A quel point la recherche animale est-elle prédictive et productive ?
Le « modèle animal » remis en question par la communauté médicale britannique
Les communautés médicale et scientifique sont souvent présentées par les médias grand public comme avançant une argumentation solide et unanime sur les divers sujets de leurs compétences. Tel ponte interrogé sur tel sujet est censé représenter l’opinion de l’entière communauté. Cette situation est plutôt caricaturale et pourrait occulter les nombreux débats qui agitent tant les chercheurs que les médecins. Concernant l’utilisation d’animaux considérés comme des modèles biologiques de l’homme, une majorité du grand public ignore encore que des scientifiques et des médecins discutent depuis longtemps sur la question de savoir si oui ou non les expériences faites sur des animaux sont d’une quelconque utilité pour soigner les humains. Ce débat ne pourra plus être ignoré longtemps car les périodiques scientifiques internationaux de référence sortent de leur réserve et, les preuves à l’encontre du « modèle animal » s’accumulant, commencent à publier des articles mettant sérieusement en question le bien-fondé de la recherche animale. Nous avons le plaisir de vous présenter la traduction d’un éditorial publié le 5 juin 2014 par le très prestigieux British Medical Journal. Nous avons bon espoir que ce genre de publication aboutisse enfin à la prise de conscience par les responsables politiques qu’il faudrait, pour le moins, organiser un débat sérieux sur le plan scientifique, sur cette question.
Traduction de l’article
Source : http://www.bmj.com/content/348/bmj.g3719
A quel point la recherche animale est-elle prédictive et productive ?
BMJ 2014; 348 doi: http://dx.doi.org/10.1136/bmj.g3719 (Publié : 5 juin 2014) pour citer l’article : BMJ 2014;348:g3719
Le choix du rédacteur en chef
Fiona Godlee, rédacteur en chef, The British Medical Journal
Cela fait plus de vingt ans que Doug Altman a écrit un article très chaud dans The BMJ sur « le scandale de la recherche médicale » (doi:10.1136/bmj.308.6924.283). Plus tôt cette année, Richard Smith, l’ancien directeur de The BMJ a résumé pourquoi le même article pourrait être publié aujourd’hui avec peu de changements (http://bit.ly/1rHnWbL), se référant à la récente série d’articles publiés dans Lancet sur le gâchis dans la recherche médicale et à l’article de John Ioannidis dans PloS Medicine intitulé : « Pourquoi la plupart des découvertes publiées de la recherche sont fausses ». La littérature médicale reste assaillie par des préjugés académiques et commerciaux dus à la surinterprétation de petites études, mal conçues et mal conduites, beaucoup d’entre elles ayant fait l’objet de rapports erronés ou sélectifs ou d’aucun rapport du tout. Il en résulte une base de preuves qui exagère systématiquement les bénéfices et minimise les dommages des traitements.
Mais comme si cela ne suffisait pas, un problème encore plus fondamental jette le doute sur la validité de la recherche clinique : la mauvaise qualité de la recherche animale, sur laquelle elle se fonde pour beaucoup. Il y a dix ans de cela, dans The BMJ, Pandora Pound et des collègues demandaient : « Où sont les preuves que la recherche animale profite bien aux humains ? » (doi:10.1136/bmj.328.7438.514). Leurs conclusions n’étaient pas encourageantes. Beaucoup de recherches sur les animaux dans des traitements potentiels pour l’homme étaient gaspillées, disaient-ils, parce qu’elles étaient mal menées et n’étaient pas évaluées par des vérifications systématiques.
Depuis lors, comme l’expliquent Pound et Michael Bracken cette semaine (doi:10.1136/bmj.g3387), le nombre de vérifications systématiques des études sur les animaux a augmenté considérablement, mais cela n’a servi qu’à mettre en lumière la mauvaise qualité de beaucoup de recherches précliniques sur les animaux. Les mêmes menaces sur la validité interne et externe qui assaillent la recherche clinique sont abondantes dans les études sur les animaux : manque de masquage adéquat de la randomisation, des essais en aveugle et de l’allocation ; analyses sélectives ; biais dans les rapports et dans les publications. Le résultat, affirmait Ioannidis en 2012, est qu’il est « presque impossible de compter sur la plupart des informations obtenues sur des animaux pour prédire si oui ou non une intervention aura un rapport bénéfice/risque clinique favorable sur des sujets humains. »
Autant de gaspillage est autant contraire à l’éthique vis à vis des animaux que vis à vis de l’homme. La recherche préclinique mal effectuée peut mener à des essais cliniques très chers mais vains, exposant les participants à des médicaments dangereux. Et bien sûr il y a la souffrance inutile des animaux impliqués dans la recherche qui n’apporte aucun bénéfice.
Que faire ? Des recherches sur les animaux mieux menées et de meilleurs rapports aideront, affirment Pound et Bracken. Cela pourrait venir d’une meilleure formation et information des chercheurs de base et d’un changement culturel alimenté par de plus grands examens et une responsabilité publique. Mais comment cela pourrait-il réellement améliorer le taux des transpositions réussies de l’animal à l’homme ? Peu, en effet, il semble. Même si les recherches étaient menées parfaitement, affirment les auteurs, notre capacité à prédire les réponses humaines à partir de modèles animaux sera limitée par les différences inter-espèces dans les voies moléculaires et métaboliques.
Plutôt que vers la recherche fondamentale, les fonds pourraient être mieux dirigés vers la recherche clinique, où il y a un plus clair retour sur investissements en terme d’effets sur les soins donnés au patient. Les auteurs concluent : « Si la recherche menée sur les animaux continue d’être incapable de prédire raisonnablement ce qu’on peut attendre chez l’homme, le soutien public et le financement de la recherche préclinique sur les animaux semblent mal placés ». De quel côté pensez-vous que devrait pencher l’effort : des investissements dans une meilleure recherche animale ou le passage au financement de davantage de recherche clinique ?