Programme de toxicologie scientifique : nouvelle approche de la toxicogénomique
Le principe de cette méthode a été publié dans la revue scientifique internationale Biogenic Amines en 2003. Antidote Europe n’a pas inventé les puces à ADN ni la toxicogénomique. Mais depuis cette première publication, les concepts se sont encore affinés et notre approche, originale par rapport aux applications envisagées outre-Atlantique, apporte pertinence et gain de temps et d’argent.
Le Programme de toxicologie scientifique (PTS) se fonde sur deux techniques et une discipline naissante.
Principe
La première technique est la mise en culture de cellules humaines. Ceci se fait depuis années 1930 et il existe des catalogues de types cellulaires disponibles auprès de quelques centres (notamment en Allemagne, en Angleterre et aux Etats-Unis) qui fournissent les laboratoires du monde entier. Nous avons, dans notre corps, près de 250 types cellulaires : cellules nerveuses (neurones, astrocytes, oligodendrocytes, etc.), cellules sanguines (globules rouges, lymphocytes T, lymphocytes B, etc.), cellules hépatiques, rénales, etc. Pratiquement tous ces types cellulaires peuvent être mis en culture. Il est plus facile de cultiver des cellules de lignées établies, c’est-à -dire des cellules cancéreuses, puisqu’elles continuent à se diviser indéfiniment, contrairement aux cellules prélevées sur des tissus normaux que l’on ne peut maintenir en vie que quelques semaines. S’il est vrai que les cellules cancéreuses n’ont pas exactement les mêmes propriétés que les cellules normales, ces caractéristiques sont connues et nous évaluons donc avec précision les limites de notre modèle.
Notre corps est composé de cellules, dont chacune a une fonction au sein de l’organe. Nous pouvons donc cultiver quelques cellules dans une boîte (on utilise des boîtes transparentes rondes d’une dizaine de centimètres de diamètre) en fournissant à ces cellules un milieu liquide contenant tous les nutriments nécessaires.
Le principe du PTS est simple : cultiver des cellules humaines, introduire la substance chimique à tester dans le milieu de culture et voir de quelle façon cette substance perturbe le fonctionnement cellulaire. Notre corps étant composé de cellules, il est évident que si la substance est toxique pour les cellules, elle le sera aussi pour l’organisme entier. Bien sûr, il peut exister dans cet organisme des mécanismes de réparation qui ne sont pas forcément présents dans la culture de cellules et qui pourraient atténuer les effets du produit. Mais ces mécanismes peuvent différer selon les individus ou être débordés par les doses ou les mélanges de produits chimiques que nous avons dans le sang. Nos résultats sont donc très pertinents et nous recommandons qu’une mise en garde quant à la dangerosité des produits testés soit au moins clairement imprimée sur les notices d’utilisation de ces produits. A l’inverse, une absence de perturbation de la vie cellulaire ne garantit pas l’innocuité du produit. Il faudra concevoir d’autres protocoles pour les substances qui seraient dans ce cas ; lePTS lui-même peut être amélioré pour modéliser encore plus fidèlement la réaction du corps.
Premier point fort
Tel quel, le PTS constitue déjà un crible bien plus fiable que l’expérimentation animale puisque ce sont bien des cellules humaines qui sont exposées à la substance et non des animaux qui, parce que leurs cellules et molécules ont des propriétés différentes des nôtres, ne fournissent pas des résultats transposables aux humains.
Mais, de plus, avantage considérable, nous avons cherché à mimer les conditions physiologiques, c’est-à -dire ce qui se produit réellement dans notre corps. Lorsque nous absorbons une substance, elle est amenée dans le sang, qui la transporte vers le foie, qui la transforme en ce que l’on appelle ses “métabolites”, lesquels sont remis dans le sang et amenés vers les organes d‘élimination (rein et intestin principalement). Quand la substance ou ses métabolites sont dans le sang, ils peuvent être amenés dans tous les organes. C’est à ce moment, par exemple, qu’un médicament absorbé par voie orale atteint sa cible.
Le protocole du PTS tient compte de cette réalité physiologique. Nous avons cultivé des cellules de foie, organe très exposé puisque toutes les substances y sont amenées et organe clé puisque c’est lui qui transforme les substances en métabolites. Nous voulions aussi cultiver des cellules nerveuses car nous soupçonnions les pesticides d‘être très toxiques pour elles. L’astuce, que nous n’avions jamais vue employée auparavant, a consisté à exposer les cellules nerveuses non à la substance à tester mais au milieu de culture prélevé autour des cellules du foie, après exposition de celles-ci. Ainsi, les cellules nerveuses ont été exposées aux métabolites que le foie a produits, exactement comme ce serait le cas dans l’organisme entier. Et, en effet, nous avons mis en évidence que certaines substances sont peu toxiques pour le foie mais que leurs métabolites perturbent toutes les fonctions des cellules nerveuses (et probablement bien d’autres types cellulaires). Plusieurs pesticides sont dans ce cas.
