Paris, le 20 octobre 2015 – L’Université de médecine de Buenos Aires, en Argentine, accueillait, les 15, 16 et 17 octobre, la Troisième Conférence nationale des médecins de villes aspergées de pesticides. Depuis plusieurs années, ces médecins constatent les ravages causés à la santé humaine par les pulvérisations de pesticides sur les cultures (notamment de soja transgénique) occupant les champs qui entourent leurs villes.
Cancers, malformations des nouveau-nés, avortements spontanés, etc. sont observés dans ces zones à des taux plus importants que dans d’autres régions. « Le système perdure sur la base du déni et de la dissimulation de l’impact sur la santé et des affirmations répétées des multinationales (qui fournissent les pesticides et les semences transgéniques) sur la non toxicité de leurs poisons agricoles (par exemple, « vous pouvez boire du Roundup sans aucun danger », et « le glyphosate est comme de l’eau salée »). », signalent les organisateurs de cette Conférence.
Pourtant, des méthodes de toxicologie modernes et fiables, sans recours aux tests sur des animaux -souvent trompeurs-, permettent de mettre en évidence la toxicité des substances chimiques, et des cocktails de substances chimiques, pour l’homme. Pionnière en Europe pour l’utilisation de la toxicogénomique, par exemple, Antidote Europe en a fait la démonstration dès 2005, en évaluant la toxicité d’une quinzaine de pesticides, puis en 2012, en mettant en évidence l' »effet cocktail ».
Cette Conférence ajoute un élément de poids à tous ceux qui s’accumulent depuis des décennies, en France et ailleurs pour montrer, par l’épidémiologie, le rôle de la pollution chimique dans la dégradation de notre santé.
Mais Antidote Europe, comité scientifique oeuvrant pour la promotion des méthodes de recherche les plus pertinentes pour l’homme en toxicologie et en biomédecine, pose cette question aux autorités responsables de la règlementation et de la santé publique : ne vaudrait-il pas mieux évaluer la toxicité des substances chimiques par des méthodes scientifiques, fiables pour l’homme, rapides et relativement peu coûteuses avant d’exposer la population ?
Nous connaissions déjà les effets du bisphénol A. Voilà que de nouveaux perturbateurs endocriniens ont été mis en évidence dans des poissons gras sauvages ou d’élevage. C’est très inquiétant car ces substances peuvent avoir des effets biologiques à des doses bien inférieures à celles prises en compte par la réglementation.
Par Claude Reiss
L’industrie chimique déverse sur la planète annuellement des dizaines de millions de tonnes de molécules dont beaucoup agissent comme des hormones, perturbant notre propre système hormonal. Ces perturbateurs endocriniens (PE) ont des activités délétères de plus en plus visibles dans la population humaine : carences au cours du développement embryonnaire, cancers dépendants d’hormones (sein, prostate), infertilité, obésité, malformations génitales, problèmes neurologiques de plus en plus fréquents chez les enfants et les adolescents (hyperactivité, déficit d’attention, etc.). Ces manifestations commencent à inquiéter les autorités sanitaires, qui cherchent à identifier ces perturbateurs, leurs cibles et leurs effets sanitaires. Or, les PE ont un comportement inhabituel : ils ont une très forte activité à des concentrations infinitésimales, en contradiction avec le principe de Paracelse (« la dose fait le poison »).
Des effets spectaculaires
Celles de nos cellules qui réagissent à l’activité hormonale sont munies de récepteurs spécifiques d’une hormone donnée, ou de son PE de substitution s’il est présent. Une fois attachée au récepteur, l’hormone déclenche dans la cellule une activité biochimique particulière qui peut être très intense. Chez la poule en période de ponte, par exemple, une molécule d’œstradiol (de l’ordre du millième de milliardième de milliardième (10-21) de gramme) relâchée par l’hypophyse se fixe sur son récepteur spécifique sur une cellule de l’oviducte en charge de produire le blanc d’œuf. Sous l’action de cette dose infime, cette cellule va fabriquer plusieurs centaines de fois son poids en blanc d’œuf par jour. La fabrication cesse en l’absence d’œstradiol, quand la poule cesse de pondre.
