Perturbateurs endocriniens : encore pire qu’on ne croit !
L’OMS a récemment publié un rapport sur les perturbateurs endocriniens. A tous les niveaux, c’est bien pire qu’on ne croyait ! « On » : pas nous à Antidote mais les autorités qui continuent à laisser produire des tonnes de ces substances et le grand public qui continue à les utiliser, à son insu le plus souvent.
Article paru dans La Notice d’Antidote n°36
Par Hélène Sarraseca
Début 2013, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme environnement des Nations Unies (UNEP) publiaient une rapport intitulé : « Etat de la science sur les perturbateurs endocriniens en 2012 » (1). Le rapport précédent, faisant le point sur la situation en 2002, concluait que si certains effets observés sur les animaux sauvages pouvaient être attribués aux perturbateurs endocriniens, il n’y avait que de faibles preuves que ces substances puissent affecter les humains. Pour nous, il est clair que les preuves n’avaient pas été cherchées au bon endroit puisque dès 2005 (avec des méthodes qui existaient déjà en 2002), nous mettions en évidence les possibles perturbations endocriniennes provoquées par plusieurs substances (dont le bisphénol A) que nous avions testées.
Le rapport de cette année arrive à des conclusions plus réalistes mais présente encore de graves lacunes.
Perturbateur quoi ?
Beaucoup de nos fonctions biologiques sont sous le contrôle d’hormones, des substances synthétisées par des glandes que l’on appelle « endocrines ». Les hormones agissent généralement en-dehors de leur lieu de production. Par exemple, des hormones produites dans le cerveau contrôlent le cycle menstruel chez la femme, par une action sur les ovaires. Cette action se fait suite à la liaison de l’hormone avec son récepteur spécifique, à la façon d’une clé dans une serrure. Notre système hormonal est également appelé « endocrinien ». Un perturbateur endocrinien est une substance chimique de synthèse capable d’interagir avec notre système hormonal. Ce dernier étant très sensible, des substances telles que certains pesticides ou le bisphénol A peuvent le perturber même si elles ne sont présentes dans notre organisme qu’en infimes quantités.
De nos jours, on trouve ces perturbateurs endocriniens partout. D’après le rapport de l’OMS, « près de 800 substances chimiques peuvent ou sont soupçonnées de pouvoir interférer avec les récepteurs hormonaux, la synthèse ou la conversion des hormones. (…) Les perturbateurs endocriniens sont transportés par les phénomènes naturels (courants aériens et océaniques) ainsi que par le commerce, ce qui amène à une exposition humaine et de la faune sauvage partout dans le monde. (…) Il est pratiquement impossible de nos jours de trouver une population non exposée sur la planète. »
Au crédit du rapport de l’OMS, le fait qu’il reconnaisse enfin notre exposition généralisée à ces substances et, surtout, leur rôle dans l’apparition de beaucoup de maladies graves qui affectent de plus en plus les populations humaines et animales. Les « effets cocktail » sont également reconnus : « Dans les dix dernières années, il a été établi que les perturbateurs endocriniens pouvaient agir ensemble pour produire des effets cumulatifs, même combinés à de faibles doses, lesquelles, individuellement, ne produisent pas d’effets observables. »
De graves conséquences
Le rapport explique bien deux points importants. Le premier, c’est que la toxicité des perturbateurs endocriniens ne suit pas les mêmes règles que celle d’autres substances. Leur effet n’est pas proportionnel à la dose, d’une part. Ce qui rend caducs tous les calculs de doses journalières admissibles faits à partir d’études « dose-réponse », sur des animaux, de surcroît ! (Et ça, le rapport ne le dit pas…). D’autre part, l’effet des perturbateurs endocriniens dépend en très grande partie du stade du développement auquel a lieu l’exposition. Au cours du développement fœtal, il y a des moments critiques où les hormones ont un rôle capital. Les perturber à ces moments-là peut avoir de graves conséquences pour toute la vie de l’individu.
