Interview avec Dr Samuel Constant
Tester les polluants de l’air sans animaux
Dans l’interview de ce trimestre comme dans celle du dernier numéro, nous vous présentons un chercheur travaillant dans une société privée. Il propose donc une méthode permettant de résoudre un problème précis : l’évaluation de la toxicité des substances inhalées. Un nouveau modèle de réussite en matière de recherche appliquée.
Dans le dernier numéro de La Notice d’Antidote et dans celui-ci, nous vous présentons deux exemples de solutions pertinentes pour des évaluations toxicologiques impossibles à faire sans animaux selon les défenseurs de l’expérimentation animale. Le trimestre dernier, « Quasi-Vivo » faisait la preuve que l’on peut faire in vitro des études de toxicologie pratiquement systémiques, c’est-à-dire concernant la diffusion de la substance à tester dans plusieurs tissus et organes humains. Dans ce numéro, « MucilAir » montre que l’on peut tester sur un système sophistiqué de cellules en culture les effets toxiques aigus et chroniques de substances présentes dans l’air. Encore une fois, la science et la technologie répondent présent, c’est le système de validation et la règlementation qui sont en retard.
Antidote Europe (AE) : Pouvez-vous nous dire pourquoi, avec votre équipe, vous avez créé Epithelix et vous vous êtes intéressé aux méthodes substitutives pour remplacer le « modèle animal » ?
Samuel Constant (SC) : Pour deux raisons essentielles : (i) la volonté de développer et promouvoir des méthodes de tests d’efficacité et toxicité plus pertinentes scientifiquement et plus acceptables moralement que l’utilisation d’animaux de laboratoires et (ii) le goût de l’aventure entrepreneuriale.
Nous nous sommes aperçu lors de nos travaux de recherche dans le domaine académique que beaucoup de modèles de tests in vitro n’étaient pas accessible à tous. Cela empêche la réalisation des expériences avec les meilleurs modèles et méthodes qui existent et induit la difficulté de reproduire certains résultats publiés dans les journaux scientifiques.
A partir de ces constats et grâce à notre savoir faire, fruit d’un travail initié par Ludovic Wiszniewski sur la mucoviscidose, nous avons choisi de créer la société Epithelix afin de développer, distribuer et rendre accessible les tests et modèles in vitro à base de tissus et de cellules primaires humaines respiratoires.
AE : Pouvez-vous décrire votre produit unique « MucilAir » en termes simples pour nos lecteurs non scientifiques ?
SC : Epithelix a mis au point une technologie unique qui permet de garder en cultures des tissus humains reconstitués in vitro sur le long terme. Le produit « MucilAir » est un modèle d’épithélium respiratoire fabriqué à partir de cellules issues de déchets opératoires. Ce modèle est une sorte de « Mini-Poumon » qui a les mêmes types cellulaires et fonctions que l’arbre respiratoire humain supérieur. MucilAir modélise la première ligne de défense du système respiratoire contre l’environnement extérieur. Sa durée de vie unique d’une année permet son utilisation non seulement pour des études aiguës mais aussi chroniques. Ainsi, MucilAir est extrêmement utile pour des études (i) de toxicité telles l’impact de polluants environnementaux, l’effet de la e-cigarette, de produits chimiques ou matériaux inhalés, etc. et (ii) d’efficacité de nouveaux traitements pour les maladies respiratoires et particulièrement l’asthme, la bronchite obstructive chronique, la mucoviscidose ainsi que les infections bactériennes et virales.
AE : On a l’impression qu’il existe peu de méthodes substitutives pour remplacer les tests d’inhalation sur des animaux pour les produits pharmaceutiques et industriels. Où en êtes-vous par rapport à l’utilisation et à l’éventuel remplacement par l’industrie de tests sur des animaux avec votre produit « MucilAir » ?
SC : Il n’existe malheureusement pas aujourd’hui de méthodes certifiées par l’organe officiel de validation de l’Union européenne (ECVAM) pour remplacer les tests de toxicité par inhalation sur les animaux. Ainsi les industries pharmaceutiques, cosmétiques et chimiques sont contraintes à sacrifier de nombreux animaux afin de mettre leurs produits sur le marché. Le but d’Epithelix est de changer cela.