On comprend que ce type d’activité ait longtemps échappé aux chimistes, plus habitués à manipuler des doses mesurables à l’aide d’une balance. Dans les précédentes Notices, nous avons mentionné le bisphénol A (BPA), un polluant PE ubiquitaire dont nous sommes tous imprégnés, à notre insu. Il s’est glissé dans notre organisme par nos aliments, l’eau du robinet, les emballages alimentaires. Après une décennie de dénégations véhémentes, l’Agence européenne de sécurité des aliments a fini par reconnaître le danger –et son ignorance- et diviser par 10 la dose journalière acceptable, une mesure présentée comme provisoire en attendant des travaux pour lesquels d’autres laboratoires sont sollicités. Or, il y a urgence. On estime que les dégâts dus au BPA coûtent à la couverture sociale des milliards d’euros, rien que pour son rôle dans l’obésité des enfants et les maladies cardiovasculaires des adultes.
Les mêmes craintes pèsent sur d’autres PE, en particulier ceux contenant au moins deux noyaux benzéniques (un anneau de 6 atomes de carbone portant en alternance un ou deux atomes d’hydrogène). Le BPA fait partie de la famille des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dont les dérivés chlorés (hydrogène remplacé par le chlore), notamment les polychlorobiphényles (PCB) ont la faveur de l’industrie chimique, car ils sont plutôt stables et très actifs. On les retrouve dans nombre de pesticides (Alaclor, Pyranol, DDT…). Le hic est que les HAP et les PCB sont très souvent des PE, mimant l’effet d’hormones comme l’œstradiol (puberté précoce chez les filles) ou leurrant les récepteurs hormonaux, donc empêchant une activité hormonale au moment où l’organisme y a recours (mise en place des caractères sexuels secondaires chez les garçons).
Bien qu’agissant à des concentrations infinitésimales, ces activités délétères qui ne se manifestent pas brutalement comme une toxicité aiguë, peuvent accompagner la victime durant sa vie, affectant la croissance, le système cardiovasculaire et la circulation sanguine, le système neuronal (troubles du comportement, insomnies, humeur instable…), les fonctions sexuelles et reproductrices (infertilité masculine, ménopause précoce, malformations génitales) et prédispositions à l’obésité, au diabète et, bien entendu, aux cancers.
Ces produits ont souvent une activité épigénétique, c’est-à-dire qu’ils stimulent ou répriment l’expression de certains gènes sans les muter, en modifiant chimiquement leurs environnements (chromatines) dans le chromosome. Ces modifications peuvent persister durant la division cellulaire et dans les gamètes, donc peuvent concerner les générations à venir. HAP, PCB, pesticides, etc., sont déversés sur la planète à l’échelle de millions de tonnes par an, soit en moyenne plusieurs kilos par personne. Ne parlons pas des effets toxiques des métabolites (produits dérivés de la substance après passage de celle-ci par le foie) de ces substances et de leurs effets synergiques, nous ne voulons pas désespérer nos lecteurs !
On trouve les affections ci-dessus principalement chez les adultes et les adolescents, mais souvent elles se mettent en place dès le stade fœtal et affectent le développement, jusqu’à présent de façon irréversible car elles résistent à toute correction médicale connue. C’est le cas des troubles évolutifs du développement (spectre d’Asperger, autisme) dont la morbidité s’envole depuis plus d’une décennie (aujourd’hui, un autiste sur 100 naissances en France !). Le BPA pourrait être l’une des substances en cause, car nos expériences de toxicogénomique ont montré que ce produit interfère avec la mise en place du système nerveux central chez l’homme (voir le hors série de La Notice d’Antidote).
Nous avons mené campagne avec un demi succès puisque le BPA est interdit dans les biberons, qui portent à présent un étiquetage triomphal « BPA free ». Mais le BPA est toujours autorisé dans les canettes, barquettes, bouteilles plastiques (le BPA sert de plastifiant) etc., et donc continue à imprégner les bébés nourris au sein (le BPA passe dans le lait maternel) et tous ceux qui ont passé le stade bébé, soit plus de 99% de la population.
