudie actuellement les premières étapes du développement embryonnaire… chez le poisson zèbre, dont elle ne prétend pas qu’il est un modèle de l’homme). Il eut aussi un responsable de l’INERIS, qui prévoit prochainement de remplacer les études sur les modèles animaux par celles sur des organoïdes (des miniorganes humanisés) dérivés de cellules souches humaines.
J’ai terminé mon intervention en citant la toxicogénomique sur des cultures de cellules humaines établies. Le président du GIRCOR ne pouvait s’empêcher, comme de coutume, de faire étalage de son ignorance, en taxant de « malhonnêteté » l’identification d’une substance cancéreuse sur des cellules dérivées de tumeurs : même un étudiant débutant en biologie sait que les cellules établies que nous avons utilisées sont bien immortelles et stables, sont en service dans tous les laboratoires de biologie du monde depuis bientôt 50 ans et sont capables d’identifier une substance cancérigène, en comparant la réponse de la cellule exposée à celle de la cellule non exposée. Nous sommes déçus de ne pas avoir eu un peu plus de temps de parole, ni la possibilité de montrer des graphiques très parlants, qui avait été acceptés d’abord puis annulés durant le débat. Curieux ? Ils m’auraient évité d’avoir à faire de longues explications au cours desquelles j’ai été plusieurs fois interrompu par la modératrice. Nos arguments ont quand même pu être exposés et leur rigueur scientifique a été appréciée même par des auditeurs non biologistes (voir www.cite-sciences.fr/fr/conferences-du-college/seance/c/1248139023179/-/p/1239022827697/).
Un deuxième débat a eu lieu sur France Inter le 10 décembre 2013. Les auditeurs avaient plébiscité le sujet : « Les alternatives à l’expérimentation animale ». Plus de 500 commentaires sur le site de la radio, un nombre « tout à fait exceptionnel », d’après le journaliste animateur. Ce dernier a invité à la dernière minute… F. Lachapelle, suite probablement à l’intervention du lobby dont ce dernier est le président. Conformément au thème de l’émission, j’indique que concernant la santé humaine, le modèle animal n’existe pas, on ne peut faire autrement que de travailler avec du matériel biologique d’origine humaine, nos cellules en particulier, par exemple avec la toxicogénomique sur lignées établies et depuis peu sur des cellules pluripotentes induites. Lachapelle ne dit mot sur les méthodes alternatives modernes –à se demander pourquoi il a été invité à l’émission ?- mais l’animateur laisse généreusement à son invité-surprise le temps pour déclarer longuement son amour des animaux et son respect des 3R. En fin d’émission, Lachapelle m’accuse une fois encore d’être « malhonnête » pour évaluer les toxicités sur des lignées cellulaires établies, mais l’animateur n’a pas donné la parole à l’accusé pour remettre l’accusateur à sa place (voir www.franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-le-choix-des-auditeurs-les-alternatives-a-lexperimentation-animale, où je relève et dénonce comme ineptes les élucubrations de Lachapelle). Les invitations à un débat, le temps de parole et le moment de l’intervention des invités, l’orientation d’un débat dans un sens ou l’autre, sont laissées au bon plaisir de l’animateur…
Débat il y a
Il y a encore quelques années, des chercheurs qui utilisaient des animaux prétendaient qu’il y avait unanimité au sein de la communauté scientifique sur cette question et que la recherche animale est nécessaire au progrès de la médecine humaine. Et puis, des chercheurs comme ceux d’Antidote Europe en ont prouvé l’illogisme et montré l’inutilité et les graves dangers pour la santé humaine. Les chercheurs mis en cause et les établissements publics qui les emploient sont devenus étrangement silencieux, même quand nous les invitons à débattre de cette question. On voit éventuellement un individu comme Lachapelle oser participer à un débat après s’être bien assuré qu’il pourrait y faire son numéro : feindre de ne pas entendre les arguments auxquels il ne peut répondre, réciter son couplet sur son amour des animaux, le respect des 3R, puis proférer des invectives infondées qui démontrent simplement son incompétence.
Un vrai débat pour discuter l’intérêt de l’expérimentation animale pour la santé publique, devrait être organisé de façon formelle par les ministères concernés, avec de part et d’autres de vrais scientifiques, courtois et utilisant des arguments logiques. Ce débat, modéré par une personnalité neutre, devrait donner lieu à un rapport présentant des conclusions claires et des recommandations sur l’orientation des politiques de santé et de recherche biomédicale. Un tel rapport devrait être mis à disposition du public afin que chacun puisse évaluer les mesures concrètes qui seraient prises suite à ses recommandations.
Les scientifiques d’Antidote Europe sont prêts à participer à ce débat, à démontrer qu’aucune espèce animale n’est le modèle biologique de l’homme. Qu’en est-il des chercheurs qui défendent l’expérimentation animale ?
Une campagne en cours
Le titre de cet article est aussi celui de l’une de nos campagnes en cours. Vous les trouverez toutes détaillées sur notre site.
Le 13 décembre 2013, nous diffusions un communiqué de presse. Le 20 décembre, trois membres de notre association étaient interviewés par le Journal du dimanche, qui ne reprenait que très partiellement nos propos. Le 5 janvier 2014, nous étions interviewés par RTL qui ne diffusait rien du tout. En France, beaucoup de travail reste donc à faire. Heureusement, ça marche mieux en Italie, le pays qui a recueilli à lui seul plus de 500.000 signatures pour l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection. Suite à une conférence que j’ai donnée à Rome, la presse italienne a bien relayé le problème non en termes de bien-être animal mais de pertinence pour l’homme des données obtenues sur des animaux.
En 2014, deux élections se profilent. Plusieurs cadres des Verts ont signé l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection, suite à la demande de militants qui recueillaient des signatures. Nous avons été reçus par une représentante du Parti populaire européen, qui a paru très intéressée par nos informations. Mais la prise de conscience aura-t-elle été suffisante pour évoquer ce sujet dans les programmes de ces partis ? L’Alliance écologiste indépendante nous a consultés à l’occasion de la préparation des Européennes. Plusieurs de ses responsables ont également signé l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection. Le Mouvement Hommes Animaux Nature (MHAN) m’a invité à donner une conférence à Paris le 16 février 2014. Ces deux partis ayant déjà proposé d’abolir l’expérimentation animale, nous espérons qu’ils resteront sur cette ligne et que nos propositions seront toujours présentes dans leurs programmes. De votre côté, n’hésitez pas à interpeller les candidats qui sollicitent vos voix, tant pour les Municipales que pour les Européennes, et à leur demander s’ils s’engageraient à organiser un débat strictement scientifique sur la pertinence du « modèle animal ».