Le deuxième point bien mis en avant par le rapport est (ce que nous disons depuis des années) que ces substances pourraient être à l’origine de maladies graves dont le nombre de cas explose depuis quelques décennies. On pense en premier lieu aux cancers dépendants d’hormones (sein et prostate) et aux problèmes d’infertilité. Il faut y ajouter les désordres de la thyroïde, du développement neuronal chez l’enfant, des problèmes de densité osseuse, des troubles métaboliques (obésité, diabète), des troubles du système immunitaire, etc. Le rapport est une mine de données chiffrées sur tous ces problèmes de santé publique.
Des tests inadaptés
« Il est important de reconnaître que l’identification, sur l’homme ou sur la faune sauvage, d’effets sur la santé suite à l’exposition à des substances chimiques, par des études épidémiologiques indique que l’évaluation des effets des substances préalablement à leur mise sur le marché a échoué à prédire leur toxicité. » Nous disons la même chose de façon plus simple et plus directe : les tests sur des animaux ne permettent pas de prédire la toxicité d’une substance pour l’homme ; cette toxicité n’est connue qu’après exposition des populations humaines, donc, lorsque nous avons joué les cobayes et lorsqu’il y a eu de nombreuses victimes humaines.
« Pour beaucoup d’effets perturbant notre système hormonal, des méthodes de test approuvées et validées n’existent pas, alors que des outils scientifiques et des méthodes de laboratoire sont disponibles. » Encore ce décalage entre les possibilités techniques modernes et des lois trop anciennes qui imposent des méthodes obsolètes. Il est regrettable que le rapport n’appelle pas plus fermement à une validation rapide des méthodes modernes (à haut débit et approches selon le poids des preuves, qu’il mentionne pourtant).
Il est également regrettable que les tests sur des animaux continuent à être considérés comme pertinents. « Comme les études sur l’homme, bien qu’importantes, ne peuvent pas établir un lien de cause à effet, il est essentiel d’obtenir ces données de causes et d’effets sur l’animal pour étayer les études sur l’homme. » Une telle phrase nous paraît aberrante pour deux raisons. La première, c’est que les auteurs semblent ignorer le fait que des méthodes comme la toxicogénomique sur des cellules humaines permettent bien d’établir une relation de cause à effet chez l’homme. La seconde, c’est que les auteurs ignorent totalement que des effets constatés sur des animaux ne permettent pas de prédire les effets sur l’homme.
Nous ne pouvons, encore une fois, que constater et dénoncer l’incohérence des différents organismes chargés de notre sécurité sanitaire, certains reconnaissant que les tests sur des animaux ne sont pas fiables (« Nous ne sommes pas des rats de 70 kilos ! » disait Thomas Hartung alors directeur d’ECVAM, sous tutelle de la Commission européenne), d’autres toujours réticents à le faire, aucun n’appelant à une interdiction immédiate de pratiquer des tests de toxicité sur des animaux et à une utilisation tout aussi immédiate de méthodes modernes et fiables.
A la suite d’un article sur le bisphénol A dans Le Monde du 9 avril 2013, il y avait ce commentaire signé « une-patiente-trop-jeune » : « Bonjour, j’ai 25 ans, je suis née en 1988 et j’ai un cancer du sein et aucun antécédent familial. J’étais jusque là en bonne santé et je mangeais sainement vos fruits et légumes pleins de pesticides. En vous remerciant pour le monde dans lequel vous nous avez fait naître, et dans lequel d’autres générations se retrouveront amputées de leurs organes, je vous invite à réfléchir sur ce que l’industrialisation effrénée a produit. A bientôt dans un centre anticancéreux (1 Français sur 2 sera touché). » Merci pour ton témoignage, aussi dur soit-il. Puisse-t-il toucher ceux qui perdent du temps à imposer des validations pour des méthodes qui n’en auraient pas besoin et des tests qui continuent à permettre l’autorisation de substances dont tout le monde sait qu’elles détruisent notre santé et abrègent nos vies. Il y a tellement de rapports ! Quand verrons-nous apparaître le courage politique de prendre de vraies mesures ?
(1) Disponible en ligne sur www.who.int/ceh/publications/endocrine/en/index.html (hélas, en anglais seulement !).