L’utilisation d’animaux vivants dans l’enseignement des sciences de la vie et de la Terre (SVT) n’est permise qu’à certaines conditions. Les règles sont données par la directive européenne 2010/63/UE et transposées en droit français.
Nos très vifs remerciements à Mme Laurence Abeille, députée écologiste du Val-de-Marne qui a posé une question écrite au gouvernement, à ce sujet. Les questions écrites sont publiées au Journal officiel et le ministère concerné est tenu d’y répondre, également par écrit et avec publication au Journal officiel.
Nous reproduisons ci-dessous le texte de la question écrite de Mme Abeille publiée le 26 janvier 2016. Nous rendrons compte de la réponse dès qu’elle sera disponible.
Texte de la question :
Mme Laurence Abeille interroge M. le secrétaire d’État, auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’utilisation d’animaux vivants dans les établissements d’enseignement supérieur ainsi que les sanctions prévues dans le cas de non-respect de la législation en vigueur par les responsables de projet utilisant des animaux. Une association de protection animale a récemment révélé des faits qui se sont déroulés dans une université de province lors de travaux dirigés en licence SVT. Il s’agissait de procédures expérimentales sur animaux vivants, celles-ci contrevenant à législation en vigueur et notamment à l’article R. 214-105 du code rural et de la pêche maritime. Ces expériences étaient illicites tant parce qu’elles se sont pratiquées dans le cadre d’une formation généraliste ne conduisant pas à des métiers impliquant la réalisation de procédures expérimentales sur les animaux, que parce qu’elles n’ont pas respecté le principe des « 3R » (remplacement, réduction, raffinement) figurant dans l’article R. 214-105 susmentionné et dans la directive européenne 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Elle rappelle que l’article 60 de la directive européenne 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques édicte que : « les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour en assurer la mise en oeuvre. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces dispositions à la Commission, au plus tard le 10 février 2013, et notifient sans retard toute modification ultérieure les concernant ». Ces faits nous interrogent de manière plus globale sur les moyens – inspections et sanctions – mis en oeuvre par les pouvoirs publics pour éviter de telles dérives. Elle souhaiterait savoir comment sont effectuées les inspections, lors des travaux dirigés avec utilisation d’animaux, permettant de s’assurer du respect des bonnes pratiques expérimentales.
Madame Marisol TOURAINE
Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes
14, avenue Duquesne
75350 PARIS 07 SP
Paris, le 20 janvier 2016
LETTRE OUVERTE
Madame la Ministre de la Santé,
Le drame des essais cliniques de Rennes, un « évènement d’une extrême gravité », dites-vous. Ne serait-ce pas plutôt un dramatique mais banal effet secondaire de médicament, comme il s’en reproduit des dizaines de milliers par an en France ? Selon un de vos prédécesseurs, M. Bernard Kouchner, il y avait, déjà en 1997, 20 000 morts et 1,3 millions d’hospitalisations par an en France, du seul fait d’effets secondaires de médicaments, tous testés « avec succès » sur des animaux « modèles ». La cause première et unique de cette hécatombe, y compris de ce drame de Rennes : la confiance aveugle, pour des questions de santé humaine, dans les résultats obtenus précisément sur des animaux « modèles ».
La notion de « modèle » est, en biologie, une pure fiction : aucune espèce n’est un modèle biologique pour une autre. La preuve irréfutable est dans la définition même d’une espèce, son isolement reproductif (les gamètes mâles et femelles ne peuvent se recombiner s’ils ne proviennent pas de la même espèce). Les patrimoines génétiques d’espèces différentes sont donc différents, chaque espèce va réagir à une maladie ou à une agression extérieure avec ses gènes, il n’y a donc aucune raison que la réaction à un candidat médicament d’un chien soit identique à celle d’un singe, ou que celles d’un chien ou d’un singe soient identiques à celle d’un humain. C’est une évidence scientifique qui s’impose sans discussion si on veut éviter des drames, qui font la une des journaux comme l’affaire de Rennes, ou qui se déroulent dans l’anonymat pour les dizaines de milliers de morts, victimes d’effets secondaires de médicaments tous les ans. Vos services de pharmacovigilance ont dû vous en communiquer le chiffre, mais il est sans doute frappé du sceau « Secret », puisque nous vous l’avons déjà demandé plusieurs fois, en vain jusqu’ici.