Les nouveaux vilains
Or, voilà qu’apparaît une autre famille de substances « miracle » : les BDPE (BromoDiPhényl Ethers). Ce sont des produits ignifuges fabriqués à raison de 2,5 millions de tonnes par an. Ils sont intégrés à des plastiques (appareils électriques et électroniques), rembourrages (coussins en mousse de polyuréthane), moquettes, tapisseries, vernis… Ils sont donc présents dans l’air (y compris intérieur, écoles, lieux de travail), dans le sol où ils sont très persistants et même dans l’eau, bien qu’ils n’y soient pas solubles.
Par contre, ils sont très solubles dans les graisses animales, d’où une bioaccumulation importante et persistante. Les organismes aquatiques, filtrants (moules) ou poissons, gras en particulier, en absorbent beaucoup et les métabolisent comme hydroxy-BDPE ou métoxy-BDPE, beaucoup plus toxiques pour l’homme que le BDPE lui-même. Cette toxicité accrue des métabolites s’explique par une structure très proche des principales hormones thyroïdiennes, les thyroxines, qui sont des IodoDiPhényl Ethers. Le niveau de ces hormones dans l’organisme est soigneusement régulé, notamment par l’hypophyse et des boucles de rétroaction. Un excès (hyper-thyroïdie) ou une carence (hypo-thyroïdie) entraînent d’importants troubles physiologiques.
Il n’est donc pas étonnant que les métabolites des BDPE et des IDPE interfèrent entre eux dans l’organisme, notamment par compétition pour les transporteurs et les récepteurs de l’IDPE. Beaucoup d’activités dommageables des BDPE se manifestent comme l’hyper-thyroïdie :
– Effets sur la croissance et le développement fœtal, en particulier pour son système nerveux central. Les niveaux d’IDPE sont critiques dans les premiers mois de la vie, où ils assurent la mise en place des connexions neuronales, la myélinisation (gaine entourant les cellules neuronales). A la fin du premier mois de la gestation, le fœtus dépend des thyroxines de sa mère. Leur défaut peut empêcher la fermeture du tube neuronal (risque de spina bifida). La présence du BDPE, mimant un excès de thyroxine (hyperthyroïdie), favorise la différentiation des cellules neuronales au détriment de leur prolifération (cerveau de petit volume). D’après des données américaines récentes, de faibles quantités de BDPE suffisent à endommager les mitochondries neuronales qui fournissent l’énergie aux cellules, alors qu’elles en ont un besoin vital. (Chez l’adulte, l’hyperthyroïdie se traduit par l’irritabilité et l’excitabilité).
– Effets sur le squelette. Le BDPE stimule anormalement la maturation et la différentiation osseuse (ossification du cartilage) du fœtus, qui se poursuit en post-natal et favorise la petite taille (et l’ostéoporose chez l’adulte).
– Effets sur le métabolisme basal (thermogenèse), glucidique (hyperglycémie, diabète ?), lipidique (synthèse de cholestérol, tachycardie, AVC ?), protéïque (catabolisme excessif), rénal (augmente la filtration et le débit sanguin).
Les analogues des BDPE dans lesquels le brome a été remplacé par un autre halogène (fluor dans les perfluorés, chlore dans les PCB), présentent des activités semblables, du fait de leurs remarquables proximités structurales avec l’IDPE.
Claude Reiss a été interviewé sur ce sujet par la Radio Télévision Suisse pour l’émission « A Bon Entendeur » du 22 octobre 2013. Il fait partie des référents scientifiques de cette émission de défense des consommateurs.
Peut-on se défendre ?
Face à cette avalanche de problèmes déjà bien présents et qui vont aller en s’amplifiant, les ministres Martin (environnement) et Touraine (santé) ont lancé une consultation publique fin août 2013 pour développer une stratégie nationale sur les PE. Nous y avons répondu, recommandant de mettre en œuvre la toxicogénomique sur cellules humaines (à présent pluripotentes induites plutôt que lignées établies), visant les gènes des récepteurs hormonaux stéroïdiens et thyroïdiens ainsi que l’ensemble des gènes que nous avons déjà examinés dans nos études de toxicogénomique en 2004 (voir le hors série de La Notice d’Antidote).
Outre ses avantages en termes de fiabilité pour l’homme, de coût supportable et de rapidité d’évaluation, cette méthode a deux avantages uniques : permettre l’évaluation des métabolites des PE et l’évaluation de mélanges de PE, comme nous l’avons montré pour les substances chimiques en 2004 et les pesticides en 2012 (voir La Notice d’Antidote de septembre 2012 et notre site).
