Anne Keogh s’exprime au sujet de la cardiologie
Le Professeur Anne Keogh est co-directrice du Programme de recherche clinique à l’Institut de recherche cardiaque Victor Chang, à Sydney, et la cardiologue responsable en transplantation cardiaque. Cette cardiologue a vu des humains souffrir suite aux effets secondaires de médicaments testés sur des animaux et a décidé de militer pour l’abolition de l’expérimentation animale et pour l’utilisation de méthodes véritablement scientifiques.
Ses sujets de recherche clinique sont l’insuffisance cardiaque gauche, l’hypertension pulmonaire, la transplantation cardiaque, l’immunosuppression et les alternatives à la transplantation. Depuis 1984, elle a publié plus de 250 articles dans des revues à comité de lecture et 300 communications dans des revues ou à des conférences.
En un mot comme en cent : l’animal n’est pas le modèle de l’homme. Nous avons interviewé pour vous encore un médecin qui l’affirme, preuves à l’appui. Cette cardiologue a vu des humains souffrir suite aux effets secondaires de médicaments testés sur des animaux et a décidé de militer pour l’abolition de l’expérimentation animale et pour l’utilisation de méthodes véritablement scientifiques. Nous l’avons désormais prouvé, les médecins et chercheurs opposés à l’utilisation d’animaux dans la recherche biomédicale humaine ne sont pas que “quelques marginaux” comme le prétendent nos adversaires, véritables spécialistes de la désinformation. Comme vous l’aurez constaté, numéro après numéro de La Notice d’Antidote, et malgré les difficultés auxquelles peuvent avoir à faire face les chercheurs qui osent se prononcer contre cette pratique, nous n’avons pas de mal à trouver des scientifiques qui acceptent d’exposer leurs arguments contre l’expérimentation animale. Ce trimestre, c’est à une spécialiste des transplantations cardiaques, au sommet d’une carrière brillante, chercheur estimée de ses pairs, que nous donnons la parole. Son message est fort, bien argumenté et plein de bon sens. Jugez plutôt.
Antidote Europe (AE) : Pourriez-vous nous dire à quel moment de vos études ou de votre carrière vous avez commencé à être mal à l’aise ou à douter de la pertinence de l’expérimentation animale ? Aviez-vous, pour cela, des raisons purement éthiques ou bien scientifiques également ?
Anne Keogh (AK) : Dans mon école de médecine, en 1976, des rats étaient placés sur des plateaux en cuivre chauffés à blanc (pour démontrer qu’ils allaient sauter dans n’importe quelle direction pour éviter une brûlure) puis dans une chambre froide pendant six heures. Scientifique ? Non. Ethiquement acceptable ? Non. Des étudiants intelligents de 20 ans n‘étaient pas étonnés du résultat (des enfants de 4 ans ne le seraient pas non plus). Un autre test consistait à laisser nager un rat jusqu‘à ce que le chercheur juge que le rat était épuisé et sur le point de se noyer. Science médiocre. Cruel et stupide. Toutes les expériences réalisées sur des animaux dans un but “éducatif” auraient pu être remplacées par des exercices bien conçus n’utilisant pas d’animaux. En tant que cardiologue traitant des maladies cardiaques humaines, il est très décevant de voir l‘énorme quantité d’animaux utilisés sans pertinence pour comprendre la complexité des maladies cardiaques humaines. Et de voir la duplication de travaux sur des animaux déjà réalisés bien plus tôt, la médiocre méthodologie scientifique et un point de vue partiel qui retient la science en arrière. Et encore, je ne vois que ce qui a été publié et, donc, sélectionné comme positif. Que se passerait-il si on publiait toutes les expériences négatives ou non concluantes faites sur des animaux ?
AE : Vous êtes Professeur de médecine, cardiologue responsable en transplantation cardiaque. Pouvez-vous commenter la première transplantation cardiaque réalisée en 1967 par Christiaan Barnard, dans laquelle l’opération a été un succès technique mais le patient est décédé peu après, apparemment suite à un excès de médicaments immunosuppresseurs dont la dose avait été calculée lors d’expériences sur des chiens ?
