Royaume Uni : place forte de l’expérimentation animale
Un grand débat vient d’avoir lieu dans les universités britanniques sur la question : faut-il oui ou non continuer à pratiquer des expériences sur des animaux ? A notre grande déception, le oui l’emporte dans ce pays qui est, en Europe, l’un de ceux qui utilisent le plus d’animaux dans les laboratoires. Mais pour combien de temps alors que l’Europe entière se mobilise pour « Stop Vivisection » ?
Article paru dans La Notice d’Antidote n°37
La France, le Royaume Uni et l’Allemagne sont les trois pays européens qui utilisent le plus d’animaux « à des fins expérimentales et autres fins scientifiques » (1). Plus de 3 millions chacun sur un total de plus de 12 millions d’animaux dans l’ensemble des pays de l’Union. C’est dire si la pratique est enracinée et développée dans ces trois pays !
Nous aurions donc pu nous réjouir de l’organisation, dans les universités britanniques, de « the big animal research debate » (le grand débat sur la recherche utilisant des animaux). Hélas, nous ne saurons jamais si ça partait d’un véritable élan démocratique ou s’il s’agit d’un simulacre de débat et, donc, d’un simulacre de prise en compte d’une opinion publique fortement opposée à l’expérimentation animale. Opposée dans toute l’Europe (2).
Du 14 au 17 octobre 2013, les « debating societies » (sorte de clubs de discussions) de 29 universités dans tout le Royaume Uni organisaient dans leurs établissements respectifs des débats publics portant sur la motion : « Cet établissement interdirait toute forme de recherche utilisant des animaux » (3).
La question contient la réponse
Cela commence donc par une simplification du problème qui est, en réalité, très complexe et régi par différentes réglementations. Faut-il supprimer l’expérimentation animale uniquement en recherche fondamentale et appliquée ? Faut-il aussi supprimer les tests de toxicologie sur des animaux ? L’utilisation d’animaux dans la recherche en toxicologie ? L’utilisation d’animaux pour la recherche concernant les animaux eux-mêmes (applications en médecine vétérinaire) ?
L’approbation de ce débat par de hautes personnalités du monde scientifique a été recherchée. Celle du ministre britannique des Universités et de la Science apporte, comme souvent chez les personnes qui soutiennent l’expérimentation animale, des affirmations péremptoires : « La Grande Bretagne est à la pointe de la recherche scientifique et du développement médical et l’utilisation d’animaux dans la recherche scientifique -quand il n’y a pas d’alternative- reste un outil vital pour améliorer notre compréhension de comment les systèmes biologiques fonctionnent dans la santé et dans la maladie, pour la recherche et le développement de nouveaux médicaments pour les hommes et les animaux, pour le développement de technologies médicales de pointe et pour la protection de notre environnement. J’espère que le Grand Débat sur l’utilisation d’animaux dans la recherche encouragera une meilleure compréhension auprès du public britannique, et surtout auprès des jeunes, sur le pourquoi et le comment de l’utilisation des animaux. »
L’amalgame est faite entre recherche utile pour les animaux et recherche utile pour l’homme. Expérimenter sur des souris peut permettre de comprendre le fonctionnement du système biologique sain et malade de la souris, mais pas celui de l’homme ! D’après ce ministre, le but du débat est de mieux faire accepter l’expérimentation animale par le public, et surtout par les jeunes, et non de répondre à la question : cette pratique permet-elle de trouver des données utiles pour l’homme ? Quant à qualifier l’expérimentation animale d’ « outil vital », on croirait un discours rapporté du XIXe siècle ! On attend d’un ministre qu’il arrive à un tel débat sans idée préconçue et qu’il encourage les meilleures méthodes possibles plutôt que de tenter de justifier l’utilisation d’animaux.
Notre directeur, André Ménache, représentait Antidote Europe lors de cet événement. Il a déclaré : « Le Grand Débat est une initiative importante alors que l’expérimentation animale est encore considérée comme un « mal nécessaire ». Bien que l’expérimentation animale ait été traditionnellement vue comme une opposition entre progrès médical et bien-être animal, le doute croît dans certains secteurs de la communauté scientifique sur la valeur prédictive du modèle animal en médecine humaine, ce qui a de fortes implications en termes de souffrance animale et de santé publique. » Le 14 octobre, il participait au tout premier débat de la série, à l’University College de Londres. Il était opposé à Wendy Jarrett, directrice de Understanding Animal Research (UAR -comprendre la recherche utilisant des animaux) (4).
Ce n’est pas la première fois que notre directeur rencontre des représentants d’UAR et il a pu constater encore que le texte de son adversaire était appris et répété, toujours le même depuis des années. Mme Jarrett n’est pas scientifique et elle aurait sans doute pu être mise en difficulté si un vrai débat sur la pertinence du « modèle animal » avait eu lieu. Mais chaque participant n’avait pour exposer ses arguments… que 7 minutes ! Est-ce bien sérieux ?