Malgré (ou peut-être à cause des ?) les activités dommageables des BDPE, les lobbies de leurs fabricants s’affichent non loin des bureaux de la Commission européenne. Le panel VECAP (Voluntary Initiative of the European Brominated Flame Retardant Industry Panel) regroupe plus de 80% des industriels du secteur ; un projet EBFRIP (Together with the industry’s global organisation) et un Forum BSEF (Bromine Science and Environmental Forum), richement dotés, diffusent depuis 2008 les « meilleures pratiques »… comprenez « la bonne parole » !
Mais que fait donc REACH, la règlementation européenne en matière de substances chimiques, entrée en vigueur en juin 2007 ? La mainmise des lobbies sur Bruxelles, le « Brussel’s Business » visible sur le Net, serait donc une réalité ?
Mesdames, si vous vous apprêtez à attendre ou si vous attendez un bébé : pas de poisson gras, pas de saumon fumé, surtout d’élevage, 10 fois plus riche en BDPE que le sauvage. Si votre bébé est là, bannissez les matelas et coussins en mousse, les couvertures en synthétique, exigez des produits garantis sans retardateurs de flamme, aérez sa chambre. Votre enfant vous en remerciera, quand il sera « normal » une fois grand !
Un rapport du gouvernement sur les perturbateurs endocriniens prévoit de tester 5 substances par an sur trois ans… (1) Et pourquoi pas les 800 substances suspectées par l’OMS en quelques mois ? Antidote Europe fournit la méthode.
Perpignan, le 26 septembre 2013 – Un petit exercice de calcul mental à proposer aux écoliers en cette période de rentrée scolaire. Un rapport des ministères de la Santé et de l’Environnement sur les perturbateurs endocriniens (substances chimiques susceptibles de porter atteinte à la santé humaine) recommande « d’expertiser au moins 5 substances par an pour évaluer leur caractère perturbateur endocrinien ». C’est probablement le temps qu’il faudrait, et une dizaine de millions d’euros, pour étudier ces 5 substances sur des « modèles » rats ou souris, comme on l’a fait jusqu’ici. Sachant que l’on soupçonne des milliers de substances dans lesquelles nous baignons d’être des perturbateurs endocriniens, combien faudrait-il de millénaires pour les tester ? Et pour tester leurs mélanges dans notre corps ? Et combien de milliards d’euros faudrait-il investir pour connaître leurs effets sur les rongeurs ?
Sans doute un peu effrayés par ces chiffres, les ministères ont lancé une consultation publique pour définir « la future stratégie nationale » d’évaluation des perturbateurs endocriniens. Antidote Europe y a répondu (2) le 20 septembre 2013, date de clôture de la consultation. Ce comité scientifique propose une méthode pour évaluer les perturbateurs endocriniens non pas sur des rongeurs, mais sur des cellules humaines en culture, de façon fiable pour l’homme et reproductible. Cette méthode, la toxicogénomique, permet d’évaluer facilement des milliers de substances par an (et non 5) pour un coût de l’ordre du millième de celui des tests sur des animaux. Cette méthode est parfaitement adaptée pour évaluer les effets des substances pures, de leurs métabolites et de leurs mélanges, sur l’homme, la femme, les bébés, les enfants, les adolescents, les adultes et les séniors, en plus selon leurs ethnies.
Antidote Europe reste à la disposition des autorités en charge de la santé publique pour fournir un programme détaillé et une expertise technique.
Contact médias :
Claude Reiss : 04 76 36 35 87
Président d’Antidote Europe
Ancien directeur de recherche au CNRS
(1) page 32 du rapport « Propositions pour une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens »
(2) Texte de la contribution d’Antidote Europe à la consultation publique :
Les perturbateurs endocriniens (PE) exogènes, et plus particulièrement ceux produits à l’échelle industrielle, sont une menace grave pour la santé publique. On a déjà beaucoup trop tardé à les identifier et à en caractériser les effets individuels ou en mélanges, car ils se manifestent lourdement dans les incidences et prévalences de morbidités sévères comme l’explosion des cancers dépendant d’hormones, la chute de la fertilité masculine, l’augmentation du taux de malformations génitales mâles et la puberté de plus en plus précoce des filles.
