Parkinson : une nouvelle thérapie
Bien qu’il n’existe pas de traitement pour guérir de la maladie de Parkinson, la stimulation électrique de certaines zones profondes du cerveau permet, dans certains cas, d’atténuer les symptômes. Nous vous présentons les travaux d’une chercheuse en neurosciences qui a mis au point une nouvelle approche thérapeutique, moins invasive et qui pourrait profiter à un plus grand nombre de patients.
L’interview de ce trimestre nous présente un exemple concret de recherches faites sans recours à l’expérimentation animale et ayant permis la mise au point d’une stratégie thérapeutique pour l’une des maladies les plus redoutées -car très difficile à traiter- et dont le nombre de cas ne cesse d’augmenter, touchant des patients de plus en plus jeunes : la maladie de Parkinson. Ce sujet nous intéresse aussi pour une autre raison. La stimulation cérébrale profonde, une thérapie utilisée depuis quelques décennies, consiste à placer des électrodes capables de stimuler certaines cellules à l’intérieur du cerveau. Le patient est anesthésié le temps d’ouvrir sa boîte crânienne, il est ensuite réveillé et le neurochirurgien introduit une électrode qui devra demeurer dans le cerveau. Le positionnement de cette électrode stimulatrice se fait pendant que le patient parle, ce qui permet au neurochirurgien de s’assurer que d’autres zones du cerveau ne sont pas touchées. Cette méthode est souvent présentée par les défenseurs de la recherche animale comme ayant été mise au point grâce à des expériences sur des animaux. Or, Anne Beuter rappelle qu’il n’en est rien. Et ses propres recherches vont beaucoup plus loin.
Parkinson : une nouvelle thérapie (entretien avec Anne Beuter)
Antidote Europe (AE) : Vous êtes professeur de neurosciences, spécialisée en recherche de thérapies pour des personnes touchées par des troubles du mouvement comme dans la maladie de Parkinson. Pourriez-vous décrire brièvement votre travail pour nos lecteurs, compte tenu que la plupart n’ont pas de formation scientifique ?
Anne Beuter (AB) : La stimulation cérébrale profonde est actuellement utilisée pour traiter les symptômes de la maladie de Parkinson. Cette technique de neuromodulation comporte certains risques et c’est également une procédure invasive. Malgré l’efficacité indéniable de cette stratégie utilisée depuis la fin des années 80, on connaît aujourd’hui les limites de cette approche comme par exemple les effets secondaires, qui diminuent la qualité de vie des sujets stimulés. La neuromodulation dite « intelligente » consiste à fermer la boucle et à stimuler le tissu nerveux uniquement là et quand c’est nécessaire, mieux encore, au lieu de stimuler des structures profondes du cerveau on sait aujourd’hui qu’il est possible d’obtenir des effets thérapeutiques en stimulant le cortex.
Mis bout à bout ces deux changements nous ont conduits à proposer une nouvelle méthode moins invasive en boucle fermée du cortex cérébral dans la maladie de Parkinson. Cette nouvelle procédure est moins compliquée et longue à réaliser, elle demande moins d’équipement et elle ne provoque pas de lésion ou d’œdème autour des électrodes. Par boucle fermée on entend que ce dispositif permet d’enregistrer des signaux et de les utiliser pour adapter la stimulation en fonction des besoins. Cette procédure peut être offerte à des sujets qui ne seraient pas éligibles à la stimulation cérébrale profonde comme les personnes qui ont dépassé la limite d’âge par exemple.
Sans rentrer dans les détails, cette stimulation appliquée au cortex moteur utilise l’enregistrement de potentiel de champs locaux avec des électrodes plates posées sur la dure mère et ces signaux sont réinjectés après un ajustement spécifique de certaines fréquences et sans interférer avec l’activité physiologique des zones concernées. Cette nouvelle perspective dans la maladie de Parkinson permet d’envisager un traitement plus individualisé des patients, un traitement moins invasif qui peut être réalisé sous anesthésie générale.
