John Pippin sur la recherche en cardiologie
Un cardiologue hautement respecté, le Dr Pippin est devenu un adversaire déclaré de la vivisection et un défenseur des méthodes de substitution. Il a également été fondateur et directeur du département de médecine cardiovasculaire et d’imagerie médicale à la Clinique Cooper. Le Dr Kenneth Cooper, fondateur et président de cette clinique, lui a donné un ultimatum : arrêter son opposition publique à la recherche sur des animaux ou quitter la clinique.
Critiquer ouvertement l’‘expérimentation animale représente, trop souvent encore, la mise en danger d’‘une carrière scientifique. Vous en trouverez un nouvel exemple dans cette interview de John J. Pippin, un médecin états-unien avec lequel nous sommes régulièrement en contact.
Claude Reiss, le président d’Antidote Europe, aurait pu en témoigner lui-même : il est désastreux, pour une carrière de scientifique, de s’opposer à l’expérimentation animale et, surtout, de le faire savoir ! Il ne regrette pas son choix et félicite ici à la fois l’interviewer (André Ménache) et l’interviewé pour cet autre témoignage qui montre “comment l‘éthique conduit vers la logique, comment le coeur rejoint la raison”.
Antidote Europe (AE) : Dr Pippin, vous êtes actuellement l’un des principaux consultants scientifiques de PCRM, une association états-unienne de médecins, scientifiques et grand public qui oeuvre pour une médecine préventive, en particulier par une bonne nutrition, et intervient dans des controverses au sein de la médecine moderne, y compris sur des sujets éthiques ou scientifiques dans l’enseignement et la recherche. Mais vous êtes aussi un cardiologue accompli aussi bien en tant que chercheur que dans la pratique clinique. Pouvez-vous brièvement décrire, pour nos lecteurs, les événements pivots qui ont façonné votre carrière ?
Dr John J. Pippin (JJP) : Si je regarde en arrière, je vois deux prises de conscience à dix-sept ans d’intervalle. Mon premier réveil, en 1987, a été à la fois scientifique et éthique. J’expérimentais sur des chiens pour étudier des méthodes d’imagerie cardiaque et je croyais que ces recherches étaient essentielles pour progresser face aux maladies humaines. Mais j’ai réalisé que cela servait ma carrière et mon prestige professionnel sans contribuer de façon importante à la médecine humaine. J’ai alors examiné les recherches de mes collègues et la recherche dans plusieurs domaines de la médecine, et je suis arrivé à la même conclusion.
J’ai alors examiné de plus près le problème éthique. Mes propres chiens faisaient partie de la famille et pourtant je disséquais d’autres chiens pour… au fait, pour quoi ? Alors que la fraude de la vivisection devenait une évidence pour moi, je ne pouvais plus regarder mes chiens sans réaliser l’hypocrisie de ma carrière. Et je suis donc arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas de justification éthique à la vivisection, indépendamment de tout bénéfice proposé ou espéré pour les humains, simplement parce que des êtres sensibles doivent être délivrés de l’exploitation, de la douleur, de la souffrance émotionnelle et de la mort imposées par les humains.
Ma seconde prise de conscience date d’octobre 2004, quand j’ai été confronté à un sérieux dilemme. J‘étais connu en tant qu’opposant à la vivisection et défenseur des méthodes de recherche alternatives, et ceci m’a amené à être en conflit avec la direction de la clinique Cooper, où j‘étais le directeur fondateur de l’unité de médecine cardiovasculaire et d’imagerie médicale. Le fondateur et président de la Clinique m’a lancé un ultimatum : cesser mon opposition publique à la recherche avec des animaux ou quitter la Clinique.
C’est comme si une lumière s‘était allumée. J’ai réalisé que je pouvais faire davantage de bien en développant mon engagement envers tous les animaux, et pas seulement en soignant des personnes. J’ai quitté le bureau du Dr Cooper sans emploi mais avec une mission. Peu après, j’ai rejoint PCRM comme consultant et, plus tard, je suis devenu directeur des campagnes sur l’utilisation des animaux dans la recherche, les essais de médicaments et l’enseignement. Je n’ai jamais regretté la décision de mettre la médecine de côté pour me consacrer à ce plus grand dessein.