Il ne s’agit pas d’examiner quelques candidats-PE, mais plusieurs centaines ou milliers, dont ceux déjà retenus par l’OMS et bien d’autres, soupçonnés à juste titre, ainsi que leurs mélanges dans l’organisme. Il s’agit donc d’évaluer rapidement, de façon fiable pour notre espèce et à un coût raisonnable, des milliers de PE et mélanges de PE pour leur capacité à perturber le système endocrinien humain, les éventuels effets sanitaires sur l’organisme et les conséquences trans-générationnelles.
Jusqu’ici, l’étude des PE se faisait sur des animaux pris comme « modèles » de l’homme. De telles études doivent être abandonnées, en premier lieu parce qu’aucune espèce animale n’est un « modèle » biologique fiable pour une autre (conséquence de la définition d’une espèce, son isolement reproductif). D’ailleurs, le test sur animaux est versatile, car même dans une espèce donnée, des lignées différentes ont des sensibilités très différentes aux PE (ex. les souris mâles CD-1 sont peu sensibles aux estrogènes, alors que les C57BL/6J le sont 15 fois plus). Enfin, les tests sur animaux imposent des contraintes matérielles insoutenables à cause de coûts et de délais prohibitifs (selon le NTP US, en moyenne l’évaluation d’une substance sur des animaux coute $3-4 millions et demande 2-3 ans).
Aujourd’hui, les progrès scientifiques permettent d’éliminer toutes ces difficultés. C’est notamment le cas de la toxicogénomique, une méthode qui identifie et quantifie les dérégulations de gènes dans la cellule en culture lorsqu’elle est exposée à une substance à évaluer, à concentration et pendant un laps de temps donnés. Le coût de la méthode est assez élevé (de l’ordre de €1000 par test) si l’on s’intéresse à la dérégulation de tous les gènes humains, mais peut être divisé par 10 ou 100 par un choix judicieux des gènes à examiner.
Antidote Europe, qui a été l’un des pionniers en Europe pour la mise en œuvre de la toxicogénomique sur des lignées de cellules humaines, a précisément développé une mini-toxicogénomique à haut débit (HTminiTXG). A cette fin, nous avons sélectionné, dans une liste de 1100 gènes humains connus pour être impliqués dans des réponses toxiques, quelques dizaines de gènes qui marquent l’entrée de la cellule dans des voies pathologiques choisies (compte-rendu détaillé de nos expériences sur ArrayExpress, réf. E-TOXM-31 et A-MEXP-798). Nous avons notamment sélectionné des gènes marqueurs de la réponse au PE (récepteurs d’androgènes, estrogènes, corticoïdes, gènes répondant à la stimulation hormonale, notamment la prolifération…), permettant d’identifier les agonistes ou antagonistes des récepteurs hormonaux et d’en évaluer les conséquences physiologiques et pathologiques.
A l’échelle (artisanale) d’Antidote Europe, cette HTminiTXG s’est avérée rapide (résultat disponible peu après la fin du test) et économique (moins de €150 par test, main d’œuvre et consommables compris). Elle fournit d’utiles informations sur les mécanismes d’action des PE, leurs impacts éventuellement pathologiques sur le développement, les enfants en bas âge, la puberté, la fertilité, les risques oncologiques, etc. (voir en annexe un extrait de notre test PE du bisphénol A (BPA) effectué en 2004). La méthode est aisément robotisable.
Annexe: dérégulations par le BPA d’une sélection de gènes liés à la réponse hormonale
CTSD: cette protéinase impliquée dans des gènes régulés par des estrogènes est fortement réprimée par les métabolites du BPA
RAN: les métabolites du BPA sont responsables de la déficience dans la translocation d’ARN à travers les pores nucléaires, dans le contrôle de la synthèse d’ADN et de la progression du cycle cellulaire, dans la condensation des chromosomes, la polymérisation de microtubules durant la mitose, dans la coactivation de récepteurs androgènes
CREB1 : les métabolites du BPA sont responsables de la déficience dans la transcription de gènes répondant aux stimulations hormonales
CALR est un modulateur de la transcription par les récepteurs hormonaux nucléaires. Le BPA inhibe la fixation du récepteur glucocorticoïde à sa cible ADN normale, par exemple du récepteurs androgènes à l’élément de l’ADN répondant à cette hormone, et de ce fait inhibe l’activité du récepteur androgène ou d’acide rétinoïque. Ainsi, le BPA inhibe la différentiation neuronale induite par l’acide rétinoïque. Le BPA stimule aussi le stockage de Ca++ dans le lumen de l’ER (arythmie cardiaque)
L’OMS a récemment publié un rapport sur les perturbateurs endocriniens. A tous les niveaux, c’est bien pire qu’on ne croyait ! « On » : pas nous à Antidote mais les autorités qui continuent à laisser produire des tonnes de ces substances et le grand public qui continue à les utiliser, à son insu le plus souvent.
