Recherche animale : un système défectueux
Aucune espèce animale n’est un modèle biologique fiable pour une autre. Il s’ensuit que l’utilisation d’animaux à des fins d’obtenir des données applicables à l’homme pour la recherche de nouvelles thérapies ou pour évaluer la toxicité de substances chimiques est un système de recherche défectueux. Rebecca Ram l’explique en termes simples et irréfutables.
Nous vous présentons dans ce numéro l’interview d’une toxicologue plus précisément spécialisée dans les essais cliniques de médicaments. Petite précision pour les non scientifiques : les expressions « essais cliniques » ou « données cliniques » se réfèrent à des essais ou à des données concernant l’homme (et non les animaux).
Les réponses de Rebecca Ram se fondent sur la constatation que les résultats obtenus sur des animaux ne permettent pas de prévoir les réactions humaines à un médicament donné. Ce n’est pas un raisonnement ni une théorie : elle l’a vu, ça ne marche pas ! La pertinence de ses réponses tient aussi au fait qu’elle aborde tous les aspects de l’expérimentation animale. Nous le dénonçons sans répit et elle le fait aussi : c’est la règlementation qui est en décalage avec les connaissances scientifiques, ce sont les responsables de la règlementation qui devraient cesser de se référer aux données animales.
Interview de Rebecca Ram à propos de la recherche animale
Antidote Europe (AE) : Interviewer une personne avec votre expérience est un vrai privilège pour nous. Pourriez-vous dire à nos lecteurs comment vous en êtes venue à choisir une carrière dans les essais cliniques ?
Rebecca Ram (RR) : Je vous remercie de me demander ma contribution. En quittant l’université, il y a vingt ans, j’étais très contente d’avoir un diplôme en biologie, mais la plupart des opportunités de carrière dans les sciences du vivant semblaient impliquer de la recherche animale. Or, je voulais éviter tout rôle qui impliquerait des tests sur des animaux. Après avoir beaucoup cherché, j’ai trouvé un poste dans le domaine de la pharmacologie où je devais examiner et valider les données obtenues sur des patients lors d’essais cliniques et mon expérience s’est construite à partir de là. J’ai ensuite évolué vers un rôle à plus forte responsabilité dans le traitement des données, j’ai travaillé avec plusieurs organisations de recherche clinique et sur de nombreuses études, ce qui a aussi été une expérience précieuse, par exemple en examinant des données de patients pour de nouveaux traitements de maladies psychiatriques, du diabète ou de maladies neurodégénératives.
AE : A quel moment au cours de vos études ou de votre carrière avez-vous commencé à avoir des doutes sur la valeur des expériences sur des animaux vis à vis de la réponse humaine aux médicaments ?
RR : Mon travail dans le traitement des données cliniques m’a permis de voir des données de patients humains en réponse à de nouveaux médicaments. J’ai aussi pu lire certains protocoles qui résumaient comment les traitements avaient préalablement été donnés à des animaux au cours des essais précliniques. En plus de mes sentiments à propos de la souffrance infligée aux animaux, j’étais de plus en plus frappée par le fait que ce système semblait purement administratif, en contraste avec les données directement pertinentes obtenues sur des patients et des volontaires. Dans mon travail, depuis, il a été intéressant d’entendre des membres de l’industrie chimique et de la règlementation toxicologique me le confirmer. De plus, il m’est apparu clairement que quand de nouveaux traitements ou thérapies sont efficaces chez l’homme, c’est précisément grâce à des études contrôlées rigoureuses, menées directement chez l’homme, et non « parce que » ils ont été testées sur des animaux. En aucun cas la grande utilisation d’animaux en toxicologie et en recherche fondamentale ne prouve leur validité pour prédire une réponse humaine. Ayant travaillé sur des études où les traitements en question ont ensuite échoué ou ont été retirés de l’utilisation pour l’homme, j’ai vu des preuves de ceci. A peu près à cette époque, il y a eu le désastre du médicament TGN1412 à l’hôpital Northwick Park [voir La Notice d’Antidote de juin 2006].
AE : Que pensez-vous de la procédure de consentement éclairé pour les participants aux essais cliniques ? Feriez-vous une différence entre consentement légal et consentement valide ?
RR : Je pense que le consentement éclairé est vital. C’est l’un des nombreux bons aspects de la recherche médicale qui se sont développés suite à des tragédies lors d’expérimentations humaines illégales comme les essais cliniques Tuskegee entre les années 1930 et 1970. Oui, je fais une distinction entre consentement légal et consentement valide ou éclairé. Pour que le consentement éclairé puisse être donné, la personne doit avoir la capacité et le désir de se faire expliquer toutes les informations concernant le traitement et ses résultats, de façon à pouvoir prendre une décision sur l’éventualité de sa participation en toute connaissance de cause. Le consentement légal (ici vis à vis d’un traitement médical) est différent dans la mesure où il peut être donné au nom de quelqu’un si des bénéfices du traitement peuvent être attendus pour la personne mais qu’elle n’a pas la capacité pour donner elle-même le consentement. Cela dit, je pense que chaque cas de consentement doit être examiné individuellement, en fonction de l’individu (patient ou volontaire) et des circonstances. Au sujet du consentement valide, je vois un autre problème lorsqu’on présente l’information au patient avant qu’il accepte de prendre un médicament expérimental, dans la mesure où aucun test sur des animaux ne peut garantir sa sécurité, fournir au patient des informations sur ceci donnerait au consentement le caractère le plus « éclairé » possible.
AE : Outre le remplacement des expériences sur des animaux, que devrait-il se faire selon vous pour rendre les essais cliniques plus sûrs et plus efficaces ?
