Toxicologie réglementaire : encore du chemin à faire !
Alors que la technologie progresse si rapidement, il est difficile de comprendre pourquoi des essais sur des animaux continuent à être utilisés, par exemple dans le domaine de la toxicologie réglementaire.
Le développement en 2011 d’une méthode sans recours à l’expérimentation animale pour évaluer les produits contenant du Botox est une preuve nette que l’industrie peut remplacer même les essais sur des animaux les plus « complexes » quand elle y est obligée. Dans le cas du Botox, ce fut grâce à l’opinion publique. Une autre option serait la contrainte légale.
Cette interview du Dr Costanza Rovida est un témoignage unique et courageux, par une personne elle-même impliquée dans des décisions réglementaires, sur comment et pourquoi les autorités sont si lentes à remplacer les essais sur des animaux même lorsque des méthodes sans recours à l’expérimentation animale existent déjà.
Petite précision : par « méthodes alternatives », le Dr Rovida se réfère aux méthodes de toxicologie sans recours à l’expérimentation animale ; par « remplacement », elle se réfère au remplacement des essais sur des animaux par des méthodes alternatives, généralement, pour l’évaluation d’une forme de toxicité donnée (cancérogénicité, toxicité aiguë, allergie cutanée ou respiratoire, etc.).
Interview du Dr Costanza Rovida
Antidote Europe (AE) : Vous êtes activement impliquée dans le développement de méthodes de remplacement des essais sur des animaux. Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?
Costanza Rovida (CR) : Je suis chimiste et j’ai travaillé, il y a plusieurs années, dans le département d’analyse d’une société de biotechnologies qui développait de nouveaux antibiotiques. Je n’ai jamais travaillé avec des animaux mais je pouvais voir que les informations obtenues par des expériences in vivo étaient souvent trompeuses, provoquant un gaspillage considérable de temps et d’argent, en plus des considérations éthiques. Un autre fait était stupéfiant : l’indifférence des directeurs en commandant de nouveaux tests, comme si les animaux étaient des réactifs de laboratoire. En 2005, j’ai intégré EURL-ECVAM, le Laboratoire de référence de l’Union européenne pour les alternatives aux essais sur des animaux, et ma vie a changé. Maintenant je travaille aussi comme évaluatrice du risque de l’utilisation des substances chimiques et je suis de plus en plus convaincue que les essais sur des animaux sont totalement inutiles.
AE : Quel est votre champ particulier de spécialisation et comment remplace-t-il les essais sur des animaux ?
CR : Je travaille comme évaluatrice du risque et je suis impliquée de façon générale dans l’application des méthodes alternatives à des fins réglementaires. Dans ce domaine, le remplacement total est très difficile car des essais in vivo sont obligatoires pour l’enregistrement de substances chimiques, que ce soit des médicaments, des substances industrielles, des additifs alimentaires ou autres. Dans l’évaluation du risque, vous devez définir le seuil de sécurité pour l’utilisation d’une substace dans un but particulier et ceci est, par définition, dérivé d’essais in vivo. De plus, l’utilisation de méthodes alternatives à des fins réglementaires nécessite une validation formelle avant acceptation. Jusqu’à il y a dix ans, la situation était très difficile. Maintenant, c’est en train de changer, du moins dans l’UE.
Tout d’abord, dans l’UE, les méthodes sans recours à l’expérimentation animale devraient être obligatoires dès lors qu’elles existent. Pour le moment, ceci n’est vrai que pour l’irritation cutanée et l’irritation oculaire et partiellement pour la sensibilisation cutanée. Ce n’est qu’une petite partie de la procédure d’évaluation du risque mais cela instaure un principe très important, qui a un fort impact du point de vue culturel : les toxicologues sont obligés d’envisager les méthodes alternatives et d’accepter qu’elles existent ! Malheureusement, il y a encore de nombreux cas dans lesquels cette règle n’est pas respectée et, apparemment, il n’y a pas de sanction de la part des autorités.
Le deuxième point important est que les approches alternatives sont acceptées dans l’UE même avec des méthodes non validées, si la validité scientifique est démontrée. Je parle de stratégies telles que la méthode des références croisées ou le poids des preuves.