Article paru dans La Notice d’Antidote n°36
Par Hélène Sarraseca
Début 2013, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme environnement des Nations Unies (UNEP) publiaient une rapport intitulé : « Etat de la science sur les perturbateurs endocriniens en 2012 » (1). Le rapport précédent, faisant le point sur la situation en 2002, concluait que si certains effets observés sur les animaux sauvages pouvaient être attribués aux perturbateurs endocriniens, il n’y avait que de faibles preuves que ces substances puissent affecter les humains. Pour nous, il est clair que les preuves n’avaient pas été cherchées au bon endroit puisque dès 2005 (avec des méthodes qui existaient déjà en 2002), nous mettions en évidence les possibles perturbations endocriniennes provoquées par plusieurs substances (dont le bisphénol A) que nous avions testées.
Le rapport de cette année arrive à des conclusions plus réalistes mais présente encore de graves lacunes.
Perturbateur quoi ?
Beaucoup de nos fonctions biologiques sont sous le contrôle d’hormones, des substances synthétisées par des glandes que l’on appelle « endocrines ». Les hormones agissent généralement en-dehors de leur lieu de production. Par exemple, des hormones produites dans le cerveau contrôlent le cycle menstruel chez la femme, par une action sur les ovaires. Cette action se fait suite à la liaison de l’hormone avec son récepteur spécifique, à la façon d’une clé dans une serrure. Notre système hormonal est également appelé « endocrinien ». Un perturbateur endocrinien est une substance chimique de synthèse capable d’interagir avec notre système hormonal. Ce dernier étant très sensible, des substances telles que certains pesticides ou le bisphénol A peuvent le perturber même si elles ne sont présentes dans notre organisme qu’en infimes quantités.
De nos jours, on trouve ces perturbateurs endocriniens partout. D’après le rapport de l’OMS, « près de 800 substances chimiques peuvent ou sont soupçonnées de pouvoir interférer avec les récepteurs hormonaux, la synthèse ou la conversion des hormones. (…) Les perturbateurs endocriniens sont transportés par les phénomènes naturels (courants aériens et océaniques) ainsi que par le commerce, ce qui amène à une exposition humaine et de la faune sauvage partout dans le monde. (…) Il est pratiquement impossible de nos jours de trouver une population non exposée sur la planète. »
Au crédit du rapport de l’OMS, le fait qu’il reconnaisse enfin notre exposition généralisée à ces substances et, surtout, leur rôle dans l’apparition de beaucoup de maladies graves qui affectent de plus en plus les populations humaines et animales. Les « effets cocktail » sont également reconnus : « Dans les dix dernières années, il a été établi que les perturbateurs endocriniens pouvaient agir ensemble pour produire des effets cumulatifs, même combinés à de faibles doses, lesquelles, individuellement, ne produisent pas d’effets observables. »
De graves conséquences
Le rapport explique bien deux points importants. Le premier, c’est que la toxicité des perturbateurs endocriniens ne suit pas les mêmes règles que celle d’autres substances. Leur effet n’est pas proportionnel à la dose, d’une part. Ce qui rend caducs tous les calculs de doses journalières admissibles faits à partir d’études « dose-réponse », sur des animaux, de surcroît ! (Et ça, le rapport ne le dit pas…). D’autre part, l’effet des perturbateurs endocriniens dépend en très grande partie du stade du développement auquel a lieu l’exposition. Au cours du développement fœtal, il y a des moments critiques où les hormones ont un rôle capital. Les perturber à ces moments-là peut avoir de graves conséquences pour toute la vie de l’individu.
