Lettre ouverte à M. Phillip Dunne, secrétaire d’Etat britannique à la Défense, sur l’utilisation de cochons dans des exercices d’entraînements militaires
Nous vous demandons respectueusement de prendre en considération le poids des arguments moraux, scientifiques, pédagogiques et légaux suivants à l’encontre de cette pratique.
L’argument moral
La société civile est prête à accepter certaines formes de souffrance animale lorsque « la fin justifie les moyens » et en considérant que plus le coût pour l’animal en termes de souffrance est grand, plus grand doit être le bénéfice espéré pour le bien-être humain. Toutefois, si le public apprend qu’il existe des alternatives viables à l’utilisation de cochons dans des exercices d’entraînements militaires, alors cette pratique ne sera plus tolérée, tout comme il en a été dans un cas similaire impliquant le ministère de la Défense en 2008. Après des années d’expérimentations sur des chèvres pour déterminer les effets d’une pression extrême et de la décompression sur les équipages de sous-marins, le ministère de la Défense s’est incliné face à la pression des membres du Parlement et des militants de la défense animale et a annoncé que ces expériences cesseraient.
L’argument scientifique
En tant que chirurgiens vétérinaires, nous maîtrisons le concept de différences entre espèces animales. Nous ne testerions pas sur des chevaux un médicament développé pour des perroquets. Quelle est donc la logique d’entraîner sur des cochons des médecins humains ? Nous vivons à l’époque de la médecine basée sur des preuves. Le fait que le cochon soit « similaire » à l’homme car tous deux sont des mammifères et tous deux saignent quand ils sont blessés ne fait pas du cochon un modèle prédictif des réactions biologiques humaines. Le cochon et l’homme diffèrent de bien des façons significatives, par exemple :
– le cochon et l’homme sont séparés par 79 à 97 millions d’années d’évolution des espèces (1, 2) ;
– chez le cochon, 70% du volume sanguin est au niveau du coeur ou au-dessus ; chez l’homme, 70% du volume sanguin est en dessous du niveau du coeur (3) ;
– le temps que prend la coagulation sanguine diffère chez l’homme et le cochon (4) ;
– le coeur du cochon a un système de conduction plus neuromyogénique que celui de l’homme (5) ;
– des différences d’expression des gènes entre l’homme et le cochon sont responsables d’incompatibilités dans les systèmes de coagulation sanguine (6).
L’argument pédagogique
L’utilisation d’animaux vivants pour former et entraîner des chirurgiens tant civils que militaires a depuis longtemps été surpassée par l’utilisation de techniques alternatives non nocives, comme le montrent les cours d’ATLS (Advanced Trauma Life Support, soit des cours de maintien de la vie après des traumatismes graves) :
– 95% des établissements états-uniens et canadiens qui proposent des cours d’ATLS utilisent des simulateurs de patients humains très réalistes à la place de cochons (7) ;
– le système TraumaMan a été évalué et approuvé par le Collège américain de chirurgiens en 2001 en tant qu’alternative aux modèles vivants non humains ou aux cadavres pour l’ATLS, le principal cours d’entraînement au traitement des traumatismes. Ce système est à présent utilisé pour entraîner plus de 30.000 professionnels médicaux chaque année. Depuis sa mise au point, TraumaMan est aussi largement utilisé dans les cours militaires (8) ;
– les cochons sont de piètres modèles pour des expériences de la vie réelle. Des chirurgiens britanniques, civils et militaires, ont, depuis des années, acquis de l’expérience en conditions de vie réelle en voyageant hors du Royaume Uni et en fournissant de l’aide médicale là où elle était la plus nécessaire, en échange de leur entraînement (9).
L’argument légal
Les articles 4, 13 et 47 de la directive européenne 2010/63/UE sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques affirment le principe de remplacement, réduction, rationalisation.
En particulier, l’article 4 stipule : « Les Etats membres veillent, dans toute la mesure du possible, à ce que soit utilisée, au lieu d’une procédure, une méthode ou une stratégie d’expérimentation scientifiquement satisfaisante, n’impliquant pas l’utilisation d’animaux vivants. »
La disponibilité d’alternatives non nocives à l’utilisation de cochons est maintenant internationalement reconnue par des organisations telles que le Collège américain de chirurgiens et considérée comme une pratique de routine dans de nombreux pays dont les Etats-Unis et le Canada, ainsi que par les militaires de 23 des 27 alliés du Royaume Uni au sein de l’OTAN.
L’utilisation de cochons vivants dans des exercices d’entraînement militaires est donc, selon nous, moralement erroné, inutile du point de vue pédagogique et légalement contestable. Il serait grand temps que le ministère de la Défense mette fin à cette pratique et se concentre plutôt sur le financement de méthodes alternatives non animales, déjà disponibles.
Sincèrement vôtre,
Andre Menache BSc(Hons) BVSc MRCVS
Fiona J Dalzell B.V.Sc., B.A. (Hons) MRCVS
Mark Jones BVSc MSc (Stir) MSc (UL) MRCVS
Iain McGill BSc (Hons), BVetMed, MRCVS
Richard Edwards MSc, MA, VetMB, MRCVS
Peter Southgate BVetMed MSc MRCVS
Jo Lewis BSc BVMS (Hons) MRCVS
Caroline Allen MA VetMB CertSAM MRCVS
Bronwen Eastwood BSc BVetMed CertGP (SAP) MRCVS
Marc Abraham BVM&S MRCVS
Andrew Knight DipECAWBM (AWSEL), PhD, MRCVS, FOCAE
Phill Elliott BVM&S MSc MRCVS
Références
1. Kumar S, Hedges SB. A molecular timescale for vertebrate evolution. Nature, 1998, vol392, 917-920
2. Meredith RW, et al. Impacts of the Cretaceous Terrestrial Revolution and KPg extinction on mammal diversification. Science, 2011, vol334, 521-524
3. Rowell LB. Cardiovascular adjustments to thermal stress In Handbook of Physiology The Cardiovascular System Peripheral Circulation and Blood Flow Bethesda, MD; Am Physiol Soc, Sect. 2, Vol III, part 2, pp 967-1023
4. Siller-Matula JM, et al. Interspecies differences in coagulation profile. Thromb Haemost. 2008 ; 100(3): 397-404
5. Swindle MM, et al. Swine as Models in Biomedical Research and Toxicology Testing. Veterinary Pathology 2012, 49(2), 344-356
6. Wuensch A, et al. Regulatory sequences of the porcine THBD gene facilitate endothelial-specific expression of bioactive human thrombomodulin in single- and multitransgenic pigs. Transplantation, 2014, 97(2), 138-47
7. www.pcrm.org/media/online/feb2010/victory-pigs-saved-in-canada
8. www.simulab.com/product/surgery/open/traumaman-system
9. www.theguardian.com/world/2005/dec/15/southafrica.military