Pas de santé sans prévention
Le docteur Bernard-Pellet explique pourquoi il est beaucoup plus avantageux à tous points de vue de prévenir. Une prévention qui passe par des habitudes que chacun peut adopter mais aussi par une réforme de la recherche biomédicale.
Après des études secondaires au lycée Louis-le-Grand, Jérôme Bernard-Pellet a débuté son cursus médical à la faculté Necker à Paris où il a obtenu un doctorat en médecine générale. Féru de médecine fondée sur les niveaux de preuve, il est également diplômé en épidémiologie et en biostatistiques. Il exerce la médecine en tant que médecin généraliste remplaçant en région parisienne. Il est amené à faire tous les actes médicaux courants pratiqués par les médecins généralistes mais son activité est très orientée vers la nutrition. Souhaitant favoriser l‘émergence d’une politique de santé publique indépendante en nutrition, il est co-fondateur de l’APSARes (Association de Professionnels de Santé pour une Alimentation Responsable ;http://www.alimentation-responsable.com ) dont l’un des buts est de promouvoir la santé par une meilleure nutrition. A ce titre, il s’est intéressé aux alimentations végétariennes dont il est l’un des principaux spécialistes en France. Il participe à des conférences sur la nutrition partout en France ainsi qu‘à des débats dans les médias francophones notamment sur des chaînes de télévision nationales.
Comme chaque trimestre, nous vous proposons l’interview d’un scientifique, médecin cette fois, opposé à l’utilisation d’animaux pris comme modèles biologiques de l’homme. Ses réponses bien argumentées sont également pleines de bon sens et de conseils pratiques pour commencer dès aujourd’hui à vous occuper de votre santé.
Antidote Europe (AE) : En tant que médecin, vous vous intéressez beaucoup aux approches préventives. Etant donné que c’est une grande lacune des cursus de médecine, qu’est-ce qui vous a incité à aller dans cette direction ?
Jérôme Bernard-Pellet (JBP) : Durant vos études de médecine, vous avez l’obligation de faire de nombreux stages à l’hôpital où vous êtes confronté à des patients atteints de maladies graves voire en fin de vie. Il est frappant de constater qu’une grande partie de ces maladies (diabète de type 2, cancers, maladies cardio-vasculaires, maladies neurodégénératives) sont évitables en grande partie. Si on apprenait aux médecins et aux patients l’art de rester en bonne santé, notamment par le biais d’une bonne nutrition, de nombreuses souffrances seraient évitées et de nombreuses vies épargnées. En termes techniques, nous appelons ça la prévention primaire. Hélas, la prévention primaire est le parent pauvre de la médecine occidentale. Un certain effort est fait pour la prévention secondaire, qui consiste à dépister les maladies à un stade précoce. Mais il est hautement préférable de ne jamais tomber malade plutôt que de bénéficier d’un traitement même précoce, surtout lorsqu’on sait que les examens de dépistage ne sont pas fiables à 100%. Un examen de dépistage peut passer à côté d’un authentique problème de santé (faux négatifs). Autre écueil, il peut amener à détecter une maladie qui n’existe pas (ou qui n’est pas évolutive en tout cas) et alors à traiter un patient pour rien (faux positifs) ce qui est très difficilement acceptable, notamment pour les patients chez qui on diagnostique un cancer. Par conséquent, la prévention primaire devrait être la priorité des priorités dans l’enseignement et la pratique de la médecine, ce qui n’est malheureusement pas le cas.
AE : A votre avis, quels sont les éléments les plus importants pour que chaque individu puisse préserver sa santé ?
