Jarrod Bailey au sujet des malformations foetales
Jarrod Bailey a utilisé des tissus humains pour tenter d‘élucider pourquoi des bébés naissaient prématurément.
Antidote Europe (AE) : Je crois que vous travaillez sur les malformations foetales. Pouvez-vous résumer vos principales découvertes ?
Jarrod Bailey (JB) : Essayer de comprendre les facteurs négatifs susceptibles d’affecter le développement du foetus et du jeune enfant a été un point central dans mes recherches depuis douze ans. Après avoir, pendant sept années de ma carrière post-doctorale, utilisé des tissus humains pour tenter d‘élucider pourquoi des bébés naissaient prématurément, j’ai participé à une évaluation de la pertinence de modèles animaux pour déterminer le risque de malformations foetales quand les mères ont été exposées à des médicaments et autres substances chimiques pendant la grossesse -une science connue sous le nom de “tératologie”. Le plus infâme exemple de tératogène (agent qui provoque des malformations foetales) est la Thalidomide, un médicament qui a provoqué plus de 10 000 naissances de bébés avec des membres courts ou absents, à la fin des années 1950 et au début de la décennie suivante.
Notre synthèse a porté sur des données collectées sur près d’un demi siècle, pour environ 1400 substances testées sur 12 espèces animales. Nous avons cherché à savoir avec quelle fréquence les effets d’une substance sur une espèce animale correspondaient aux mêmes effets sur une espèce animale différente et comparé les résultats observés sur différentes espèces animales avec les risques de malformations chez les humains.
Nous avons trouvé que seules 56% des substances connues pour être tératogènes pour les humains le sont aussi pour des animaux ; que moins d’une substance sur 40 tératogène pour les animaux a été reconnue tératogène pour l’homme ; et que des substances telles que l’eau, le sel ou le sucre ont été déclarées tératogènes pour des animaux. En somme, il aurait été plus productif de jouer à pile ou face pour prédire le risque tératogène pour les humains, que de se référer aux résultats d’expérimentations animales.
Nous avons aussi comparé des méthodes alternatives “in vitro” pour évaluer ces substances et nous avons montré que la meilleure méthode prédit le risque tératogène pour les humains dans 80% des cas, avec encore une marge d’amélioration possible. Pourtant, cette méthode n’est pas utilisée ; nous devons demander pourquoi, et comment se fait-il qu’une approche aussi archaïque, pauvre et dangereuse que la tératologie animale soit l’un des fleurons de la science du 21e siècle.
AE : Pensez-vous que les données recueillies sur les humains nous renseignent suffisamment sur les substances toxiques ? Par exemple, pensez-vous que certaines substances devraient être retirées du marché sans attendre des preuves supplémentaires de leur toxicité ?
JB : Les données sur les humains résultent de malheurs mais sont vitales. La plupart de ces données sont “post-événement” et, par conséquent, résultent de dommages à des centaines, des milliers, voire plus d’individus. Toutefois, s’assurer que les systèmes sont en place pour enregistrer l’exposition humaine à des substances potentiellement dangereuses est crucial car cela permet à la société de réagir rapidement et de supprimer les risques inacceptables le plus rapidement possible. Dans la situation actuelle, des tests sur des animaux qui nous instruisent peu ou pas du tout sur les risques pour les humains, sont pourtant considérés comme la référence et ils ne servent personne. Par exemple, j’ai récemment co-signé une étude classifiant des substances selon leur risque cancérigène pour l’homme. Nous avons trouvé que dans près de 60% des cas où l’Agence de protection de l’environnement (EPA) des Etats-Unis n’avait que des données sur l’animal, elle ne pouvait pas classifier les substances quant à leur risque pour les humains. En d’autres termes, les données humaines sont essentielles dans la plupart des cas pour que l’EPA puisse prendre une décision en connaissance de cause ! Ce point était confirmé en regardant les classifications établies par l’EPA et par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), situé en France : leurs décisions concordent seulement dans les 13% de cas où l’on dispose de données humaines suffisantes.