RR : La recherche clinique bien conçue est vitale car elle montre comment des patients individuels répondent aux traitements de façon si différente. Les tests sur des animaux ne peuvent pas montrer ceci puisque les espèces, les maladies et l’environnement artificiel créés chez les animaux diffèrent de la complexité du développement des maladies humaines, par exemple dans l’étude des maladies neurodégénératives, qui sont presque entièrement propres à l’homme. Outre le remplacement des expériences sur des animaux, je pense que le domaine de la pharmacogénomique*, qui étudie les caractéristiques génétiques de l’individu en réponse aux médicaments, est fascinant et essentiel pour obtenir un maximum d’informations à partir des études cliniques et épidémiologiques. Personnellement, je suis aussi fascinée par les essais de phase 0 (microdosage)* et leur potentiel qui est, je pense, largement inexploité aujourd’hui.
Les études de toxicité et le développement de médicament doivent changer. Ceux qui veulent qu’il soit mis un terme aux expérimentations animales ne sont pas les seuls à le dire. La communauté scientifique le sait aussi et il est bon de voir se développer des initiatives pour remplacer les tests sur des animaux. Mais les organismes de règlementation et les autorités compétentes doivent encore soutenir ceci avec force et encourager le développement par un financement significatif. La toxicologie du 21ème siècle qui élimine le recours aux animaux (comme les technologies des « organes sur puce »*) fait l’objet de beaucoup d’attention, ce qui est une bonne nouvelle, mais les alternatives aux animaux sont encore largement considérées comme des exceptions plutôt que comme la règle et il faut que cela change, pour les patients comme pour les animaux. Nous voyons peu à peu l’industrie reconnaître ceci et c’est là que les progrès concernant la toxicité pourraient aller le plus vite car l’épuisement de la découverte de nouveaux médicaments est un problème qui requiert une solution urgente. Toutefois, nous sommes toujours dans une situation défavorable, dans laquelle l’industrie hésite à développer de nouvelles méthodes s’il y a un risque que les responsables de la règlementation ne les approuvent pas. De même, les responsables de la règlementation sont tellement habitués à voir des données animales qu’ils continuent à leur donner la priorité.
En plus des tests conformes à la règlementation, la plus grande utilisation d’animaux continue hélas à augmenter dans la recherche fondamentale universitaire, de même que par la grande quantité d’animaux génétiquement modifiés qui sont élevés pour tenter de mimer des maladies humaines. Pour aller vers un réel progrès, le développement de méthodes sans animaux doit se faire dans ce domaine-là aussi.
AE : Nous vous remercions sincèrement d’avoir répondu à nos questions. Y a-t-il d’autres commentaires que vous voudriez partager avec nos lecteurs ?
RR : Je crois qu’il est important d’avoir une vue d’ensemble sur la recherche animale, qui va au-delà des arguments éthiques et scientifiques des deux côtés. C’est une industrie globalisée, non seulement de chercheurs, mais aussi de fournisseurs, éleveurs, transporteurs d’animaux et beaucoup en dépendent. Ceci se reflète aussi dans l’enseignement, à travers les études préalables et consécutives à l’obtention des diplômes, qui continue à inciter les jeunes chercheurs à utiliser des animaux, au moins à un moment donné, s’ils veulent poursuivre une carrière dans les sciences de la vie.
Parallèlement, les scientifiques sont toujours sous forte pression pour publier et les aspects politique et bureaucratique de ceci doivent être pris en compte. Par exemple, l’utilisation de certaines espèces animales en particulier pour augmenter les chances d’obtenir une publication (par exemple, utiliser des rats ou des souris plutôt que des mouches drosophiles). De plus, en tant que chercheur dans n’importe quelle discipline, on vous apprend à ne jamais dire simplement que votre recherche « n’a pas marché ». Au contraire, vous devez plutôt dire que le matériel ou les méthodes nécessitent des améliorations ou que davantage d’expériences sont nécessaires, et ainsi de suite. Je pense que ceci influe directement sur la recherche animale, en en faisant un système défectueux (ce qui est largement reconnu aujourd’hui) qui a été utilisé pendant des décennies et généré beaucoup de publications. Il y a aussi une grande quantité de données obtenues sur des animaux et jamais publiées.
Je crois que les initiatives menées dans la toxicologie basée sur des preuves et l’analyse des voies impliquées dans les effets secondaires néfastes sont vraiment la voie de l’avenir. Je pense qu’il faut aussi insister sur le fait que toutes les études sur des animaux ne requièrent pas des alternatives. Par exemple, l’utilisation d’animaux pour évaluer la toxicité de substances chimiques industrielles, pour mettre sur le marché de nouveaux produits. Bien que ces tests soient présentés en tant que sécurité pour l’homme et innovation, ce n’est pas un argument scientifique mais tout simplement de la souffrance animale pour se conformer à des exigences commerciales. Il pourrait être mis fin aujourd’hui même à ce type de tests. Nous en avons un modèle législatif établi dans la règlementation sur les cosmétiques, laquelle a montré qu’imposer des échéances réalistes pour mettre fin aux tests de toxicité sur des animaux amenait directement au développement de méthodes sans animaux, scientifiquement validées. Ces méthodes sont disponibles non seulement pour le secteur des cosmétiques mais pour les autres industries également. Ce modèle législatif peut et doit être étendu aux autres industries, en l’accompagnant du financement approprié.
* Des précisions sur ces méthodes pourront être trouvées dans La Notice d’Antidote de juin 2014 ou sur notre site : https://antidote-europe.eu/methodes-alternatives-recherche-animale/.