Nos adversaires craindraient-ils le débat ?
Juste après la controverse soulevée par l’étude du professeur Séralini, le moment nous a paru favorable pour proposer un débat sur le fond de l’affaire : le « modèle animal » est-il pertinent pour l’homme, oui ou non ? Tant que cette question ne sera pas tranchée, des controverses surgiront encore et encore, sur la façon de tester les OGM, le bisphénol A, la pilule Diane 35, ou toute autre substance chimique. Nous avons donc écrit aux Etablissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) et aux ministères concernés.
Article paru dans La Notice d’Antidote n°34
Au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en recommandé avec accusé de réception, le 4 décembre 2012.
Monsieur le Directeur général,
La publication d’un article (Séralini J.E. & al., Food and Chemical Toxicology 50 (2012) pp.4221-31) décrivant les effets sur des rats nourris avec un maïs OGM, avec ou sans l’herbicide auquel il résiste, a soulevé un vif débat, très médiatisé, entre scientifiques opposés ou favorables à l’étude, donc respectivement favorables ou hostiles, in fine, à cet OGM et à l’herbicide. Les premiers critiquent le protocole expérimental utilisé par Séralini, mais ce dernier et ses partisans rappellent que ce protocole est précisément celui qui a été utilisé pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché du maïs OGM et de l’herbicide. La seule différence entre les deux études est le temps d’exposition des rats : trois mois dans l’étude visant à obtenir cette autorisation, qui n’a révélé aucun effet notable, deux ans dans l’étude de Séralini, qui a par contre révélé des pathologies graves chez les rats exposés, dont de volumineuses tumeurs.
Deux expériences strictement identiques visant à évaluer un risque sanitaire humain qui donnent, selon la durée, des résultats strictement opposés, ne satisfont évidemment pas aux critères scientifiques fondamentaux. Comment se fait-il que cette indétermination n’ait pas interpellé les intervenants dans la controverse, incluant notamment des membres des 6 Académies scientifiques françaises, des experts d’agences françaises et européennes de sécurité des aliments, des chercheurs des EPST, y compris de celui que vous dirigez ? Il aura fallu que des journalistes s’en étonnent (« S’agit-il des « bons rats » ? » demande par exemple Stéphane Foucart dans un article consacré à l’affaire Séralini dans Le Monde daté du 23 octobre 2012) et pointent le défaut méthodologique au cœur de la controverse : l’évaluation des risques sanitaires pour l’homme sur des « modèles » animaux…
Aucun des acteurs de l’affaire n’a évoqué ce défaut, qui interpelle par contre le consommateur, inquiet pour sa sécurité sanitaire. Il s’attend à ce que les EPST, qui consacrent une part importante de leurs budgets à l’expérimentation avec des modèles animaux, prennent position sur une question simple mais essentielle : les évaluations des risques sanitaires humains sur des animaux considérés comme modèles biologiques de l’homme, sont-elles valides pour ce dernier et scientifiquement justifiées ?
Si l’EPST que vous dirigez veut conserver la confiance des citoyens qui assurent son budget, il doit répondre à cette question et justifier, conformément à sa mission, que ses dépenses au titre du modèle animal le sont dans l’intérêt de la société et satisfont aux critères de la rigueur scientifique.
Notre association (voir antidote-europe.org) a pour objet (article 2 des statuts) l’application des progrès scientifiques au bénéfice de la santé humaine, notamment par la prévention. Nos travaux nous ont conduits à avoir un point de vue très critique sur la notion d’animal « modèle » de l’homme. Nous l’avons identifiée comme responsable d’évaluations insuffisantes des risques de santé, qui se traduisent depuis quelques décennies par les développements rapides des pathologies majeures graves.
L’objet de cette lettre est de demander l’organisation, si possible avant la fin de l’année 2012, d’un débat public avec le(s) responsable(s) de l’expérimentation animale dans votre EPST, afin de débattre de la question ci-dessus. Nous souhaitons un débat courtois, se limitant aux échanges d’arguments scientifiques et logiques, sous l’autorité d’un modérateur dont les deux parties seraient convenues.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur général, l’expression de notre haute considération.