Donc, ceci nous montre que les données obtenues sur l’animal ne font pas leur travail de protection de la santé humaine, et que des données humaines sont vitales. Et, comme vous le dites, il y a certainement beaucoup de substances chimiques qui devraient être retirées du marché sans délai, et pour lesquelles, attendre des confirmations à partir de tests sur l’animal ne fera que provoquer davantage de victimes humaines. L’exemple le plus évident de ceci, historiquement, est la fumée de cigarette… Les données humaines montraient au-delà de tout doute possible ses effets négatifs sur la santé depuis plusieurs décennies, mais il n’en a pas été tenu compte car des tests sur des animaux n’ont pas “prouvé” que fumer pouvait provoquer des cancers. Des millions de personnes en sont mortes.
AE : Quelles méthodes considérez-vous les plus fiables pour évaluer la toxicité des substances chimiques, y compris des médicaments ?
JB : Ma réponse à la question précédente ne devrait pas suggérer que nous pourrions faire peu de choses de façon prospective pour évaluer le risque de l’exposition à une substance avant que ce risque ne soit effectivement présent au sein de la population ; elle montre seulement que nous devons nous concentrer sur le contexte humain et nous dispenser de tests sur d’autres espèces qui nous apprennent peu ou rien. Nous sommes à une époque où les plus excitantes techniques scientifiques sont disponibles. Elles peuvent non seulement nous montrer les effets majeurs d’une substance sur des cellules et des tissus vivants, mais aussi, nous révéler exactement comment ces effets se manifestent, quels mécanismes sont à l’oeuvre. Nous pouvons cultiver des centaines de types cellulaires humains en laboratoire et analyser les événements biochimiques qui s’y déroulent avec un luxe de détails en termes de gènes sollicités, de ce que les cellules font pour réparer les dommages, quelles parties des cellules ou des tissus sont affectés et de quelle façon.
Donc, alors que nous avons ces informations à disposition, nous devons demander pourquoi l’on persiste à évaluer de façon grossière la toxicité pour des animaux, évaluation dont on peut démontrer qu’elle est fort peu pertinente pour les humains. De plus, des barrières sont érigées entre des tests fiables et leur implémentation, par les autorités de réglementation ; des critères de validation qui prennent des années sont exigés pour ces nouvelles méthodes alors que les tests sur des animaux n’y ont pas été soumis -et ne pourraient pas y réussir.
Pourtant, des tests sur cellules humaines, la toxicogénomique et le microdosage, par exemple, avancent lentement mais sûrement vers l’arsenal avec lequel il faudra compter. Personne ne clame que ces nouvelles méthodes seraient parfaites loin de là mais elles sont meilleures, plus prometteuses et bien plus susceptibles d‘être améliorées que les tests sur des animaux. Mais nous avançons dans la bonne direction, et c’est le travail de personnes qui s’en inquiètent, à Antidote, EMP, Equivita, BUAV, PCRM (1) aux Etats-Unis, etc., de s’assurer que nous avançons le plus vite possible.
AE : Pensez-vous que la collaboration entre différentes associations soit utile ? Collaborez-vous régulièrement avec PCRM ? Avec d’autres associations ? Dans différents pays ?
JB : La collaboration est essentielle ! La force de notre cause et de nos arguments, quand nous travaillons ensemble, est supérieure à la somme des parties. Nous devons à tout prix faire front et nous aider les uns les autres ; le combat dans lequel nous sommes engagés fait intervenir des corporations grandes, riches, puissantes, et nous ne pouvons pas être efficaces individuellement face à elles. Travailler ensemble est important pour l’image que nous donnons à nos adversaires, mais aussi parce que cela nous permet de partager nos expertises, nos contacts, nos ressources.
Par exemple, je travaille avec EMP, PCRM, ainsi qu’avec un groupe demandant de mettre fin à la recherche sur les chimpanzés aux Etats-Unis (2). Non seulement ceci me donne une connaissance plus large de différents aspects de la recherche sur des animaux, mais c’est également bénéfique pour ces groupes car mes autres associations fournissent d’importants contacts, de l’aide, des connaissances, du soutien, non seulement à l’intérieur des groupes mais aussi auprès de personnes que je rencontre à l’extérieur, lors de conférences, etc.
Il est aussi utile d‘être associé à d’autres groupes dans d’autres pays, comme Antidote (France), Equivita (Italie), ou l’Association pour l’abolition des expériences sur les animaux (Suisse), par exemple, en raison des associations politiques de ces groupes dans chaque pays.
