Jarrod Bailey au sujet des animaux génétiquement modifiés
Jarrod Bailey traque les promesses très médiatisées de supposées avancées médicales basées sur l’expérimentation animale… ayant échoué sur l’homme ! Il surveille les effets secondaires et les échecs, sur l’homme, de médicaments préalablement testés sur des animaux.
Antidote Europe (AE) : Vous êtes l’un des rares scientifiques au Royaume Uni qui ont eu le courage de s’opposer publiquement à l’expérimentation animale. Pourriez-vous nous dire comment en êtes-vous venu à défier un tel dogme et quel type de résistance avez-vous rencontrée ? L’expression “intimidation institutionnelle” signifie-t-elle quelque chose pour vous ?
Jarrod Bailey (JB) : Comme beaucoup de personnes, y compris des scientifiques, je n’avais jamais jeté un regard critique sur la pertinence de la recherche sur des animaux ; j’acceptais passivement, sans remise en question, qu’elle devait être valable et productive. Mais les premières graines du doute ont été semées quand j’ai participé à des conférences pour présenter mon travail sur les accouchements prématurés. Alors que mes recherches portaient sur des tissus humains obtenus avec le consentement des femmes, d’autres chercheurs travaillaient sur le même problème en utilisant des souris, des rattes, des brebis et une variété de primates non humains. Des différences significatives apparaissaient entre ces espèces, notamment, par exemple, les niveaux d’hormones au fur et à mesure de la progression de l’accouchement. Je me suis alors demandé pourquoi ces animaux étaient-ils utilisés, souvent lors d’expérimentations douloureuses, à la place d‘échantillons de tissus humains largement disponibles.
Ceci a éveillé mon intérêt à propos de l’utilisation d’animaux dans la recherche en général. Plus je lisais et j’apprenais, et plus je réalisais que les “modèles” animaux étaient utilisés non en raison d’une pertinence tangible pour la médecine humaine mais en raison de l’habitude. Ceci peut être démontré dans tous les domaines de la science et de la médecine, du cancer au sida, des maladies cardiovasculaires au diabète, Alzheimer, Parkinson, au développement de nouveaux médicaments… invariablement. Cette prise de conscience m’a amené à prendre la décision la plus importante de ma vie : abandonner la recherche active en laboratoire et consacrer ma future carrière à révéler la vérité sur l’expérimentation animale et à contribuer à une analyse critique, depuis longtemps nécessaire, de sa validité et de sa pertinence pour la médecine humaine.
On pourrait penser que c‘était un engagement louable, devant être encouragé par tout le monde. La meilleure recherche, la plus productive, est celle effectuée dans l’intérêt de tous. Indépendamment de l’opinion de certains sur l’expérimentation animale, nous sommes tous susceptibles de contracter une maladie grave ou de voir nos proches en souffrir. Pourtant, juste du fait de nous interroger et de nous inquiéter publiquement au sujet de l’efficacité de la recherche sur des animaux, nous avons été diffamés par ses plus ardents défenseurs (souvent ceux qui la pratiquent) et par des groupes de pression fondés par les industries et les institutions qui tirent profit de ces recherches. Ils nous ont accusé de mépriser la souffrance humaine et de vouloir bannir les animaux des laboratoires quel qu’en soit le coût pour l’homme. C’est une totale absurdité. Les nombreux chercheurs et médecins qui s’opposent à l’expérimentation animale ou qui, du moins, ont de sérieux doutes sur sa pertinence, sont tout aussi favorables à la science et au progrès médical que n’importe qui (je dirais même qu’ils le sont davantage). L’ironie est que l’essence même de la recherche scientifique implique une réflexion critique sur les méthodes utilisées, réflexion à laquelle les pro-vivisectionnistes objectent avec véhémence.
Alors que l’université à laquelle j’ai été rattaché pendant près de vingt ans m’a beaucoup soutenu dans mon droit à mener de telles évaluations scientifiques critiques, on ne peut pas en dire autant de plusieurs autres institutions et organisations. J’ai vu des vice-présidents d’universités tenter de faire obstruction à des débats scientifiques sur l’expérimentation animale, des pro-vivisectionnistes salariés tenter de faire abréger mon contrat universitaire en me calomniant auprès de collègues et de responsables de l’université, ou écrire à des membres du Parlement pour leur demander de retirer leurs noms d’une pétition réclamant des évaluations scientifiques de “modèles” animaux. On dirait que les partisans de la vivisection craignent une évaluation scientifique de cette pratique. S’ils étaient réellement convaincus de son utilité et de sa nécessité, ils devraient accueillir cette évaluation à bras ouverts.