Ne faut-il donc plus tester les médicaments ? Si, bien sûr ! Mais le seul modèle valable de l’homme est… l’homme, et pour commencer le matériel biologique d’origine humaine. Avant les tests cliniques de phases 1, 2, 3 et 4 (rarissime !), il faudrait un test « zéro » :
(1) de pharmacogénomique sur des cellules pluripotentes induites obtenues auprès de personnes saines de sexes, d’âges et d’ethnies différents, différenciées dans l’une ou l’autre des 243 lignées cellulaires humaines ; ce test met en évidence les organes affectés, les gènes dérégulés par le candidat médicament, les voies pathologiques dans lesquels ce dernier engage les cellules ;
(2) sur des « miniorganes » générés à partir des cellules pluripotentes induites (mini cerveau, mini foie, mini rein…), dont les réactions sont analysées par génomique comme ci-dessus.
Ce sont là deux tests précliniques, valables pour l’homme, rapides, d’un coût abordable, largement utilisés à l’étranger, mais d’autres peuvent les compléter. Affecter à ces méthodes, et aux recherches scientifiques pour d’autres, les moyens gaspillés en France dans des tests sur les soi-disant « modèles » animaux permettrait d’éviter les drames dus aux effets secondaires et le sacrifice de volontaires qui ont fait confiance aux paroles des cliniciens. Pourquoi ces derniers, s’ils étaient tellement sûrs de l’innocuité des candidats médicaments, ne s’y sont-ils pas exposés eux-mêmes ?
Sachant à présent que la notion de « modèle » animal n’a aucune valeur en ce qui concerne la santé humaine, mais conduit bien souvent à de graves accidents, il vous appartient, au nom des pouvoirs attachés à votre fonction, de mettre un terme sans délai à l’utilisation de ces prétendus « modèles ». Vous engageriez sinon votre responsabilité personnelle, comme ce fut le cas en son temps dans le scandale du sang contaminé.
Veuillez agréer, Madame la Ministre de la Santé, l’expression de notre haute considération.
Nous nous limitons à traduire ici certaines phrases de l’article publié en octobre 2015 par la neurophysiologiste Aysha Akhtar en évitant de répéter des éléments que nous avons déjà donnés et développés par ailleurs. Nous reproduisons toutefois les grandes lignes de son article, remarquable synthèse de l’argumentation scientifique contre l’utilisation d’animaux pour la recherche biomédicale humaine. Nous encourageons vivement tous les anglophones intéressés par ce sujet à lire l’article d’Aysha Akhtar dans son intégralité (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4594046/ ; Camb Q Healthc Ethics. 2015 Oct; 24(4): 407–419).
Résumé
L’expérimentation animale est défendue par l’affirmation qu’elle serait fiable, que les animaux fournissent d’assez bons modèles de la biologie humaine et des maladies humaines pour générer des informations pertinentes et que, en conséquence, son utilisation fournit de grands bénéfices pour la santé humaine. Je démontre qu’un corpus grandissant de littérature scientifique évaluant de façon critique la validité de l’expérimentation animale soulève des préoccupations importantes au sujet de sa fiabilité et de sa valeur prédictive pour les réponses humaines et pour la compréhension de la physiologie humaine. L’absence de fiabilité de l’expérimentation animale dans beaucoup de domaines sape les arguments scientifiques en faveur de cette pratique. De plus, je montre comment l’expérimentation animale provoque souvent des dommages significatifs aux humains, en raison d’études de sécurité (toxicité) souvent trompeuses, d’abandon possible de thérapies efficaces pour l’homme et de captation de ressources au détriment de méthodes plus efficaces. La conclusion suggère que les dommages et le coût pour l’homme de l’expérimentation animale dépassent les bénéfices potentiels et que les ressources seraient mieux investies dans le développement de méthodes basées sur l’homme.