AE : Pouvez-vous résumer votre carrière, vos sujets de recherche ? Avez-vous, à quelque moment que ce soit, été obligé d’expérimenter sur des animaux ?
JB : L’utilisation d’animaux n’a jamais été un point central de mes recherches. Même avant que je participe activement dans des campagnes contre elle, je sentais instinctivement que cette activité devait être futile, en raison des différences entre les espèces ; et plus j’approfondis la question, plus je défends cette opinion. Tant que j‘étais actif dans la recherche en laboratoire (jusqu‘à il y a deux ans), je travaillais sur des tissus humains, donnés par des volontaires dans l’hôpital adjacent au laboratoire. Ceci nous a permis d’examiner des tissus utérins de femmes non enceintes (à partir d’hystérectomies), de femmes enceintes mais pas pendant le travail (qui subissaient des césariennes), et aussi de femmes enceintes pendant le travail (qui subissaient des césariennes d’urgence). En analysant l’activité des gènes dans ces tissus, nous avons pu mettre en évidence des différences impliquant certains gènes et processus moléculaires qui jouent un rôle dans le passage de l‘état inactif de l’utérus, à l‘état contractile pendant le travail et la naissance… dans le but d’identifier des cibles pour des médicaments capables d’arrêter la progression du travail prématuré, et de prévenir les naissances prématurées.
Bien que techniquement plus difficile que la recherche sur des animaux, ceci nous a toujours semblé la seule façon d‘élucider ce qui se passe pendant un accouchement humain. Des scientifiques que j’ai rencontrés lors de conférences, utilisaient des rongeurs, des brebis, des guenons pour étudier cette question -et je me suis toujours demandé pourquoi, alors qu’il y a tellement de tissu humain disponible qui peut nous donner directement des données pertinentes !
AE : Avez-vous eu des problèmes dans votre carrière, avec vos pairs, du fait de votre engagement contre l’expérimentation animale ?
JB : Pas moi, mais c’est parce que j’ai quitté le laboratoire pour m’engager à plein temps dans la campagne contre l’expérimentation animale. Donc, je ne dépends pas de fonds octroyés par des organismes qui regardent de travers quiconque remet en question les expériences sur les animaux, qu’ils financent ! C’est pourtant difficile de publier du travail qui attaque ou même émet des doutes sur la pertinence de l’expérimentation animale. Beaucoup de scientifiques considèrent l’expérimentation animale comme étant au-delà de tout reproche et bloquent activement toute tentative de publier du travail qui contredise cette idée. D’autres sont ambivalents au sujet de l’expérimentation animale ou simplement ne se sentent pas gênés par l’une et l’autre opinion, mais perçoivent les attaques à cette pratique comme des attaques à la science tout entière et aux scientifiques eux-mêmes -ce qui est grotesque et que nous devons tenter de changer. L’ironie, c’est que le questionnement et l‘évaluation sont l’essence de la recherche scientifique, sans quoi la science ne pourrait exister ! Il est pourtant évident que lorsque la carrière, la réputation, les finances des personnes sont touchées, tout change et l’objectivité est impossible.
Pourtant, j’ai été encouragé par la force du soutien de beaucoup de scientifiques que j’ai rencontrés. En privé, plusieurs milliers de scientifiques partagent notre préoccupation au sujet de la recherche et des tests sur des animaux, ce qui est une bonne chose. Ce à quoi nous devons travailler, c’est permettre à ces scientifiques de s’exprimer, sans avoir à craindre les foudres des échelons supérieurs des universités, sociétés, institutions académiques et éditeurs qui ne veulent pas mécontenter leurs alliés. Le temps viendra où une “masse critique” de soutien sera réunie et ceci pour le plus grand bénéfice de la science, de l’humanité, et des animaux utilisés dans les laboratoires.
- EMP : Europeans for Medical Progress ; BUAV : British Union for the Abolition of Vivisection ; PCRM : Physicians Committee for Responsible Medicine.
- Project R&R: Release and Restitution for chimpanzees in US Laboratories, supervisé par la New England Anti-Vivisection Society (NEAVS).