Entretien avec Pandora Pound
Entretien avec Pandora Pound, docteur en sociologie de la médecine
Pandora Pound est directrice de recherche à Safer Medicines Trust (Association Médicaments plus sûrs), une organisation de bienfaisance œuvrant pour la sécurité des patients, basée au Royaume-Uni. Elle est titulaire d’un doctorat de sociologie de la médecine et a plus de vingt ans d’expérience dans la direction de recherche dans plusieurs domaines. En 2004, elle a été l’auteur principal d’un article ayant fait date, publié par le British Medical Journal, qui a suscité une série de revues de synthèse qui ont finalement mis en évidence les limites scientifiques de l’utilisation d’animaux en recherche préclinique. Elle a écrit de nombreux articles académiques sur les inconvénients scientifiques d’utiliser des animaux en tant que modèles pour l’être humain. Elle est membre du Oxford Centre for Animal Ethics.
Antidote Europe (AE) : Nous sommes à la fois ravis et honorés de pouvoir nous entretenir avec vous à l’occasion de la parution de votre nouveau livre intitulé Rat Trap (Piège à rats ; voir https://antidote-europe.eu/critique-du-livre-rat-trap/). Pourriez-vous dire à nos lecteurs ce qui vous a motivée à écrire un tel livre en ce moment particulier ?
Pandora Pound (PP) : Merci beaucoup pour cette occasion de présenter Rat Trap, je l’apprécie vraiment. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j’ai ressenti le besoin d’écrire ce livre maintenant. Premièrement, beaucoup de preuves se sont accumulées dans la littérature scientifique (des preuves de la médiocrité de la science sous-tendant la recherche sur des animaux, ainsi que des preuves de sa futilité) et j’ai senti qu’il était important de faire connaître ces preuves et de les vulgariser. Le fait que la science sous-tendant la recherche sur des animaux soit médiocre est un secret de Polichinelle dans le monde scientifique, mais beaucoup parmi le grand public continuent à considérer la recherche sur des animaux comme un « mal nécessaire » et pensent que la science est robuste. Hélas, comme je le signale dans Rat Trap, ceci est loin d’être vrai. Deuxièmement, après des décennies de recherche sur des animaux, il devient clair que, loin de faire progresser la médecine, cette recherche a échoué à produire des traitements même pour les maladies les plus courantes, telles que les attaques cérébrales, la maladie d’Alzheimer et les cancers, ce qui signifie que les patients et les familles continuent de souffrir, en dépit des millions que nous payons en impôts et en dons pour la recherche sur des animaux.
Par bonheur, toutefois, des technologies innovantes et de nouvelles approches inspirantes ne reposant pas sur les animaux arrivent en première ligne et ceci est la troisième raison pour laquelle j’ai écrit ce livre maintenant. Les technologies basées sur les cellules humaines et la biologie humaine, ajoutées aux méthodes basées sur l’informatique (in silico), à l’intelligence artificielle et aux approches se focalisant sur les signes les plus précoces des maladies commencent à révolutionner la science biomédicale, et je voulais en parler au public.
AE : Pourriez-vous expliquer comment vous avez découvert l’expérimentation animale et quels événements vous ont amenée à douter de la valeur scientifique de cette pratique ?
PP : J’ai travaillé pendant plusieurs années dans des écoles de médecine et j’étais consciente que quelque part dans les entrailles de ces institutions il devait y avoir un laboratoire de recherche sur des animaux. Ce n’est pas avant la fin des années 1990, pourtant, alors que je travaillais à l’École de médecine de l’hôpital St Thomas à Londres, que le problème est devenu plus obsédant pour moi. Là, mon bureau était proche du laboratoire d’expérimentation animale et je voyais de temps en temps des cages sur des chariots être poussées dans ou hors d’un tunnel de service qui se trouvait sous l’école de médecine et j’ai une fois vu un mouton être déchargé dans une cour sous mon bureau et amené dans l’école de médecine.