AE : Vous avez publié plus d’une centaine d’articles dans des revues scientifiques, ce qui est impressionnant. Plus impressionnant encore, vous n’avez pas utilisé des animaux. Comment avez-vous réussi à éviter l’expérimentation animale dans un contexte où la recherche animale est souvent promue et récompensée par des subventions ?
AB : L’alternative proposée à l’expérimentation animale au sein du réseau européen qui a financé mes travaux est basée sur les 3R (de l’anglais, « Replacement/Reduction/Refinement ») qu’on peut traduire par : remplacement, réduction et amélioration des méthodes utilisées en expérimentation animale en proposant diverses alternatives (voir la Déclaration de Bologne). Il a été montré dans notre réseau qu’il était possible de développer de nouveaux médicaments ou de nouvelles stratégies thérapeutiques sans avoir systématiquement recours à l’expérimentation animale. Certains collaborateurs ont travaillé sur le cœur à partir de modèles extrêmement complexes (voir travaux de Denis Noble qui a développé le premier modèle viable du cœur -présentés dans le DVD Safer Medicines, NdlR-), d’autres sur le cancer du rein, du pancréas ou encore sur les maladies neurodégénératives.
J’ai choisi de ne pas travailler sur des animaux pour plusieurs raisons. Je n’étais pas convaincue par certains modèles animaux utilisés dans la maladie de Parkinson et je préférais utiliser une modélisation par les neurosciences computationnelles. Je rappelle d’ailleurs que historiquement ce n’est pas à partir d’études sur les animaux que la stimulation cérébrale profonde a été découverte. Eviter de travailler avec les animaux était important pour moi et je n’ai pas accepté de faire de compromis sur cette question même si on peut dire que ce choix en terme de carrière a eu un certain coût.
AE : A votre avis pourrait-on se passer des expériences sur les animaux, et en particulier, sur les singes, par rapport à la maladie de Parkinson ? Existe-il des preuves scientifiques ou cliniques pour le démontrer ?
AB : En regardant ce qui se passe dans mon domaine depuis plusieurs années, je pense que nous sommes en train de gagner cette bataille et plusieurs laboratoires qui sont en pointe dans ce domaine travaillent avec des sujets humains que cela soit aux USA, en Suisse ou en Angleterre et bien sûr ces laboratoires respectent toutes les conditions éthiques requises. La tendance est d’aller vers des approches plus adaptées et plus individualisées pour chaque patient, c’est aussi d’aller vers des méthodes moins invasives et de plus en plus « humaines ». Les années qui viennent montreront, je l’espère, que ces tendances se confirment et la stimulation cérébrale profonde cèdera la place. Voir à ce sujet l’article de Ineichen paru en septembre 2014 (Ineichen C, Glannon W, Temel Y, BaumannC Rand Sürücü O (2014) ; A Critical reflection on the technological development of deep brain stimulation (DBS) ; Front.Hum.Neurosci. 8:730. doi: 10.3389/fnhum.2014.00730).
AE : Nous vous remercions vivement pour cette interview. Y a-t-il d’autres remarques que vous aimeriez partager avec nos lecteurs ?
AB : Cette citation : A propos de l’Univers… « Un être humain est une partie d’un tout que nous appelons : Univers. Une partie limitée dans le temps et l’espace. Il s’expérimente lui-même, ses pensées et ses émotions comme quelque chose qui est séparé du reste, une sorte d’illusion d’optique de la conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous restreignant à nos désirs personnels et à l’affection de quelques personnes près de nous. Notre tâche doit être de nous libérer nous-mêmes de cette prison en étendant notre cercle de compassion pour embrasser toutes créatures vivantes et la nature entière dans sa beauté. » Selon The New York Times (29 Mars 1972) et The New York Post (28 Novembre 1972), cette citation provient d’une lettre écrite par Einstein en 1950. (et ceci inclut les animaux bien sûr !)