Le singe ou le mini-porc
Lettre ouverte : le singe ou le mini-porc ?
Un projet européen propose de remplacer des singes par des mini-porcs pour certains essais de médicaments destinés à l’être humain. Antidote Europe et six autres associations ont envoyé une lettre ouverte aux responsables du projet, dénonçant l’inadéquation du modèle mini-porc et demandant l’utilisation de méthodes modernes et pertinentes.
Fin 2024, nous avons appris le lancement du projet NHPig par l’Initiative en matière de santé innovante (IHI), financé à hauteur de 17,5 millions d’euros par l’Union européenne et l’industrie, surtout pharmaceutique. “NHP” est une abréviation courante pour “Non-human Primate” (primate non humain), détournée ici en remplaçant “primate” par “pig” (porc). C’est le but : utiliser des mini-porcs plutôt que des singes pour certains essais réglementaires lors du développement de médicaments destinés à l’être humain.
Des singes sont couramment utilisés dans le cadre de ces essais, avant que le candidat-médicament ne soit testé sur l’être humain lui-même. Or, le singe étant l’animal le plus semblable à nous, son utilisation en laboratoire suscite de vives préoccupations morales. C’est pourquoi des chercheurs proposent de le remplacer par un autre animal, le mini-porc en l’occurrence. Au moins trois objections sont possibles. D’abord, est-il prouvé que le mini-porc serait un meilleur modèle biologique de l’être humain que le singe (à supposer qu’il soit prouvé que le singe en soit un !) ? Ensuite, est-il prouvé que le mini-porc éprouverait moins de souffrance que le singe ? Enfin, jusqu’à quand les autorités de réglementation vont-elles continuer à ignorer les méthodes in vitro disponibles au 21ème siècle ?
Informer le grand public
Le 26 décembre 2024, André Ménache publiait sur son blog hébergé par Mediapart une tribune intitulée : « La Commission européenne continue d’ignorer les technologies du 21ème siècle ». Alors que les médicaments ont été testés sur des rats, des chiens ou des singes, leurs effets secondaires provoquent des milliers de morts et des centaines de milliers d’hospitalisations chaque année en France. Miser sur les mini-porcs revient à faire fi des méthodes modernes, comme les organes sur puce, qui ont déjà fait leurs preuves sur le plan scientifique. Vous pourrez lire en intégralité cette tribune sur https://blogs.mediapart.fr/andre-menache/blog/261224/la-commission-europeenne-continue-dignorer-les-technologies-du-21eme-siecle
Interpeler les responsables
Le 29 janvier 2025, Antidote Europe signait une lettre ouverte adressée au directeur exécutif de l’IHI, au président de l’Université Ludwig Maximilians de Munich (Allemagne) et à la directrice exécutive de Novo Nordisk, une firme pharmaceutique danoise. Ces scientifiques soutiennent le projet NHPig. La lettre ouverte a été signée aussi par six autres associations : Animal Interfaith Alliance (Royaume-Uni), Artze gegen Tierversuche (Allemagne), Caring Vets (Pays-Bas), Lega anti vivisezione (Italie), Progressive Veterinary Association (Royaume-Uni) et Safer Medicines (Royaume-Uni). Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral de cette lettre ouverte.
Le 31 janvier, nous recevions une réponse du Dr Niklas Blomberg, directeur exécutif de l’Initiative, suite à laquelle nous demandions de nouvelles précisions le 1er février. Le 10 février, nous recevions une réponse comportant des informations sur le panel d’experts ayant approuvé l’Initiative. Le Dr Blomberg nous renvoyait à des pages internet que nous avons étudiées mais dans lesquelles nous n’avons pas trouvé toutes les précisions que nous demandions. Le 20 février, nous adressions un nouveau courrier électronique au Dr Blomberg, lui indiquant que les mini-porcs sont séparés de l’être humain par encore plus de millions d’années d’évolution que les singes, ce qui ne saurait faire d’eux de bons modèles biologiques pour nous. Le 28 février enfin, le Dr Blomberg accusait réception de notre courriel mais rappelait que l’Initiative a été approuvée par des experts. Il semblerait qu’il ne soit pas possible d’aller plus loin dans nos échanges.