AK : Cela est vrai et c’est une question centrale : comment les médicaments sont développés et comment ils échouent quand ils sont prescrits à des humains. Les médicaments sont développés en utilisant différentes espèces animales et sont testés à de très fortes doses, choisies pour maximiser les chances d’obtenir un effet (par exemple, sur le système immunitaire). Sans surprise, ceci ne signifie pas que toutes les toxicités aient été gommées. Par exemple, des rats ne pourraient pas dire aux chercheurs qu’un médicament appelé terbogrel (pour des problèmes pulmonaires et cardiaques) provoque des douleurs osseuses intolérables. Pour aussi efficace qu’ait pu être le terbogrel, cet effet secondaire était si intense chez l’homme que ce médicament a été abandonné. Il est évident qu’un médicament agira différemment chez l’homme et chez les animaux (différences dans la pharmacocinétique (1)) et même chez différents individus humains (pharmacogénomique (2)). Beaucoup de médicaments sont amenés dans les essais cliniques sur l’homme à des doses trop élevées et même après un réajustement de la dose, la balance entre le bénéfice et la toxicité du médicament n’est jamais trouvée. Pas même un médicament sur cent testé sur des rats, des chiens, des singes, des hamsters, des cochons d’Inde, ne fonctionne sur l’homme. Il faut vraiment remettre en question une méthode où presque tous les résultats sont des échecs. Alors, quelle serait l’alternative scientifique ? Au lieu de surdoser un grand nombre d’animaux et passer aux essais sur l’homme tard dans le processus, il faudrait travailler avec de faibles doses et les augmenter progressivement sur l’espèce pour laquelle le médicament est conçu (l’homme). Le microdosage consiste à donner une infime quantité de médicament “marqué” (par un marqueur radioactif) à un individu sain et à mesurer la réponse grâce à des outils modernes (spectrométrie, imagerie par résonance magnétique, tomographie par émission de positrons). Ceci est de loin plus scientifique, moins dangereux, plus court (on peut gagner un à deux ans dans le processus de développement du médicament) et épargnerait un grand nombre d’animaux.
AE : Avez-vous observé, en Australie ces dernières années, un changement dans l’attitude du public envers l’utilisation d’animaux dans la recherche scientifique et médicale ? Et dans l’attitude de la communauté scientifique ?
AK : Les Australiens comprennent à présent la souffrance des poules enfermées dans des cages. Il a fallu, pour cela, que cette pratique soit révélée au public et que l’information soit rabâchée un grand nombre de fois. Le public est peu conscient de la souffrance des animaux dans la recherche car cette information lui est bien cachée. Il est dit sans cesse que de moins en moins d’animaux sont utilisés dans la recherche scientifique. Ceci est faux. L’utilisation d’animaux génétiquement modifiés a fait augmenter le nombre d’animaux utilisés à un niveau jamais atteint.
Nous avons des comités d‘éthique. Ne remettent-ils pas en question l’utilisation d’animaux et ne proposent-ils pas des méthodes sans animaux ? Non, ils ne le font pas. Le rôle des comités d‘éthique est de régir la recherche au nom de l’institution. Il est très important de comprendre ce point. Les comités d‘éthique n’ont pas, par exemple, un membre formé aux moyens de remplacer les animaux et obtenir des résultats de façon plus directe, bien que des méthodes sans animaux soient disponibles. Il n’y a pratiquement personne pour promouvoir les méthodes sans animaux en Australie. Ni le Conseil national de la santé et de la recherche médicale (NHMRC). Ni les comités d‘éthique. Le Code de pratique du NHMRC qui impose l’utilisation de méthodes alternatives à l’expérimentation animale est largement ignoré. Je sens que le changement doit venir de l’intérieur du NHMRC et de la structure des comités d‘éthique pour dépasser l’utilisation des “modèles” animaux, lesquels induisent en erreur.
Medical Advances Without Animals (MAWA ; Avancées médicales sans animaux) est une association australienne indépendante qui encourage la recherche scientifique sans animaux.
AE : Est-il possible, en Australie, de devenir chirurgien sans s’entraîner d’abord sur des animaux ? Dans plusieurs pays, par exemple, il est possible pour les chirurgiens urgentistes d’obtenir une accréditation dans cette discipline (“Advanced Trauma Life Support”) sans pratiquer d’expérience sur des animaux.