AE : La production massive d’animaux génétiquement modifiés, surtout des souris, a donné lieu à un grand battage médiatique au sujet de traitements attendus pour plusieurs maladies humaines. Pourtant, de nouvelles données en génétique suggèrent que les “modèles” souris ne seraient pas pertinents pour étudier les maladies humaines. En tant que généticien, quels sont vos commentaires ?
JB : Les résultats d’expériences avec des animaux génétiquement modifiés (GM) fournissent assez d’arguments contre leur utilisation. Un rapport intitulé “L’Homme ou la souris ?”, que j’ai écrit pour l’association britannique Animal Aid en 2005, illustre la folie de cette approche : il montre, sur les exemples de la mucoviscidose et de la maladie d’Alzheimer (deux cas où les plus grands investissements intellectuels et financiers sur des “modèles” souris ont été faits), la myriade de façons dont les animaux GM échouent à reproduire les maladies humaines. Par exemple, alors que la mucoviscidose affecte le pancréas chez la plupart des personnes qui en souffrent et que la mort survient suite à des infections pulmonaires, des souris ayant une mutation génétique supposée “identique” à celle des patients humains ne présentent pas ces symptômes. Elles meurent suite à des blocages intestinaux, lesquels ne se constatent pas chez les patients humains. D’autres souris GM avec des pathologies cérébrales “identiques” à la maladie d’Alzheimer humaine ne présentent pourtant pas ou peu de symptômes d’Alzheimer. Elles échouent également à apporter des lumières sur la fonction des gènes fortement liés à la maladie humaine. Et des animaux GM “modèles” d’autres maladies humaines, comme le parkinsonnisme ou le diabète, échouent tout autant.
Ces échecs ne devraient pas surprendre quiconque a une compréhension ne serait-ce que rudimentaire de la génétique et de la biologie moléculaire. De petites différences dans les gènes peuvent se traduire par d‘énormes différences dans la biologie ou la physiologie. La position des gènes sur un chromosome, la nature de l’ADN voisin, l’environnement cellulaire dans lequel les gènes sont placés et bien d’autres variables affectent beaucoup la fonction du gène ; ce qui signifie que l’on ne peut pas simplement transférer un gène ou recréer une mutation spécifique dans un autre individu, encore moins dans une autre espèce animale, et attendre des résultats similaires. Des recherches récentes ont illustré ceci avec quelques détails en révélant que parmi des gènes connus pour être essentiels chez l’homme, près du quart ne sont pas essentiels chez la souris. Ceci est stupéfiant et devrait avoir de grandes répercussions sur la recherche utilisant des animaux GM. Tout simplement, les animaux GM ne sont pas de bons modèles des maladies humaines. Pourtant, nous voyons encore des millions de livres, dollars et euros gaspillés dans des “modèles” animaux inutiles et sans pertinence.
AE : Dans une pétition déposée le 14 novembre 2007 auprès de la FDA, une coalition internationale de scientifiques et de médecins (1) cherchait à contraindre cette agence à endiguer le flot de médicaments dangereux arrivant jusqu’au consommateur américain par l’obligation d’utiliser des méthodes scientifiquement éprouvées sans recours aux animaux quand ces alternatives existent (en accord avec la législation européenne -article 7.2 de la directive 86/609/CEE). Pouvez-vous nous dire comment est accueillie cette initiative ?
JB : Bien que de nombreuses alternatives soient disponibles, les tests sur les animaux sont, le plus souvent, l’attente “par défaut” de la FDA et des firmes pharmaceutiques et chimiques. Ni la FDA ni les firmes qu’elle contrôle n’ont annoncé de progrès significatif vers le développement ou l’adoption de méthodes spécifiques de l’espèce humaine pour améliorer la précision des tests de substances chimiques et remplacer les cruels tests sur des animaux, lesquels ont contribué non seulement aux forts taux d‘échec des médicaments lors des essais cliniques [sur l’homme], mais aussi à l’approbation de médicaments dangereux et aux centaines de milliers de décès annuels à la suite d’effets secondaires de ces médicaments.