Introduction
Plus de 115 millions d’animaux sont utilisés chaque année dans le monde pour l’expérimentation ou pour fournir l’industrie biomédicale. L’expérimentation animale vise à informer sur la biologie humaine et les sciences de la santé et à assurer la sécurité et l’efficacité de traitements potentiels.
Bien qu’il soit largement accepté que la médecine devrait être basée sur des preuves, l’expérimentation animale en tant que moyen d’informer sur la santé humaine n’a pas été soumise, en pratique, à cette exigence. En raison de ce fait, il est surprenant que l’expérimentation animale soit considérée comme la référence en matière de tests précliniques et soit généralement soutenue sans examen critique de sa validité.
Je montre que l’expérimentation animale est peu prédictive des réponses humaines, qu’elle n’est pas fiable dans beaucoup de maladies et que la littérature publiée démontre la non fiabilité de l’expérimentation animale, détruisant ainsi l’argumentation scientifique en sa faveur.
Problèmes pour traduire avec succès à l’homme les données de l’expérimentation animale
Effets de l’environnement du laboratoire et autres variables sur les résultats des expériences
Parmi les facteurs de détresse générée par le laboratoire, citons le phénomène d’anxiété contagieuse :
– les niveaux de cortisone augmentent chez des singes qui voient d’autres singes être placés dans des dispositifs de contention pour des prises de sang ;
– la pression sanguine et la fréquence cardiaque augmente chez des rats qui voient d’autres rats être décapités.
Des procédures de routine telles qu’attraper un animal et le retirer de sa cage, en plus des procédures expérimentales, provoquent une élévation significative et prolongée des marqueurs de stress.
Ces variations de paramètres physiologiques dues au stress peuvent avoir des effets significatifs sur les résultats des expériences. Des rats stressés, par exemple, développent des maladies inflammatoires chroniques et des diarrhées qui ajoutent des variables et peuvent perturber les données.
D’autres conditions au sein du laboratoire peuvent provoquer des modifications dans la neurochimie, l’expression génétique et la régénération nerveuse.
– Dans une étude, par exemple, des souris avaient été génétiquement modifiées pour développer des défauts aortiques. Pourtant, placées dans des cages plus grandes, ces défauts disparurent presque totalement.
– Dans d’autres exemples, le bruit typique du laboratoire peut endommager les vaisseaux sanguins chez les animaux,
– et même le type de sol sur lequel des animaux sont étudiés lors d’expériences sur des lésions de la moelle épinière peut affecter l’effet d’un médicament.
Différences entre les modèles animaux de maladies et les maladies humaines
La recherche sur les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représente un exemple marquant de la difficulté de modéliser des maladies humaines en utilisant des animaux. Un ensemble de lignes directrices a été adopté en 1999 et réactualisé en 2009 pour standardiser les protocoles, limiter les différences et améliorer l’applicabilité à l’homme des expériences sur les AVC chez l’animal. NXY-059 a été l’un des traitements les plus prometteurs qui en a résulté. Présenté comme le produit phare de ces nouvelles normes, il n’en a pas moins été un échec lors des études cliniques humaines.
Il y a peu d’éléments de preuve suggérant qu’une ratte, une chienne ou une guenon aient une physiologie comparable à celle d’une femme. Plus important peut-être encore, reproduire l’état préexistant à un AVC chez l’animal s’avère tout aussi difficile que reproduire la pathologie et l’évolution d’un AVC.
Plus de 114 thérapies potentielles testées sur des animaux ont échoué aux essais cliniques.