JBP : Il est beaucoup plus difficile de répondre à cette question qu’il n’y paraît. Bien sûr, il y a de nombreux paramètres sur lesquels on peut agir pour préserver sa santé. Par contre, des difficultés de méthodologie scientifique font qu’il serait bien téméraire d’avancer avec certitude une liste des 10 mesures les plus importantes à appliquer par ordre d’efficacité sur la mortalité globale et la morbidité à long terme. La raison est qu’il est très difficile d’isoler un paramètre par rapport aux autres lorsqu’on essaye d‘évaluer l’efficacité d’une mesure de médecine préventive. Néanmoins, certaines interventions de santé publique me paraissent particulièrement pertinentes. Le fait de bien se nourrir, avec une alimentation riche en légumes, céréales complètes, légumineuses et fruits, est une mesure fondamentale de prévention des cancers, du diabète, de l’obésité et des maladies cardiovasculaires. Les Japonais de l‘île d’Okinawa dont l’espérance de vie est l’une des plus élevées au monde, suivent une telle alimentation. Ne pas fumer et avoir une consommation très modérée voire nulle d’alcool sont deux autres mesures importantes. Mais cela n’est probablement pas suffisant. Il devient, au fil des années, de plus en plus évident que nous sommes tous exposés à des cocktails de produits chimiques dont les effets délétères à long terme sont préoccupants. A ce titre, privilégiez les aliments issus de l’agriculture biologique ce qui limitera votre exposition aux pesticides. Vous avez également tout intérêt à limiter votre exposition aux autres produits issus de l’industrie pétrochimique au strict nécessaire. Cette mesure concerne par exemple les produits ménagers, les cosmétiques, les plastiques au contact de l’alimentation notamment le plastique de type 7 et les additifs alimentaires. Consommer peu mais consommer bien pourrait être votre devise.
AE : Quel est votre avis sur l’expérimentation animale ?
JBP : Pour tout scientifique un tant soit peu rigoureux et honnête intellectuellement, il est très facile de comprendre que le métabolisme des animaux est différent du métabolisme des humains. Par conséquent, les résultats que l’on va obtenir sur l’animal ne seront pas transposables à l’homme et vont conduire à des prédictions très fréquemment erronées. De plus, l’expérimentation animale, en plus d‘être cruelle, détourne de précieuses ressources financières et humaines qui pourraient être mieux utilisées ailleurs, notamment dans la recherche épidémiologique de qualité qui étudie des populations humaines de façon non invasive bien sûr. Elle détourne aussi des ressources de l’utilisation de techniques plus rigoureuses sur le plan scientifique, comme la recherche sur des cellules humaines ou tout procédé d‘évaluation plus proche du fonctionnement métabolique réel de l’espèce humaine. Par ailleurs, l’expérimentation animale permet un peu trop facilement à mon goût de manipuler les résultats des études en sélectionnant les races et les souches qui donneront les résultats qui arrangent les industries qui financent ces mêmes recherches. Ce n’est plus de la science, c’est de la manipulation. Toutes ces pratiques sont condamnables et je pense que nous devons totalement repenser la recherche biomédicale. Par ailleurs, de récurrents scandales sanitaires comme celui du Médiator mais aussi d’autres moins ou non médiatisés devraient faire réfléchir : ces scandales sanitaires font en effet complètement voler en éclat l’idée que notre santé serait au centre des préoccupations de tous les partisans de l’expérimentation animale. C’est très loin d‘être le cas car l’expérimentation animale est un outil de choix pour masquer les défauts des produits chimiques et des médicaments. Les mentalités devraient évoluer et l’expérimentation animale devrait être considérée comme de la mauvaise science au lieu d‘être considérée à tort comme un mal nécessaire.
AE : Si vous étiez ministre de la Santé, quelles seraient vos premières mesures pour améliorer la situation actuelle ?