Claude REISS,
Président d’Antidote Europe
ex-Directeur de recherche au CNRS
Par ailleurs, le même jour, nous adressions un courrier à Mesdames le Ministre de la Recherche et le Ministre des Affaires sociales et de la Santé. Nous leur avons fourni la copie de notre lettre aux EPST. Nous leur avons rappelé quelques données de (mauvaise) santé publique. Nous leur avons précisé : « La directive européenne REACH, adoptée en 2006, qui devait évaluer les risques toxiques pour l’homme des substances chimiques de synthèses ambiantes, a été rendue stérile par la volonté de la Commission européenne, qui exige que ces évaluations soient effectuées sur des rongeurs. »
Nous leur avons fait les demandes suivantes : « La controverse récente autour de l’affaire des rats de Séralini a mis en lumière l’ineptie du concept des « modèles » animaux de l’homme. Ci-joint une lettre envoyée aux directeurs généraux des EPST CNRS, INSERM et INRA, qui consacrent une partie de leurs budgets à l’expérimentation sur de tels « modèles », pour demander un débat public avec les responsables concernés. Un tel débat a jusqu’à présent été refusé. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir demander à ces EPST, dont vous avez la tutelle ou la co-tutelle, de donner suite à notre demande.
Vous avez par ailleurs la possibilité de saisir l’AERES, en charge d’évaluer les EPST et les activités de recherche, afin de vérifier que, dans les unités concernées, les méthodes d’évaluation des risques toxiques sont en adéquation avec les objectifs visés. »
Ensuite, nous avons écrit au rédacteur en chef de Biofutur, L’Express, La Recherche, Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Libération, Médecine Sciences et Pour la Science, toujours le 4 décembre 2012 et toujours avec la copie de notre lettre aux EPST.
Extraits de notre lettre :
« Ce débat s’impose suite aux travaux de la société Monsanto et du professeur G.E. Séralini, qui montrent que l’on peut avoir deux résultats strictement opposés simplement en fonction du temps d’exposition du « modèle » animal au facteur à évaluer. Ces travaux visant notre sécurité sanitaire, ces résultats contradictoires sont évidemment très inquiétants et justifient une discussion approfondie de la méthode d’évaluation.
Au cas où l’un ou l’autre de ces EPST accepterait le débat que nous proposons, nous chercherions une structure pour l’organiser et un modérateur pour en assurer le bon déroulement. Votre journal pourrait-il être intéressé par ce débat et accepterait-il, le cas échéant, de l’organiser et de l’héberger ? L’intérêt de ce débat pour vos lecteurs est évident.
Ce débat est en effet d’une actualité brûlante, en considération du fait que les évaluations de risques toxiques se font à présent presque exclusivement sur des « modèles » animaux, que nous estimons responsables des augmentations accélérées des incidences et des prévalences des pathologies majeures (diabète, Alzheimer, cancers hormono-dépendants, autisme, fertilité masculine…). Des méthodes scientifiques de toxicologie existent pour évaluer ces risques de façon fiable pour l’homme. Ils pourraient inverser ces tendances. »
Enfin, nous avons diffusé un communiqué de presse, le 13 décembre 2012, intitulé « Qu’y aurait-il à craindre d’un débat sur l’expérimentation animale », indiquant nos démarches et reprenant les principaux termes de nos courriers.
Les EPST ont bien reçu nos courriers puisque nous avons reçu les accusés de réception tamponnés le 7 décembre 2012 pour le CNRS et l’INSERM et non tamponné mais reçu le 11 décembre 2012 en retour de l’INRA.
Début février, à l’heure de boucler cette Notice, nous n’avons reçu de réponse ni des EPST, ni des ministères, ni des journaux.
Vous pouvez nous aider
Si vous êtes abonné ou même lecteur occasionnel de l’un des journaux auxquels nous avons écrit (ou même à d’autres journaux de vulgarisation scientifique grand public comme Sciences et Avenir ou Science & Vie), vous pouvez leur écrire, poliment, en exprimant votre déception de ne pas voir traité le sujet de la validité du « modèle animal » d’un point de vue scientifique. Vous pouvez mentionner notre lettre et demander pourquoi le rédacteur en chef ne nous a même pas répondu. Les médias sont généralement sensibles à leur image auprès de leurs lecteurs. Nous serions heureux de savoir si vous obtenez une réponse.
Quant à nous, nous allons commencer par envoyer une deuxième lettre aux EPST.