Le deuxième point bien mis en avant par le rapport est (ce que nous disons depuis des années) que ces substances pourraient être à l’origine de maladies graves dont le nombre de cas explose depuis quelques décennies. On pense en premier lieu aux cancers dépendants d’hormones (sein et prostate) et aux problèmes d’infertilité. Il faut y ajouter les désordres de la thyroïde, du développement neuronal chez l’enfant, des problèmes de densité osseuse, des troubles métaboliques (obésité, diabète), des troubles du système immunitaire, etc. Le rapport est une mine de données chiffrées sur tous ces problèmes de santé publique.
Des tests inadaptés
« Il est important de reconnaître que l’identification, sur l’homme ou sur la faune sauvage, d’effets sur la santé suite à l’exposition à des substances chimiques, par des études épidémiologiques indique que l’évaluation des effets des substances préalablement à leur mise sur le marché a échoué à prédire leur toxicité. » Nous disons la même chose de façon plus simple et plus directe : les tests sur des animaux ne permettent pas de prédire la toxicité d’une substance pour l’homme ; cette toxicité n’est connue qu’après exposition des populations humaines, donc, lorsque nous avons joué les cobayes et lorsqu’il y a eu de nombreuses victimes humaines.
« Pour beaucoup d’effets perturbant notre système hormonal, des méthodes de test approuvées et validées n’existent pas, alors que des outils scientifiques et des méthodes de laboratoire sont disponibles. » Encore ce décalage entre les possibilités techniques modernes et des lois trop anciennes qui imposent des méthodes obsolètes. Il est regrettable que le rapport n’appelle pas plus fermement à une validation rapide des méthodes modernes (à haut débit et approches selon le poids des preuves, qu’il mentionne pourtant).
Il est également regrettable que les tests sur des animaux continuent à être considérés comme pertinents. « Comme les études sur l’homme, bien qu’importantes, ne peuvent pas établir un lien de cause à effet, il est essentiel d’obtenir ces données de causes et d’effets sur l’animal pour étayer les études sur l’homme. » Une telle phrase nous paraît aberrante pour deux raisons. La première, c’est que les auteurs semblent ignorer le fait que des méthodes comme la toxicogénomique sur des cellules humaines permettent bien d’établir une relation de cause à effet chez l’homme. La seconde, c’est que les auteurs ignorent totalement que des effets constatés sur des animaux ne permettent pas de prédire les effets sur l’homme.
Nous ne pouvons, encore une fois, que constater et dénoncer l’incohérence des différents organismes chargés de notre sécurité sanitaire, certains reconnaissant que les tests sur des animaux ne sont pas fiables (« Nous ne sommes pas des rats de 70 kilos ! » disait Thomas Hartung alors directeur d’ECVAM, sous tutelle de la Commission européenne), d’autres toujours réticents à le faire, aucun n’appelant à une interdiction immédiate de pratiquer des tests de toxicité sur des animaux et à une utilisation tout aussi immédiate de méthodes modernes et fiables.
A la suite d’un article sur le bisphénol A dans Le Monde du 9 avril 2013, il y avait ce commentaire signé « une-patiente-trop-jeune » : « Bonjour, j’ai 25 ans, je suis née en 1988 et j’ai un cancer du sein et aucun antécédent familial. J’étais jusque là en bonne santé et je mangeais sainement vos fruits et légumes pleins de pesticides. En vous remerciant pour le monde dans lequel vous nous avez fait naître, et dans lequel d’autres générations se retrouveront amputées de leurs organes, je vous invite à réfléchir sur ce que l’industrialisation effrénée a produit. A bientôt dans un centre anticancéreux (1 Français sur 2 sera touché). » Merci pour ton témoignage, aussi dur soit-il. Puisse-t-il toucher ceux qui perdent du temps à imposer des validations pour des méthodes qui n’en auraient pas besoin et des tests qui continuent à permettre l’autorisation de substances dont tout le monde sait qu’elles détruisent notre santé et abrègent nos vies. Il y a tellement de rapports ! Quand verrons-nous apparaître le courage politique de prendre de vraies mesures ?
(1) Disponible en ligne sur www.who.int/ceh/publications/endocrine/en/index.html (hélas, en anglais seulement !).