JBP : L’une de mes priorités serait de rétablir la séparation des pouvoirs entre l’industrie, le gouvernement et les agences sanitaires. En effet, il est totalement inadmissible que des personnes ayant travaillé dans l’industrie pharmaceutique ou dans l’industrie agroalimentaire puissent avoir des postes au gouvernement ou dans les organismes de contrôle et de régulation comme l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) ou de l’EMA (Agence européenne du médicament). Les conflits d’intérêt y sont tellement nombreux et caricaturaux que ça en devient ridicule. C’est comme si votre voisin géomètre avait construit un mur qui empiète sur votre terrain et que ce dernier était le géomètre choisi pour mener l’expertise visant à régler ce litige. Vous trouveriez cette situation ubuesque et vous protesteriez vigoureusement contre ce grossier conflit d’intérêt. Vous auriez bien raison. C’est pourtant ce qui se passe tous les jours dans le domaine du médicament, des produits chimiques mais aussi de l’alimentation, alors que les enjeux sont d’une toute autre dimension puisque des millions de vies humaines sont en jeu. De plus, il est totalement anormal que ce soient les industries pharmaceutiques elles-mêmes qui mènent les études qui évaluent leurs propres médicaments avant autorisation de mise sur le marché. Elles sont juge et partie bien sûr et ça a mené par exemple à l‘énorme scandale du médicament Vioxx qui a éclaté en 2004. On s’est aperçu que le laboratoire Merck n’avait pas publié les données montrant la toxicité cardiovasculaire de son médicament vedette. Résultat : 30 000 morts rien qu’aux Etats-Unis. Bizarrement, le nombre de morts en France n’a jamais été évalué par les autorités à ma connaissance. Vous remarquerez que les tests du Vioxx sur les animaux n’ont absolument pas permis de prévenir cette hécatombe. Les récents scandales sanitaires montrent qu’aucune leçon n’en a été tirée et que rien n’a changé. Il faudrait bien sûr que ce soit une agence sanitaire totalement indépendante qui évalue les médicaments, les produits chimiques et la sécurité sanitaire des aliments. La méthodologie des études devraient être publiée avant même de commencer l‘étude et tout le processus de recherche devrait être transparent et recevoir des financements exclusivement publics. Aucun employé ne devrait avoir le droit de travailler pour l’industrie pharmaceutique ou autre que ce soit avant ou après son passage à l’ANSESou toute autre agence sanitaire nationale. Ce n’est que du simple bon sens. Ainsi les risques de fraude scientifique seraient limités et on pourrait faire de la bonne science.
AE : Nous vous remercions vivement pour cette interview. Y a-t-il d’autres remarques que vous aimeriez partager avec nos lecteurs ?
JBP : J’aimerais dire aux lecteurs qu’il ne faut pas céder au pessimisme et au fatalisme. Il ne faut pas se lamenter mais au contraire agir. Nous avons trop longtemps toléré que les marchands du temple soient les gestionnaires quasi-exclusifs de notre santé avec la complicité active de nos gouvernements pour notre plus grand malheur. Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver nous-mêmes notre santé et luttons à notre niveau contre la corruption qui gangrène les instances dirigeantes. L’honnêteté et le dévouement de ceux qui travaillent vraiment pour l’intérêt général (en effet je ne parle pas de ceux qui font semblant) devraient être plus valorisés. Et l’affairisme de ceux qui ne travaillent que pour leur propre intérêt davantage condamné et pénalisé. Vu que ni les gouvernements, ni les agences sanitaires ne font correctement leur travail pour l’instant, alors les quelques associations réellement indépendantes ainsi que les citoyens de base doivent prendre le relais. En tant que citoyen, vous pouvez à chaque fois que c’est possible refuser de financer la mauvaise science en boycottant les produits testés sur des animaux. Plus largement, évitez d’acheter tous les produits dont vous pensez que l’attitude de l’entreprise qui les fabrique n’est pas éthique et dessert l’intérêt général. Cela va vous conduire à consommer peu mais mieux. Soyez curieux intellectuellement. Posez-vous des questions et posez des questions constructives et pertinentes aux entreprises qui fabriquent des produits suspects et aux politiques qui les autorisent. Mettez en lumière les conflits d’intérêt par vos propres recherches et demandez des explications à ceux qui laissent faire ces pratiques. N’hésitez pas à partager avec nous les réponses que vous obtiendrez.