Dernière chose, et pas des moindres, l’OCDE est à présent le moteur de la révision du processus dans son ensemble. Elle demande des études approfondies des voies toxicologiques impliquées dans des effets indésirables (désignées par le sigle anglais AOP pour Adverse Outcome Pathway), ce qui signifie l’étude de chaque étape qui peut mener à des effets délétères dans un organisme, à commencer par l’absorption de la substance. Ce processus est effectué sans essais in vivo mais, à la place, par l’utilisation de méthodes physico-chimiques, des essais sur des cellules et des modèles informatiques. Les AOP en sont encore à leurs débuts mais représentent probablement la façon dont sera faite l’évaluation du risque à l’avenir.
AE : D’après la littérature scientifique, les essais sur des animaux dans le domaine de la toxicologie réglementaire sont aussi prédictifs pour l’homme que jouer à pile ou face. En utilisant une stratégie d’analyses intégrées (désignée par le sigle anglais ITS pour Integrated Testing Strategy), quels niveaux de sensibilité et de spécificité pouvons-nous atteindre aujourd’hui en utilisant des méthodes sans recours à l’expérimentation animale dans le domaine de la toxicologie réglementaire ?
CR : Je ne sais pas. Ce n’est pas mesurable. Peut-être le saura-t-on dans le futur, quand les outils ITS robustes seront disponibles. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas où j’ai la possibilité d’appliquer une stratégie d’analyses intégrées, je me sens personnellement beaucoup plus à l’aise pour prendre une décision sur la toxicité d’une substance car j’acquiers une bonne connaissance de ce que je fais. J’ai l’impression de mieux maîtriser le problème.
AE : Selon vous, quels sont les plus gros obstacles au développement plus large et à l’application de méthodes sans recours à l’expérimentation animale ?
CR : Il y en a tellement que c’est difficile de dire lequel est le plus gros ! De plus, il est difficile de dire qu’est-ce qui provoque quoi.
Il est certain qu’il y a plusieurs défis d’ordre pratique. Peu de CROs* peuvent proposer la solution et, en général, chacune est spécialisée dans une partie du puzzle seulement : toxicité locale, perturbateurs endocriniens, neurotoxicité, etc. Très peu d’experts peuvent avoir une vue d’ensemble du problème et la combinaison des différentes parties de l’information est assez complexe.
Sans doute à cause de cela, les coûts demeurent très élevées et l’expertise rare.
La base de tous les problèmes pourrait être le manque d’expérience et la peur que finalement l’approche ne soit pas acceptée par les responsables de la réglementation. Peut-être que la base est la faille culturelle et le fait que les toxicologues ne sont pas formés dans cette perspective. C’est un cercle vicieux qu’il faudrait casser : je n’apprends pas, je n’utilise pas, je n’acquiers pas de l’expérience.
AE : Y a-t-il des sujets non évoqués au cours de cette interview que vous souhaiteriez aborder ?
CR : J’aimerais voir une plus grande implication de la part des autorités. En général, les gens modifient leurs habitudes quand ils y sont contraints par la loi. La loi demande à présent que les méthodes alternatives soient prises en compte avant de faire de nouveaux essais in vivo mais elle est rarement appliquée. J’ai compté plusieurs centaines de nouveaux essais in vivo pour l’irritation cutanée et l’irritation oculaire dans le cadre de REACH**. Cela correspond à plusieurs milliers de lapins tués sans raison puisque ces deux points de mesure ont des méthodes alternatives in vitro validées. Je pense que les autorités devraient donner des amendes à toutes les sociétés qui ont fait cela mais ce n’est pas le cas. Une autre proposition serait de donner des encouragements financiers aux sociétés qui appliquent les stratégies alternatives au lieu d’une étude in vivo pour l’évaluation de points de mesure complexes comme la toxicité à doses répétées ou la toxicité pour la reproduction. Ces encouragements pourraient prendre la forme d’un allègement de charges ou d’une procédure accélérée d’autorisation des produits.
* CRO, pour Contract Research Organization, est une organisation sous contrat de recherche qui fournit du soutien à l’industrie pharmaceutique, biotechnologique ou médicale sous la forme de services de recherche sous-traités de façon contractuelle.
** REACH est la réglementation européenne en matière d’Enregistrement, évaluation et autorisation de substances chimiques, entrée en vigueur le 1er juin 2007.