Nous aurons quand même réussi à mettre en lumière nos objections à cette Initiative au travers de la tribune d’André Ménache publiée sur son blog hébergée par Mediapart, ainsi qu’au travers de notre lettre ouverte signée et relayée aussi par six autres associations européennes. Vous pouvez, vous aussi, participer à cette action en diffusant le lien vers cet article auprès de vos correspondants et sur les réseaux sociaux. N’hésitez pas !
Lettre ouverte
Dr Niklas Blomberg, Directeur exécutif Initiative en matière de santé innovante, Union européenne
Pr Dr h.c. Bernd Huber, Président de l’Université Ludwig Maximillian de Munich (Allemagne)
Dr Ulla Grove Krogsgaard Thomsen, Directrice exécutive Novo Nordisk (Danemark)
Chers Dr Blomberg, Professeur Huber et Dr Krogsgaard Thomsen,
Nous, les individus et organisations soussignés, souhaitons exprimer notre plus profonde consternation au sujet de votre participation et soutien au projet NHPig.
Utiliser des mini-porcs à la place de primates non humains dans le cadre des essais réglementaires contredit certains principes de base de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.
La section 10 de l’introduction de la directive stipule clairement que l’objectif final est « le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique. À cette fin, elle cherche à faciliter et à promouvoir les progrès dans la mise au point d’approches alternatives. »
L’industrie pharmaceutique et les autorités de réglementation ont compté sur les données animales durant les 75 dernières années dans le cadre de l’autorisation de commercialiser des médicaments pour l’homme. Alors que cette stratégie a pu sembler scientifiquement et éthiquement acceptable lors de son introduction en 1947, elle n’est plus adaptée à son objectif au 21ème siècle.
L’industrie pharmaceutique et les autorités de réglementation elles-mêmes fournissent les preuves empiriques les plus convaincantes contre l’utilisation d’animaux en tant que modèles pour le développement de médicaments pour l’homme : « En 2004, la FDA a estimé que 92 % des médicaments qui passent avec succès les essais précliniques, y compris des essais « capitaux » sur des animaux, échouent à atteindre le marché. Des analyses plus récentes suggèrent que, en dépit d’efforts pour améliorer la prédictivité des essais sur des animaux, le taux d’échec a même augmenté, étant maintenant proche de 96 %. Les principales causes d’échec sont le manque d’efficacité et les problèmes de sécurité qui n’ont pas été prédits par les essais sur des animaux. » (1)
La justification scientifique de l’utilisation des mini-porcs n’est pas claire et il existe une préoccupation multinationale sur le fait de « remplacer » des primates non humains par des mini-porcs. Par exemple, le tout récemment publié « Rapport du comité britannique Animaux en sciences au sujet des primates non humains utilisés pour des licences de services » stipule : « Bien que d’aucuns puissent considérer comme un raffinement l’utilisation de mini-porcs ou de chiens à la place de primates non humains, il y a une absence de preuves scientifiques pour suggérer que les chiens ou les mini-porcs pourraient « souffrir moins » que les primates non humains et, en tout cas, une telle substitution ne serait ni scientifiquement valide ni éthique, à moins que d’autres critères (par exemple, métabolisme, disposition ou pharmacocinétique) soient également appropriés dans ces espèces » (2).
De même, le fait que si on considère les chiens, les singes et les mini-porcs, il ne peut pas être supposé qu’ils diffèrent quant à la douleur et la souffrance qu’ils ressentent, fait partie des découvertes du projet international mini-porcs RETHINK (3).
Nous déclarons également notre profonde préoccupation au sujet du conflit d’intérêts manifeste, notant la participation de l’éleveur et fournisseur global de mini-porcs Ellegaard Gottingen.
Méthodes d’essai pertinentes pour l’homme pour remplacer l’utilisation d’animaux
De nombreuses technologies et approches basées sur la biologie humaine sont disponibles pour le développement et les essais de nouveaux vaccins et produits biologiques pour l’homme, dont :
Le développement de vaccins personnalisés
Les nouveaux domaines de la vaccinomique et l’adversomique fournissent des modèles qui permettent la caractérisation globale des réponses immunitaires innées, humorales et cellulaires intégrées à un niveau de biologie des systèmes. Ceci a fait avancer la science au-delà des approches scientifiques réductionnistes en révélant de nouvelles interactions entre et à l’intérieur du système immunitaire et d’autres systèmes biologiques (au-delà du niveau transcriptionnel) qui sont décisives pour développer des réponses humorales et cellulaires adaptatives « en aval » face aux pathogènes infectieux et aux vaccins (4).