Les puces à ADN
La seconde technique sur laquelle se fonde le PTS est celle des puces à ADN, lesquelles nous permettent de mesurer ce qui se passe dans les cellules. En effet, il ne suffit pas d’exposer les cellules à la substance et de regarder simplement si les cellules meurent ou survivent. Si elles survivent, nous avons besoin de savoir dans quelles conditions. Les gènes étant comme les directeurs de l’activité cellulaire, un moyen de savoir précisément de quelle façon cette activité est perturbée est de mesurer l’expression des gènes. Un gène qui ne s’exprime plus, c’est comme un directeur qui ferait grève : tout son service sera arrêté et, s’il s’agit d’un service important, la cellule entière s’en ressentira. Les gènes ne sont rien d’autre que des portions d’une très longue molécule appelée “ADN”. Chaque cellule de notre corps possède, lové dans son noyau, un long ADN contenant la totalité de nos quelque 25 000 gènes. Les puces à ADN sont un dispositif permettant de savoir si chacun de ces gènes est en service, s’il fait la grève, ou encore, s’il travaille plus que la normale, ce qui témoigne aussi d’un problème !
Concrètement, pour les scientifiques, une puce est une plaquette munie de cases (de “puits”). Dans chacun de ces puits, on fixe plusieurs fragments d’ADN, synthétisés en laboratoire, correspondant à un fragment de séquence d’un gène connu. On a cultivé deux lots de cellules pour chaque expérience : un lot témoin et un lot que l’on expose à la substance. A la fin de l’exposition, les cellules sont lysées, les ARN messagers sont extraits et les puces sont mises en présence du produit de cette extraction. Rappelons que l’ARNm n’existe que si le gène est exprimé. Les ARNm dont le gène (ADNcomplémentaire de ces ARNm) est présent sur la puce s’hybrident avec cet ADN et ceci de façon quantitative : plus il y a de copies d’ARNm extraites des cellules, plus il y en aura de fixées sur la puce. Entre l’extraction et la mise en présence de la puce, lesARNm sont marqués avec un label fluorescent, de sorte qu’en mesurant la fluorescence sur chaque puits de la puce, on sait, par rapport aux cellules témoin, par combien de fois l’expression du gène a été multipliée ou divisée.
La génomique
La discipline naissante à laquelle nous faisions allusion au début de cet article est la génomique, c’est-à -dire l‘étude de la fonction des gènes. Tout ceci, en effet, aurait peu de sens si nous ne savions pas à quoi sert chaque gène que nous plaçons sur la puce, à quoi sert chaque gène dont nous constatons qu’il est surexprimé ou réprimé suite à l’exposition des cellules à la substance.
La génomique est apparue quand le séquençage du génome humain a été près de s’achever, c’est-à -dire dans la dernière décennie du XXe siècle. On connaît aujourd’hui la fonction d’environ la moitié de nos gènes, soit 10 à 12 000. C’est cette connaissance qui nous permet d’interpréter les résultats de nos expériences. En effet, que la substance testée perturbe un gène qui contrôle toute une cascade de réactions pouvant mener à la mort de la cellule n’a pas la même signification que si le gène perturbé commande la production d’une hormone ou d’une molécule impliquée dans l’assimilation du calcium…
Il est peu intéressant de construire d‘énormes puces avec 10 000 gènes à bord, comme cela se fait aux Etats-Unis, car, d’une part, on a du mal à lire précisément ce qui se passe dans chaque puits (simple question de limites physiques à la miniaturisation), d’autre part, on génère un flot d’informations qu’il faut avoir la capacité de stocker et d’analyser (il faut des ordinateurs de plus en plus puissants et des bioinformaticiens compétents) et, enfin, moins on a de connaissances sur un gène donné et plus il sera difficile de prévoir quel sera l’impact de la perturbation de ce gène.