Des scores intéressants
Si, de prime abord, le combat semble perdu, l’analyse des résultats mérite que l’on s’y attarde.
Le public présent dans la salle a voté lors de chaque débat, dans certaines universités uniquement après le débat, dans d’autres, avant et après. Au total, aucune université n’a approuvé la motion d’interdire les recherches utilisant des animaux. Dans toutes, le vote a été largement favorable à la poursuite de ces recherches.
Mais notons tout d’abord que sept minutes nous pose un gros handicap. En effet, notre argumentation doit être exposée clairement, de façon à pouvoir être comprise par de nombreux étudiants pas forcément scientifiques. Nous devons aussi expliquer comment il serait possible de se passer des animaux afin de bien faire comprendre que nous ne sommes en rien opposés au progrès médical, bien au contraire, mais aux méthodes obsolètes et sans aucune fiabilité. Nos adversaires, eux, n’ont qu’à répéter que les animaux ont été utilisés depuis toujours et qu’il n’est pas possible de s’en passer. Et de citer quelques Prix Nobel obtenus suite à des recherches faites sur des animaux (en se gardant bien de dire que ces recherches auraient pu être faites autrement et que si les résultats ont été les mêmes chez l’homme que chez les animaux, c’est tout simplement pure chance !). Ajoutons que notre exposé a précédé celui de nos adversaires. Le public a appliqué ce vieil adage : c’est le dernier qui parle qui a raison !
Regardons tout de même les résultats (5) de plus près. A l’University College de Londres, ils sont sans appel : 15 votes en faveur de l’interdiction de l’expérimentation animale, 72 votes en faveur de la poursuite de l’expérimentation animale, 6 abstentions. Dans cette université, il n’y avait pas eu de vote avant le débat. Prenons les 20 universités dans lesquelles il y a eu un vote avant et un vote après le débat. On constate que le débat a eu un effet majoritairement positif puisque davantage de votes ont été recueillis en faveur de l’interdiction de l’expérimentation animale après le débat. La palme revient à Manchester où, de 10, les opposants à l’expérimentation animale sont passés à 44, tandis que les défenseurs de l’utilisation d’animaux passaient de 157 à 99 et que les abstentionnistes passaient de 41 à 28.
Dans 14 universités, les opposants à l’expérimentation animale ont gagné des voix, dans 3 seulement ils en ont perdu et dans 3 il n’en ont ni gagné ni perdu. Les défenseurs de l’expérimentation animale ont gagné des voix dans seulement 7 universités, en ont perdu dans 8 et n’en ont ni gagné ni perdu dans 5. Cela montre que le public universitaire aborde ces débats avec l’idée préconçue que l’expérimentation animale serait nécessaire et qu’une partie de ce public est prêt à changer d’avis lorsqu’il est correctement informé.
Reste que les universités ne sont pas le lieu idéal pour organiser ces débats. Les étudiants et enseignants de ces universités ne sont-ils pas juges et parties ? L’expérimentation animale est ou deviendra le gagne-pain de bon nombre des votants, ou bien ce sera le gagne-pain ou le moyen d’acquérir de la notoriété pour leurs collègues et supérieurs. Or, les votes se sont fait, la plupart du temps, à main levée. N’est-on pas tenté de se ménager une ambiance d’études et de travail sans conflits ?
C’est pourquoi, Antidote Europe réclame un débat devant le public en général. Un débat fait d’arguments sérieux et non d’affirmations gratuites. L’immense succès de la collecte de signatures pour l’initiative citoyenne européenne Stop Vivisection montre que le public veut s’exprimer sur ce sujet et a bien compris, lui, contrairement, semble-t-il, à nos élites universitaires, que « nous ne sommes pas des rats de 70kg ! »
(1) Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 30.09.2010
(2) Sondage de la Commission européenne, voir ec.europa.eu/environment/chemicals/lab_animals/questionnaire1.htm
(3) animalresearchdebate.idebate.org
(4) Une vidéo de ce débat est disponible sur animalresearchdebate.idebate.org/content/ucls-big-animal-research-debate
(5) Résultats disponibles sur animalresearchdebate.idebate.org/content/results-1
Dernière minute !
Au moment de boucler cette Notice, nous apprenons (www.theguardian.com/science/2013/nov/17/scientists-fear-for-animal-testing) qu’un nouveau responsable « expérimentation animale » vient d’être nommé au ministère de l’Intérieur britannique, au grand désarroi des chercheurs qui utilisent des animaux. Norman Baker serait favorable à aller vers un abandon de cette pratique. Nous allons suivre de très près ses premiers pas à son nouveau poste.