D’autres exemples d’échecs suite à des essais sur des modèles animaux incluent le développement de médicaments contre :
– le cancer, le taux d’échec étant parmi les plus élevés de toutes les catégories de maladies ;
– la sclérose latérale amyotrophique, pour laquelle plus de 20 médicaments ont échoué aux essais cliniques et le seul médicament approuvé par la FDA (autorité d’autorisation des médicaments états-unienne) ne montre que des avantages marginaux en termes de survie des patients ;
– les lésions traumatiques cérébrales, pour lesquelles 27 essais cliniques de phase 3 (tests d’efficacité sur un grand nombre de patients) et 6 essais non publiés ont tous échoué sur l’homme alors qu’ils avaient montré des bénéfices sur des animaux ;
– la maladie d’Alzheimer, pour laquelle 172 médicaments ont échoué sur l’homme après avoir réussi sur des animaux ;
– les inflammations, pour lesquelles 150 médicaments ont échoué sur l’homme après avoir réussi sur des animaux.
En 2004, la FDA estimait que 92% des médicaments qui passent les tests précliniques, y compris des tests clés sur des animaux, n’obtiennent pas leur autorisation de mise sur le marché pour l’homme. Des analyses plus récentes suggèrent que, malgré les efforts pour améliorer la capacité de la recherche animale à prédire les réactions humaines, le taux d’échec a augmenté et approcherait les 96%. Les principales causes de l’échec des médicaments sont le manque d’efficacité et les problèmes de sécurité qui n’ont pas été prédits par les tests sur des animaux.
Différences de physiologie et de génétique entre espèces animales
Dans les lésions de la moelle épinière, par exemple, les résultats des essais de médicaments varient selon l’espèce animale et même selon la lignée, au sein d’une espèce animale, qui a été utilisée. Ces variations s’expliquent par les nombreuses différences neurophyiologiques, anatomiques et comportementales entre les espèces et les lignées. Des différences ont même été constatées entre des rats de la même lignée achetés auprès de fournisseurs différents. Après des décennies d’utilisation de modèles animaux, pas un seul agent neuroprotecteur ayant amélioré une lésion de la moelle épinière chez l’animal ne s’est montré efficace chez l’homme.
Autre exemple, des souris utilisés abondamment pour l’étude de réponses inflammatoires suite à des infections, brûlures ou traumatismes ont montré des différences vis-à-vis de l’homme dans les gènes activés ou inactivés et dans le moment ou la durée de l’expression de ces gènes. Les modèles souris ont même différé entre eux (voir La Notice d’Antidote de juin 2013).
La régulation des gènes peut différer de façon significative entre différentes espèces et peut aller jusqu’à la présence ou l’absence d’un gène en particulier. En dépit d’un haut degré de conservation du génome, il y a des différences critiques dans l’ordre et la fonction des gènes entre différentes espèces animales.
Reconnaissant ces différences génétiques, des chercheurs ont exprimé un enthousiasme considérable pour les animaux génétiquement modifiés, y compris pour des souris transgéniques dans lesquelles des gènes humains ont été insérés dans le génome de souris. Toutefois, si un gène humain s’exprime chez la souris, il va probablement fonctionner d’une façon différente de chez l’homme, étant affecté par les mécanismes physiologiques propres à la souris. Par exemple, une importante protéine qui contrôle le glucose sanguin chez l’homme est absente chez la souris. Lorsque le gène humain qui produit cette protéine a été exprimé dans des souris transgéniques, il a eu l’effet opposé à celui qu’il a chez l’homme : il a provoqué une perte du contrôle du glucose sanguin chez ces souris. L’utilisation de souris génétiquement modifiées a échoué à modéliser des maladies humaines et à apporter des bénéfices cliniques dans beaucoup de catégories de maladies.
Dans certains cas, des singes sont utilisés, plutôt que des souris ou autres animaux, avec l’espoir qu’ils mimeront mieux les résultats observés chez l’homme. Mais :
– des modèles singes ont échoué à reproduire les caractéristiques clés de la maladie de Parkinson, aussi bien du point de vue fonctionnel que pathologique. Plusieurs thérapies qui paraissaient prometteuses à la fois chez le singe et chez le rat modèles de la maladie de Parkinson ont été décevantes chez l’homme ;
– la campagne pour prescrire le traitement hormonal substitutif à des millions de femmes pour prévenir des maladies cardiovasculaires a été basée en grande partie sur des expériences sur des singes. Ce traitement est connu, maintenant, pour augmenter le risque de ces maladies chez la femme.