AK : Bien sûr ! Un jeune chirurgien commence par apprendre l’anatomie humaine, la théorie, observe des chirurgiens opérant des humains, assiste sous supervision et acquiert peu à peu des compétences. Les tissus humains ont une texture spéciale et la physiologie humaine est unique.
Je serais très inquiète si on me disait : “Anne, le chirurgien qui va t’opérer ce matin est brillant depuis des années sur le modèle lapin. Tu seras juste sa première patiente humaine…”
AE : Des veaux, des cochons, des chiens et autres quadrupèdes ont été utilisés pour la recherche en cardiologie depuis des années. Le fait que 70% de leur volume sanguin soit au-dessus ou au niveau du coeur alors que chez l’homme 70% du volume sanguin est en dessous du niveau du coeur vous paraît-il poser de sérieux problèmes quant à la validité de ces recherches sur des animaux ?
AK : Tout à fait. Les différences sont nombreuses. Par exemple, dans la forme et la flexibilité des globules rouges et la viscosité du sang. Il peut aussi y avoir des différences selon le sexe. Dans la recherche en transplantation cardiaque, des rats mâles sont généralement utilisés pour tester des médicaments agissant sur le système immunitaire. Or, les rats femelles ont des oestrogènes et un système immunitaire plus alerte. Les différences entre espèces animales sont bien plus importantes que les similitudes. Les “modèles” de maladies cardiaques et pulmonaires sont induits de plusieurs façons mais ressemblent rarement aux maladies humaines. Je pourrais vous donner une longue liste de ces modèles défectueux. Les méthodes scientifiques, sans animaux, qui pourraient être utilisées aujourd’hui sont bien meilleures. Très simplement, tant qu’un médicament n’a pas été essayé sur l’homme, les effets sur l’homme ne peuvent pas être connus. Et ceci explique pourquoi ces médicaments pour le coeur (tous utilisés pendant ma carrière) ont “marché sur l’animal” atteint d’insuffisance cardiaque gauche mais ont tué des patients humains -flosequinan, epoprostenol, pimobendan, enoximone, amrinone, etc.
AE : Nous vous remercions très sincèrement d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Y a-t-il d’autres points que vous aimeriez mentionner ?
AK : Il faut des changements majeurs au plus haut niveau des comités d‘éthique et duNHMRC en Australie pour abolir l’expérimentation animale et faire de la bonne science. Mais que peut faire chaque individu ? Les Australiens donnent généreusement à des instituts et à des fondations pour toutes sortes de maladies. Il est parfaitement raisonnable, pour les donateurs, de demander qu’est-ce qu’ils financent exactement, quels animaux sont utilisés et si des méthodes sans animaux sont utilisées. La vérité étonnerait les gens. Soyez conscients que les alternatives à l’expérimentation animale sont de la meilleure science et permettent de trouver plus vite de nouveaux traitements pour l’homme. Décidez d‘être informés et d’agir grâce à ce que vous savez. N’achetez que les médicaments dont vous avez besoin, ne les stockez pas et ne laissez pas passer la date de péremption. Achetez des produits cosmétiques non testés sur des animaux. Informez-vous sur l’origine de la thérapie hormonale de remplacement (THR), obtenue sur des juments avec des cathéters urinaires implantés à vie. Changez votre mode de vie quand ceci peut réduire votre consommation de médicaments.
Envisagez d’adhérer à des groupes qui ont une structure pour promouvoir de la meilleure science, vous informer mieux et agir pour introduire des réformes bénéfiques en votre nom. Enfin, je voudrais inviter vos lecteurs à visiter le site de Medical Advances Without Animals (MAWA) pour plus d’informations sur ce sujet : http://www.mawa-trust.org.au/ (3).
(1) La pharmacocinétique est l‘étude du temps qu’il faut à un médicament pour être assimilé, amené vers sa cible, métabolisé et finalement éliminé de l’organisme.
(2) La pharmacogénomique permet de déterminer, en connaissant le génome d’un individu, si un médicament sera efficace et sans danger pour lui en particulier.
(3) Ceux d’entre vous qui n’ont pas internet peuvent écrire à : The MAWA Trust – PO Box 4203 – Weston Creek – ACT 2611 – Australie… mais en anglais !