La Food and Drug Administration* a échoué dans sa mission de santé publique
D’après un entretien avec David Gortler
* La Food and Drug Administration est l’autorité étasunienne en charge de la sécurité des aliments et des médicaments
Lorsqu’un ancien professeur à l’Université Yale et ancien officier médical nommé par la Maison Blanche à la Food and Drug Administration (FDA) est licencié par un président entrant et que tous ses projets de santé publique en cours sont abruptement interrompus, des alarmes devraient commencer à sonner. Le Dr David Gortler a été obligé de démissionner de son poste de cadre exécutif dirigeant à la FDA en 2019, après avoir servi les Américains pendant un peu plus d’une année.
Le Dr Gortler n’est pas un scientifique ordinaire. Il est pharmacologue, pharmacien et membre, expert en politique de santé, du groupe de réflexion Centre pour l’éthique et la politique publique, à Washington DC. Il a été professeur de pharmacologie, biotechnologie et affaires réglementaires de la FDA à l’École de médecine de l’Université Yale, où il a aussi servi en tant que membre universitaire du Centre de bioéthique de Yale. Il a été officier médical plus tard engagé par la Maison Blanche pour servir dans l’Équipe dirigeante exécutive de la FDA en tant que conseiller cadre du commissaire de la FDA en charge de la sécurité des médicaments, la politique scientifique de la FDA et les affaires réglementaires de la FDA. En tant qu’expert en sécurité des médicaments, il avait étroitement surveillé les effets secondaires associés à la nouvelle administration d’ARN messager. Pire encore, son poste à la sécurité des médicaments à la FDA n’a toujours pas été attribué à une autre personne, encore moins à une personne avec l’expérience et les connaissances spécialisées de Gortler.
Il a aussi travaillé d’une multitude d’autres façons pour réformer et moderniser plusieurs domaines clés à la FDA, parmi lesquelles ses recherches pour éliminer l’exigence de la FDA d’essais cruels, obsolètes et peu prédictifs sur des animaux, en proposant la validation de la technologie avancée des organes humains sur puce (OOC) : « En plus de réduire l’expérimentation cruelle, cette technologie pourrait aussi permettre d’accélérer grandement le développement et l’approbation des médicaments. Tout le monde y gagnerait : les patients, les scientifiques, et surtout les chiens et autres animaux d’Amérique ».
La FDA a recommandé les essais sur des animaux pendant près de cent ans. L’exigence légale « Kefauver-Harris Act » d’essais sur des animaux a été actualisée pour la dernière fois en 1962. Depuis, beaucoup d’avancées technologiques et d’abondantes données publiées se sont accumulées sur la piètre capacité des essais sur des animaux à prédire les réponses humaines, mais la FDA ne s’est pas adaptée aux temps modernes.
Gortler a d’abord pensé qu’il s’agissait d’un oubli de la FDA et il a entrevu une solution sous la forme de financements de démarrage pour encourager l’implémentation de la technologie OOC en tandem avec les essais traditionnels sur des animaux pour tester la « preuve de concept » et la capacité prédictive afin de totalement valider l’OOC et potentiellement remplacer les essais sur des animaux. Après des recherches de plusieurs mois sur la technologie, il est clairement apparu qu’elle méritait d’être mieux étudiée. Toutefois, bien que le coût de ce projet fut minime, aucune valeur en dollars n’a pu être placée sur les potentielles avancées éthiques et humaines d’un tel projet. De plus, des études antérieures avaient montré que la technologie OOC était plus rapide, moins coûteuse et potentiellement plus prédictive que les essais sur des animaux, puisque la technologie des organes sur puce utilise des lignées cellulaires humaines plutôt qu’animales.
Lorsque Gortler a tenté d’alerter la FDA sur ceci, il a été combattu à chaque pas par des bureaucrates enracinés qui ont refusé de mettre de côté leurs dogmes politiques, même au nom de la science ou pour éviter de la souffrance animale.
Ceci ressemble beaucoup à un exemple de « capture réglementaire » qui est une forme de corruption de l’autorité qui se produit quand la priorité est donnée à un intérêt particulier plutôt qu’à l’intérêt général du public, menant à une perte sèche pour la société.
Tout aussi stupéfiante est la reconnaissance par la FDA même, en 2004, que 92 % des médicaments qui passent avec succès les essais précliniques, y compris des essais « cruciaux » sur des animaux, échouent à atteindre le marché. Une analyse plus récente suggère que le taux d’échec aurait en fait augmenté et serait maintenant proche de 96 %. Les principales causes d’échec sont le manque d’efficacité et les problèmes de sécurité qui ne sont prédits par les essais sur des animaux.
Ceci doit être assurément un des chapitres les plus grotesques de l’histoire des sciences et de la médecine. Le grand public ne tolèrerait pas cette situation s’il avait connaissance de ces faits et chiffres, raison pour laquelle, peut-être, des pays comme les Pays-Bas voudraient abandonner ces types d’essais sur des animaux d’ici à 2025.
Gortler est plus progressiste encore : « Cela ne me prendrait pas jusqu’en 2025 pour implémenter des études confirmant la preuve de concept. J’aurais immédiatement des fonds garantis et/ou une annulation des frais de dossier à la FDA ou autre moyen pour tester si les essais sur organes sur puce peuvent être validés en temps réel, si j’avais le pouvoir de le faire. La FDA a la capacité de « fixer le standard » pour potentiellement éliminer les essais sur des animaux. Si la FDA le faisait, la règlementation descendrait en cascade jusqu’à l’ensemble de la recherche faite par l’industrie pharmaceutique et les universités ».
Gortler conclut : « Les exigences inutiles de cruauté envers les animaux sont un sujet non partisan, s’il en est. Tout le monde adore ses animaux de compagnie, indépendamment de toute opinion politique. Cette position partisane « nous contre eux » n’a pas sa place quand il s’agit de développement de médicaments, éthique, santé publique ou cruauté envers les animaux. Pourtant, quand j’étais à la FDA, cela n’a pas empêché Patrizia Cavazzoni, psychiatre et ancienne cadre de Pfizer (c’est-à-dire cadre non scientifique dans son rôle précédent) qui a été promue au poste scientifique le plus puissant à la FDA sous Biden, de refuser de ne serait-ce que permettre la discussion sur ce sujet avec moi ainsi que d’examiner le long article de recherche que j’avais écrit sur les énormes avantages des organes sur puce. Cavazzoni -et elle seule- a le pouvoir d’implémenter les essais de validation. Malheureusement, il semble qu’elle pense que mes propositions d’alternatives aux essais sur des animaux ne méritent pas qu’on en discute, encore moins qu’on les prenne en considération. Cette sorte de traitement partisan de camarades scientifiques de la FDA n’a sa place nulle part, encore moins en Amérique ».