J’ai essayé d’en savoir davantage en répondant à un appel lancé au grand public pour intégrer le comité d’éthique sur la recherche sur des animaux dans l’école de médecine mais le président a clairement indiqué que ma candidature n’était pas la bienvenue. J’ai commencé à réfléchir et à lire de plus en plus sur ce problème. J’étais particulièrement intéressée par la justification donnée à la recherche sur des animaux (les bénéfices supposés pour l’être humain) et j’ai cherché de fond en comble des preuves de bonne qualité du fait que la recherche sur des animaux générait des bénéfices pour l’être humain, mais je n’ai pas pu en trouver. Tout semblait être anecdotique ou soigneusement sélectionné. Des affirmations étaient faites par des institutions scientifiques ou médicales réputées à propos de la valeur de cette recherche (qu’elle était à l’origine de découvertes médicales, essentielle pour le progrès médical, etc.) mais sans aucune preuve pour les soutenir. Quelques années plus tard, avec des professeurs d’épidémiologie, j’ai attiré l’attention sur ce problème dans un article intitulé « Où sont les preuves que la recherche sur des animaux profite aux humains ? », publié dans le British Medical Journal.
AE : D’après vous, quels sont les plus gros obstacles qui se dressent sur la voie du remplacement du paradigme du modèle animal dans le domaine des essais réglementaires ?
PP : Les agences de réglementation utilisent les essais sur des animaux depuis des décennies et ont tendance à les voir comme les essais de référence parce qu’elles en ont l’habitude, et le système réglementaire international dans son ensemble est harmonisé avec elles. Elles se sentent en confiance en utilisant les données animales en tant que base pour prendre des décisions sur la sécurité des médicaments et ont tendance à méconnaître le potentiel des méthodologies basées sur la biologie humaine. Ceci signifie que les responsables de la réglementation sont souvent incapables de fournir des indications claires aux scientifiques qui veulent utiliser des méthodes centrées sur l’être humain. En l’absence de ces lignes directrices, les scientifiques qui utilisent des approches innovantes peuvent craindre que leurs données basées sur l’être humain soient rejetées par les responsables de la réglementation. Donc, ils continuent à soumettre des données animales, ce qui leur paraît être la voie la plus simple et la plus rapide pour obtenir l’approbation réglementaire.
Pour éviter la confusion, les responsables de la réglementation devraient expliciter leurs exigences de façon bien plus claire. La FDA Modernisation Act 2022 [loi étasunienne ; voir https://antidote-europe.eu/action-lobbying/ à la date du 29 décembre 2022 ; NdT] a récemment établi que les scientifiques aux États-Unis ne sont plus obligés d’utiliser des animaux pour les essais de sécurité des médicaments, préparant ainsi la voie pour l’innovation. Il est nécessaire que d’autres responsables de la réglementation fassent de même. Toutefois, la responsabilité de la persistance de l’utilisation d’animaux par les firmes pharmaceutiques ne repose pas toute sur la réglementation. Des firmes peuvent tirer un bénéfice de réglementations qui imposent l’utilisation d’animaux dans les essais de sécurité car, ironiquement, ceci leur apporte une protection légale en cas de procès intenté par des individus qui auraient souffert d’effets secondaires de médicaments. Ceci est une autre raison pour laquelle il y a une nécessité urgente de réformer les réglementations ; une fois que les données animales ne seront plus considérées comme la référence, les firmes ne pourront plus se protéger de cette façon.
AE : D’après vous, quels sont les plus gros obstacles qui se dressent sur la voie du remplacement du paradigme du modèle animal dans le domaine de la recherche académique ?
PP : Il y a beaucoup d’obstacles mais un facteur réellement important est l’échec de la réglementation sur la recherche sur des animaux. Au Royaume-Uni, les responsables de la réglementation continuent d’approuver et autoriser chaque étude sur des animaux qui leur est soumise, même s’ils affirment que les études sur des animaux ne sont approuvées qu’en dernier recours, quand il n’y a aucun autre moyen d’effectuer la recherche. Un autre facteur est le financement. Depuis des décennies, la recherche sur des animaux qui a échoué de façon cohérente et reproductible à produire quelque bénéfice que ce soit (par exemple, dans le domaine des attaques cérébrales) continue à être financée. Les bailleurs de fonds ne semblent pas évaluer les résultats ou l’impact de leur recherche ; ils semblent juste continuellement déverser de l’argent public sur des approches inefficaces, tout en échouant à financer correctement des approches plus susceptibles de fournir des bénéfices, telles que celles basées sur la biologie humaine.