Système MIMIC
La plateforme basée sur des cellules humaines autologues MIMIC® (Construction modulaire immune in vitro) permet l’évaluation de l’immunité innée et adaptative in vitro, y compris les réponses naïves et de rappel (5).
Follicule microfluidique sur puce
Le modèle humain du follicule lymphoïde pourrait être extrêmement utile pour l’évaluation préclinique de l’efficacité vaccinale. Le follicule microfluidique sur puce contient des cellules B, T, plasmatiques et présentatrices d’antigènes pour tester les réponses immunitaires fonctionnelles face aux vaccins et aux adjuvants in vitro (6).
Nous pensons que les 17,5 millions d’euros alloués au projet NHPig pourraient être plus productivement investis dans celles-ci et autres méthodes d’essai et de recherche pertinentes pour l’être humain. Des technologies supérieures basées sur la biologie humaine pourraient transformer la médecine si celle-ci était délivrée du boulet de la recherche sur des animaux. Nous connaissons les étapes que le gouvernement, l’industrie, l’université et les agences de réglementation ont besoin de franchir pour faire la transition vers des technologies humaines pertinentes transformatives (7,8).
Nous demandons que les financements soient dirigés vers ces méthodes de façon à faire avancer la science, produire des médicaments plus sûrs et en fin de compte améliorer la santé publique.
Aimables salutations,
Dr André Ménache, vétérinaire, BSc(Hons) BVSc Dip ECAWBM MRCVS
Organisations en soutien de cette Lettre ouverte (par ordre alphabétique)
1 Animal Interfaith Alliance (UK) Animal Interfaith Alliance – Faiths Working Together for Animals
- Antidote Europe (France) antidote-europe.eu
- Arzte gegen Tierversuche (Germany) Ärzte gegen Tierversuche e.V. – Ärzte gegen Tierversuche
- Caring Vets (Netherlands) Caring Vets – Dierenartsen voor Dierenwelzijn
- Lega anti vivisezione (Italy) lav.it
- Progressive Veterinary Association (UK) pva.vet
- Safer Medicines (UK) Home – Safer Medicines
Références
- Akhtar A. The flaws and human harms of animal experimentation. Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics. 2015 Oct;24(4):407-19.
- Animals in Science Committee. Non-human primates used in service licences. October 2024. https://assets.publishing.service.gov.uk/media/6710ec91b40d67191077b27a/ASC+Non-Human+Primates+Used+in+Service+Licences+-+Report+and+Recommendations.pdf
- Forster R, Bode G, Ellegaard L, van der Laan J. The RETHINK project on minipigs in the toxicity testing of new medicines and chemicals: Conclusions and recommendations. Journal of Pharmacological and Toxicological Methods. 2010 Nov-Dec; 62(3):236-242.
- Poland GA, Ovsyannikova IG, Kennedy RB. Personalized vaccinology: a review. Vaccine. 2018 Aug 28;36(36):5350-7.
- Dauner A, Agrawal P, Salvatico J, Tapia T, Dhir V, Shaik SF, Drake III DR, Byers AM. The in vitro MIMIC® platform reflects age-associated changes in immunological responses after influenza vaccination. Vaccine. 2017 Oct 4;35(41):5487-94.
- Modeling a Better Human Immune Response to Vaccination Using Lymphoid Follicle Organ-Chips. https://emulatebio.com/modeling-human-immune-response-lymphoid-follicle-organ-chips/ (Accessed 9/1/2025)
- Alliance for Human Relevant Science. Accelerating the growth of human relevant life science in the United Kingdom. A White Paper by the Alliance for Human Relevant Science, UK, 2020. https://www.humanrelevantscience.org/white-papers/
All Party Parliamentary Group for Human Relevant Science. Bringing back the Human: Transitioning from animal research to human relevant science in the UK, UK, 2022. https://www.humanrelevantscience.org/all-party-parliamentary-group/bringing-back-the-human-transitioning-from-animal-research-to-human-relevant-science-in-the-uk/