La recherche de vaccins contre le sida en utilisant des singes représente l’un des échecs les plus notables de la transposition à l’homme de données obtenues par l’expérimentation animale. D’immenses ressources et des décennies ont été dévolues à la création de modèles singes (y compris chimpanzés) du sida. Pourtant, tous les quelque 90 vaccins HIV qui ont réussi chez l’animal ont échoué sur l’homme.
La supposition que les données animales seraient fiables pour l’homme a mené à des souffrances humaines significatives et injustifiables. Par exemple :
– les volontaires d’un essai clinique du gp120 (contre le sida) ont couru des risques inutiles en raison de la confiance placée dans des résultats d’expériences sur des singes ;
– deux études phares impliquant des milliers de femmes ménopausées traitées avec la thérapie hormonale de substitution ont été écourtées en raison de risques accrus d’AVC et de cancer du sein ;
– en 2003, Elan Pharmaceuticals a dû mettre fin à un essai clinique de phase 2 (sur un petit nombre de patients) lorsqu’un vaccin expérimental contre la maladie d’Alzheimer a provoqué des inflammations du cerveau chez l’homme. Aucun effet secondaire significatif n’avait été détecté sur des souris transgénique ni sur des singes ;
– avant le premier essai sur l’homme, le TGN1412 avait été testé sur des souris, des lapins, des rats et des singes sans montrer d’effets négatifs (voir La Notice d’Antidote de juin 2006). Des singes avaient également subi des études de toxicité chronique et avaient reçu pendant 4 semaines consécutives des doses 500 fois supérieures à celle qui a été donnée aux volontaires humains. Aucun de ces singes n’avait subi les effets qui ont affecté les hommes presqu’immédiatement après avoir reçu des doses minimes du médicament testé. Des macaques rhésus et cynomolgus avaient spécialement été choisis car leurs récepteurs CD28 montraient une affinité semblable aux récepteurs CD28 humains pour le TGN1412. Sur la foi de telles données, il avait été conclu que les résultats obtenus sur ces singes permettraient de prédire de façon fiable la réponse humaine à ce médicament -une conclusion qui s’est avérée catastrophiquement erronnée.
Les dommages collectifs qui résultent d’expériences trompeuses sur des animaux
Les problèmes ont surgi car les différences -souvent non détectées- entre espèces animales sont de loin beaucoup plus nombreuses et importantes que les similarités.
Il a été affirmé que recueillir quelques informations par des expériences sur des animaux était préférable à ne pas avoir d’information du tout. Cette thèse néglige le fait que des informations trompeuses peuvent être pires que l’absence d’information à partir d’essais sur des animaux. L’utilisation d’expériences non prédictives sur l’animal peut provoquer de la souffrance humaine de deux façons au moins : d’abord, en produisant des données trompeuses de sécurité et d’efficacité ; et ensuite, en menant à l’abandon potentiel de traitements médicaux utiles et en privant de ressources des méthodes plus efficaces.
Sur 5 000 à 10 000 médicaments potentiels étudiés, seulement 5 environ entrent en phase 1 d’essais cliniques. De possibles thérapies peuvent être abandonnées à cause de résultats sur l’animal qui ne s’appliquent pas à l’homme.
– Le tamoxifène, un des médicaments les plus efficaces pour certains types de cancer du sein, aurait sans doute été rejeté si sa propension à provoquer des tumeurs dans le foie chez le rat avait été découverte au cours des essais précliniques plus tôt qu’après des années d’utilisation chez l’homme.
