Recherche biomédicale : beaucoup de gaspillage !
Un professeur d’épidémiologie et d’autres sciences médicales dénonce la mauvaise utilisation de fonds publics alloués à la recherche biomédicale, en partie faite sur des animaux. Lauréat 2016 d’un prix prestigieux décerné par l’Institut national de la santé états-unien, le professeur Michael Bracken appelle à réduire le gaspillage et à augmenter la valeur de la recherche.
Par Hélène Sarraseca
L’Institut national de la santé des Etats-Unis (NIH) est sans doute l’un des plus grands financeurs au monde -avec des fonds publics- de recherche biomédicale. Il n’a pas hésité à décerner en 2016 un prestigieux prix au professeur Michael Bracken, ni à l’inviter à donner une conférence le 20 avril dernier dans la non moins prestigieuse série Wednesday Afternoon Lecture (Conférences du mercredi après-midi) à l’auditorium Masur mis à disposition par cette institution. Pourtant, Michael Bracken est très critique de l’utilisation qui est faite des fonds publics alloués à la recherche biomédicale.
Le titre de sa conférence donne le ton : « Inefficacité et gaspillage dans la recherche biomédicale : dans quelle mesure, avec quelles causes et comment l’éviter ? » Dotée de 200 milliards de dollars chaque année dans le monde (dont 30 milliards par le NIH), près de 87,5% de la recherche biomédicale serait inefficace. « Le gaspillage n’est pas qu’une affaire d’argent et de ressources », souligne le Pr Bracken. « Cela peut entraîner des dommages à la santé des personnes. »
Recherche animale : « 40 ans de retard ! »
Sur 100 projets de recherche, seule la moitié donnerait lieu à des découvertes publiées, donc accessibles à la communauté scientifique et au public et susceptibles ainsi de contribuer à la progression des connaissances. Mais de cette moitié, il faut encore retirer les données qui ne sont pas fiables, celles qui sont redondantes et celles qui sont inutiles en raison de travaux antérieurs.
La recherche préclinique, en particulier sur des animaux, est jugée particulièrement inutile. Lorsqu’ils réalisent des études sur l’homme, les chercheurs utilisent le plus souvent des méthodes dites « en aveugle », ou « en double aveugle », de façon à ne pas influencer le résultat selon les attentes des expérimentateurs. Or, ce principe est largement ignoré dans la recherche animale. Le Pr Bracken estime que la méthodologie appliquée aux études sur des animaux a 40 ans de retard par rapport à celle utilisée pour des études cliniques sur l’homme.
Ce scientifique n’en est pas à ses premières déclarations sur le sujet. Nous avons plusieurs fois cité dans La Notice d’Antidote l’un de ses articles, intitulé « Où sont les preuves que la recherche animale profite bien à l’homme ? », publié dans le British Medical Journal le 28 février 2004. Michael Bracken récidivait le 8 janvier 2014 dans The Lancet, autre revue médicale très prisée, avec cet autre titre : « Comment augmenter la valeur et réduire le gaspillage quand les priorités de la recherche sont établies ». Au cours de sa carrière, il a publié quelque 380 articles dans la littérature scientifique et trois livres. Son dernier ouvrage a été qualifié par le British Medical Journal comme l’un des plus influents dans le domaine de la médecine basée sur des preuves.
Quelle recherche faire ?
Certaines bonnes idées ne donnent pas les résultats escomptés mais, dans la mesure où les recherches sont menées dans la transparence, il n’y a pas de gaspillage, seulement des déceptions inhérentes à la façon dont la science avance. D’autres recherches ne mènent pas à des découvertes importantes « en partie parce qu’elles sont faites pour améliorer la compréhension de mécanismes de base qui peuvent ne pas être pertinents pour la santé humaine ». Michael Bracken et ses coauteurs recommandent : d’améliorer le rendement de la recherche fondamentale ; d’améliorer la transparence avec laquelle les organismes financeurs prennent en compte les besoins des utilisateurs potentiels de la recherche ; d’évaluer les données existantes avant de lancer de nouvelles recherches ; d’améliorer les sources d’information sur les recherches en cours. « Les financeurs ont une responsabilité première pour la réduction du gaspillage découlant des décisions sur les recherches à mener », concluent-ils.
La recherche fondamentale, qui utilise un grand nombre d’animaux pour des expériences qui peuvent être douloureuses, ne mène à des applications utiles en thérapie humaine que dans 0,004% des cas, selon une étude publiée en 2003 par l’American Journal of Medicine. L’utilisation de fonds publics pour des recherches à si faible « rendement » ne devrait-elle pas être soumise à l’approbation des contribuables ?
Quant aux conseils donnés pour réduire le gaspillage, notamment par duplication d’études, certains relèvent du bon sens et on s’étonne qu’il faille encore les dispenser. Des revues systématiques pour les protocoles de recherche devraient être effectuées, dit Michael Bracken. Une revue systématique est une synthèse de la littérature qui suppose de collecter et d’analyser tous les articles scientifiques pertinents dans le domaine de la recherche envisagée, dans le but de réunir les meilleures preuves existantes sur le sujet. Le Pr Bracken conseille de réaliser les revues au fur et à mesure que la recherche est publiée. Les chercheurs estimeraient ainsi en temps réel si de nouvelles études sont nécessaires. Parce que des protocoles de recherche sont conçus et financés sans que soit fait ce travail élémentaire préalable ?
Dans le tout premier numéro du New England Journal of Medicine, publié il y a plus de deux siècles, le premier article commençait ainsi : « Dans nos investigations sur tout sujet particulier de médecine, nos efforts seront réduits et orientés vers leurs objets adéquats par la connaissance des découvertes précédentes. » Il semble que la leçon n’ait toujours pas été apprise. Au détriment de la santé humaine. Répéter des études quand il y a déjà des éléments suggérant qu’un traitement est efficace, par exemple, « signifie que des patients sont soumis à un placebo alors qu’ils pourraient recevoir une thérapie active », déplore Michael Bracken.
A quand une science et une médecine responsables ?