Les études sur des animaux continuent à être considérées comme la référence par les éditeurs de beaucoup de journaux scientifiques, ce qui rend la publication plus probable si des animaux sont utilisés. Les scientifiques peuvent avoir de longues et lucratives carrières en utilisant des animaux et les universités bénéficient du financement que la recherche sur des animaux attire. L’utilisation d’animaux en sciences est aussi une entreprise globale massive et beaucoup de personnes en vivent, directement ou indirectement. Il y a aussi des organisations qui n’existent que pour protéger les intérêts des chercheurs qui utilisent des animaux et pour perpétuer l’utilisation des animaux en recherche scientifique. Ces groupes, par exemple « Animal Research Tomorrow » (La Recherche sur des animaux demain), promeuvent l’idée que la recherche sur des animaux est indispensable et qu’elle est là pour durer. Ils sont conscients de l’abandon imminent de la recherche sur des animaux et font tout ce qu’ils peuvent pour maintenir le statu quo.
AE : Que devrait-il arriver à présent pour accélérer la transition de l’expérimentation animale vers les technologies du 21ème siècle basées sur l’être humain ?
PP : À Safer Medicines Trust, nous promouvons l’utilisation de méthodes de recherche et de technologies basées sur la biologie humaine pour développer des traitements sûrs et efficaces pour les patients. Avec nos partenaires d’Alliance for Human Relevant Science (Alliance pour la science pertinente pour l’être humain), nous appelons le gouvernement à montrer l’exemple dans le soutien à une transition hors de la recherche sur des animaux et vers la recherche centrée sur l’être humain et nous voulons un ministre dédié à mener cette transition, avec des agendas et des objectifs appropriés.
En bref, une transition de la recherche sur des animaux vers la recherche centrée sur l’être humain doit se focaliser sur une réforme radicale du financement et des réglementations. Nous appelons à une révision des réglementations encadrant le développement des médicaments et nous demandons que les réglementations encadrant la recherche sur des animaux soient correctement appliquées. Nous n’avons pas besoin d’argent pour cela. Il suffit que les bailleurs de fonds découragent la recherche sur des animaux et encouragent la recherche pertinente pour l’être humain en retirant leur financement aux approches obsolètes basées sur les animaux. Pour commencer, le financement de la recherche sur des animaux dans des domaines tels que les attaques cérébrales, où des décennies de travail n’ont abouti à rien, devrait cesser immédiatement. Le financement de la recherche fondamentale, motivée par la curiosité, devrait aussi être reconsidéré. Ce type de recherche compte pour la plus grande part des expériences faites sur des animaux au Royaume-Uni (53 % en 2022, à comparer à 21 % pour les expériences requises par la réglementation et 24 % pour la recherche appliquée). Elle n’a pas d’application directe pour les humains et son impact (à part attirer du financement, produire des docteurs et doper les carrières) n’est pas clair. Comme les universités et les scientifiques dépendent de tous les financements disponibles, une réforme radicale de l’ensemble des financements possibles serait très efficace.
AE : Nous vous sommes extrêmement reconnaissants pour cet entretien et pour toutes vos publications sur ce sujet, ainsi que pour votre merveilleux nouveau livre. Y a-t-il autre chose que vous voudriez ajouter ?
PP : Merci. Je voudrais juste répéter que la recherche sur des animaux nuit aux humains aussi bien qu’aux animaux. Elle échoue à assurer la sécurité des médicaments destinés à l’être humain et entraîne de grandes souffrances pour les patients atteints de maladies pour lesquelles il n’y a pas de traitement efficace. Après des décennies passées à étudier les maladies et les traitements sur des animaux et à tenter ensuite d’appliquer les résultats aux humains, nous pouvons à présent dire en toute connaissance de cause que cette approche n’a pas fonctionné. Il est beaucoup plus sensé d’étudier l’être humain directement. Et nous avons à présent tant de moyens d’étudier les humains -des moyens qui sont plus éthiques, plus fiables et plus scientifiques.