AE : Souvent, nos meilleurs porte-parole sont des scientifiques comme vous-même, dont l’angle de perception a changé et qui ont le courage d’admettre que leur travail sur des animaux était un leurre. D’après vous, que devrait-il se produire pour qu’il existe une “masse critique” de scientifiques ayant effectué cette prise de conscience de sorte que l‘édifice de la mauvaise science s‘écroule ?
JJP : Je ne pense pas que le remplacement des animaux se fera de l’intérieur, c’est-à -dire par des changements mis en oeuvre par les chercheurs qui utilisent des animaux. Des intérêts personnels très forts et l’influence des pairs empêchent les vivisecteurs de penser ou d’agir en dehors du paradigme de la recherche avec animaux. Vous ne pouvez pas être membre du “club” à moins de souscrire au credo, et c’est tuer sa carrière que de prendre l’autre direction. Des chercheurs qui utilisent les animaux m’ont, en public et en privé, insulté, décrié, maudit, traité de traître et pire, pour avoir brisé le voeu secret. Ce que les vivisecteurs pensent ou disent de moi m’est bien égal, mais pour ceux qui aspirent à une carrière de chercheur, ceci peut être très intimidant.
Mais tout cela ne signifie pas que nous n’allons pas gagner. Au contraire, je pense que l’exposé des échecs pratiques et scientifiques de l’expérimentation animale, le développement d’une médecine globale centrée sur l’humain, l’information croissante du public dans ces deux domaines, vont mener à un remplacement progressif des animaux dans la recherche médicale. Ceci est déjà en train de se produire dans l’enseignement de la médecine, dans les essais de substances chimiques et dans le développement de médicaments, et en est aux étapes préliminaires pour la recherche médicale.
AE : L’enseignement est un domaine crucial. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail avec PCRM pour remplacer les animaux dans les écoles de médecine aux Etats-Unis ?
JJP : Ce thème est un champ de succès qui, non seulement sauve des vies animales et améliore l’enseignement médical, mais aide aussi à changer le panorama de sorte que nous avons un terrain plus fertile pour demander le remplacement des animaux dans la recherche médicale. Il y a un quart de siècle, des laboratoires avec des animaux vivants existaient dans toutes les écoles médicales aux Etats-Unis : 107 écoles médicales en utilisaient. Vers 1996, ce nombre était tombé à 77 et, avec les avancées dans la simulation médicale et les études basées sur l’observation humaine, il était encore tombé à 40, en 2001.
Aujourd’hui, il n’y a plus que 8 écoles médicales qui ont des laboratoires avec des animaux vivants, alors que le nombre total de ces écoles est monté à 154. L’un des faits les plus encourageants est que les 9 écoles médicales ayant ouvert leurs portes ou prévu d’ouvrir entre 2007 et 2009 proposent un enseignement sans animaux dès leur conception. Il est clair que les actuels critères d’excellence n’incluent pas l’utilisation d’animaux et, inévitablement, le poids du progrès et d’une évaluation minutieuse va éliminer l’utilisation d’animaux vivants dans l’enseignement médical. Ce sera un jour de fierté, mais juste un pas de plus vers de plus grands progrès.
AE : En 2005, vous avez témoigné devant la Food and Drug Administration (FDA) et l’Institut de médecine (IOM) des Etats-Unis sur la façon dont des résultats trompeurs d’expérimentation animale avaient contribué à l’approbation de l’anti-arthritique Vioxx. Pouvez-vous nous donner un éclairage sur ce témoignage ?
JJP : L’expérience a été porteuse d’espoir car ces forums ont servi à sensibiliser sur le rôle des tests trompeurs sur animaux dans la crise de la sécurité des médicaments. Mais elle a aussi été décourageante car il n’y avait pas un seul autre intervenant à ces audiences pour évoquer ce problème, et parce que l’expression “désintérêt poli” est celle qui décrit le mieux les réponses de la FDA et de l’IOM.