– Le Glivec, utilisé contre la leucémie myéloïde chronique, a provoqué de sérieux effets secondaires sur au moins cinq espèces animales, y compris des dommages au foie chez le chien. Toutefois, la toxicité hépatique n’ayant pas été détectée sur des cellules humaines en culture, les essais cliniques ont pu avoir lieu et ont confirmé l’absence de toxicité hépatique significative chez l’homme.
– Plusieurs médicaments utiles qui ont été utilisés de façon sûre chez l’homme pendant des décennies, comme l’aspirine ou la pénicilline, pourraient ne pas être disponibles aujourd’hui si les exigences règlementaires actuelles de tests sur des animaux avaient été en vigueur à l’époque de leur développement.
Des organes humains cultivés en laboratoire, des organes humains sur puces, des technologies informatiques, l’impression en trois dimensions de tissus humains vivants et le Projet Toxome Humain sont des exemples de nouvelles technologies basées sur l’homme qui suscitent de plus en plus d’enthousiasme. Le bénéfice d’utiliser ces méthodes au cours des essais précliniques plutôt que des expériences sur des animaux repose sur le fait qu’elles sont basées sur la biologie humaine. Ainsi, leur utilisation élimine en grande partie le travail de supposition requis lorsqu’on cherche à extrapoler à l’homme des données obtenues sur d’autres espèces animales. De plus, ces essais proposent des systèmes biologiques complexes, à la différence des techniques in vitro classiques.
Conclusion
Les données montrant l’absence de fiabilité de l’expérimentation animale et les dommages pour l’homme qui résultent de son utilisation démontrent que la recherche animale induit des coûts et des dommages significatifs pour l’homme. Nous devrions nous demander s’il est éthiquement acceptable de priver des humains de ressources, opportunités, espoirs et même de vie, en cherchant des réponses à ce qui pourait être l’endroit erronné. Je pense qu’il serait préférable de retirer ces ressources de l’expérimentation animale pour les diriger vers le développement de technologies plus précises, basées sur l’homme.
Des expériences sur des singes (macaques) viennent d’être autorisées en Suède. Les chercheurs ont fait valoir des notions vagues telles que la « similarité » des systèmes immunitaires simien et humain. Nous contestons leurs arguments sur le plan scientifique et dénonçons une carence de la loi.
Par André Ménache
Alors que les Etats-Unis viennent d’annoncer que les fonds publics ne financeront plus d’expériences sur les chimpanzés au motif qu’il existe aujourd’hui des méthodes plus pertinentes, des chercheurs suédois ont obtenu l’approbation de leur comité d’éthique pour mener, sur des macaques, des expériences devant -théoriquement !- permettre le développement d’un vaccin contre le paludisme. A l’Institut Karolinska, le dernier centre de recherche scandinave à utiliser encore des singes, 120 macaques devraient être infectés avec le parasite du paludisme et subir, pendant au moins une année, des procédures invasives.
En tant que conseiller scientifique des associations Animal Justice Project et Djurrättsaliansen, j’ai rédigé un rapport contestant le bien-fondé scientifique et légal de ces expériences. Les anglophones pourront tout de suite prendre connaissance de cette campagne et signer la pétition sur http://www.animaljusticeproject.com/sweden et lire le rapport complet sur http://www.animaljusticeproject.com/Sweden Report MERGED 15.11.pdf
Pour les francophones, voici un bref résumé de ce rapport, intitulé : « Les expériences suédoises sur des singes contreviennent-elles à la loi européenne ? » Animal Justice Project et Djurrättsaliansen tentent d’empêcher l’importation en Suède des 120 macaques en provenance des Etats-Unis.
Des expériences sur les singes douloureuses et inutiles
Les procédures auxquelles les macaques seraient soumis incluent des biopsies de moelle osseuse, des vaccinations et des prises de sang répétées, ainsi que des biopsies de ganglions lymphatiques au niveau de l’aisselle ou de l’aine.