Second point fort
Nous avons donc choisi la stratégie inverse : faire des puces avec peu de gènes (51 seulement) sur lesquels nous disposons d’un grand nombre d’informations et qui sont des gènes clé, incontournables dans certaines voies métaboliques, c’est-à -dire des gènes qui contrôlent plusieurs réactions et dont la perturbation a forcément des conséquences pour la cellule. P53, par exemple, commande la production d’une protéine qui ne vit, normalement, que quelques secondes à l’intérieur de la cellule et qui contrôle que la synthèse d’autre protéines, essentielles à la cellule, quand tout se passe bien. Si p53 détecte un problème, sa durée de vie est prolongée jusqu‘à deux heures, le temps de déclencher des mécanismes de réparation. Et si au bout de deux heures le dommage n’est pas réparé, p53 déclenche l’autodestruction de la cellule qui se désintègre en quelques minutes. Dans la plupart des tumeurs solides, on a trouvé des gènes p53 comportant des mutations, ce qui pourrait bien être à l’origine de la tumeur : si p53 ne peut pas déclencher la mort des cellules qui ne fonctionnent pas correctement, ces cellules continuent à se multiplier et à s’accumuler de façon anarchique, donc, à former la tumeur.
Bax et Bcl-2, autre exemple, sont deux gènes qui travaillent de concert avec p53 et qui étaient également présents sur nos puces. Nous avons donc déterminé des ensembles de gènes qui agissent en synergie et ceci nous permet une grande finesse dans l’interprétation des résultats. En effet, si telle substance perturbe un, voire deux gènes d’un ensemble, on pourra s’en méfier moins que d’une substance qui perturbe pratiquement tous les gènes de l’ensemble.
A la pointe de l’innovation
Le PTS est donc bien une méthode très innovante, même s’il se fonde sur des techniques connues. Nous avons apporté deux améliorations fondamentales : – l’exposition des cellules neuronales au surnageant des cellules hépatiques, ce qui mime les conditions physiologiques – la sélection de gènes marqueurs de voies métaboliques, ce qui nous permet de dire si oui ou non la substance perturbe les fonctions qui dépendent de ces voies, plutôt que d’avoir à traiter au hasard un grand nombre d’informations disparates.
Une méthode d’avenir
Des programmes de toxicologie utilisant les puces à ADN se mettent en place aux Etats-Unis, tels le National Toxicology Program, créé par l‘équivalent américain du ministère de l’Environnement. Un Centre national de toxicogénomique a été créé outre-Atlantique pour implémenter ce programme. Malheureusement, ce sont des cellules et des gènes de souris que l’on examine ! Dernière idée : comparer les effets d’une substance administrée à des souris vivantes aux résultats que l’on obtient grâce aux puces à ADN de souris. A Antidote Europe, nous pensons que cette expérience est superflue. Avec les données de l’exposition humaine, accidentelle ou professionnelle, à nombre de substances, il y largement de quoi valider la méthode. Mais cette effervescence montre que les puces à ADN sont bien considérées comme la technique du futur. Autre signe des temps, on développe aussi des puces à protéines ou à d’autres types de molécules et on perfectionne les différentes options pour lire ce qui se produit dans chaque puits. Nous devons donc redoubler d’efforts pour que ces avancées soient reconnues et prises en compte par la législation qui, rappelons-le, continue à exiger des tests sur les animaux pour les médicaments. A la vitesse à laquelle on pourrait mettre en place un système fiable, performant et automatisé si des moyens étaient consacrés à cela, on se demande pourquoi diable certains s’obstinent encore à lire dans les entrailles des animaux…
Le PTS en abrégé
Le Programme de toxicologie scientifique (PTS) est une méthode qui permet d‘évaluer la toxicité des substances chimiques sur des cellules humaines en culture. Des cellules de foie sont exposées en premier à la substance à tester. Ensuite, des cellules nerveuses sont exposées à l’effluent des cellules de foie, ce qui permet de se rapprocher des conditions réelles de circulation des substances dans notre corps. Des puces à ADN (dispositifs fabriqués à façon, contenant des fragments de gènes humains bien identifiés) révèlent le résultat de cette exposition : elles indiquent quels gènes ont été surexprimés ou réprimés en présence de la substance. La connaissance de la fonction de ces gènes (génomique) nous permet de comprendre quelles sont les activités cellulaires perturbées et, ainsi, de prévoir les possibles effets sur l’organisme, y compris des effets à long terme. L’utilisation de cellules humaines et d’ADN humain garantit que les résultats sont fiables pour les humains. Les résultats sont disponibles en quelques jours seulement. Il est possible d’automatiser, d’affiner et d’optimiser les étapes, de sorte que le coût de chaque test serait dérisoire dans un laboratoire équipé fonctionnant en routine. Des mélanges de substances pourraient donc être testés. LePTS permet, bien sûr, d‘évaluer la toxicité des substances pour n’importe quelle espèce animale ; il suffit pour cela d’utiliser des cellules et de l’ADN de l’espèce concernée.