Nous travaillons au développement de nouveaux tests, basés sur MucilAir, afin d’évaluer l’effet à court et à long terme de substances inhalées sur la santé humaine. Chaque méthode est différente selon qu’il s’agisse de tester l’effet corrosif, irritant, sensibilisant ou encore cancérigène de produits inhalés. La méthode la plus avancée aujourd’hui est le test de perméabilité trans-épithéliale que nous développons avec le groupe du Prof Carrupt de l’Université de Genève et celui de Dr Sandra Coecke d’ECVAM. Ce test permet de donner des informations toxicocinétiques [Les modèles toxicocinétiques décrivent le devenir des substances toxiques dans un organisme vivant au cours du temps, NdlR.] et notamment d’évaluer la quantité de produits inhalés traversant l’épithélium et susceptible de se trouver dans le sang. Nous nous efforçons à ce que cette méthode alternative rentre dans le processus de validation dans les meilleurs délais.
AE : A votre avis, quels sont les plus grands défis pour remplacer les tests sur des animaux par des produits comme ceux de votre entreprise Epithélix ? Comment faudrait-il agir pour faire avancer les choses ?
SC : Le premier défi est de garder l’indépendance de la société pour préserver ses valeurs notamment au plan morale et éthique. Pour une entreprise comme Epithelix qui a fait le choix de s’autofinancer et de réinvestir tout les bénéfices dans la recherche, c’est une bataille de tous les jours. Il est clair que le financement des projets de recherches est un problème qui touche notamment les petites sociétés.
Un autre défi est le temps. En effet, le temps nécessaire pour valider une méthode que nous développons n’est pas en notre contrôle.
Le conservatisme est aussi à combattre. Il est beaucoup plus difficile pour un régulateur ou un toxicologue industriel de s’exposer en endossant la responsabilité de l’utilisation de tests in vitro que d’utiliser les « bonnes vieilles méthodes animales ».
Enfin, il faut savoir que les frais de validation sont pour la plupart pris en charge par le développeur de méthode. Certains ne peuvent pas se le permettre. Donc, il serait peut-être judicieux de créer une plateforme d’initiative populaire de financement par don pour soutenir la validation des méthodes alternatives.
AE : Nous vous remercions vivement pour cette interview. Y a-t-il d’autres remarques que vous aimeriez partager avec nos lecteurs ?
SC : C’est moi qui vous remercie. L’initiative citoyenne européenne [www.stopvivisection.eu] est un succès remarquable d’Antidote Europe que je tiens tout particulièrement à saluer. Cet élan nous porte, nous les développeurs indépendants de méthodes alternatives.
Il est aussi très important pour nous de remercier les associations qui nous aident telles la Ligue Suisse contre la Vivisection, la Fondation Egon Naëf et le comité Pro Anima.
Encadré + photo :
Le Dr Samuel Constant est co-fondateur et Directeur Opérationnel d’Epithelix (www.epithelix.com), société suisse de biotechnologie spécialisée dans l’ingénierie tissulaire.
Epithelix est un leader de l’évaluation in vitro de l’efficacité et de la toxicité de composés sur les voies aériennes humaines. Elle a développé un modèle en trois dimensions unique des muqueuses respiratoires humaines in vitro et propose des services de tests pour étudier des pathologies telles que l’asthme, la mucoviscidose et les bronchites obstructives chroniques. Samuel est en charge de la gestion globale, du développement stratégique de la société et des collaborations externes avec les groupes de recherche publics et privés.
Dans les six dernières années, le Dr Samuel Constant et son équipe ont concentré leurs efforts de recherche sur le développement de nouvelles approches in vitro pour étudier les effets des xénobiotiques inhalés sur l’appareil respiratoire humain. Ces efforts ont abouti à l’élaboration de méthodes d’essai de toxicité répétée (90 jours d’exposition répétée), l’évaluation de l’absorption respiratoire et du métabolisme, l’inflammation, ainsi qu’à des méthodes pour l’identification des sensibilisants respiratoires. Depuis 2006, ces chercheurs ont remporté 14 prix pour leurs réalisations scientifiques, l’innovation technologique et le développement des affaires.