Il est clair que la FDA pourrait faire beaucoup plus pour remplacer les tests sur des animaux par des méthodes supérieures, sans animaux. C’est pourquoi nous lui avons demandé d‘être plus ferme et de montrer l’exemple dans ce domaine. Notre pétition a été déposée il y a bien plus de six mois, délai limite que se donne la FDA pour apporter une réponse officielle. A plusieurs reprises, la FDA nous a contactés pour nous informer que des responsables de cette administration examinaient très soigneusement la pétition et avaient besoin de délais supplémentaires. Nous espérons que ceci est un cas de “Pas de nouvelles, bonne nouvelle !”
AE : Pouvez-vous nous parler de vos projets les plus récents ?
JB : Parmi d’autres choses, je reste très impliqué dans le “Projet R&R” de la New England Anti-Vivisection Society (NEAVS) qui vise à mettre fin à la recherche invasive sur les chimpanzés aux Etats-Unis, le seul pays au monde où cette recherche est encore pratiquée. Ce projet a mené à la rédaction d’articles scientifiques détaillant : – la faible pertinence et utilité de publications portant sur des expérimentations invasives sur des chimpanzés pour le progrès médical humain ; – l‘échec des expériences sur des chimpanzés pour le développent d’un vaccin contre le sida efficace pour l’homme ; – le traumatisme psychologique que les chimpanzés subissent en raison de leur confinement dans les laboratoires et des procédures auxquels ils sont soumis.
Actuellement, une proposition de loi qui a été soumise au Congrès états-unien et reçoit un soutien politique grandissant et déjà impressionnant vise à mettre fin à la recherche sur des chimpanzés et à obtenir la retraite permanente de ces animaux dans des sanctuaires où ils pourront finir leur vie en paix et en sécurité. En tant que chercheur scientifique au sein du Comité de médecins pour une médecine responsable (2), je suis l’un des principaux auteurs de la pétition à la FDA déjà mentionnée et je participe à une étude qui compare et met en évidence les différences de toxicité de médicaments sur les animaux et sur les humains, dans le but de modifier les protocoles de développement des médicaments et de supprimer l’inutile et dangereuse utilisation d’animaux. J’ai aussi contribué à une consultation de la Commission européenne sur les alternatives à l’utilisation de primates non humains dans la recherche et les tests de sécurité des substances chimiques (3).
AE : Quelles pensées non évoquées au cours de cet entretien voudriez-vous partager avec nos lecteurs dans votre conclusion ?
JB : Ceux d’entre nous qui s’opposent à l’expérimentation animale se rapprochent chaque jour de la réalisation de leur objectif. Bien que nous ayons encore des batailles à livrer contre les intérêts personnels, le pouvoir des corporations, l’immobilisme et la simple inertie humaine et la résistance au changement, la vérité à propos de la vivisection est irrésistible. Plus de personnes que jamais apprennent la réalité de la vie des animaux dans les laboratoires, la cruauté impliquée dans leur incarcération, dans la privation de la possibilité de suivre leurs instincts et comportements naturels et dans les procédures auxquels ils sont soumis. Le public est à présent informé des défaillances de la vivisection et des énormes dommages à l’homme qui en ont résulté -échecs dans pratiquement tous les champs de la médecine, dont le cancer, le sida, les maladies cardiovasculaires, les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, parmi bien d’autres. Ceci signifie que les firmes et institutions où se pratique l’expérimentation animale, et les vivisecteurs eux-mêmes, sont amenés à se justifier plus que jamais ; leurs justifications sont examinées plus que jamais ; et nous voyons des effets tangibles de tout ceci dans l’attitude du public face à la vivisection, dans l’intérêt politique pour s‘éloigner de l’expérimentation animale et soutenir les 3Rs, et aussi dans la réaction de nos opposants qui a d’abord été de nous ignorer, puis de nous ridiculiser et maintenant de nous combattre. L‘étape suivante, ainsi que Ghandi l’a exprimé dans une formule célèbre, est que nous gagnions. Cela pourrait prendre plus longtemps que nous l’espérons, mais c’est en train de commencer à se produire.
(1) Antidote Europe est signataire de cette pétition ; voir La Notice d’Antidote N°12.FDA : Food and Drug Administration , organisation gouvernementale états-unienne en charge de la sécurité alimentaire et de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments.
(2) Physicians Committee for Responsible Medicine (PCRM)
(3) Consultation à laquelle Antidote Europe a également participé ; voir La Notice d’Antidote N°16.