Bien que les biopsies doivent être réalisées sous anesthésie générale, les singes pourront ressentir de la douleur ou de l’inconfort par la suite. Tous les singes seront logés dans des cages d’une surface au sol, pour certaines, n’excédant pas deux mètres carrés. La captivité, l’impossibilité d’exprimer des comportements normaux et la rupture des liens sociaux et familiaux génèrent stress et peur qui ne sont pas pris en compte dans le calcul que font les chercheurs du degré de sévérité des expériences.
La directive européenne 2010/63/UE stipule : « (39) Il est également essentiel, tant pour des raisons morales que dans l’intérêt de la recherche scientifique, de veiller à ce que chaque utilisation d’animal soit soumise à une évaluation minutieuse de la validité scientifique ou éducative, de l’utilité et de la pertinence des résultats attendus de cette utilisation. »
Nous pensons que les expériences projetées à l’Institut Karolinska contreviennent à cette loi car :
– selon les connaissances scientifiques actuelles, y compris en génétique et en biologie de l’évolution, le « modèle » singe n’est ni fiable ni pertinent pour l’étude de la maladie humaine ;
– selon les connaissances scientifiques actuelles, les dommages probables infligés aux singes dépasseraient de beaucoup les bénéfices escomptés pour le progrès médical humain (0,004%) ;
– les macaques sont naturellement immunisés contre la forme humaine du paludisme ;
– des méthodes sans animaux (MIMIC et vaccinomique, par exemple) sont disponibles et pertinentes pour le développement de vaccins pour l’homme.
Des affirmations, mais quelles preuves ?
Les chercheurs suédois affirment que « le macaque est un modèle précieux pour les études d’immunologie en raison de sa ressemblance génétique avec l’homme ». Si par « ressemblance génétique » (peu précis, pour des scientifiques !) ils entendent « pourcentage d’homologie », alors ils auraient dû choisir le chimpanzé, l’animal dont l’ADN a le plus haut pourcentage d’homologie avec l’ADN humain. Pourtant, on le sait désormais, les expériences sur des chimpanzés auront bientôt pris fin dans le monde, notamment suite à la conclusion d’un rapport scientifique états-unien : « la plupart des utilisations actuelles de chimpanzés pour la recherche biomédicale n’est pas nécessaire » (www.nature.com/news/us-chimpazee-research-to-be-curtailed-1.9663). Comment, dès lors, justifier l’utilisation de singes moins « semblables » à l’homme ?
Dans le domaine du développement de vaccins, l’utilisation de primates non humains (y compris des chimpanzés) se solde par un échec spectaculaire. Sur 100 vaccins qui protègent des animaux de laboratoire contre le sida, pas un n’est efficace chez l’homme (www.omicsonline.org/animal-models-and-the-development-of-an-hiv-vaccine-2155-6113.58-001.php?aid=4889). Il est donc curieux que les chercheurs suédois justifient leur projet d’étude en notant dans leur demande d’autorisation qu’ils ont « déjà travaillé dans un certain nombre d’études de vaccins anti-HIV et ont ainsi acquis des compétences et de l’expérience dans le domaine de la recherche de vaccins sur les primates. »
Ces chercheurs affirment qu’il n’existe pas de méthode alternative à l’utilisation d’animaux. Pourtant, la meilleure façon de développer des vaccins pour l’homme est d’étudier les populations humaines et le système immunitaire humain. Un exemple de méthode in vitro pour le développement de vaccins pour l’homme est le système MIMIC, sélectionné par le gouvernement états-unien pour développer un vaccin efficace contre le virus Ebola.
Une loi inadaptée
La loi européenne, qui prétend limiter l’utilisation d’animaux en invoquant le « bien-être animal » et le principe des 3R, présente une grave lacune en n’exigeant pas la justification des expériences sur des animaux sur le plan scientifique, c’est-à-dire sans exiger des chercheurs qu’ils prouvent en quoi le « modèle animal » qu’ils comptent utiliser serait prédictif et pertinent vis-à-vis de la santé humaine.
Comme nous le faisons avec force depuis des années, continuons à demander l’organisation d’un débat public sur la pertinence du « modèle animal » dans la recherche biomédicale et la toxicologie humaines.