Lettre ouverte à Mme Marisol Touraine
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Madame Marisol TOURAINE
Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes
14, avenue Duquesne
75350 PARIS 07 SP
Paris, le 20 janvier 2016
LETTRE OUVERTE
Madame la Ministre de la Santé,
Le drame des essais cliniques de Rennes, un « évènement d’une extrême gravité », dites-vous. Ne serait-ce pas plutôt un dramatique mais banal effet secondaire de médicament, comme il s’en reproduit des dizaines de milliers par an en France ? Selon un de vos prédécesseurs, M. Bernard Kouchner, il y avait, déjà en 1997, 20 000 morts et 1,3 millions d’hospitalisations par an en France, du seul fait d’effets secondaires de médicaments, tous testés « avec succès » sur des animaux « modèles ». La cause première et unique de cette hécatombe, y compris de ce drame de Rennes : la confiance aveugle, pour des questions de santé humaine, dans les résultats obtenus précisément sur des animaux « modèles ».
La notion de « modèle » est, en biologie, une pure fiction : aucune espèce n’est un modèle biologique pour une autre. La preuve irréfutable est dans la définition même d’une espèce, son isolement reproductif (les gamètes mâles et femelles ne peuvent se recombiner s’ils ne proviennent pas de la même espèce). Les patrimoines génétiques d’espèces différentes sont donc différents, chaque espèce va réagir à une maladie ou à une agression extérieure avec ses gènes, il n’y a donc aucune raison que la réaction à un candidat médicament d’un chien soit identique à celle d’un singe, ou que celles d’un chien ou d’un singe soient identiques à celle d’un humain. C’est une évidence scientifique qui s’impose sans discussion si on veut éviter des drames, qui font la une des journaux comme l’affaire de Rennes, ou qui se déroulent dans l’anonymat pour les dizaines de milliers de morts, victimes d’effets secondaires de médicaments tous les ans. Vos services de pharmacovigilance ont dû vous en communiquer le chiffre, mais il est sans doute frappé du sceau « Secret », puisque nous vous l’avons déjà demandé plusieurs fois, en vain jusqu’ici.
Ne faut-il donc plus tester les médicaments ? Si, bien sûr ! Mais le seul modèle valable de l’homme est… l’homme, et pour commencer le matériel biologique d’origine humaine. Avant les tests cliniques de phases 1, 2, 3 et 4 (rarissime !), il faudrait un test « zéro » :
(1) de pharmacogénomique sur des cellules pluripotentes induites obtenues auprès de personnes saines de sexes, d’âges et d’ethnies différents, différenciées dans l’une ou l’autre des 243 lignées cellulaires humaines ; ce test met en évidence les organes affectés, les gènes dérégulés par le candidat médicament, les voies pathologiques dans lesquels ce dernier engage les cellules ;
(2) sur des « miniorganes » générés à partir des cellules pluripotentes induites (mini cerveau, mini foie, mini rein…), dont les réactions sont analysées par génomique comme ci-dessus.
Ce sont là deux tests précliniques, valables pour l’homme, rapides, d’un coût abordable, largement utilisés à l’étranger, mais d’autres peuvent les compléter. Affecter à ces méthodes, et aux recherches scientifiques pour d’autres, les moyens gaspillés en France dans des tests sur les soi-disant « modèles » animaux permettrait d’éviter les drames dus aux effets secondaires et le sacrifice de volontaires qui ont fait confiance aux paroles des cliniciens. Pourquoi ces derniers, s’ils étaient tellement sûrs de l’innocuité des candidats médicaments, ne s’y sont-ils pas exposés eux-mêmes ?
Sachant à présent que la notion de « modèle » animal n’a aucune valeur en ce qui concerne la santé humaine, mais conduit bien souvent à de graves accidents, il vous appartient, au nom des pouvoirs attachés à votre fonction, de mettre un terme sans délai à l’utilisation de ces prétendus « modèles ». Vous engageriez sinon votre responsabilité personnelle, comme ce fut le cas en son temps dans le scandale du sang contaminé.
Veuillez agréer, Madame la Ministre de la Santé, l’expression de notre haute considération.
Claude Reiss
Président