Nous avons réussi à signaler que le Vioxx n‘était que le dernier et plus spectaculaire exemple du lien entre tests sur animaux et mauvaises décisions d’approbation de médicaments. Le Vioxx s’est avéré sûr et efficace dans au moins huit études sur six espèces et lignées animales, et même cardioprotecteur dans certaines études. Pourtant, ce médicament est suspecté d’avoir entraîné au moins 60.000 décès d’Américains (davantage que ceux qui sont morts dans la guerre du Vietnam) et 140.000 estimés dans le monde.
Faire confiance à des résultats inexacts de tests sur des animaux est néfaste de deux façons : cela contribue à faire accepter de mauvais médicaments et cela empêche d’accepter de bons médicaments. A l‘époque de mon témoignage, le problème des tests sur des animaux était ignoré à la fois par la FDA et par l’IOM. Mais depuis, il y a eu des rapports importants qui ont mené à des efforts au plus haut niveau pour identifier et mettre en oeuvre des méthodes centrées sur l’humain en remplacement des tests avec animaux, pour les médicaments et autres substances chimiques. Les organisations qui se battent pour cela n’en recevront probablement jamais la reconnaissance mais, sans elles, ceci ne serait pas arrivé de si tôt ou ne serait pas susceptible d’arriver du tout.
Il me paraît opportun d’ajouter ici que, pour le remplacement des animaux dans les domaines de l’enseignement et des tests de médicaments, le Royaume Uni et l’Europe sont loin devant les Etats-Unis. Je pense qu’il est honteux que l’intransigeance et l’arrogance scientifique, réglementaire et financière aient empêché les Etats-Unis d’apprendre et d’avancer au même pas que nos collègues européens.
AE : Quelles pensées non évoquées au cours de cet entretien voudriez-vous partager avec nos lecteurs dans votre conclusion ?
JJP : Je crois que le message le plus important est que nous allons gagner : le changement et le progrès scientifique sont inévitables. Bien que nous aimerions voir ceci se produire bien plus rapidement, il est très encourageant de voir le changement dans les attitudes et les actions au cours des seules quelques années passées. Ignorées et méprisées il y a seulement quelques années, les questions sur l’utilisation d’animaux ne sont pas de nos jours seulement sur la table ; elles sont défendues par certains de nos anciens adversaires. L’acceptation du principe de remplacer les animaux dans l’enseignement, le développement de médicaments ou les tests de produits a progressé dans les media, le public, les enseignants, les responsables de la réglementation et même les scientifiques.
Un jour, nous regarderons en arrière vers cette époque d’expérimentation animale déraisonnable et inhumaine, et nous nous demanderons à quoi nous pouvions bien penser. Je suis assez égoïste pour espérer vivre assez pour voir ce jour.
AE : Merci beaucoup pour votre temps. Nous vous souhaitons, à vous et à PCRM, de grands succès dans votre excellent travail.
Le docteur John J. Pippin, membre de l’American College of Cardiology, est expert dans les domaines de la médecine interne et des maladies cardiovasculaires. Il a enseigné dans plusieurs écoles universitaires de médecine, y compris la Harvard Medical School et le Medical College of Virginia, dans lequel il a été nommé “Professeur de cardiologie de l’année” par trois fois. Il a été responsable de plusieurs départements cliniques, de recherche ou administratifs. Il a été le directeur du département de médecine cardiovasculaire et d’imagerie médicale à la Cooper Clinic de Dallas, avant de rejoindre le Comité des médecins pour une médecine responsable (Physicians Committee for Responsible Medicine PCRM) en 2005. Il a signé ou co-signé plus de 60 articles publiés dans les revues médicales les plus prestigieuses. Il a été invité à participer à l’Atelier de protection des sujets humains, organisé par l’Institut national de la santé des Etats-Unis, le Collège américain de cardiologie et la Société de médecine nucléaire.